00:007h48, Sonia De Villers, votre invité, le réalisateur de l'accident de piano qui sortira au cinéma le 2 juillet.
00:13Réalisateur, ah non, c'est un peu court. Scénariste, chef opérateur, cadreur, script, monteur de ces films qu'il tourne très vite avec des petits moyens et des grands acteurs.
00:24Le prochain est sur le fil, grinçant, c'est-à-dire à la fois drôle et méchant. Bonjour Quentin Dupieux, allez-vous répondre à mes questions ?
00:33Oui, déjà je vous coupe direct. On m'a mis dans cette case petits moyens et je me sens malhonnête parce que je commence à avoir des moyens pour faire des films.
00:43Parce que ça fait quand même beaucoup de millions d'euros, c'est ça ?
00:45Voilà, donc je n'ai pas envie de profiter de ce statut de jeune cinéaste qui fait des films qui ne coûtent pas cher.
00:50Ça fait des mois que vous refusez toutes les interviews alors même que vos films font un tabac en salle et que vous faites l'ouverture du Festival de Cannes.
00:58Vous revenez en interview avec un film qui raconte quoi ? Un personnage qui déteste répondre aux questions et une interview qui tourne mal.
01:06Oui, non mais ça n'a aucun rapport avec ma vie privée.
01:11C'est ça. Magalosh, c'est donc ce personnage joué par Adèle Exarchopoulos qui est une star du web née avec une pathologie, une insensibilité congénitale.
01:20Elle ne ressent pas la douleur. Alors, elle se filme en train de se mutiler à coups de pique à glace, de machine à coudre.
01:26Elle se fait rouler dessus par un monster truck. Ça ne lui fait rien. Elle poste ça sur les réseaux sociaux, les gens en raffolent.
01:32Est-ce qu'il y a là un hommage à cette culture des chaînes câblées américaines des années 90-2000, ces émissions totalement absurdes où des ados attardés faisaient n'importe quoi pour se faire peur et pour se faire rien ?
01:44C'est même inclus dans le film. On voit que son idée, son envie de créativité germe le soir où elle découvre Jackass.
01:52Jackass, c'est Jackass ?
01:53Oui, je cite Jackass parce que moi, j'ai grandi avec ça. C'est un peu les débuts des réseaux sociaux, en quelque sorte, sans le téléphone et sans Internet.
02:01Mais c'était des gens qui se filmaient simplement avec une caméra à la con et qui faisaient des contenus déjà à l'époque.
02:06Le mot n'existait pas, je pense, mais c'était une façon simple.
02:11C'est le cinéaste Spike Jonze qui a donné des caméras vidéo à des skaters et qui leur a dit « Allez-y, faites ça, jetez-vous dans des poubelles. »
02:18Et est-ce qu'il y a un petit reste aussi de tous ces films gores qui prenaient la poussière sur les étagères de vidéoclub ?
02:26Oui.
02:26Dans leur petit goût quand même, du sang, du trash et du bruitage qui va avec.
02:30J'ai cette maladie, effectivement, parce que j'ai grandi. Ma cinéphilie a commencé avec ces films.
02:35Donc en fait, oui, c'est plus fort que moi. Même si je m'empêche, il y a toujours un petit morceau de film d'horreur qui ressort.
02:42Il y a une question, une, à laquelle Magaloche refuse de répondre. Ça l'insupporte. C'est « Pourquoi faites-vous ce que vous faites ? Qu'est-ce qui vous pousse à continuer ? »
02:51Et vous allez me la poser.
02:52Oui.
02:53Bien, c'est bien. C'est pour ça que je ne fais pas d'interview.
02:56Voilà.
02:58J'en sais rien, en fait. Je suis comme Magali, moi. J'ai plein de points communs. Après, je suis moins cynique et je suis moins abîmé.
03:03Et moins moche.
03:03Non, je suis moins abîmé. Non, elle est sublime dans le film. Vous rigolez.
03:06On va en parler.
03:07Mais est-ce qu'il faut donner du sens à tout ce que l'on fait ? Est-ce que le refus de répondre de Magaloche, c'est une éloge de l'absurde ? C'est un éloge du non-sens ?
03:19Non, non. Elle ne sait vraiment pas pourquoi elle fait ça. En fait, c'est un chemin. Elle a trouvé ce chemin.
03:24Alors moi, oui, j'ai envie de faire du cinéma depuis très longtemps et tout ça. Je pourrais faire des belles phrases pour vous expliquer que je suis habité par ce métier, etc.
03:30C'est un peu vrai.
03:30Un petit peu. Mais après, si on poursuit et qu'on me demande pourquoi vous en faites autant, pourquoi il y a deux films par an et pourquoi une cavalcade comme ça, je ne sais pas pourquoi j'ai envie d'aller vite.
03:42Je pourrais prendre cinq ans entre chaque film, comme font plein de cinéastes. Et en plus, on me prendrait beaucoup plus au sérieux, d'ailleurs, parce que quand on se fait attendre, d'un seul coup, c'est « Ah, il revient au bout de cinq ans, il a dû travailler. »
03:53Surtout qu'il n'a pas donné d'interview. Alors, pendant ce temps-là, il travaille, vraiment.
03:57Après, il y a plein de cinéastes qui ne donnent pas d'interview. Moi, je l'ai beaucoup fait. Donc, le fait d'arrêter, ça fait comme si je prenais une décision grave.
04:05Quentin Dupieux, comment en l'édit-on à ce point la plus jolie fille du cinéma français ?
04:11Sa tignasse, son appareil dentaire, sa silhouette, toute arrondie, son plâtre, sa minerve. Est-ce que, quand un acteur arrive sur vos tournages, il n'a qu'à enfiler une panoplie que vous avez dûment pensée, imaginée ?
04:27Ou est-ce que vous cherchez ensemble ?
04:29Non, là, il n'y a pas de... Enfin, ce n'est pas systématique. Je ne grime pas tous mes comédiens. Enfin, ce serait ridicule, d'ailleurs.
04:36Là, on avait besoin que ce personnage soit détaché du personnage d'Adèle, en fait, qu'elle ne se ressemble pas.
04:42C'est sûr.
04:42Voilà. Après, moi, je continue de la trouver très jolie, même en Magali. Elle a des cernes et tout. Elle est fatiguée. Elle est abîmée par la vie, mais je la trouve vraiment charmante.
04:51Et c'est grognement. Et ce côté presque animal de fille rustre qui pousse des râles. Ça, on le trouve comment ?
05:02Comment on amène Adèle Exarchopoulos à répondre par des « rrr » ?
05:07Déjà, on lui a fait poser des vraies bagues. Elle a été chez le dentiste et donc...
05:10Non.
05:11Bien sûr, bien sûr. Donc, en fait, ça lui a fait mal. Ça lui tendait la mâchoire.
05:15Bagues d'appareil dentaire.
05:17Des bagues d'appareil dentaire en haut et en bas. Très désagréable. Donc, elle a un peu saigné de la bouche, etc.
05:23Comme quand on pose un appareil dentaire. Mais du coup, ça a changé un peu sa diction. Ça a changé sa tension dans la mâchoire.
05:30Juste pour savoir, elle se plante vraiment des piques à glace dans les mains ? Elle se coude les doigts à la machine à coudre ?
05:35Non. Là, quand même pas ?
05:36La petite fille de 10 ans. Oui, oui, bien sûr. Elle se tape sur la tête avec un marteau. Évidemment.
05:42Donc, cette horrible magaloche qui ne ressent pas la douleur, elle est donc coupée de son corps.
05:47Elle est coupée de ses émotions. Elle est donc coupée d'elle-même. Elle est coupée des autres.
05:51Et donc, ça fait une actrice dont le visage bouge très peu. Parce que ce personnage ne ressent rien.
05:57Donc, l'actrice traduit très, très peu. Et ça aussi, c'est intéressant.
06:02C'est-à-dire, comment on produit beaucoup d'effets avec un comédien qui joue très peu ?
06:09En fait, oui. Mais tous ces attributs, la minerve, le plâtre, les trois couches de vêtements.
06:15Parce qu'elle a tout le temps minimum trois couches de vêtements, etc.
06:18Oui, c'est lui-bendôme.
06:18Oui, on a créé ce personnage avec un peu une façon de gigoter, etc.
06:24Qui, d'un seul coup, donne ce sentiment de voir quelqu'un d'abîmé.
06:31Après, je ne suis pas d'accord avec le fait que son visage, en fait.
06:33Moi, j'ai vu le film en très grand hier au Max Linder.
06:36Son visage, c'est un festival de mouvements.
06:38C'est un festival.
06:39Ça n'arrête jamais.
06:41Hier, elle me faisait penser à Jim Carrey.
06:42En fait, il y a un truc où ça ne s'arrête jamais de bouger.
06:44Au contraire, il se passe plein de trucs.
06:45Mais après, oui, on parle de quelqu'un qui ne ressent pas la douleur.
06:49Donc, on imagine qu'elle n'a pas non plus d'émotion.
06:51Pas tellement.
06:53Et du coup, ce n'est pas qu'elle ressemble à un robot.
06:55C'est une sorte d'être humain, un peu, avec un truc débranché à l'intérieur.
06:59Et est-ce qu'il y a un point commun entre Yannick,
07:01c'était Raphaël Conard qui prenait en otage acteur et spectateur
07:05d'une pièce de théâtre pour faire jouer la pièce qu'il voulait, lui,
07:09et cette magaloche dans le côté brut de décoffrage totalement inadapté,
07:13donc totalement sans filtre,
07:14plein de colère, plein de violence.
07:18Ils sont très borderline, ces personnages.
07:22C'est presque des cousins.
07:22Vous êtes en train de me dire que je me répète.
07:24Non.
07:25Non, en fait, en plus, c'est plutôt même l'inverse,
07:27puisque même s'ils se ressemblent, effectivement,
07:30il y en a un qui gueule parce que la place de cinéma est trop chère,
07:35et l'autre qui gagne des fortunes et qui s'en foutent de tout le monde
07:40et qui méprise les classes sociales et qui n'en a rien à foutre de rien.
07:44Mais ces espèces de petits monstres...
07:47C'est des monstres, c'est des monstres.
07:48C'est des monstres, l'idée...
07:49C'est comique, un monstre ?
07:51Ça, c'est pas à moi de le dire.
07:53Moi, ça me fait rire, c'est sûr.
07:54Après, on n'a pas tous le même sens de l'humour,
07:57mais c'est plutôt le côté attachant, moi, qui m'intéresse.
08:00C'est-à-dire qu'un mec comme Yannick, quand il se lève,
08:03en fait, c'est très agaçant, un mec qui coupe une pièce de théâtre,
08:05même si la pièce de théâtre est mauvaise.
08:07Il est agaçant, il prend la parole, il n'écoute personne, il parle tout seul.
08:11Magali, elle est attachante ?
08:13Elle est infecte ?
08:14Elle est attachante ?
08:14Ah, moi, je la trouve, oui.
08:15Ah, moi, je la trouve.
08:16Elle est attachante ?
08:17Oui, tout à fait.
08:18Parce que je me suis demandé, c'est-à-dire que,
08:19qu'est-ce que le cynisme, l'avidité, l'indifférence, l'insensibilité,
08:23la vulgarité et le mutisme de Magali dit de notre époque ?
08:27La solitude, en fait.
08:29Et comme Yannick, c'est des gens seuls.
08:31Et je crois que malheureusement...
08:33La solitude ?
08:33Ben oui, il y a une grande solitude.
08:34Donc, on ne va pas avoir de laïus sur le désastre produit par les réseaux sociaux,
08:39la violence que ça engendre.
08:42Vous n'êtes ni lucide, ni désabusé, ni réactionnaire, ni vieux con.
08:46Je suis tout ce que vous voulez, mais moi, je garde une petite fenêtre d'espoir,
08:50c'est que ces réseaux sociaux à la con, il y a plein de gens qui s'en servent
08:52de manière relativement intelligente.
08:56Il y a beaucoup de créateurs, alors beaucoup, attention,
08:59il y en a des milliards qui filment n'importe quoi toute la journée
09:01et qui nous emmènent à la catastrophe et qui nous vident le cerveau.
09:05Mais il y a une petite poignée d'artistes qui s'en servent pour faire des trucs vraiment chouettes
09:11et il y a plein d'inventions.
09:13Et ça nourrit une créativité chez eux.
09:15Je n'ai pas envie de tout foutre à la poubelle sous prétexte qu'il y a des tarés partout.
09:20Tant mieux.
09:21L'accident de piano sort le 2 juillet.
09:23C'est le seul film qui se passe sous 2 mètres de neige