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  • 17/06/2025
Monique Lévi-Strauss, historienne et veuve de l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, était l'invitée de Sonia Devillers ce mardi. Elle publie, à 99 ans, "J'ai choisi la vie" (Plon).

Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50

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Transcription
00:00Sonia De Villers, votre invitée, publie chez Plon, un livre de souvenirs sous forme d'entretien avec l'académicien Marc Lambron.
00:08Elle-même a été l'épouse d'un extraordinaire anthropologue, Claude Lévi-Strauss, auteur de Triste Tropique, sommité mondiale et professeur au Collège de France.
00:18Claude Lévi-Strauss est mort à l'âge de 100 ans. Sa femme, qui vient nous voir ce matin, est elle aussi presque centenaire.
00:25Bonjour Monique Lévi-Strauss.
00:27Bonjour.
00:27Alors, vous avez 99 ans, vous êtes arrivée à la maison de la radio sans canne.
00:34Oui.
00:35Et vous nous avez dit, c'est mauvais pour la scoliose.
00:39Enfin, c'est-à-dire que je regarde souvent des gens qui marchent avec une canne, ils sont penchés d'un côté vers la canne.
00:47Vous les trouvez tordus.
00:48Et quand je regarde leur colonne vertébrale, je me dis que c'est affreux ce que je vois.
00:52Votre livre s'intitule « J'ai choisi la vie ».
00:56Il y a beaucoup de choses sur votre enfance, sur votre jeunesse.
01:00D'abord, il y a quelque chose de très important.
01:02Vous êtes née juive d'un père catholique.
01:06À quel âge vous êtes-vous baptisée ?
01:08Eh bien, très exactement, vers 10 ans, quand toutes mes copines au lycée avaient des belles robes et préparaient une fête formidable et m'invitaient.
01:19Elles me disaient « Naturellement, tu viens, il y aura une grande fête après la première communion. »
01:25Et moi, je me disais, pour moi, « Tintin, on est en 36 ».
01:30On est en 36.
01:31Et vous diriez que ce baptême, il vous a protégée, sans le savoir, parce que vous allez vous retrouver, jeune fille, en Allemagne, en plein pendant la guerre.
01:43En Allemagne, nazie.
01:46Eh bien, c'est-à-dire que personne ne nous a dénoncés.
01:49Mais en Allemagne, personne ne nous connaissait.
01:52Ça aurait pu... Eh bien, ça ne s'est pas passé.
01:55Oui.
01:56Et c'est intéressant parce que vous dites, Claude Lévi-Strauss, d'une certaine manière, lui, il n'a pas vécu la guerre.
02:02Oui.
02:02Il s'est assez vite exilé aux États-Unis.
02:05C'est quelque chose qui nous a toujours séparés parce que ce que moi, j'ai vécu pendant la guerre, c'était difficile à transmettre.
02:10Oui.
02:11Alors, si vous voulez, je ne lui en ai pas voulu du tout.
02:15Ce n'était pas de sa faute de ne pas être là.
02:17Mais il y avait des choses qu'il ne comprenait pas chez moi.
02:20Quand on a eu une trouille formidable pendant cinq ans, je peux vous dire qu'il reste quelque chose.
02:26Et ça, il ne comprenait pas qu'il y avait ça chez moi.
02:29Parce qu'il n'avait pas vécu.
02:31On ne peut pas transmettre ça.
02:33Alors, Claude Lévi-Strauss, vous le rencontrez quand vous, vous avez quel âge ?
02:38Ah, je le rencontre en 47.
02:45Enfin, à ce moment-là, je travaillais avec lui au Musée de l'Homme.
02:50Dès qu'il a su que je parlais couramment l'allemand, il m'a dit « Est-ce que vous accepteriez de travailler avec moi pour traduire les livres allemands que je n'ai jamais pu lire ? »
03:02Et on s'entendait très bien.
03:05Et il m'a dit « Est-ce que vous êtes libre jeudi prochain ? »
03:09Et moi, je regarde et je dis « Oui ».
03:11Alors, on déjeune ensemble au Musée de l'Homme.
03:15Et même sans déjeuner, on s'amusait beaucoup ensemble.
03:18On se racontait des histoires.
03:20Et à la fin du déjeuner, il m'a dit « Est-ce que vous êtes libre jeudi prochain ? »
03:26Et je regarde, je dis « Oui ».
03:29Et puis, là, il m'a dit « Et puis tous les autres, je le dis. »
03:33C'est la seule déclaration qui m'est faite.
03:36C'est très joli.
03:38Ah oui.
03:38Quand vous l'avez rencontré, Claude Lévi-Strauss, vous avez rencontré un homme d'une quarantaine d'années
03:43qui avait essuyé des échecs, notamment une entrée au Collège de France qui lui avait été refusée.
03:50Et c'était un homme qui se sentait rejeté d'une certaine manière par les grands tenants de la science.
03:55Oui, absolument.
03:57Il savait pourquoi.
03:59Il était en train de finir d'écrire les structures élémentaires de la parenté.
04:07Et il avait à New York, la New York Public Library, où il avait tous les textes qu'il lui fallait.
04:15Et donc, il était resté plus longtemps que les autres.
04:19Vous voyez, les Juifs qui avaient fui la France quand il y a eu l'occupation étaient revenus tout de suite.
04:25Mais lui n'est pas revenu tout de suite parce qu'il voulait finir d'écrire son livre.
04:30Donc, il n'avait pas tissé sa toile.
04:31Toutes les places étaient prises.
04:33Alors, en 1955, c'est Jean Mallory, scientifique et explorateur, qui crée une collection qui deviendra une collection absolument mythique dans l'édition française.
04:42Une collection qui s'intitule Terre humaine.
04:45Et il fait appel à Claude Lévi-Strauss et il lui demande d'écrire Triste Tropique.
04:49Et vous racontez, Monique Lévi-Strauss, que Claude Lévi-Strauss vous dit « Après tout, je n'ai plus rien à perdre » au moment d'écrire, sans doute sans le savoir, ce qui deviendra un best-seller mondial.
05:00Il s'est dit « Maintenant, je peux tout me permettre puisque tout rate, s'il voulait tout rater dans sa vie. »
05:09Donc, c'était une forme de liberté ?
05:12Il s'est dit « Maintenant, je vais écrire ce livre, je vais me lâcher complètement, je vais dire tout ce que j'ai dans la tête, puisque je perds partout, je n'entre dans aucune institution. »
05:25Et donc, c'est avec une grande liberté qu'il a écrit Triste Tropique.
05:29J'étais sûre qu'il allait faire quelque chose de bien, puisque j'aimais ce qu'il écrivait.
05:35Et je lui disais tout le temps « Il faut être patient, ça viendra. »
05:39Soyons sincères, Monique Lévi-Strauss.
05:42Est-ce que l'unique rôle que vous ayez joué dans la vie de votre mari était de lui dire d'être patient ? Non.
05:49Il s'est rendu compte, oui, que non seulement je le soutenais, mais surtout que j'étais une première lectrice féroce.
05:57Je ne laissais rien passer.
06:00Et même parfois, je me disais « Il va dire non, là tu y vas trop fort, j'en ai marre de tes corrections. »
06:07Mais enfin, j'ai eu peur aussi de la gasser, vous voyez, j'ai eu très peur.
06:11De toute façon, vous avez eu peur toute votre vie, on a l'impression, de le décevoir ?
06:16Ben oui, absolument, de ne pas être à la hauteur.
06:19Et lui, il n'avait qu'une peur, c'est que je ne sois plus là, voilà.
06:24Vraiment ?
06:24Ah oui, oui, ça, oui, vraiment.
06:27Par exemple, il n'a jamais accepté un voyage sans que j'en sois.
06:31Il a dit ça à Mitterrand, qui était président de la République, et qui voulait l'emmener dans un voyage d'État de huit jours.
06:41Et mon mari lui a écrit que malheureusement, il ne pouvait pas accompagner Mitterrand au Brésil, parce qu'il ne voyagait jamais sans sa femme.
06:48Voilà, ça vous dit ?
06:50Ça me dit, comme vous dites, ça me dit. Vous auriez dû être médecin, vous êtes partie aux États-Unis étudier la médecine.
06:57Vous avez regretté, Monique Lévi-Strauss, de ne pas avoir exercé la médecine ?
07:02Oui, enfin, j'ai été quand même le médecin de mon mari, puisqu'il est le premier de l'Académie française qui a eu 100 ans.
07:10C'est grâce à vous ?
07:11Oui, ah ben oui, ça c'est pas ça.
07:12Ah ben oui ?
07:13Ah oui, ça j'en suis sûre. Et il m'était très reconnaissant, je peux vous dire.
07:17Alors, Claude Lévi-Strauss est mort en octobre 2009.
07:22Oui.
07:22Comment s'est-il éteint ?
07:25Je me souviens, j'ai été voir Claude qui me disait qu'il avait vraiment du mal à respirer.
07:32Et à un moment, je lui tenais les mains et il est mort.
07:37Enfin, très facilement, je lui tenais les mains.
07:40Et c'est tout, c'est très simple, sans aucune histoire, c'était pas tragique.
07:45Parce que moi, je préférais qu'il meure, parce qu'il avait tellement de mal à respirer que c'était cruel, vous voyez.
07:52Alors, vous dites, Monique Lévi-Strauss, que Claude s'asseyait dans la cuisine et vous regardait préparer la tarte aux abricots.
08:01Oui.
08:02Est-ce que vous pourriez nous donner la recette de la tarte aux abricots ?
08:07Ah oui, je peux vous la donner.
08:09Et je peux vous dire pourquoi les gens sont étonnés.
08:13C'est parce que le noyau du fruit a une amende dont on ne se sert jamais.
08:21Et moi, je me disais, il n'y a pas de raison, puisque c'est un cousin de l'amende.
08:26Et sur chaque demi-abricot, je posais une demi-amende, sa demi-amende.
08:32Et ça, mon mari regardait ça, il trouvait ça formidable.
08:36C'était une pâte brisée.
08:39Dans le bol, il y avait la farine, le sucre, le sel, le beurre, un peu d'eau, un jaune d'œuf.
08:47Et alors là, c'est miraculeux, si vous voulez, parce qu'on plonge les mains dans ce qui est complètement hétérocrite.
08:54Et puis avec les mains, au bout de cinq minutes, la pâte surgit, onctueuse, élastique, merveilleuse.
09:02Et c'est absolument comme un miracle.
09:04Le miracle de la pâte.
09:06Merci Monique Lévi-Strauss.
09:09Merci d'être venue jusqu'à nous.
09:10J'ai choisi la vie.
09:12Ce sont donc ces entretiens avec Marc Lambron de l'Académie française.
09:17Merci beaucoup.
09:18Je vous en prie.
09:19Et merci Sonia de Villers.
09:21Il est 7h58.
09:24France Synthèse
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