Rémi Godeau, rédacteur en chef de l’Opinion, reçoit Thomas Gomart, directeur de l’Institut français des relations internationales (IFRI), en direct de la 16e édition de ParisMat à la Maison de la chimie
00:00Bonjour, à l'occasion du Rendez-vous Paris-Math, la 16e édition qui se tient à la Maison de la Chimie,
00:22je suis ravi d'accueillir Thomas Gomart.
00:25Bonjour Thomas Gomart.
00:26Bonjour Rémi Godot.
00:27Vous êtes le directeur de l'IFRI, l'Institut français des relations internationales.
00:32Première question Thomas, les entreprises sont très préoccupées par le risque géopolitique.
00:38Comment appréhender aujourd'hui ce risque ?
00:41Alors effectivement c'est une préoccupation qui est relativement récente.
00:45Nous avons fait des travaux à l'IFRI sur ce sujet, on la date plus tôt, à partir de 2018-2019.
00:50Évidemment c'est amplifié après la crise de la Covid et puis la guerre d'Ukraine qui a joué un rôle d'accélérateur.
00:57Et donc depuis lors il y a un certain nombre de dispositifs qui sont proposés aux entreprises,
01:03qui viennent du monde du conseil, qui viennent aussi du monde universitaire,
01:08du monde des instituts de recherche comme l'IFRI pour les aider à améliorer leur travail d'analyse et de prévision en matière internationale.
01:17Et ce qu'on observe c'est que vous avez un certain nombre de groupes qui sont déjà très avancés dans la mise en place de cette méthodologie
01:25et d'autres qui sont encore dans une approche on va dire artisanale.
01:29Alors quels sont les points sensibles en matière de commerce international ?
01:33Alors je crois qu'il faut distinguer quand on parle du commerce international du visible et de l'invisible,
01:39c'est-à-dire du physique et de l'immatériel.
01:41C'est-à-dire qu'on a observé avec la mise en données du monde une augmentation extrêmement importante des échanges de données
01:49qui sont devenus au fond une des matières premières du commerce international.
01:55C'est un aspect.
01:56Puis il y a un autre aspect qui reste le tangible, ce qu'on met dans les containers,
01:59qui ne cesse de traverser les océans sur des portes containers et qui sont l'objet emblématique de la mondialisation.
02:09Et donc le commerce international, je pense qu'il ne faut pas perdre de vue qu'il repose sur des infrastructures,
02:14sur des moyens maritimes, sur des moyens navals,
02:17et que donc ça requiert un investissement très important auquel contribue à la fois le secteur privé,
02:23évidemment qui est un acteur essentiel de ce dispositif, mais aussi les États.
02:27Et donc les points à observer, je pense, ce sont notamment les infrastructures portuaires,
02:35voir comment elles sont développées, voir comment elles sont financées.
02:39Ça, ce sont des points très importants parce qu'encore une fois, c'est ce qui structure le commerce international.
02:45Et puis de manière peut-être plus géopolitique, il y a des points d'observation évidents du commerce international
02:50que sont les détroits, c'est-à-dire ces points de rétrécissement au fond des flux,
02:56certains parlent de boulots d'étranglement en fait, par lesquels transitent une bonne part pour optimiser les routes maritimes du commerce international.
03:06Évidemment, le détroit du Bosphore, le détroit d'Hormuz dont on parle beaucoup ces jours-ci,
03:11celui de Babel-Mandeb, le détroit de Malacal, le détroit de Taïwan,
03:15le rail aussi entre le Royaume-Uni et la France dans la Manche,
03:21ce sont autant de lieux extrêmement névralgiques pour le bon fonctionnement du système du commerce international
03:28qui peut se comparer à un système sanguin en fait, qui a besoin de jugulaires pour fonctionner de manière optimale.
03:36Qui détient aujourd'hui ce que les Anglo-Saxons appellent le Sea Power ?
03:40Ou qui détient cette puissance maritime et navale ?
03:43Alors justement, le Sea Power, ce qui est intéressant, c'est que c'est une notion qui a été élaborée à la fin du XIXe siècle par l'amiral Mahan
03:49et qui combine précisément les aspects maritimes et navales, c'est-à-dire militaires,
03:54en montrant qu'en fait, pour être une puissance, il faut à la fois avoir des atouts maritimes,
04:00il y a beaucoup de manières d'avoir des atouts maritimes,
04:02mais aussi des capacités navales précisément pour sécuriser les premiers.
04:07Et quand on regarde les choses en perspective historique, sans remonter à la Renaissance
04:13ou même à Venise, vous avez différentes époques au cours desquelles vous avez une puissance qui s'affirme.
04:22Très clairement, on est dans un moment où le sujet est de savoir si la puissance navale américaine
04:27sur laquelle a reposé le développement très important du commerce international,
04:33qui a aussi beaucoup reposé sur la sécurisation des flux pétroliers et gaziers
04:37comme condition, au fond, du bon fonctionnement des appareils productifs, des économies avancées.
04:43Ça a été quand même très très structurant dans l'après 1945.
04:46Et aujourd'hui, on est dans un moment où la Chine, qui est, ça dépend comment on calcule les choses,
04:52la première ou la deuxième puissance économique mondiale, veut réussir ce qu'on appelle son basculement à la Socratique.
04:58C'est-à-dire, elle-même veut devenir une puissance maritime et navale de tout premier plan