- 21/05/2025
Dans le débat du 7/10 mercredi 21 mai, Nathalie Clobert, psychologue clinicienne et hypnothérapeute, et Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives, échangent sur le thème : "HPI : comment combattre les idées reçues ?"
Retrouvez « Le débat du 7/10 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10
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00:00Débat ce matin sur les HPI, les personnes à haut potentiel intellectuel.
00:06Depuis une fameuse série télévisée, elles sont entrées dans la culture populaire
00:10et il n'est pas rare d'entendre à la sortie des écoles des parents absolument certains
00:16que leurs enfants sont trop intelligents pour ne pas être HPI.
00:21Quelle réalité médicale se cachent derrière les HPI,
00:25auxquelles on prête bien des qualités, donc bien des défauts aussi
00:31et qui naviguent dans un océan d'idées reçues.
00:35On va essayer d'y voir plus clair ce matin grâce à nos deux invités.
00:40Franck Rameau, bonjour.
00:41Bonjour.
00:41Vous êtes chercheur en sciences cognitives.
00:45Nathalie Claubert, bonjour.
00:46Bonjour.
00:47Philosophe de formation, psychologue clinicienne et hypnothérapeute.
00:52Vous accompagnez les adolescents et les adultes à haut potentiel
00:56et vous avez publié « Idées reçues sur le haut potentiel intellectuel ».
01:01C'est aux éditions Le Cavalier Bleu.
01:03Soyez les bienvenus dans ce studio.
01:06Selon l'Organisation mondiale de la santé,
01:09les personnes qui ont un QI supérieur à 130
01:12représentent environ 2% de la population.
01:15Pour commencer, dites-nous juste comment on repère les HPI ?
01:21Quelle batterie de tests ils doivent traverser ?
01:26Nathalie Claubert.
01:27Alors on repère le haut potentiel intellectuel grâce à des tests d'intelligence,
01:30des batteries complètes d'évaluation qui comportent différentes tâches,
01:34qui évaluent différentes composantes de l'intelligence.
01:36Et avec ces différents subtests, on va avoir une note,
01:40une note globale d'efficience intellectuelle qu'on appelle le QI,
01:43quotient intellectuel, et si cette note est égale ou supérieure à 130,
01:47on parlera de haut potentiel intellectuel.
01:49Et c'est plutôt un potentiel des capacités logiques ?
01:53Qu'est-ce qui est mesuré exactement ?
01:55Alors vous allez avoir...
01:56Alors c'est pas possible de tout mesurer, évidemment.
01:58C'est un échantillon de tâches qui implique les capacités cognitives.
02:02Donc on va évaluer les compétences verbales,
02:04la capacité à s'exprimer notamment à travers le langage et puis les concepts.
02:08On va évaluer les compétences visuospatiales,
02:11se repérer dans l'espace, effectivement,
02:12utiliser la logique sur un matériel spatial.
02:15On va également évaluer la vitesse de traitement
02:17et puis également la mémoire, la mémoire de travail, par exemple.
02:21Ces tests sont robustes et font l'objet d'un consensus scientifique absolu.
02:28Aucun problème de ce côté-là.
02:30Oui, globalement, il y a un consensus scientifique sur le fait
02:33que ces tests d'intelligence mesurent ce qu'on appelle l'intelligence générale,
02:37c'est-à-dire la part commune à toutes les fonctions cognitives.
02:39Bien entendu, ça ne mesure pas toutes les qualités d'un être humain,
02:42comme la créativité ou le sens de l'humour.
02:44Mais bon, c'est déjà pas mal.
02:45Oui, c'est déjà pas mal.
02:46Alors comment ce haut potentiel intellectuel se traduit dans la vraie vie,
02:50à l'école, dans la vie professionnelle, quand on grandit ?
02:53Vous, Nathalie Klober, qui accompagnez des personnes à haut potentiel,
02:59leur vie ressemble à quoi, tout simplement ?
03:01Elle ressemble beaucoup à celle de tout un chacun.
03:03Alors, mis à part qu'évidemment, les fonctions cognitives,
03:05elles vont avoir un effet dans la vie.
03:07Et la plupart du temps, en moyenne, ça va se traduire par des meilleures performances
03:11dans les domaines qui utilisent les compétences intellectuelles.
03:13Donc d'abord à l'école, et ensuite, parfois aussi dans le monde professionnel,
03:16quand les capacités cognitives vont être impliquées.
03:19C'est-à-dire qu'on travaille plus vite ?
03:21Ça, c'est la vitesse.
03:21C'est des questions de vélocité ?
03:23Tout à fait, des capacités de logique, une vitesse plus importante,
03:26une capacité à aborder les problèmes complexes, notamment.
03:29Donc un goût pour la complexité, une curiosité plus importante.
03:32Ce sont des gens qui sont capables de travailler sur des choses plus complexes et plus rapidement.
03:35À mon époque, on disait « surdoué », c'est le terme qui n'est pas un précis pour décrire la réalité ?
03:43Non, c'est un synonyme possible, surdoué, précoce, haut potentiel ou haut quotient intellectuel de tout.
03:48Alors, je le disais, il y a des clichés, des idées reçues autour de ces personnes HPI.
03:55Elles seraient plus solitaires, plus dépressives, avec des compétences sociales moins bonnes que les autres.
04:02La question du sens de l'humour se repose.
04:05Tout cela est faux et archi-faux ?
04:08Alors, tout ça, ce sont des représentations qui sont construites, qui sont largement véhiculées.
04:13Mais la plupart du temps, on ne les retrouve pas dans la littérature scientifique.
04:17La Franck sera bien placée, effectivement, pour en parler.
04:19Mais on ne va pas retrouver ces éléments-là.
04:22On va les retrouver, nous, en consultation, des fois individuelle, sur certains profils.
04:25Mais, en moyenne, ce ne sont pas des choses qui sont confirmées par la littérature scientifique.
04:30Qui dit quoi, alors ?
04:32Si on regarde les études épidémiologiques, qui étudient l'ensemble d'une population à qui on a fait passer des tests de QI.
04:40Et après, on regarde quelles sont les caractéristiques des personnes qui ont un score très élevé.
04:43Globalement, elles réussissent beaucoup mieux à l'école que les autres.
04:47Elles réussissent mieux dans le monde professionnel.
04:49Elles n'ont pas plus de troubles mentaux que les autres et souvent un peu moins.
04:52Là, ça dépend un petit peu des troubles et des cas.
04:55Donc, globalement, ça va.
04:57Alors, on a fait un rapide tableau.
05:00Et j'aimerais qu'on en vienne maintenant à cette tribune que vous avez signée, tribune collective dans l'Express.
05:08Un cri d'alarme de chercheurs, de professionnels de la santé mentale et d'associations.
05:13Cessons de pathologiser les hauts potentiels intellectuels.
05:19Ça peut briser des vies.
05:21Comment passe-t-on de ce que vous venez de décrire, à savoir un QI à 130 avec ce que ça veut dire,
05:29à un risque de pathologisation de ce statut-là ?
05:35Expliquez-moi.
05:35Alors, en fait, ce qu'il faut comprendre, c'est que longtemps, nous, en France,
05:39on n'a pas l'habitude d'identifier les enfants à haut potentiel ou les adultes de façon systématique.
05:42Ça veut dire que la plupart du temps, quand ils ont été identifiés ces dix dernières années,
05:46c'est parce qu'ils présentaient une souffrance ou un trouble.
05:48C'est pour ça qu'on consulte un professionnel en général et qu'on engage un bilan.
05:52Donc, il se trouve que chez ces enfants ou ces adultes, parfois,
05:55ont été découverts un haut potentiel intellectuel.
05:58Et parfois aussi, on n'a pas forcément investigué la présence d'un trouble
06:01pouvant expliquer la souffrance ou les difficultés.
06:03Donc, on s'est retrouvés des fois avec une explication causale en se disant
06:06« Ben voilà, la souffrance qu'on rencontre ou les difficultés,
06:09elles sont dues à cette exceptionnalité, à ce haut potentiel
06:11et pas forcément attribuables à autre chose
06:14que si on ne l'avait regardé, cherché, un peu plus exploré,
06:18on aurait peut-être trouvé comme meilleure explication des difficultés. »
06:22Donc, comme on avait une population consultante
06:24qui venait pour des causes de souffrance,
06:26on a généralisé des choses qu'on observait, nous, cliniciens, dans nos cabinets,
06:30à l'ensemble de la population à haut potentiel,
06:32mais ce qui ne correspond pas vraiment à ce qu'on observe en population générale.
06:35On a inversé les choses, en fait.
06:37Un peu, oui, en quelque sorte.
06:39On trouve des maladies là où il aurait peut-être fallu commencer par explorer un haut potentiel.
06:45C'est bien ça ?
06:46Oui, oui.
06:47Le problème, c'est que la plupart des personnes à haut potentiel,
06:50on ne les voit pas, on ne les connaît pas
06:51parce qu'elles n'ont aucune raison de consulter
06:53et donc de passer un test de QI.
06:54Et donc, elles ne savent pas qu'elles sont à haut potentiel.
06:57Elles ne parlent pas pour elles-mêmes.
06:58Personne ne les connaît.
06:59Mais les seules qu'on connaît, c'est celles qui ont eu des bonnes raisons de consulter.
07:02Donc, du coup, on en a une représentation complètement biaisée
07:05et les personnes qui tiennent des discours sur le haut potentiel,
07:08en tout cas qui en ont tenu pendant de longues années,
07:10se basaient uniquement sur cet échantillon biaisé
07:12de personnes à haut potentiel qui ont des problèmes.
07:15Et des raisons de consulter pour quoi ?
07:17Pour quel type, Franck Ramus, de pathologie ?
07:21Ça peut être tout, absolument tout,
07:23puisque de toute façon, le haut potentiel ne vaccine pas contre quoi que ce soit.
07:26Donc, les personnes à haut potentiel rencontrent toutes les difficultés de la vie
07:29et peuvent avoir tous les troubles, bien sûr.
07:31Donc, elles peuvent consulter pour toute raison.
07:33Et puis, pour les enfants en cadre scolaire,
07:36ça peut être parfois, ce sont des enfants qui sont souvent très en avance.
07:39Pour certains, ça va se passer très bien.
07:41Ils vont juste être premiers de leur classe,
07:42des fois sauter une classe et il n'y a pas de difficultés.
07:45Pour d'autres, ça peut se manifester par une certaine adaptation au milieu scolaire
07:48parce qu'ils s'ennuient beaucoup trop, parce que ça ne les stimule pas assez.
07:52Et dans ce cas, pour cela, effectivement, on va être amené à consulter
07:54et des fois proposer des adaptations.
07:57Ces enfants, comment on va les chercher, Nathalie Klober ?
08:02Ceux qui s'ennuient en milieu scolaire, par exemple,
08:07comment on peut les restimuler ?
08:10Alors, il y a tout un tas d'adaptations qu'on peut mettre en place, bien sûr.
08:13Tous les enfants ne sont pas concernés par l'ennui.
08:16Alors, sachant que l'ennui, il peut venir de plusieurs sources.
08:18Il peut venir aussi bien du fait d'être assez stimulé par l'environnement,
08:23mais aussi tout simplement parce qu'il y a beaucoup d'enfants,
08:25au potentiel ou pas, qui ne s'intéressent pas au contenu scolaire.
08:28Mais pour ceux pour qui l'ennui est dû à un manque de stimulation
08:30avec des capacités élevées,
08:32là, on peut proposer le plus connu, c'est l'accélération, bien sûr.
08:35Mais il faut savoir qu'on peut déjà commencer par la différenciation pédagogique,
08:38c'est-à-dire adapter les exercices proposés au profil de l'élève,
08:41notamment proposer une plus grande complexité dans les exercices.
08:45Ça peut être aussi de l'enrichissement, voilà.
08:49Ou ça peut être aussi du regroupement.
08:50Ça, ce sont les trois mesures qu'on va retrouver.
08:52Regroupement, ça veut dire ?
08:53Regroupement, c'est-à-dire mettre les enfants qui ont des facilités
08:58dans certains domaines ensemble pour suivre des programmes qui sont adaptés.
09:01Je cite toujours cette tribune.
09:06Dans les faits, la situation est désastreuse.
09:10Autisme, TDAH, troubles anxieux ou bipolaires sont trop souvent confondus
09:15avec le HPI induisant des erreurs diagnostiques et des retards de prise en charge.
09:21Le résultat est sans appel des patients en errance,
09:25des troubles aggravés, des vies brisées.
09:27Franck Ramus, le tableau est effrayant.
09:33Oui, ce n'est pas forcément une généralité,
09:34mais des cas comme ça, on en connaît pas mal.
09:37Le problème, c'est effectivement, il y a des individus en souffrance qui consultent
09:42et puis on commence une démarche diagnostique.
09:43Ça inclut un test de QI, on découvre que la personne est HPI.
09:47Et le problème, c'est que certains professionnels vont s'arrêter là.
09:49Ils vont tout mettre sur le dos du HPI.
09:51Ils vont dire, c'est ça la cause de tous vos problèmes.
09:53Le problème, c'est qu'en s'arrêtant là, on passe à côté peut-être d'un vrai diagnostic
09:57qui explique mieux les difficultés.
09:59Et en passant à côté du diagnostic, on n'offre pas à la personne une prise en charge adaptée.
10:04Ces personnes-là, des cliniciens comme Nathalie, des fois les retrouvent des années plus tard,
10:08après des années de galère, sans prise en charge adaptée.
10:11Et enfin, on leur donne le bon diagnostic et elles se disent,
10:14bon, j'ai vraiment perdu beaucoup de temps.
10:15Les représentations, j'en disais un mot, de la culture populaire,
10:21sont un obstacle à la bonne compréhension des personnes à haut potentiel intellectuel ?
10:29Oui, en effet, c'est quelque chose qui va nous embêter dans notre travail aussi au quotidien
10:33parce qu'on va recevoir beaucoup de personnes qui ont intégré ces représentations
10:36et on va devoir mener avec elles un travail déjà de déconstruction un peu de ces représentations,
10:40sachant que souvent, elles les ont intériorisées, elles se sont appropriées ces représentations.
10:44Donc, c'est parfois un travail un peu délicat qu'on accompagne au niveau identitaire, bien sûr,
10:48mais qui est nécessaire pour arriver à une compréhension plus complète
10:51et surtout de pouvoir agir.
10:52Parce que ce qui est important, c'est d'aider la personne à trouver des solutions
10:55qui soient pertinentes pour elle.
10:57Et moi, il m'arrive régulièrement de demander, quand les gens ont passé des bilans,
10:59notamment ailleurs, de regarder les bilans
11:01et d'être assez surpris sur la manière dont ça a été fait.
11:04Et ce qu'on pourrait conseiller, ce qui est très important,
11:06c'est plutôt que de s'orienter vers un test de QI unique,
11:09de passer des bilans complets, quand notamment il y a un signe de souffrance,
11:12parce que là, on se donne la possibilité d'évaluer complètement la situation
11:15et de donner toutes les réponses.
11:17Des fois, le haut potentiel est une partie de la réponse
11:19et parfois, ce n'est pas une partie de la réponse
11:22et la réponse va être à trouver ailleurs.
11:24Mais c'est toujours important d'évaluer, effectivement, la globalité.
11:28Et ce travail-là, il n'est pas toujours mené.
11:30C'est à nous, professionnels, on a cette responsabilité déontologique aussi,
11:33de nous former correctement sur la question des représentations.
11:37Alors, professionnels, psychologues, mais pas uniquement,
11:39parce qu'en première ligne, il y a aussi les enseignants
11:41et tout le personnel qui va être auprès des enfants, notamment,
11:46d'avoir des représentations un peu correctes
11:48et de pouvoir transmettre finalement une vision du haut potentiel
11:51qui soit dans le sens de l'épanouissement
11:53et de la réponse aux besoins spécifiques.
11:55C'est intéressant de travailler avec les personnes qui ont ce profil.
12:00C'est super intéressant.
12:01Moi, j'adore.
12:01C'est pour ça que je le fais et que je continue, bien sûr.
12:03Oui, j'adore.
12:04Et vous ?
12:06Alors, moi, je ne travaille pas en tant que clinicien avec...
12:08Non, non, mais...
12:08Mais comme je suis chercheur à l'école normale supérieure,
12:10j'en rencontre beaucoup aussi par la sélection.
12:12Des hauts potentiels.
12:14Eh bien, écoutez, merci infiniment à tous les deux,
12:16Nathalie Klaubert, philosophe, je le rappelle,
12:19psychologue clinicienne, auteure d'idées reçues sur le haut potentiel,
12:24au Cavalier Bleu,
12:26et de Psychologie du haut potentiel,
12:29aux éditions Carrefour, des psychothérapies.
12:32Franck Rameau, directeur de recherche au CNRS en sciences cognitives.
12:36Merci encore d'avoir été à notre micro.
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