À l’ère des fake news virales et des algorithmes polarisants, la démocratie est menacée. Comment retrouver la maîtrise de l’information ? Comment protéger le débat public sans céder à la censure ? L’Observatoire du long terme lance l’alerte et propose des pistes pour sortir du chaos informationnel.
00:00Et pour démarrer cette émission, j'ai en connexion Vincent Champin.
00:08Bonjour Vincent, vous êtes un dirigeant français spécialisé dans la transformation numérique et les systèmes d'information.
00:15Et vous êtes le président aussi de l'Observatoire du long terme, un think tank qui est dédié à l'analyse des questions économiques, technologiques, sociales et environnementales.
00:24Et vous avez présenté un rapport « Manipulation et polarisation de l'opinion, réarmer la démocratie pour sortir du chaos ».
00:32Vous l'avez présenté à l'Assemblée nationale.
00:35Alors peut-être d'abord commencer par comment ce numérique est utilisé justement pour attaquer la démocratie.
00:43Alors il est utilisé de plein de façons, directes et indirectes.
00:48Les premières façons, c'est le jeu naturel des algorithmes.
00:51Les algorithmes, ils vont favoriser des nouvelles qui sont choquantes, étonnantes.
00:57Et ça, ça va plutôt tendre à favoriser les informations et la façon de présenter les informations qui vont créer des clivages dans la société.
01:06Et ça, évidemment, c'est une arme pour les personnes qui veulent mettre le bazar dans notre démocratie.
01:11Ensuite, il y a des actions directes.
01:13On voit, et il y en a un certain nombre qui sont décryptées dans le rapport,
01:16des opérations d'ingérence menées par des puissances étrangères et d'une façon un peu paradoxale.
01:22Si vous vous souvenez, en 2000, on pensait tous que le numérique allait apporter un grand vent de liberté sur la démocratie.
01:28En 2010, le printemps arabe, le numérique a permis de faire tomber des régimes autoritaires.
01:33Donc on se disait, ça y est, c'est gagné.
01:34Effectivement, le numérique va être un outil pour la démocratie.
01:38Et en fait, c'est après que les choses se sont mal engagées,
01:42puisque les régimes autoritaires ont appris à se servir du numérique pour verrouiller chez eux
01:47et s'en servir de façon offensive à l'extérieur.
01:51Et les démocraties libérales, pendant ce temps, elles n'ont finalement pas bougé tant que ça.
01:56Et aujourd'hui, elles sont du coup des cibles assez faciles pour les ingérences qu'ils utilisent le numérique.
02:01Et par rapport à des opérations, j'allais dire, classiques, de créer des rumeurs,
02:07de faire de la désinformation qui nécessitait de recruter des agents qui étaient très coûteuses,
02:11aujourd'hui, avec de l'IA, ou en utilisant les bases arrières fournies par les groupes cybercriminels,
02:17on peut monter des opérations avec un succès extrêmement fort, avec des moyens très limités.
02:22Alors, vous l'avez dit, les choses se sont inversées.
02:25Alors, comment faire finalement ?
02:27En tout cas, quelles sont les actions que vous proposez pour que les réseaux sociaux,
02:31le numérique, puissent redevenir finalement un levier démocratique ?
02:36Alors, il y a cinq pistes.
02:38La première, c'est autour des algorithmes et de la régulation.
02:41Par exemple, la transparence, savoir comment fonctionnent les algorithmes,
02:46permettre de faire du testing, c'est-à-dire permettre aux autorités
02:49d'avoir des informations claires sur, par exemple,
02:52qu'est-ce qui est présenté à un adolescent de 13 ans,
02:55qu'est-ce qui est présenté à un jeune qui a fait trois recherches sur l'islamisme radical.
02:59Donc là, il y a aussi les choses qui sont autour du DSA,
03:02mais le DSA devra probablement être durci.
03:04C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on observe et on écoute avec le DSA,
03:07demain, il faudra être beaucoup plus prescriptif.
03:10Ensuite, il y a des mesures de police sur les ingérences,
03:12détecter les campagnes, faire des mesures d'action type contre-espionnage,
03:17et aussi renforcer la transparence sur le financement et le ciblage.
03:21Les cas qu'on a eus, notamment en Roumanie, ce qui a été critiqué,
03:25c'était qu'il y avait des biais dans la mise en avant de certains candidats
03:28qui, en fait, contrevenaient aux règles sur l'égalité des moyens dans une campagne
03:34et qui, en France, sont traduits notamment par des règles de financement de campagne
03:37qui permettent d'assurer que les candidats qui finissent en tête,
03:40ils ont à peu près les mêmes moyens d'information
03:43pour éviter qu'il y ait trop de biais l'un par rapport à l'autre.
03:46Ensuite, il y a des éléments sur l'information.
03:48Donc là, c'est l'open data.
03:49C'est permettre aussi à d'autres personnes que des autorités publiques
03:54de prendre les données brutes et d'expliquer ce qui se passe.
03:57Pourquoi ? Parce qu'on s'est aperçu que pendant le Covid,
03:59pour la désinformation sur les questions scientifiques liées à la vaccination,
04:03en fait, c'était plus efficace de donner l'accès aux données
04:08et de laisser des médiateurs, qui étaient par exemple des TikTokers ou des blogueurs,
04:12expliqués au grand public, plutôt que de donner ce monopole à des administrations
04:17avec, dans certains cas, plus de difficultés à convaincre des gens tentés par le complotisme.
04:22Ensuite, l'éducation, permettre aux gens et notamment aux jeunes
04:26de mieux comprendre comment on trie l'information, comment on la valide.
04:30C'est aussi ce à quoi contribue l'agence Viginum, qui régulièrement démontre des campagnes d'influence
04:36et explique ce qui s'est passé pour que les auditeurs puissent mieux trier l'information.
04:42Et le dernier point, et c'est le principal, c'est renforcer la démocratie.
04:47Je pourrais le détailler plus tard, mais aujourd'hui, d'une certaine façon,
04:52la démocratie va à cheval alors que les trolls russes prennent les autoroutes de l'information.
04:56Et donc, le rêve qu'on avait en 2000, que le numérique serve positivement pour la démocratie,
05:01il s'est assez peu réalisé.
05:03Et pendant ce temps-là, en fait, les méchants, eux, ont été beaucoup plus rapides
05:07à intégrer le numérique dans leur mode d'action.
05:10Alors, vous avez présenté, je disais, ce rapport devant l'Assemblée nationale.
05:14Il y avait notamment un député autour de la table.
05:16Comment vous avez ressenti l'accueil fait par les élus de la République ?
05:21Alors, en fait, il y avait tous les groupes parlementaires.
05:23C'était la Commission des affaires étrangères.
05:26J'ai senti à la fois un grand intérêt pour le sujet, des questions sur la technologie,
05:31parce qu'il y a un certain nombre de points qui sont effectivement assez compliqués à réguler.
05:35Le type de régulation qu'on a sur les plateformes, c'est comparable au type de régulation
05:39qu'on a dans les marchés financiers.
05:40C'est-à-dire, le régulateur doit atteindre des personnes qui ont beaucoup de moyens
05:44et qui ont une expertise qui est infiniment plus forte que celui qui veut les réguler.
05:48Et puis ensuite, au-delà de ça, évidemment, là, il y avait des modes d'action,
05:54des sensibilités différentes.
05:57Un groupe qui a exprimé, par exemple, le fait que pour lui,
05:59la solution était dans la nationalisation des plateformes.
06:02D'autres, au contraire, qui sont très attachés au fait qu'on ne crée pas un « ministère de la vérité »
06:09mais qu'on incite l'afflux de bonnes informations pour éviter qu'elles soient noyées par rapport aux mauvaises informations.
06:19J'allais dire qu'à partir du constat sur les propositions, à la fois des questions sur la technique
06:24et puis évidemment les clivages traditionnels qu'on peut avoir entre les différents groupes politiques.
06:28Eh bien, j'ai envie de dire, Vincent Champin, que c'est plutôt une bonne nouvelle
06:31si on commence à avoir des débats politiques entre les députés.
06:35Merci beaucoup pour vos éclairages. Je rappelle que vous êtes le président de l'Observatoire
06:39du long terme à l'œuvre sur ce rapport. Merci beaucoup.