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Les Antilles et la Guyane sont confrontées à une recrudescence alarmante de la violence armée, plaçant ces territoires en tête des statistiques nationales en matière d'homicides. En 2024, la Guyane a enregistré un taux de 20,6 meurtres pour 100 000 habitants, suivie de la Guadeloupe avec 9,4 et de la Martinique avec 6,4, contre une moyenne nationale de 1,5. Cette escalade de la violence est étroitement liée au narcotrafic et à la prolifération des armes à feu. Mais que fait l'Etat français "régalien" ? L'éditorial de -Richard GARNIER-

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Transcription
00:00L'éditorial de Richard Garnier
00:01Les anti-Guyanes sont les territoires oubliés de la République
00:05Que faudra-t-il de plus pour que l'État lève enfin les yeux vers l'outre-mer et singulièrement vers les anti-Guyanes ?
00:13En Guadeloupe, en Guyane et en Martinique, la violence armée n'est plus un symptôme sociologique.
00:18C'est réellement devenu un système, un rythme quotidien de fusillades qui éclate comme on allume une cigarette.
00:23Ou même des adolescents armés y vont de leur règlement de compte en n'ayant plus qu'à appuyer sur une détente.
00:29En n'importe quel lieu, qu'il y ait du monde ou pas, et même en plein jour, des quartiers entiers vivent sous couvre-feu informel.
00:35Le tout dans un silence presque complice des autorités nationales.
00:39Les chiffres sont pourtant là, implacables.
00:42En matière de meurtre par rapport aux ratios du nombre d'habitants,
00:45nos trois territoires ultra-barins caracolent en tête du classement national.
00:48Une première place honteuse que se disputent chaque année la Guyane et la Guadeloupe.
00:52Deux premières places qui, visiblement, ne sont pas assez bruyantes pour alerter le ministère de l'Intérieur
00:57et sont pendant le ministère des Outre-mer.
01:00Quand Marseille éternue, place Beauvau sort les sirènes.
01:04Quand Point-à-Pitre ou Cayenne étouffe sous les balles, là où le coutelage à disparaît, c'est silence radio.
01:09On y expédie un préfet, on pond un plan, sans budget, on parle de dialogue,
01:13comme si face aux armes automatiques, le blablabla suffisait.
01:17Seule la Martinique a connu une résonance nationale, subrepticement.
01:19Quand le locataire de la rue Dino affirmait, à qui voulait l'entendre,
01:24nous ne permettrons pas que la violence défigure le visage de l'île aux fleurs.
01:28A l'époque, la Martinique connaissait son 17e meurtre, à l'heure où son île-sœur, la Guadeloupe,
01:34était tacitement exemptée de ce funeste constat ministériel, de manière partielle,
01:39alors qu'il s'en était produit près du double, 29 morts.
01:42Pendant ce temps, à 8000 kilomètres de là, sous les lambris de la République,
01:46certains osent murmurer que notre seul intérêt est notre position géostratégique
01:51de département français d'Amérique, d'où l'Europe spatiale envoie des fusées,
01:54depuis la Guyane bien sûr, sans que l'on ne donne la parole à nos trois DFA
01:59et le pouvoir de faire entendre leur voix, la voix de la France,
02:02dans le bassin caribéen, aux portes des Amériques.
02:06C'est toujours comme au temps des colonies, où l'État prend toujours le soin
02:09de mener une politique patriarcale, où il détient le rôle dominant,
02:13en divisant les trois pour mieux y régner.
02:15Pendant ce temps, les réseaux criminels se structurent,
02:18les cartels sud-américains s'ancrent, les armes à feu se vendent sur place,
02:22sans que la majorité des acheteurs n'aient à se livrer sur le web.
02:25Les gendarmes, eux, manquent de bras, de balles et parfois même de véhicules.
02:29Leurs patrouilles de militaires sont débordées.
02:32Même constat du côté des policiers, dont les doléances ne sont pas plus écoutées.
02:35On voudrait croire à une mauvaise blague, mais c'est une politique.
02:39Celle du deux poids, deux mesures.
02:41L'Outre-mer est français quand il faut agiter le drapeau.
02:43Beaucoup moins quand il faut protéger les vies de ses administrés.
02:47Dont l'État, encore lui, répète à l'envie qu'il est là
02:49pour assumer sa part de régalien sur l'ensemble national.
02:53Et mais Césaire doit se retourner dans sa tombe.
02:55Lui, le visionnaire écrivain, poète, dramaturge, essayiste et biographe,
02:59qui assuma également le rôle d'homme politique français,
03:01à la fois maire de Fort-de-France et député de la Martinique.
03:04Jadis, il y a près de 80 ans, il s'interrogeait déjà.
03:08Sommes-nous des Français à part entière ou bien entièrement à part ?
03:11Malheureusement, la réponse était déjà comprise dans sa question.
03:14Car l'État, toujours lui, regarde ailleurs.
03:17Il préfère traiter la violence en Outre-mer comme un bruit de fond,
03:20un problème folklorique au milieu des banalindrais et des sargasses
03:23qui souillent l'île aux belles eaux,
03:25et plus généralement les étendues sablées des Antilles.
03:27Tout en prenant bien soin de ne pas évoquer vraiment
03:30les responsabilités des ravages durables du chlordécone dans les deux îles.
03:33En fait, cette violence armée, pour y revenir à elle,
03:37qui risque encore de s'amplifier,
03:39n'est pas traitée comme une urgence républicaine.
03:41Laisser nos territoires s'enfoncer dans l'insécurité,
03:44c'est aussi les abandonner à ceux qui s'organisent mieux,
03:47les mafias, les trafiquants, les gangs locaux,
03:49voire quelques corrompus bien placés.
03:52C'est un renoncement pire, un aveu d'insuffisance,
03:55que l'on s'arrange pour faire passer pour un aveu d'impuissance.
03:58A force d'inaction, la République ultramarine devient par nature
04:01une république à part, sécuritairement marginalisée,
04:05et politiquement entrahie.
04:07Les morts, eux, tombent tous les jours, de plus en plus jeunes.
04:10Mais ce sont des décès en lointaine périphérie de la métropole,
04:13à part dont, je voulais dire, de l'Hexagone,
04:16des morts invisibles.
04:17Jusqu'à quand ?
04:18L'éditorial de Richard Garnier
04:20Les Antilles-Guyennes sont les territoires oubliés de la République.

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