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Xavier Le Clerc, romancier, pour « Le pain des Français » (Gallimard,3 avril 2025 ) est l'invité ce mardi 27 mai 2025. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-interview-de-9h20/l-itw-de-9h20-du-mardi-27-mai-2025-2276521

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Transcription
00:00Et bonjour Xavier Leclerc, je suis très heureuse de vous recevoir ce matin.
00:04Si vous étiez une chanson, un mot de la langue française et un pays, vous sauriez quoi ?
00:10Une chanson « My Father » de Nina Simone, un pays, la Grande-Bretagne où j'habite.
00:18Et c'était quoi l'autre ? Un mot de la langue française ?
00:21Un mot, je dirais, éphémère.
00:23La mémoire de la plupart des hommes est un cimetière abandonné, écrivait Marguerite Ursenar.
00:31Vous, vous ne voulez pas abandonner ce cimetière de la mémoire.
00:34Vous cherchez à lui redonner vie, à redonner vie à vos morts dans Le Pain des Français, votre nouveau roman.
00:40Trois ans après un livre qu'on avait adoré ici à Inter, que j'avais personnellement adoré.
00:45Un homme sans titre qui avait été vendu à quasiment 50 000 exemplaires.
00:49Où vous racontiez l'histoire de votre père, ouvrier métallurgiste, immigré d'Algérie.
00:54Un homme sans titre à qui vous avez voulu en redonner rein.
00:57Vous racontiez sa vie de labeur et d'humiliation.
01:00Une famille dont vous étiez échappé à l'âge de 20 ans pour fuir leur regard face à l'homosexuel que vous étiez.
01:05Vous avez ensuite eu un beau parcours dans le monde du luxe avant de rentrer en littérature.
01:11Et Le Pain des Français, ce nouveau livre qui est votre quatrième, continue de creuser votre mémoire
01:15à travers le destin d'une petite fille de 7 ans.
01:18Zora.
01:20Zora, c'est un prénom qui vient à vous un jour alors que vous êtes à Paris en train de traverser l'avenue Bugeau.
01:26Et là, vous traversez l'avenue Bugeau, c'est pas anodin, et arrive dans votre tête ce prénom.
01:32Zora.
01:33Qui est Zora ?
01:34Zora, c'est un fantôme.
01:37Il ne reste d'elle qu'un crâne dans une boîte à chaussures grises numérotée à la main,
01:42rangée parmi 9000 crânes dans les sous-sols du Musée de l'Homme à Paris, sous la place du Trocadéro.
01:47Et c'était une sensation, ensuite un murmure, et ensuite une vision.
01:56Et tel le prince Hamlet qui s'adresse à Yorick, je me retrouve dans ses sous-sols à m'adresser à elle.
02:04Et 141 ans séparent nos deux enfances.
02:08Moi aussi, je suis né dans les montagnes cabiles, comme vous le savez.
02:11Et je voulais lui parler aussi d'une autre France.
02:14Et vous devenez obsédée par cette petite fille et sa courte vie, et tentée par ce livre de lui rendre hommage,
02:21et à travers elle, à ses milliers de femmes, d'enfants et d'hommes abattues au XIXe siècle,
02:25par le corps expéditionnaire français lors de la conquête d'Algérie.
02:28On parle d'une période méconnue qui va en gros de 1830 à 1870.
02:32Pourquoi devenez-vous obsédée par ce crâne de Zora ?
02:38Puisque vous allez, vous demandez les autorisations, ça va être d'ailleurs long et galère à les obtenir,
02:43et vous allez au Musée de l'Homme, où il y a effectivement, à l'heure où nous parlons,
02:479000 crânes classés dans des petites boîtes, numérotées, en fonction de l'âge, c'est ça ?
02:54Il y a des boîtes des enfants ?
02:55Non, même pas. Il y a un inventaire, souvent hérité de cette époque du XIXe siècle,
03:01puisqu'il s'agissait de dons, de lègues, de collections de crânes.
03:05Il faut savoir qu'on collectionnait ces crânes au XIXe siècle, pour trois raisons.
03:10Des spécimens scientifiques, la craniométrie, la théorie des races.
03:15Deuxième raison, les souvenirs, c'était des morceaux de taxidermie.
03:18Et la troisième raison, les trophées.
03:21Et souvent, les inventaires font référence à des statues très dégradants de voleurs, par exemple.
03:29Des trophées de quoi ?
03:30Des trophées de guerre, puisqu'il s'agissait de collègues expéditionnaires de 2 à 3 000 hommes
03:36qui venaient à l'aube et décapitaient systématiquement des centaines et des centaines de villages.
03:40C'est ça que vous racontez.
03:41Et vous écrivez, les vestiges humains, comme ils disent dans les musées,
03:45ne sont pas des ossements, mais ce qu'il nous reste d'humanité.
03:48C'est ça que vous vouliez faire, en fait.
03:50C'est de redonner vie à ces personnes, tuées, assassinées.
03:56Ils arrivaient, vous racontez les corps expéditionnaires,
03:58ils arrivaient dans des villages et ils disaient, on les tue tous.
04:01Et cette petite Zohra, elle fait partie, et vous imaginez sa vie en 1845,
04:06gamine de 7 ans, qui revient des champs et qui se fait décapiter, tout simplement.
04:11Et vous êtes là et vous parlez à son crâne.
04:15Et c'est ça, vous voulez lui rendre vie, vous voulez lui rendre un tombeau.
04:21Oui, la suite de la très belle citation de Marguerite Ursenar, c'est
04:27« Où gisent sans honneur les morts qu'ils ont cessé de chérir ».
04:33Et moi, je ne veux pas cesser de chérir cette gamine.
04:37Je ne veux pas cesser de chérir nos ancêtres morts dans des conditions pareilles.
04:42Je ne veux pas cesser de chérir leur mémoire qu'il faut raconter.
04:47Et pourtant, vos amis, vous racontez, vos amis se sont moqués de vous
04:50pendant l'écriture du livre en vous disant, mais qu'est-ce que tu as avec cette obsession macabre ?
04:53Qu'est-ce que tu as à t'adresser à un crâne d'une petite fille d'il y a 150 ans ?
04:58Oui, ça peut paraître tout à fait macabre, sauf que pour moi, la vie ne s'arrête pas aux vivants.
05:05Et je pense d'ailleurs que les morts sont parfois plus vivants que nous.
05:07et nous qui avons nos yeux rivés sur les écrans dans le métro
05:12et qui finalement perdons nos vies dans cette lumière réverbérée.
05:18Et je pense que les morts nous rappellent à la vie et à ce qu'est le plus beau aussi.
05:22En ce sens, cela n'a rien de morbide.
05:24Et puis autre pratique horrible que vous racontez dans le livre, que je ne connaissais pas,
05:28les Français ne faisaient pas que collectionner et vendre les crânes des indigènes, comme ils disaient.
05:32Ils profanaient leur tombe et leur cimetière également, et leur corps également.
05:37C'est quoi du charbon animal, Xavier Leclerc ?
05:40Au XIXe siècle, on mélange des squelettes humains avec des squelettes d'animaux dans des grands fours.
05:48Ce charbon dit animal va être utilisé pour plusieurs choses.
05:53La première, c'est le raffinement du sucre de betterave pour blanchir la mélasse.
06:00Et donc, l'émir Abdelkader interdisait la consommation de ce sucre parce qu'il considérait que c'était donc proprement cannibale.
06:08Les résidus de ce procédé deviennent de l'engrais.
06:13Cet engrais sert à produire du blé en France.
06:17Et ce que je dis dans ce livre, c'est qu'à ce titre, nous sommes assimilés depuis longtemps dans la terre de France
06:23et que nous sommes le pain des Français.
06:25C'est ça, le titre de ce livre, nous sommes le pain des Français, parce qu'avec nos ossements, vous avez fait votre pain.
06:31Nos ossements sont devenus des engrais qui ont servi à faire pousser le blé en France.
06:37Et je précise, dans cette macabre entreprise de profanation des cimetières,
06:43il y avait dans la banlieue d'Alger des cimetières de la taille de la forêt de Fontainebleau.
06:48C'est immense.
06:49Il y avait un caractère aussi systématique.
06:51On parle souvent des louanges, des bienfaits de la colonisation et notamment des routes, ces fameuses routes.
06:57Il faut savoir que ces squelettes ont servi au remblément notamment de ces routes.
07:01Mais je précise aussi aux auditeurs que ce n'est pas un livre sombre, votre livre.
07:05Ce n'est pas un texte à charge du tout.
07:06C'est aussi un texte de réconciliation, c'est une déclaration d'amour à la France.
07:11Vous avez toujours dit « je dois tout à la France », elle m'a sauvée, je suis le produit de la méritocratie.
07:16Vous êtes le transfuge de classe, puisqu'on aime cette expression qui est à la mode désormais.
07:22Vous dites « je ne suis pas dans une démarche de repentance du tout, mais de reconnaissance ».
07:26C'est quoi la différence ?
07:28Oui, la repentance, dans la vision catholique, c'est une rédemption publique.
07:36Moi, ça ne m'intéresse pas en fait.
07:38Il n'y a personne de vivant aujourd'hui qui soit responsable du passé.
07:42Et je ne suis pas dans une démarche acrimonieuse.
07:45Je ne cherche pas à accuser ni à culpabiliser qui que ce soit.
07:48Ce qui m'intéresse, c'est de reconnaître les racines du mal, ce qui s'est passé,
07:53pour qu'on puisse enterrer à la fois dignement ces restes humains,
07:58mais aussi nos représentations d'antan, le racisme notamment.
08:02Et vous parlez de gestes d'apaisement qu'on pourrait faire sans faire des grandes repentances publiques, etc.
08:07de la France.
08:07C'est ça que vous demandez.
08:08Par exemple, ces 9000 crânes qui sont aujourd'hui dans le musée de l'homme,
08:12vous dites « si on les restituait, peut-être que ce serait un geste pour obtenir aujourd'hui
08:17la libération de Boislem sans salle ? »
08:20Oui, je pense que ça appellerait de la bienveillance.
08:23Je pense qu'il y a un effet miroir.
08:25Quand vous souriez à quelqu'un dans la rue, il vous sourit aussi.
08:29C'est troublant, mais je pense que c'est une sorte de climat qui s'envenime.
08:37Et je pense que l'antidote à ce poison actuel entre les deux rives,
08:43ce serait démontrer de la bienveillance.
08:45Il convenait quand même que l'Algérie ne sourit pas trop en ce moment non plus.
08:51Non, elle ne sourit pas trop, mais elle a une histoire qui est très très lourde aussi.
08:55Une personne sur trois est morte pendant la conquête.
08:58Ensuite, un demi-million de morts pendant la guerre d'indépendance.
09:01Cette mémoire est très vive.
09:03Et puis, la décennie noire.
09:05Kamel Daoud dit par exemple que l'Algérie passe plus de temps à taper sur la France
09:08et à parler de la colonisation qu'à affronter la décennie noire des années 90
09:11quand les islamistes ont assassiné à tour de bras des milliers et des milliers d'Algériens.
09:16Bien sûr que c'est un pays exsangue.
09:22Sa mémoire est en souffrance, mais ses vivants sont en souffrance, bien sûr.
09:27Et bien sûr qu'il faut parler de tout ça.
09:30Mais je pense qu'on n'arrive pas à l'islamisme des années 90
09:34sans comprendre la conquête de 1830.
09:38C'est-à-dire que les racines du mal, la décapitation, ce n'est quand même pas anodin.
09:43La décapitation et l'égorgement de 200 000 civils en Algérie pendant les années 90
09:48n'est pas anodin non plus.
09:50On a une histoire de la violence en Algérie.
09:52Et sans faire forcément des liens de causalité directe,
09:55on a une imprégnation de cette violence.
09:59Et mon livre, c'est une invitation à se guérir mutuellement de cette violence.
10:03Et c'est ça qui est très très fort dans votre livre.
10:05Vraiment, c'est qu'à travers, vous dites les choses
10:07et vous les dites de la manière la plus claire possible,
10:10même si votre langue est poétique.
10:13Et en même temps, ce n'est pas un texte à charge.
10:16Une fois de plus, je le répète, ce n'est pas ça.
10:19Vous ne vous placez pas dans un truc de colère.
10:22Ce n'est pas le lieu, la colère.
10:24Le lieu, c'est l'apaisement.
10:25C'est pour ça que c'est un livre vraiment lumineux.
10:28Et vous, quand vous pensez à cette décennie noire, vous l'écrivez.
10:30Je vous le mets, parce qu'on adore cette chanson.
10:32C'est R.E.M. C'est Losing My Religion.
10:34J'adore ça.
10:52Losing My Religion, c'est à ça que ça vous fait penser
10:55quand vous pensez à l'Algérie des années 90 et des années 90.
10:59Perdre sa religion.
11:00Dieu est mort de nouveau.
11:01Il était déjà mort dans les camps.
11:03Et il meurt de nouveau en Algérie,
11:06avec les 200 000 civils égorgés.
11:09Et je pense que de tout ça, il faut retenir
11:10que l'apaisement, c'est la seule voie possible.
11:15Et c'est là où on en vient à vous,
11:17puisque tout ce livre, c'est à la fois l'histoire de Zora,
11:19de cette petite fille de 7 ans,
11:21de 1845,
11:23qui va être décapitée,
11:24et la vôtre.
11:25Et vous avez un souvenir, puisqu'on parle du pain,
11:28puisqu'on parle des engrais pour le blé.
11:30Vous avez un souvenir qui remonte.
11:31Ça, c'est votre vie.
11:32Vous avez 6 ans.
11:33Vous accompagnez votre père à acheter le pain
11:35dans la banlieue de Caen, là où vous habitez.
11:37Et le boulanger refuse de le servir.
11:39On ne donne pas du pain au bougnoule, ici.
11:41Cette scène, elle est remontée.
11:45Oui, elle est remontée, parce que
11:48dénier du pain à quelqu'un,
11:50c'est dénier son humanité.
11:52Et pour moi, il y avait un lien direct
11:53avec ces histoires de crâne.
11:55Il s'agit à chaque fois de déshumanisation, en fait.
11:58Et mon père n'a pas dit un mot.
12:00C'est ce que j'allais vous dire.
12:01Il sort de la boulangerie, et il ne dit rien.
12:03Il est chassé, il ne lui vendra pas du pain.
12:04Vous allez marcher jusqu'au supermarché
12:06pour acheter du pain industriel.
12:08Et il ne parlera pas.
12:12Il ne parlera pas.
12:13Et c'est dans ces silences
12:14que naîtra l'écrivain que je deviendrai.
12:17Et parce qu'il faut bien mettre des mots
12:19sur la peau des écorchés vifs.
12:22Et mon père n'a rien dit par dignité, tout simplement.
12:26Mais je me suis aussi interrogé
12:27sur la souffrance partagée
12:29qui a été causée par cette guerre d'Algérie.
12:31Parce que 30 ans plus tôt,
12:32ces deux hommes, ce boulanger et mon père,
12:34avaient 20 ans.
12:35Et donc cet homme-là était probablement
12:38dans les rangs des contingents
12:42parmi les jeunes soldats de 20 ans
12:44dans les Ores ou ailleurs.
12:47Et il a probablement subi
12:49les affres de la guerre d'Algérie.
12:51Mon père ne me répondra pas.
12:53Et dans ce silence naîtra l'écrivain
12:54que je deviendrai,
12:55qui essaiera de mettre des mots
12:56sur toutes ces vies minuscules
12:58qui sont humiliées
12:59et qui se retrouvent dans ces silences
13:00si douloureux.
13:02Il y a aussi l'humiliation de votre mère
13:03quand elle va acheter de la viande hachée
13:05au boucher.
13:05Elle lui demande de faire crédit
13:06parce que vous êtes à côté
13:07et il n'y a pas d'argent.
13:09Elle n'a plus d'argent.
13:10Et le boucher va vous donner la viande.
13:12Mais il va vous dire
13:12« Madame, c'est la dernière fois »
13:13devant son fils.
13:14Il va lui dire ça.
13:15Et je me suis dit
13:16que vous étiez,
13:17Xavier Leclerc,
13:18l'écrivain de la honte enfantine.
13:19Parce que je trouve
13:20que vous décrivez mieux que personne
13:21le silence et la souffrance
13:23des enfants
13:23quand ils voient leurs parents
13:24rejetés,
13:25repoussés,
13:26rabaissés.
13:27vous l'écriviez déjà magnifiquement
13:31dans votre précédent livre
13:32« Un homme sans titre »
13:33et là aussi,
13:34dans « Le pain des Français »,
13:35je trouve que vous racontez
13:35comme personne
13:36ces moments où l'enfant
13:38voit son père humilié
13:39et rabaissé
13:39pour rien faire.
13:41Parfois,
13:42ça fait de la colère
13:43et parfois,
13:43ça fait un écrivain.
13:44Oui,
13:45merci,
13:46merci du fond du cœur.
13:48Mais je n'ai pas vu
13:49que des pauvres.
13:50J'ai vu des princes
13:52à travers mon père,
13:53à travers les siens.
13:55J'ai vu
13:56la dignité d'une mère forte
13:58qui était ma mère,
14:00le courage d'élever
14:00neuf enfants.
14:02Donc là,
14:03on pourrait croire
14:04qu'il s'agit de misère.
14:05En fait,
14:05moi,
14:05je veux restituer la richesse
14:07là où elle est vraiment.
14:09Et là aussi,
14:10rendre hommage encore
14:11à ce père,
14:12à ce père
14:13à qui vous avez rendu
14:14un magnifique hommage
14:15dans le précédent livre,
14:16mais ce père
14:16que vous avez quitté
14:17puisque votre famille,
14:18vous avez dû la quitter
14:19à la fin de l'adolescence
14:21parce que vous ne supportiez
14:23plus les brimades,
14:25les insultes,
14:26les menaces
14:26devant ce petit garçon
14:28que vous étiez,
14:29efféminé
14:29et que ce n'est pas bien.
14:31Oui,
14:32vous savez,
14:32on peut être étranger
14:33de multiples fois,
14:35en fait.
14:36J'ai été étranger aussi
14:37dans ma famille
14:38et d'où aussi
14:40mon empathie réelle,
14:42profonde.
14:42Ce n'est pas une posture.
14:43L'apaisement,
14:44c'est quelque chose
14:44que je vis profondément
14:45parce que c'est la seule
14:47possibilité de survivre
14:48à tout ça.
14:49Et donc,
14:49j'ai vécu de multiples guerres
14:51avant 20 ans.
14:53Vous racontiez
14:54la dernière fois
14:55que vous avez vu votre père,
14:57des années avant sa mort,
14:59la fois où vous lui
15:00dites sans dire
15:01que oui,
15:02probablement,
15:03vous êtes homosexuel.
15:04Vous pouvez nous rappeler
15:05cette scène
15:05où vous l'avez déjà racontée
15:06à ce micro
15:07il y a trois ans
15:07quand je vous ai invité,
15:09mais j'y pense très souvent.
15:10Il était très tard le soir
15:12et il me dit
15:13très pudiquement
15:14est-ce que c'est vrai
15:15cette rumeur ?
15:16Il fait référence
15:17à une rumeur
15:18de mon homosexualité
15:19et je n'aimais pas de mots.
15:22Alors,
15:22je lui dis oui
15:23et il me prend dans ses bras
15:25ce qu'il ne fait pas.
15:26C'est un homme très taiseux,
15:27qui n'est pas démonstratif.
15:29Et c'est...
15:30Il n'a pas témoigné
15:32de répulsion
15:33ou de jugement,
15:34pas du tout.
15:35Ce qui est très troublant
15:35pour un homme
15:36des années 30
15:37qui lui-même
15:39a une éducation séculaire.
15:42Et c'est très,
15:43très troublant
15:44parce qu'il n'y a pas eu
15:45de jugement,
15:46il n'y a pas eu
15:46d'agressivité,
15:47il n'y a eu qu'une forme
15:48d'inquiétude profonde.
15:49C'est pour ça
15:49que je le comparais
15:50à la sculpture
15:51de l'Équan au Vatican
15:52qui, pour moi,
15:53incarne l'inquiétude.
15:55Il était juste triste
15:56pour vous, en fait.
15:57Il était triste pour moi.
15:58Il pressentait l'orage
15:59qui, du reste,
16:00arriverait dans ma vie.
16:02Et c'est donc
16:04la dernière fois
16:04que l'on s'est vus
16:05à ce moment-là.
16:06Vous ne l'avez plus jamais revu
16:07jusqu'à ce livre
16:08où vous lui rendez hommage
16:09après sa mort.
16:10Vous vous êtes sauvé
16:11aux deux sens du terme
16:13puisqu'en quittant le quartier,
16:14vous avez réussi
16:14dans votre vie,
16:15dans le monde du luxe,
16:16je le disais.
16:17Réussi aussi en changeant
16:18de nom et de prénom.
16:20Xavier Leclerc
16:20n'est ni votre nom
16:21ni votre prénom
16:22originel.
16:23C'était...
16:24Amid Haït Taleb.
16:26Oui.
16:27Et vous racontez
16:27dans ce livre-là aussi
16:28qu'on vous a critiqué,
16:30des deux bords,
16:31en fait,
16:31d'avoir changé de prénom.
16:32C'est-à-dire,
16:32qui vous a critiqué ?
16:33Il y a un grand malentendu.
16:35Alors, vous savez,
16:36vous avez ceux qui
16:37le vivent comme
16:40potentiellement une traîtrise,
16:41une sorte de reniement
16:42de mes origines.
16:43Mais on n'écrit pas
16:44quatre livres sur ses origines
16:45pour les renier.
16:46Ça n'a pas de sens.
16:48Quand Georges Sand
16:48se donne un nom d'homme
16:49pour être publié
16:50au XIXe siècle,
16:51qui pourrait lui dire
16:52qu'elle renie
16:52sa condition de femme ?
16:54Quand les sœurs Bronté
16:55font exactement
16:55la même chose.
16:57Et je pense que
16:57dans 100 ans,
16:58on dira de moi
16:58que j'ai fait du Georges Sand,
17:00que je me suis adapté,
17:01en fait.
17:02Oui, cela critique.
17:03Vous accusez de traître
17:04à vos origines
17:05et puis à les autres,
17:06vous dites les bourgeois
17:06qui vous disent
17:07mais non,
17:07mais pourquoi tu as changé
17:08de prénom ?
17:08C'est tellement plus
17:09exotique, amide.
17:10Bien sûr, bien sûr.
17:11Et cela continue d'exister
17:12parce qu'en fait,
17:13il réinvente le zoo humain
17:15et il me demande
17:16de rester derrière
17:18ma barrière de bambou
17:19identitaire
17:19et ne tolère finalement
17:22qu'une forme d'amusement
17:23de la part des personnes
17:25issues de mes origines.
17:27et il y a donc
17:28une forme de paternalisme
17:29digne d'un zoo humain
17:31et ce que je refuse
17:33fondamentalement.
17:34Les impromptus,
17:34pour terminer,
17:35Xavier Leclerc,
17:36c'est vrai que vous
17:36voliez des livres
17:37à la bibliothèque municipale
17:38quand vous étiez enfant
17:39et que vous vous promettiez
17:40d'en écrire
17:41pour que d'autres
17:41les volent ensuite.
17:43Oui, c'était ma promesse.
17:44Paris ou Londres ?
17:46Paris.
17:47Leïla Slimani
17:47ou Alice Zenitaire ?
17:49Leïla Slimani.
17:50Annie Ernaud
17:51ou Michel Houellebecq ?
17:52Annie Ernaud.
17:52Annie Ernaud
17:53qui avait salué
17:53votre précédent livre.
17:55Et celui-ci.
17:55Et celui-ci aussi,
17:57elle vous a dit quoi cette fois-ci ?
17:58Très gentiment,
17:59de très belles choses.
18:00Chanel ou Saint-Laurent ?
18:02Vous aimez le luxe.
18:04Saint-Laurent.
18:06Vous retournez en Algérie
18:07aujourd'hui ?
18:08Oui.
18:08La dernière fois
18:10que vous avez pleuré ?
18:12Hier soir.
18:14Je ne vous demanderai pas
18:14pourquoi.
18:15Parce que je respecte
18:16l'intimité.
18:17Merci.
18:18Quelques verres
18:19comme ça
18:19au débeauté
18:20à 9h45.
18:21Un verre ou deux
18:22de poésie ?
18:22Alors, je vais vous surprendre
18:23parce qu'Apollinaire
18:24est réservé
18:26par François Sureau.
18:27Alors, je vais nous dire
18:28quelque chose de kabil
18:29et que je vais essayer
18:31de vous traduire
18:32comme ça.
18:34C'est un poème
18:35très très ancien
18:36et qui a été chanté
18:37par la grande chanteuse
18:38Sherifa.
18:39Xavier Leclerc, merci.
18:46Le livre s'appelle
19:01Le pain des Français
19:01Chaché Gallimard
19:02et c'est remarquable.
19:04Merci.
19:04Bravo.
19:05Et j'espère qu'il reconnaîtra
19:06la même vie
19:07que l'homme sans titre.
19:09Merci infiniment.
19:09Merci.
19:10Merci.
19:11Merci.
19:12Merci.

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