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  • 29/05/2025
Marraine de la 1ère édition du Festival «Piano à la Verrerie» au Creusot, l'ancienne Ministre de la Culture, Rima Abdul Malak a lu des textes de Christian Bobin en ouverture

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Transcription
00:00Pour commencer, un texte qu'il a écrit sur ce lieu, la cristallerie de la reine, que vous pouvez trouver en préface de son anthologie, que je vous conseille.
00:12Alors, il dit, la première phrase, elle va faire écho à ce que vient de dire Enzo, une ville est le rêve qu'en font ses habitants.
00:23Vous avez eu les deux rêves d'Enzo qui viennent de se réaliser, il y en aura mille autres qui se réaliseront.
00:28Mais voilà, cette ville est le rêve qu'en font ses habitants.
00:32Le Creusot est un lit de granit sur lequel, dans l'interminable nuit du monde, les dormeurs ont laissé venir à eux des rêves de canons, de boulets, de locomotives, de nourriture de fer pour la première guerre mondiale.
00:47Il y a aussi la seconde, il y aura la troisième, j'espère pas, et d'autres encore à l'infini, la mort devenant de plus en plus miniaturisée.
00:57Des paillettes électroniques dans ses cheveux de cendres.
01:01Avant ce rêve agité de la grande industrie salissante et bruyante, il y eut, vers la fin du XVIIIe siècle, le fantôme d'une reine, sa cristallerie, ses deux cônes de chapeau chinois, deux fours pour métamorphoser du sable en lumière.
01:20Je suis un des dormeurs de cette ville ouvrière.
01:25Le mot ouvrier a aujourd'hui disparu.
01:29C'était un mot lourd dans la main.
01:32Il est devenu comme ces monnaies romaines dont on retrouve une pièce dans la terre, portant l'effigie à demi effacée d'un empereur quelconque.
01:40Si je pense à cette ville désormais, je rejoins son premier rêve sous les étoiles, dans une terre de fougères et d'argile.
01:49La reine Marie-Antoinette, sainte des frivoles, martyre distraite, très peu d'années avant de sentir sur son cou la fraîcheur printanière d'un coup près,
02:00« La reine décréta, en posant son doigt lustré de lait d'Anais sur la carte de France, là, au lieu dit du Creusot, j'établirai ma cristallerie. »
02:14Un rêve commençait, dont on peut trouver des buées sous vitrine dans quelques musées nationaux, et aussi à leur berceau, le château de la Verré.
02:24Le mot cristal est funambule. Ce mot avant la chose teinte dans l'air. Légèreté, corbeille d'air, fête des élégances, sont les vibrations que donne cette petite boîte de musique transparente.
02:41Et là, pas du tout. Cette terre jamais ne sera cristalline. Avant même d'avaler de l'acier, elle donnait à ses cristaux un poids légendaire.
02:50« A simplement contempler sous vitrine un cristal creusotin, je sens le poids du globe terrestre qui roule dans l'univers comme une orange dégringolant un escalier. »
03:04Ce n'est pas la dentelle du sourire de la reine qui m'apparaît, mais la pesanteur métaphysique d'un lieu qui médite sans fin, front plissé, comme les tôles de ses usines. »
03:18Premier extrait de Christian Beaumont. Ce texte que j'aime beaucoup, « Mozart et la pluie ».
03:23Bon, ce soir, il n'y aura pas de Mozart et normalement, il n'y aura pas de pluie. Ne croyez pas que je veuille influencer le ciel.
03:33Je vous lis juste le tout début de ce texte qui parle de sa naissance à Christian Beaumont.
03:38« Blanche et légère ». Ma première connaissance de la vie a été « Blanche et légère ».
03:46C'est une scène que m'a souvent racontée ma mère. Elle sort de la maternité, me tenant dans ses bras.
03:53Nous sommes vers l'extrême fin du mois d'avril. Et pourtant, il neige.
03:57J'imagine que c'est le mouillé des flocons qui m'a touchée en premier, plus que leur lumière ou leur danse.
04:05Leur côté pluie. On a beau protéger un nouveau-né des intempéries, l'enveloppé de couverture et de serré contre soi,
04:13le dehors vient quand même à sa rencontre. L'air, le bonheur de l'air vif et mouillé.
04:19Je suis vivant parce qu'on m'a parlé et aimé. Je suis vivant parce que, dès les premières heures,
04:27ma mère et le côté pluie de la neige m'ont parlé avec amour.
04:32Quand aujourd'hui je vais dans la rue et que la pluie glisse sur mon visage, je réapprends à naître.
04:39J'en reviens au début, à la première connaissance du mortel de la vie.
04:43Ce mortel est rafraîchissant, comme Mozart, tout à fait comme Mozart.
04:50Il y a beaucoup de souffrance dans le monde et il y a, en quantité égale, beaucoup d'enfance.
04:57Ces deux matières n'en font qu'une seule.
05:00L'esprit d'enfance est insupportable au monde.
05:03L'enfance est ce que le monde abandonne pour continuer à être au monde.
05:08Ce qu'on abandonne ne meurt pas et va, errant, sans plus connaître de repos.
05:13La douleur l'accompagne.
05:16Mozart et la pluie parlent très bien, comme il faut, à voix proche et basse, à voix de petite mère.
05:25Mozart et la pluie.
05:29Il y a un pianiste qui a fasciné Christian Bobien, qui est Glenn Gould.
05:33Et il en parle dans différents textes, mais il y a notamment cet extrait de L'homme-joie, que j'aime énormément.
05:42Un prénom vif et sec, comme l'attaque d'une sonate.
05:46Glenn.
05:47Un nom plus sourd, la vibration maintenue du nom, comme dans les profondeurs d'un adagio.
05:54Gould.
05:56Glenn.
05:56Gould.
05:57Renard des neiges.
05:59Marmotte des sons.
06:01Il joue Bach.
06:03Et encore Bach.
06:04Et surtout Bach.
06:06Il pourrait, à vrai dire, jouer n'importe quoi.
06:10Le charme serait toujours le même.
06:12La grâce d'un prince adolescent.
06:15Le charme d'un départ sur la pointe des notes.
06:18Quand on parle, on campe dans sa parole.
06:22Quand on se tait, on campe dans son silence.
06:27Quand on joue de la musique, on lève le camp.
06:30On replie sa tente.
06:31Et on s'éloigne dans le chant faible, délivré de la corvée de dire et de se taire.
06:37On s'éloigne comme un jeune homme s'éloigne, sans savoir vers quoi, car sinon ce ne serait pas s'éloigner.
06:43Dans la musique, on est comme dans l'amour, engagé sur le sentier de la vie faible.
06:51On va du point A au point B, d'une lumière à une autre.
06:56On est entre les deux, trébuchant dans le noir, vivant d'incertitude et souriant d'hésitation,
07:05attentif à ce mouvement en nous de la vie frêle, oublieux du reste.
07:11C'est ça qu'on nous propose ce soir.
07:13De tout oublier.
07:14Et d'être dans ce moment de la vie frêle.
07:18Le tout dernier livre de Christian Bobin, c'est Le Hurmure.
07:22Bon alors là, on pourrait tout lire, mais on n'a pas la nuit devant nous.
07:26Autre pianiste qui a fasciné Christian Bobin, c'est Sokolov, Grégory Sokolov.
07:31Un pianiste russe, qui est encore vivant.
07:34Qui d'ailleurs s'est opposé à la guerre en Ukraine et à demander la nationalité espagnole.
07:39Donc un pianiste courageux.
07:42Voilà ce que nous dit Christian Bobin, comment il le voit.
07:47Quand Sokolov entre sur scène, les lumières le perdent.
07:53Sa main droite, avant de s'abattre sur le clavier, esquisse un gracieux tourbillon d'oiseau.
08:00Puis c'est la première note et la nuit commence avec elle, apportant toute consolation.
08:06Ses mains sur le clavier sont main de médium.
08:09Il ne touche pas l'organisme malade, l'âme, cette éternelle convalescente.
08:15Il le frôle, il l'effleure, joue une seule note et je serai guéri.
08:21Je vois cet homme comme une muraille, une muraille contre la mort.
08:26Il supprime la foule, rallume chaque personne en son secret.
08:30Dans ses concerts surpeuplés, jamais plus d'un seul auditeur.
08:35Ce qui arrive là, sur terre où tout se passe, est un accident des lumières,
08:41une source de larmes miraculeuses, l'arrêt des volontés et des soucis.
08:47La pensée qui danse, nue, sans mots, sans poursuite d'une vaine réponse à une vaine question.
08:54En écoutant cet homme, j'oublie tout.
09:00Et je me souviens de quelque chose, de la vue que nous avions négligée.
09:06Il y a deux sortes de morts.
09:10La première saisit le corps.
09:13Sur nos lèvres blanchies, la signature de la lune,
09:17sont laissées passer pour l'autre monde dont nous avions parfois le soupçon.
09:21La main de gloire qui ferme nos paupières ouvre notre cœur.
09:27Cette mort est pour chacun celle d'un couronnement.
09:32Elle nous sort de la meute, nous innocente et nous sacre.
09:36Elle est aussi celle des fleurs qui, après avoir donné leur suc de lumière,
09:39fannent et se retirent dans un songe,
09:43passent très naturellement de l'état princier de prostituée
09:47à l'état d'ermite dans la montagne de soi-même.
09:51Et puis, il y a l'autre mort, celle qui advient en coupe-gorge
09:55dans les ruelles mal fréquentées du monde.
09:57La mort dans la vie, les conventions, les fleurs en plastique
10:01de l'intelligence raisonneuse.
10:05C'est de cette mort-là que Sokolov, par sa puissance, nous garde.
10:10Sokolov, le temps d'un concert, dresse ce genre de cathédrale
10:13que des centaines de tailleurs de pierre mettent un siècle à construire.
10:17Quand le génie entre en scène, ce n'est pas lui qui est là,
10:23c'est la délicatesse infinie de la vie,
10:26le stéthoscope plaqué sur la poitrine de Dieu,
10:30les battements qui s'accélèrent,
10:32les tambours de l'amour immortel,
10:36le retour de l'esprit.
10:43Merci.
10:44Merci.

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