Doit-on se sentir coupable d’être en vacances ? - La petite philo de l’été

Sud Radio

avant-hier

Avec Vincent Cespedes, philosophe

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##LA_PETITE_PHILO_DE_L_ETE-2025-07-19##

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00:00Sud Radio, la petite philo de l'été, Vincent Céspedes.

00:05Et pour le deuxième numéro de la petite philo de l'été, on retrouve comme d'habitude le philosophe essayiste Vincent Céspedes.

00:11Bonjour Vincent.

00:12Bonjour Laurence.

00:13Auteur de la société de la trahison chez Albain Michel.

00:16Alors ce matin, on en a déjà largement parlé sur Sud Radio, entre les annonces de François Bayrou sur la suppression de deux jours fériés,

00:24la piste de la ministre du Travail qui éventuellement proposerait de monétiser la cinquième semaine de congés payés.

00:32Avec vous, question ô combien existentielle et politique.

00:35Est-ce qu'on doit se sentir coupable d'être en vacances ? Est-ce qu'on se sent feignant quand on part en vacances ?

00:42Feignant, coupable, non. Mais par contre, conditionné, oui.

00:45Parce qu'on nous sert la vieille rengaine du « travailler, c'est la vraie vie »,

00:49issu d'ailleurs du catéchisme protestant qui culpabilisait déjà le moindre hamac.

00:53Et vous ajoutez à ça, Laurence, le turbo post-industriel et on obtient la peur panique de l'écran noir sur l'ordi.

01:01Mais les vacances ne sont pas un désert productif. Elles sont l'atelier caché.

01:06Montaigne écrit ses essais dans son Pigeonnier.

01:09Beethoven esquisse sa neuvième pendant une promenade.

01:12Coco Chanel griffonne un tailleur au bord de mer.

01:16Le repos est le laboratoire discret des idées, pas la trappe de la paresse.

01:20Donc en fait, je verrais un plan dialectique par des formations professionnelles.

01:25On aurait la thèse, « buy route » ou « plus d'heures, plus de cash ».

01:29L'antithèse s'impose, la machine s'enraye.

01:32Le burn-out nous coûte plus que deux jours fériés, nous rapporte.

01:35Et puis la petite synthèse, les vacances ne sont pas un trou dans la feuille Excel,

01:39mais le saut entre les lignes qui aère la page.

01:42En clair, culpabiliser de prendre des vacances, c'est comme reprocher au pain de lever.

01:48Sans ce gonflement, pas de mis, pas de goût.

01:51Thèse anti-thèse synthèse, voilà pour le philosophe.

01:54Alors on connaît la culpabilité des transats cachés, les transats qu'il faut cacher.

01:58Est-ce qu'il existe, je ne sais pas, un moment où un patron a carrément offert du temps libre

02:01pour que ses employés, par exemple, dépensent plus ?

02:04Oui, on peut faire un retour en 1926, Henry Ford regarde ses ouvriers rivés à la chaîne

02:118 heures par jour, 6 jours sur 7.

02:14Problème, ils sont trop fatigués pour conduire la Ford T qu'ils rêvent de leur vendre.

02:19Solution, il invente le week-end, pas par philanthropie, par marketing.

02:24Deux jours pour se reposer et filer sur les routes du Michigan en famille.

02:29Résultat, production en hausse, vente qui décolle et un nouveau rituel qui fera école partout.

02:35La leçon pique la culpabilité d'aujourd'hui.

02:38Le repos peut être un carburant économique.

02:41Ford le savait, il emballe le farniente dans un emballage tant de qualité

02:47et personne ne se voit taxé de paresse.

02:51Moralité, moins de scrupules, plus de kilomètres.

02:54Et un patron qui encaisse la différence.

02:56Si on a honte de la sieste, il faudrait l'acheter avec 4 pneus neufs.

03:03Ford l'a fait, pourquoi pas nous ?

03:05C'est ça, d'ailleurs dans des pays en Asie, notamment en Chine ou au Japon,

03:09la sieste est inscrite dans le droit du travail d'ailleurs.

03:13Pour être plus productif, comme vous dites.

03:16D'où vient-il une culpabilité, une vieille gêne française ?

03:19Dès qu'on s'allonge au soleil ou on prend des vacances, on se sent déjà en faute.

03:24Ça vient de nous, c'est culturel ou pas ?

03:28Oui, en tout cas ce malaise est beaucoup plus profond, a des racines plus profondes que le bulletin de paix.

03:34Au XVIIe siècle, Blaise Pascal se méfie déjà du divertissement.

03:38Il voit dans chaque partie, dans chaque partie de jeu, dans chaque partie de paume,

03:44un moyen d'oublier qu'on va mourir.

03:46Trois siècles plus tard, Max Weber baptise « éthique protestante » le réflexe culpabilisateur

03:52qui fait surveiller l'oissiveté comme un péché capital.

03:55La France adore les paradoxes, Laurence.

03:59Regardons Baudelaire.

04:00Il rêve d'île lointaine, mais claque la porte de son appartement pour écrire les fleurs du mal,

04:04plutôt que de flâner sur les quais.

04:06Même Camus, l'amoureux d'Alger, ou d'Oran même,

04:09confesse dans Nos que le soleil accable autant qu'il console.

04:14Le loisir devient un duel.

04:16Promesse de joie, soupçon de lâcheté.

04:19Et puis, on peut ajouter le smartphone.

04:21On poste la photo du mojito, mais on garde le regard fixé sur l'icône non-lu.

04:26Présentéisme de plage, visage allé, Wi-Fi ouvert.

04:30Au Moyen-Âge, pourtant, plus de 30 fêtes religieuses arrêtaient tout.

04:35Le village célébrait, personne ne parlait de déficit.

04:39Donc, moralité, la culpabilité n'est pas un symptôme de paresse.

04:43C'est un héritage culturel qui confond repos et capitulation.

04:47Alors, quand on pose la serviette, on doit se rappeler ce toast médiéval.

04:53Faites bien tenu vos fermes bien gardées.

04:56Le meilleur gardien de ta productivité reste parfois une bonne sieste à l'ombre des pas.

05:00D'accord, on l'a bien compris.

05:02On déculpabilise.

05:03Mais en quoi, Vincent Cespedes, les vacances pourraient-elles devenir,

05:06je ne sais pas moi, un geste politique,

05:08plutôt qu'une parenthèse enchantée ?

05:10Ben, Marx distingue le royaume de la nécessité, vendre ses heures,

05:17et le royaume de la liberté, créer, aimer, réfléchir.

05:21André Gorce, philosophe économiste, appelle ça l'autonomie du temps choisi.

05:25Ivan Illich, il voit le moment où la société s'instruit d'elle-même,

05:30loin des chronos des dirigeants.

05:33Le paradoxe peut nous piquer.

05:35Moins de travail imposé peut rendre la collectivité plus riche.

05:39Les chiffres l'avouent déjà.

05:41Quatre jours et demi en Islande, burn-out divisé, productivité stable,

05:47expérience néo-zélandaise aussi, on a le même refrain.

05:51La courbe du PIB n'a pas suffoqué, c'est la courbe des visites au musée qui a grimpé.

05:55Donc, culpabilité KO, chaque vacance agrandit le terrain commun

06:00en ramenant des idées fraîches, une santé infragile,

06:03quelques visions insoupçonnées, la pause n'interrompt rien,

06:07elle réinvente tout.

06:09Travaille moins, pense plus, ton cerveau est l'unique usine

06:12que les patrons ne savent pas délocaliser.

06:15Ça, c'est pas mal.

06:17Pour le mot de la fin, le philosophe, il déconnecte ou pas ?

06:19Il déculpabilise, il va à la plage ou pas du tout en fait ?

06:22On crée, on fait de la musique, le philosophe et compositeur aussi,

06:27et donc on fait de la musique, on plonge dans tout ce qu'il faut mettre à jour

06:31et surtout, on pense, et ça, les vacances sont quand même

06:34le moment propice, complice de la pensée libre qui divague.

06:39D'où la petite philo de l'été avec Vincent Cespedes.

06:42Et on vous retrouve bien sûr le week-end prochain.

06:44Merci beaucoup Vincent.

06:45Merci Laurence.

06:46Merci.

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