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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
00:07Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Où 40.
00:13Un inspecteur arrive dans une banlieue parisienne en voiture.
00:17Il lui a fallu attendre 5 heures cette voiture.
00:21C'est une drôle de pagaille au quai des Orfèvres, comme partout hélas.
00:25Les administrations qui s'étaient repliées en province reviennent sans revenir tout en revenant.
00:30Parce qu'il y a la zone libre et la zone occupée, le gouvernement à Vichy, le maréchal.
00:36Mais tout ça ne serait pas trop grave s'il n'y avait pas les Allemands ici, à Paris.
00:42Ton policier est un ancien combattant de 14-18.
00:46Après avoir passé 4 années dans les tranchées et avoir été blessé 2 fois pour empêcher les Allemands de passer,
00:52mais retrouvé à la terrasse des cafés dans Paris 20 ans après, mettez-vous à sa place.
00:57Pour lui, la victoire allemande, c'est surtout une défaite française, presque une défaite personnelle.
01:04Un sentiment d'inutilité, d'échec.
01:10Et la défaite a été tellement foudroyante, complète.
01:13Les Allemands paraissent tellement puissants,
01:14que leur présence ici prend un caractère définitif, fatidique.
01:21Et au milieu de tout ça, une bonne femme qui tue son bonhomme.
01:26On vient de vivre une tourmente épouvantable,
01:29des millions de gens sur les routes, l'effroi, la panique, les mitraillages, la faim, les cris, les larmes.
01:34Et une dame Merlin éprouve le besoin d'en rajouter en trucidant M. Merlin.
01:43Le policier se retourne et prend une petite serviette de cuir sur la banquette arrière,
01:47car le chauffeur vient d'arrêter la voiture devant la porte modeste d'un jardin.
01:51Modeste.
01:53Au milieu duquel s'élève une petite maison.
01:55Modeste.
01:56En sortant de la voiture, le policier,
01:59ah au fait j'ai oublié de vous le dire,
02:00il s'appelle Edmond Labarte.
02:03Il est petit, large,
02:05légèrement bedonnant, le visage carré,
02:07les cheveux rares, une moustache grise,
02:09une petite cicatrice sous le menton,
02:11trace de la balle qu'il a cueillie
02:12au moment où il sortait de sa tranchée, vingt ans plus tôt,
02:15et qui est ressortie de l'autre côté de la face,
02:16sous l'oreille.
02:18Il a un fils et une fille, mariés.
02:21Celle-ci est revenue la semaine dernière
02:22de Beaujancy, où elle s'était repliée avec ses deux enfants.
02:26Son gendre est prisonnier
02:27et son fils à Toulon, dans la marine.
02:31Donc, sortant de voiture,
02:33Edmond Labarte reste un instant immobile,
02:37sa serviette à la main,
02:39contemplant la maison, hochant la tête.
02:43Quand on a eu la chance, pense-t-il,
02:44de passer à travers tout ça sans trop de problèmes,
02:47et qu'on trouve le moyen de tuer son mari,
02:50c'est vraiment qu'on a une case de vide.
02:53Et c'est dans cette disposition d'esprit
02:55qu'il pousse la petite porte en fer,
02:56qu'il grince.
02:57Dès qu'il entre dans le jardin,
03:17l'inspecteur Labarte voit s'ouvrir la porte de la petite maison.
03:21C'est un agent en uniforme qui vient au-devant de lui.
03:24« Le commissaire est là ? » demande Labarte.
03:27« Nous l'attendons, il n'a pas pu rester. »
03:29« Je m'en doute, » dit Labarte,
03:30« qui sait que le commissaire de cette banlieue perdue
03:32doit avoir autre chose à faire que d'attendre les gens de Paris
03:34pour une histoire de crime domestique,
03:36alors qu'il doit s'occuper d'organiser la lutte contre les pillards,
03:39des distributions de vivres à la mairie,
03:40faire face aux réquisitions des Allemands,
03:42compter les litres d'essence en stock,
03:44tout ça en contrôlant des milliers de cartes d'identité,
03:47recherchant des disparus, des casiers judiciaires hypothétiques,
03:49en surveillant les malfaiteurs soi-disant patriotiques
03:52que les prisons grandement ouvertes ont remis en circulation, etc.
03:57Une petite entrée avec le traditionnel meuble porte-vêtements,
04:01porte-parapluie muni d'une glace,
04:04cette glace dans laquelle on ne voit rien
04:07lorsque les vêtements sont accrochés.
04:10Mais là, il n'y a aucun vêtement.
04:12Et l'inspecteur Labarthe
04:14y entrevoit une silhouette douloureuse,
04:17celle de la femme qui attend, assise,
04:19à la table de la petite salle à manger.
04:22« Tiens, je ne la voyais pas comme ça, »
04:26se dit l'inspecteur.
04:28Il se retourne et entre dans la pièce.
04:31La femme se lève.
04:33Elle est blonde, douce, timide,
04:36à quarantaine,
04:38une robe imprimée, sans doute celle des dimanches.
04:42Dans un fauteuil lit repliable,
04:45une jeune fille,
04:46plutôt une gamine à peine formée d'environ quinze ans,
04:51assise sur le bras du fauteuil,
04:53le type même du petit sauvage de banlieue,
04:55petit trapu,
04:57probablement dix-huit ans.
04:59Lorsqu'il a vérifié qu'il s'agit de la meurtrière
05:01madame Merlin, de son fils Roger,
05:03et de sa fille Annette,
05:06l'inspecteur Labarthe s'assoit à la table.
05:09Pour ne pas perdre de temps,
05:10il demande à la femme Merlin
05:11de lui répéter ce qu'elle a déjà raconté au commissaire.
05:15C'est une histoire d'une banalité à pleurer,
05:19mais que la voix douce, basse,
05:20un peu rauque de la femme Merlin rempoignante.
05:25Son mari, André Merlin,
05:26était un alcoolique,
05:27il avait toujours bu.
05:28Mais lorsqu'il était jeune,
05:30elle n'avait pas compris que c'était une maladie.
05:33Elle vient seulement de le comprendre maintenant,
05:35qu'il est mort.
05:37Elle croyait qu'il buvait parce qu'il aimait bien l'alcool,
05:39parce qu'il était gai, bon vivant,
05:40et puis il avait un métier assez dur,
05:43journalier dans les entreprises agricoles de la région.
05:45Il passait sa vie en plein air
05:46et elle croyait que, comme tous les travailleurs de force,
05:49il lui fallait du vin pour qu'il ait du muscle,
05:51qu'il résiste à la fatigue.
05:53Ils ont eu deux enfants,
05:54Roger et Annette.
05:55Très vite, la vie est devenue insupportable.
05:59Son mari rentrait tard,
06:01quelquefois sombre et furieux,
06:02d'autres fois exubérant, surexcité,
06:05mais toujours aussi terrifiant.
06:07Ah, ces attentes de la mère et de ses enfants
06:09assis près de la table
06:10où la soupière refroidit.
06:14À quelle heure va-t-il rentrer ?
06:16Comment va-t-il être ?
06:18Que va-t-il dire ?
06:20Et surtout,
06:21que va-t-il faire ?
06:24La purée se dessèche sur le coin de la cuisinière
06:27et tous les trois attendent le grincement de la porte du jardin.
06:32Ils l'attendent
06:33parce qu'ils ont faim
06:34et qu'ils voudraient bien aller se coucher.
06:37Ils l'attendent
06:39et
06:41ils le craignent.
06:44Quelquefois la mère dit,
06:45« Bien, je crois que vous pouvez manger les enfants.
06:48Papa ne rentrera pas à dîner ce soir. »
06:50Alors les enfants font
06:51ouf
06:52et la femme sait qu'elle sera seule
06:54cette nuit
06:54face à son mari.
06:57« Oh, ce n'est pas que les enfants
06:58constitués à rempart
06:59car les méthodes d'éducation de Roger Merlin
07:01les ont écrasés une fois pour toutes.
07:03Celui-ci frappe
07:04selon un rythme muable.
07:07Cinq coups pour un oubli,
07:08des coups de bâton, bien entendu.
07:10Tenez, monsieur l'inspecteur,
07:11le bâton est là, dans le porte-parapluie.
07:13Dix coups pour un refus d'obéissance, etc. »
07:17La malheureuse madame Merlin
07:18a placé tous ses espoirs dans ses enfants.
07:21Elle pensait que lorsqu'ils seraient grands,
07:22tous trois pourraient faire front,
07:24mais surtout qu'ils pourraient échapper
07:25à l'emprise de leur père,
07:26s'échapper, être heureux.
07:28Roger est apprenti, radioélectricien,
07:30et Annette devenait petit à petit
07:32une jeune fille
07:33qui un jour se marierait.
07:35Quant à elle, franchement,
07:36elle n'y pensait pas.
07:37Pour elle, l'essentiel,
07:38c'était d'élever,
07:39de défendre ses enfants.
07:41Elle ne voyait pas plus loin.
07:43Elle avait compris que sa vie
07:44avait pris une mauvaise route,
07:46qu'elle avait été trop avant
07:47pour s'en sortir.
07:49Hélas,
07:50les légitimes espoirs
07:52de la pauvre femme étaient déçus.
07:53La cruauté,
07:54la fureur de son mari
07:54grandissait chaque jour,
07:56déjouant tous ses calculs.
07:57À cela s'ajoutait
07:58un cynisme tel
07:59qu'il en était venu
08:01à proférer des menaces odieuses
08:02contre Annette.
08:03« Quelle menace ? »
08:06demande l'inspecteur Labarthe.
08:09Tous les trois,
08:10la mère,
08:10les deux enfants
08:11ne veulent rien dire.
08:13« On ne peut pas vous répéter ça, »
08:14dit le fils.
08:16La fille, Annette,
08:17se met à pleurer.
08:19Sa mère dit simplement
08:20« On avait peur. »
08:23Et peur de quoi ?
08:25« Je me mettais toujours
08:26entre elle et lui.
08:28À la fin,
08:30le soir venu,
08:31j'attendais qu'il rentre.
08:33Ici,
08:34je ne me couchais jamais
08:35avant qu'il ne soit couché. »
08:38« Et la guerre ? »
08:39demande l'inspecteur.
08:41« La guerre ? »
08:44Tout droit le regarde étonné
08:45et l'inspecteur Labarthe
08:47éprouve une impression curieuse
08:48et il comprend.
08:50« La guerre ?
08:52Mais elle était là,
08:53à domicile,
08:55dans cette maison
08:55depuis vingt ans.
08:57Alors l'autre guerre ?
08:59C'était vraiment
09:00la guerre des autres.
09:01On n'ose pas dire
09:02la guerre des gens heureux.
09:04La guerre des gens
09:05qui n'ont rien d'autre
09:05à faire que faire la guerre. »
09:09Alors l'inspecteur
09:09ne parle plus de la guerre.
09:11Il comprend
09:12qu'elle est passée
09:12tout autour,
09:14qu'elle a léché
09:14le grillage du jardin,
09:15qu'elle n'a été
09:16qu'un sujet
09:17d'excitation supplémentaire
09:18pour ce dictateur domestique.
09:20« Comment s'est passé ? »
09:24« Enfin, racontez-moi
09:26comment il est mort. »
09:27Car l'inspecteur
09:28se sent incapable
09:29de prononcer certains mots
09:30à propos de cette femme
09:30fragile,
09:31crispée à la table,
09:33tellement crispée
09:33que sa fille
09:34vient s'asseoir près d'elle
09:35et lui prend la main.
09:37Le regard de la fille
09:38pour sa mère
09:38est réellement bouleversant.
09:41L'inspecteur Labarthe,
09:42qui en a vu pourtant
09:43de toutes les couleurs
09:44et n'est pas
09:45particulièrement sensible,
09:47a l'impression
09:48que la fille est soulevée
09:49par un sentiment d'amour
09:50et de reconnaissance éperdue
09:51et en même temps
09:52qu'elle veut la soutenir
09:53comme si l'instant
09:54le plus difficile
09:55était à venir,
09:56comme si avoir tué son mari
09:57n'était rien
09:58en regard de l'épreuve
10:00que constitue le récit
10:01de ce meurtre.
10:04L'inspecteur sait que
10:05quelquefois
10:06le meilleur moyen
10:07d'aider celui
10:07dont on attend l'aveu
10:08c'est de le rudoyer.
10:11« Allons, on parle ! »
10:12dit-il d'un tambouru.
10:16Ce soir-là,
10:17raconte la femme,
10:18il est rentré
10:19un peu plus tôt
10:19que d'habitude.
10:20J'étais là-haut
10:21dans ma chambre.
10:23Je n'avais pas
10:24dormi de la nuit.
10:26Quand je l'ai entendu arriver,
10:28j'ai enfilé ma blouse
10:29pour descendre.
10:32Lui,
10:32il appelait Annette.
10:35Comme elle ne répondait pas,
10:39il a crié des mots horribles.
10:41« Quels mots ? »
10:43Je ne peux pas les répéter.
10:44Il faudra bien pourtant.
10:45« Oui, mais pas là. »
10:50Bon, continuez.
10:53Je suis descendu en courant.
10:56Mon mari était déjà
10:56dans la cuisine,
10:57son bâton à la main.
10:59Il menaçait Annette
11:00et l'obligeait
11:00à se déshabiller.
11:03Quand j'ai vu
11:03ce qu'il voulait faire,
11:05j'ai pris la hachette
11:06qui était près de la cuisinière
11:07avec le bois à brûler
11:08et j'ai frappé
11:10là, à la nuque.
11:14« Combien de fois ? »
11:15demande l'inspecteur.
11:18« Je ne sais pas, »
11:19dit la femme.
11:21Comme elle laisse tomber
11:22sa tête sur la table,
11:25l'inspecteur comprend mal
11:26ce qu'elle dit ensuite.
11:28Il comprend vaguement
11:29qu'elle dit
11:29plusieurs fois.
11:35L'inspecteur regarde
11:36le fils et la fille.
11:36Le fils,
11:39les dents serrées,
11:40dit
11:40« C'est vrai. »
11:44La fille qui tient
11:45sa mère dans ses bras
11:45et lui embrasse les cheveux
11:46lève la tête un instant
11:48pour confirmer
11:48« Oui, monsieur,
11:49c'est vrai.
11:50Ça s'est passé comme ça. »
11:53« Bon, »
11:54dit l'inspecteur en se levant
11:55« puisque vous le dites. »
11:58« Mais j'ai besoin
11:58de vérifier. »
12:00« Pour la police,
12:01il ne suffit pas
12:02de s'accuser d'un crime.
12:04Vous comprenez ? »
12:06Ils comprennent.
12:08Ils comprennent sûrement.
12:11Il n'y a qu'à voir
12:12leur regard
12:12et l'attitude de la femme
12:13qui s'est redressée brusquement.
12:14Les récits extraordinaires
12:23de Pierre Belmar
12:24Un podcast européen
12:25Au commissariat
12:27de la petite banlieue,
12:28l'inspecteur Labarthe
12:29a l'impression
12:29de s'occuper
12:30d'une affaire
12:30d'un autre âge.
12:31Les gens vont et viennent.
12:32Il y a des voitures
12:33devant la porte
12:34abandonnées
12:34avec tous leurs bagages.
12:36Des réfugiés
12:36qui reviennent.
12:38Des vieillards malades.
12:39Des parents
12:39qui ont perdu leurs enfants.
12:41Un quart bourré
12:42d'orphelins
12:42qui attendent
12:43qu'on trouve une solution
12:44à leurs problèmes.
12:45Ils ont trouvé
12:45à leur retour
12:46l'orphelinat occupé
12:46par les Allemands.
12:48Et lui,
12:49il demande à voir
12:49la pièce à conviction.
12:52Où est la pièce à conviction ?
12:54Quelle pièce à conviction ?
12:55Ah voyons,
12:56la hachette !
12:57Ah oui,
12:58l'affaire Merlin.
13:00On trouve la hachette
13:00du mot étiqueté
13:01dans un petit sac
13:02dans un tiroir du commissaire.
13:04Et le corps ?
13:05Le corps de qui ?
13:07Le corps de la victime !
13:09Ah oui,
13:09le corps.
13:10Qu'est-ce qu'on a pu faire
13:11du corps ?
13:13Finalement,
13:13le corps,
13:13il est à l'hôpital.
13:15On doit l'inhumer demain.
13:17Est-ce qu'on a fait
13:17une autopsie ?
13:19Une autopsie ?
13:20Évidemment,
13:21c'est ridicule
13:22de poser cette question.
13:23Le médecin légiste
13:23est à Bordeaux.
13:24Et tout ce petit monde
13:25a autre chose à faire
13:26qu'il mobilisait une voiture
13:27pour transporter un cadavre.
13:29Finalement,
13:30le médecin
13:30qui a examiné la victime
13:31veut bien répéter
13:32à l'inspecteur Labarte
13:33les termes de son rapport.
13:34André Merlin
13:35a succombé
13:36à la suite
13:37de cinq coups de hachette
13:38qui ont frappé la nuque
13:39horizontalement
13:40avec une grande violence.
13:42Comment cela,
13:43horizontalement ?
13:44Ben,
13:45comme ça.
13:46Et le médecin
13:47mime le geste
13:47d'une main
13:48qui frappe
13:48en tenant une hachette
13:50presque à l'horizontale.
13:52Et vous dites
13:52que les coups étaient
13:53violents ?
13:54Oui,
13:54ils ont brisé
13:55la colonne vertébrale.
13:57Il faut
13:57une grande force
14:00pour frapper comme ça.
14:02Oui.
14:03Mais une femme
14:04désespérée et furieuse
14:05peut avoir cette force.
14:07Et puis,
14:07d'après ce qu'elle raconte,
14:08l'homme était
14:08légèrement penché
14:10en avant.
14:12Enfin,
14:12l'inspecteur
14:13réussit à avoir
14:13le commissaire.
14:14Le procès verbal
14:14de la déclaration
14:15de la femme Merlin
14:16est rigoureusement
14:17identique au récit
14:18qu'il vient de lui faire.
14:20C'est le fils
14:20qui est venu chercher
14:21la police
14:22après le meurtre
14:22de son père.
14:24André Merlin
14:24gisait en effet
14:25dans la cuisine,
14:26frappé de cinq coups
14:26de hachette
14:27à la base du crâne.
14:29La femme Merlin
14:29les attendait.
14:31Elle a dit tout de suite
14:32« C'est moi
14:33qui l'ai tué. »
14:35Ce drame
14:35n'étonne pas
14:36le commissaire.
14:36De son vivant
14:37André Merlin,
14:38déjà brutal
14:38et cynique
14:39à jeun,
14:40devenait une bête
14:40déchaînée
14:41lorsqu'il avait bu.
14:44Y a-t-il eu
14:44d'autres témoins ?
14:45Non.
14:46Enfin,
14:47si,
14:47un petit voisin
14:48de sept ans
14:48était dans la maison.
14:50Et alors,
14:50il n'a rien vu ?
14:51Non,
14:52il sortait,
14:52il a entendu
14:53entrer André Merlin.
14:54Il a entendu des cris
14:55sans y faire attention
14:56parce que c'était fréquent.
14:58Vous voulez le voir ?
15:00Il n'a vraiment rien vu ?
15:01Non.
15:02Alors,
15:03c'est pas la peine.
15:03Pourtant,
15:05l'inspecteur Labarthe
15:06retourne à la petite maison
15:07des Merlin.
15:08Il demande à voir la femme
15:09seule à seule.
15:11Là,
15:13il la prend par les épaules,
15:15la secoue un peu
15:16comme pour ébranler
15:17sa volonté.
15:19Vous savez ce qui vous attend ?
15:22Je sais.
15:23Les assises ?
15:24Même si le jury
15:26est indulgent
15:27et il le sera,
15:29vous irez quand même
15:29en prison,
15:30plusieurs années
15:31de prison.
15:33Vos enfants
15:33sont encore jeunes,
15:35surtout votre fille.
15:37Alors,
15:39vous avez
15:40vraiment tué
15:42votre mari ?
15:45Oui.
15:48Montrez-moi
15:49comment vous avez frappé.
15:52Je ne m'en souviens plus.
15:54J'ai frappé,
15:55c'est tout ce que je peux dire.
15:58Bien.
16:01J'espère que les jurés
16:02vous comprendront.
16:05Au mois de mars 1941,
16:07Mme Merlin parait devant
16:08les jurés de Sénéoise.
16:10Son avocat n'a pas de mal
16:11à les convaincre
16:12d'être indulgent.
16:14Le tableau de la vie
16:15épouvantable qu'elle menait
16:16avec ses deux enfants
16:16est confirmé par tous les témoins.
16:18C'est vrai
16:18qu'elle devait dormir
16:19avec à portée de la main
16:20pour se défendre
16:21une barre de fer.
16:21C'est vrai
16:22que le jour du drame,
16:23il avait entrepris sur sa fille.
16:24d'odieuse violence.
16:26Les jurés condamnent
16:27la veuve Merlin
16:27à cinq ans de prison
16:29avec sursis.
16:32Mais il y a dans la salle
16:33un homme
16:33qui regarde
16:33la malheureuse petite femme
16:34douce et timide
16:36quitter le banc
16:37des accusés.
16:39Cet homme,
16:40c'est l'inspecteur Labarthe
16:41et il est convaincu,
16:43lui,
16:44que Mme Merlin
16:45n'a pas tué son mari.
16:48La vie reprend son cours
16:49après le procès
16:50de Mme Merlin.
16:51Toute la France,
16:52Paris
16:52et la petite ville
16:53de banlieue
16:54où le drame s'est déroulé
16:55se sont installés
16:56dans la guerre.
16:57Le fils de Mme Merlin
16:58fait une méningite
16:59cérébro-spinale
17:00échappant ainsi au STO.
17:02La fille se marie
17:03puis c'est le départ
17:04des Allemands.
17:06Mme Merlin
17:07est seule
17:07dans la petite maison
17:09désormais vide.
17:11C'est alors
17:12qu'après deux années
17:13de vie solitaire,
17:14elle épouse son voisin,
17:15un veuf,
17:17le père de ce petit garçon
17:18qui est sorti de la maison
17:19au moment même du meurtre.
17:22De ce jour,
17:22son fils qui s'est marié
17:23presque en même temps
17:24et s'est fixé dans les Ardennes
17:25où il a créé
17:26un commerce de radioélectricité
17:27change brusquement d'attitude.
17:30Au lieu de venir souvent
17:31comme il le faisait
17:32jusqu'alors,
17:32il semble la fuir
17:33et les rares visites
17:35qu'il fait
17:35semblent bien courtes
17:36aux gens du voisinage.
17:39Finalement,
17:40en août 1949,
17:41donc neuf ans après,
17:44une lettre anonyme
17:45parvient au commissaire
17:46de la petite banlieue.
17:47Elle est claire et nette.
17:49Une erreur judiciaire
17:50a été commise,
17:51dit-elle.
17:53Ce n'est pas
17:53Mme Merlin
17:54qui a commis le meurtre.
17:55C'est son fils,
17:56Roger.
17:59Le commissaire
18:00interroge par téléphone
18:00l'inspecteur Labarthe
18:01qui a pris sa retraite.
18:03Qu'en pensez-vous ?
18:04Oh, c'est très probablement vrai.
18:06Mais à quoi bon ?
18:10Peut-être, en effet,
18:11le commissaire
18:12aurait-il oublié
18:12cette plètre anonyme
18:13si la même
18:15n'avait été envoyée
18:16au ministère de l'Intérieur
18:17et aux gardes des Sceaux ?
18:21Roger Merlin
18:22reconnaît alors
18:22les faits sans difficulté.
18:23Oui,
18:24c'est lui
18:25qui a tué son père.
18:27Ce jour-là,
18:29son père avait frappé
18:30sa mère et sa sœur.
18:32Il n'avait cessé
18:32de les insulter de la journée.
18:35S'étant absenté l'après-midi,
18:37il est rentré assez tôt.
18:38Roger se tenait
18:39à l'atelier
18:39à côté du pavillon
18:40lorsqu'il entendit son père
18:41rappelé Annette
18:41et redoublé d'injures.
18:45Alors il n'y tint plus.
18:47Il est entré dans la cuisine,
18:49décidé à user de sa force.
18:51Mais voyant son père
18:52brutaliser sa sœur,
18:54une envie de meurtre
18:55l'a envahi.
18:56Et par derrière,
18:57sans rien dire,
18:59il l'a frappé
18:59de plusieurs coups
19:00de hachette.
19:02C'est à ce moment-là
19:03que sa mère est intervenue.
19:05Elle,
19:06si douce,
19:06si timide,
19:07d'un geste brusque,
19:10elle a saisi
19:10la hachette pleine de sang.
19:13Dites que c'est moi,
19:14elle a ordonné.
19:15Vous entendez ?
19:17C'est moi.
19:20Seulement voilà.
19:22Si le commissaire l'a cru,
19:23si le médecin l'a cru,
19:24si les jurés l'ont cru,
19:26un petit garçon,
19:27lui,
19:28ne la croyait pas.
19:30Le fils du voisin.
19:32Il a parlé à son père.
19:34Et lorsqu'elle a épousé son père,
19:36elle a été obligée
19:37de lui dire la vérité.
19:39Ça commençait à faire
19:40beaucoup de gens
19:40dans le secret
19:41d'un seul coup.
19:42Et le fils s'est inquiété.
19:45Sans doute,
19:46n'a-t-il jamais compris
19:47la portée réelle
19:48du geste de sa mère
19:49et jusqu'à quel point
19:51pouvait aller son sacrifice.
19:53Il a une femme.
19:55Elle attend un enfant.
19:56Il a craint
19:57qu'un jour,
19:57la vérité ne revienne,
19:59que quelqu'un parle
19:59dans la famille
20:00ou dans le voisinage.
20:01Alors il s'est fait menaçant.
20:04Le petit garçon
20:04a raconté
20:05à un autre voisin
20:05ce qu'il a vu.
20:07Roger conseille
20:07au voisin
20:08de se taire.
20:09Le voisin a peur
20:10et il écrit
20:12la lettre anonyme.
20:16Lorsque Roger
20:16passe à son tour
20:17devant les assises,
20:18dix ans après
20:18le meurtre de son père,
20:20l'accusation
20:21a beau le dépeindre
20:22comme un garçon
20:22violent assez égoïste,
20:25les jurés
20:25ne peuvent oublier
20:26qu'il doit sans doute
20:27ce caractère
20:27à l'éducation
20:28effroyable qui fut la sienne.
20:30Ils ne peuvent oublier
20:31non plus
20:31qu'en le condamnant
20:32lourdement.
20:33Ils vont rendre
20:34inutile
20:35le sacrifice
20:36de sa mère.
20:36Et puis,
20:37une phrase
20:38que la fille
20:38Annette
20:39va répéter
20:40va faire beaucoup
20:41pour sa défense.
20:44Au moment
20:44où Roger
20:44a frappé,
20:47Mme Merlin
20:47s'est jetée
20:47sur sa fille
20:48pour la prendre
20:48dans ses bras
20:49et lui a dit
20:49« N'aie plus peur
20:51mon enfant,
20:53nous sommes sauvés. »
20:56à cause de cette phrase
20:57sans doute,
20:58Roger Merlin
20:59ne sera condamné
20:59qu'à cinq ans
21:00de prison
21:01avec sursis.
21:02La même peine
21:03exactement
21:04à laquelle avait été
21:06condamné sa mère
21:06pour un sacrifice
21:07d'autant plus grand
21:08qu'il fût inutile.
21:10Vous venez d'écouter
21:22les récits extraordinaires
21:24de Pierre Bellemare,
21:26un podcast
21:26issu des archives
21:28d'Europe 1.
21:29Réalisation
21:30et composition musicale,
21:32Julien Tarot.
21:33Production,
21:34Estelle Laffont.
21:35Patrimoine sonore,
21:37Sylvaine Denis,
21:38Laetitia Casanova,
21:40Antoine Reclus.
21:41Remerciements
21:42à Roselyne Bellemare.
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