- hier
Pendant toute la Guerre froide, l’armée soviétique a incarné l’obsession stratégique des Occidentaux. Deux millions de soldats, des milliers de chars, une flotte de sous-marins nucléaires, et surtout un plan : « Sept jours jusqu’au Rhin ». Mythe ou menace réelle ? Était-elle prête à conquérir l’Europe de l’Ouest en une semaine ? Quelle était la doctrine soviétique, ses forces réelles, ses failles ?
Dans cette émission, l’historien Boris Laurent décrypte la puissance militaire de l’URSS, la peur du rouleau compresseur rouge et les stratégies de l’OTAN pour y faire face. Il dévoile les vrais objectifs du Pacte de Varsovie, la logique de sanctuarisation du territoire soviétique, et les simulations d’invasion qui ont hanté les états-majors occidentaux.
Une plongée au cœur de la plus grande armée du XXe siècle, entre préparation à la guerre totale, propagande nucléaire et réalité tactique.
Dans cette émission, l’historien Boris Laurent décrypte la puissance militaire de l’URSS, la peur du rouleau compresseur rouge et les stratégies de l’OTAN pour y faire face. Il dévoile les vrais objectifs du Pacte de Varsovie, la logique de sanctuarisation du territoire soviétique, et les simulations d’invasion qui ont hanté les états-majors occidentaux.
Une plongée au cœur de la plus grande armée du XXe siècle, entre préparation à la guerre totale, propagande nucléaire et réalité tactique.
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00:55Bonjour à tous. La revue d'histoire européenne, dont son numéro de juin-juillet 2025,
01:15consacre un grand dossier à un affrontement qui a façonné notre monde moderne, la guerre froide.
01:20De 1947 à 1991, entre Washington et Moscou, le globe entier a été le théâtre d'un duel sans guerre déclarée,
01:29mais avec une intensité stratégique, idéologique et technologique sans précédent.
01:34Course aux armements, espionnage, conflits par procuration, affrontements culturels et propagande,
01:39ce numéro analyse en profondeur les multiples visages de cette guerre mondiale d'un genre nouveau qui n'a jamais dit son nom.
01:45Mais ce que ce dossier interroge surtout, c'est la nature même de cette confrontation.
01:50La guerre froide a-t-elle réellement menacé la paix mondiale ou fut-elle un théâtre bien orchestré entre deux empires,
01:56soucieux de préserver leur hégémonie sans aller jusqu'à la rupture ?
02:00Tout au long de ce dossier, des historiens de renom, des spécialistes de la stratégie, de la géopolitique,
02:05reviennent sur les grandes crises, Cuba, Berlin, Vietnam, sur l'affrontement des modèles,
02:09la démocratie libérale contre le régime soviétique et sur la guerre d'influence culturelle du jazz américain au cinéma soviétique.
02:16Aujourd'hui, dans cette émission, nous avons choisi de mettre un coup de projecteur sur un volet essentiel du dossier,
02:22l'armée soviétique durant la guerre froide.
02:24Car au cœur de l'imaginaire occidental des années 50 à 80, il y a cette peur,
02:29celle du rouleau compresseur rouge du parc de Varsovie, prêt à foncer vers la Manche en 7 jours,
02:34de l'armée rouge comme une machine de guerre gigantesque et invincible.
02:37Mais qu'en était-il réellement ?
02:39Quels étaient les véritables moyens, doctrines, forces et failles de cette armée soviétique ?
02:44Que savaient ou que croyaient savoir les stratèges de l'OTAN ?
02:48Et jusqu'où les soviétiques eux-mêmes ont-ils envisagé une guerre en Europe de l'Ouest ?
02:52Pour en parler, notre invité aujourd'hui est Boris Laurent,
02:55historien, spécialiste des relations internationales et des questions militaires soviétiques,
03:00auteur d'un article majeur dans ce dossier et d'un ouvrage remarqué paru en 2024,
03:05Histoire de l'armée russe des Tsars à Poutine.
03:08Avec lui, nous allons décrypter les fondements réels de la puissance militaire soviétique,
03:12ses doctrines, ses évolutions et sa part de mythe comme de réalité.
03:17Boris Laurent, bonjour.
03:18Bonjour.
03:19Alors merci d'avoir accepté cette invitation.
03:21Vous êtes, comme je le disais, historien, spécialiste des relations internationales
03:25et des questions militaires contemporaines.
03:27Et vous êtes l'auteur de plusieurs ouvrages, dont j'en citais quelques-uns.
03:31La guerre totale à l'Est, entre 1941 et 1945, c'est paru en 2014 chez Kronos.
03:38Le Troisième Reich pouvait-il gagner la bataille de l'Atlantique, en 2018 chez Economica.
03:44Toujours chez Economica, les batailles arctiques de 1941 à 1945.
03:49Vous avez annoté également les mémoires du maréchal Paulus
03:53et les carnets du général Patton, parus chez Nouveau Monde, dont nous parlerons prochainement.
04:00Et toujours chez Nouveau Monde, en 2024, vous avez donc publié une histoire de l'armée russe,
04:06des Tsars à Poutine, qui retrace de manière précise et documentée
04:11l'évolution militaire de la Russie, de l'Empire impérial, jusqu'à la guerre en Ukraine.
04:17Alors donc, dans le dernier numéro de la revue d'histoire européenne,
04:20vous signez un article central sur l'armée soviétique durant cette guerre froide.
04:23Et avec vous, nous allons revenir sur la réalité de cette force militaire
04:27que l'Occident, je le disais, redoutait tant, mais qu'il comprenait parfois mal.
04:32D'ailleurs, vous sous-titrez votre article, vous évoquez dans le sous-titre
04:37« La tempête rouge sur l'Europe ».
04:40Alors, d'où vient cette obsession occidentale d'un déferlement soviétique vers la Manche ?
04:46Était-il, très rapidement en introduction, justifié ?
04:50– Ça vient dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en fait.
04:54Il y a une ligne de partage entre les anciens alliés,
04:58les Occidentaux menés par les États-Unis d'un côté, l'URSS de l'autre.
05:02Et là, c'est après l'alliance sacrée contre l'Allemagne nazie.
05:07Tout d'un coup, les différences et les idéologies apparaissent au grand jour
05:13et la confrontation, l'idée d'une confrontation arrive dans les esprits.
05:19– D'accord. Vous soulignez que la doctrine soviétique repose d'abord sur la perception de l'adversaire.
05:24Alors, quelle place réellement occupait l'Europe dans la planification militaire soviétique ?
05:30Vous dites, c'est bien l'Europe et en particulier l'Allemagne
05:32qui représente sur les plans historiques, politiques et stratégiques
05:37la véritable source d'inquiétude pour Moscou.
05:38– Absolument. Il y a une différence entre l'ennemi principal que Moscou appréhende,
05:47ce sont les États-Unis. C'est logique.
05:51Ça, c'est l'ennemi principal.
05:52Et il y a la menace principale.
05:55Et cette menace principale, elle est européenne.
05:57Pourquoi ? Parce que les forces occidentales sont surtout massées en Allemagne.
06:06L'Allemagne a un passé militaire, le fameux militarisme prussien
06:11que l'Union soviétique a voulu éradiquer avec cette guerre totale jusqu'à Berlin.
06:18Mais c'est un danger, Moscou perçoit ce danger comme réel encore.
06:23Associé à une idéologie capitaliste du monde occidental,
06:29ce sont les ingrédients en fait qui font prendre conscience aux soviétiques
06:32que le vrai danger, il est en Europe et particulièrement en Allemagne
06:37qui est une sorte de fer de lance des armées occidentales tournée vers Moscou.
06:42– C'est-à-dire que Moscou pouvait craindre les armées françaises, britanniques,
06:45voire les débuts de la Bundeswehr ?
06:48– Oui, alors la Bundeswehr, c'est vrai qu'il n'y avait pas grand-chose.
06:52Mais les puissances qui ont vainqueur, avec les Etats-Unis, menées par les Etats-Unis,
07:01c'est le danger, surtout que les Etats-Unis ont l'arme nucléaire à ce moment-là
07:05et pas encore l'Union soviétique.
07:07Donc c'est le danger principal, c'est la menace principale pour Moscou.
07:11– Alors à partir des années 70, vous évoquez une logique de sanctuarisation.
07:15Est-ce que vous pouvez nous expliquer ça plus concrètement ?
07:16– C'est-à-dire que depuis longtemps dans l'histoire russe
07:22et particulièrement dans l'histoire soviétique, russo-soviétique on va dire,
07:26après 1945, Moscou a ce sentiment d'être en permanence encerclée
07:34par des forces hostiles, donc le bloc occidental capitaliste
07:41pour la post-seconde guerre mondiale.
07:43Et cette menace permanente, ce risque d'incursion, de troubles menés par l'Occident
07:53va réduire la position soviétique.
07:57Et donc sanctuariser, c'est notamment dès que l'Union soviétique aura l'arme nucléaire,
08:02c'est l'usage de l'arme nucléaire si les intérêts vitaux de l'Union soviétique sont attaqués.
08:08Alors il y a toujours une zone grise sur ces intérêts vitaux.
08:11On ne dit pas lesquels ils sont, et même encore aujourd'hui, on le voit.
08:15La Russie joue sur ce tableau-là, sur cette peur et ce flou, cette zone grise.
08:22Donc Moscou sanctuarise l'URSS, la Russie, avec des armes nucléaires, prêts à les employer.
08:31Malgré tout, la posture est quand même défensive sur les armes nucléaires.
08:35– Est-ce qu'on peut parler d'une paranoïa quelque part ?
08:38On pouvait comprendre la part de Staline, mais après, est-ce que ça a continué ?
08:41– Oui, alors Staline, on a atteint le point maximal de la paranoïa, absolument.
08:46Après, cette paranoïa va descendre, ça va retomber, la vapeur va retomber un petit peu.
08:51Puis il y aura des échanges, de toute façon, entre Moscou et Washington,
08:54qui sont assez réguliers, justement pour éviter d'en arriver à cette guerre nucléaire totale,
08:59qui fait peur autant dans un camp que dans l'autre.
09:03On a souvent dit que les soviétiques étaient un peu fous,
09:06qu'ils étaient prêts à utiliser des armes nucléaires, pas du tout en fait.
09:08Ils sont très rationnels sur l'arme nucléaire, donc là-dessus, il n'y a pas de sujet.
09:13Mais les échanges entre Moscou et Washington vont maintenir cet équilibre de la terreur,
09:20ce qu'on appelle l'équilibre de la terreur.
09:21Mais il y aura des périodes, plus ou moins en tension,
09:25en fonction de ce qui va se passer à l'international aussi.
09:28– On va reparler de l'arme nucléaire tout à l'heure.
09:30Mais d'abord, cette armée soviétique, vous dites, elle dispose de trois grands atouts,
09:34la masse, l'épaisseur et la profondeur stratégique.
09:38Donc elle était souvent perçue comme…
09:40Est-ce que c'était la plus puissante du monde,
09:42ou est-ce que c'était un géant, un colosse au pied d'argile ?
09:44– Alors, elle était considérée comme la plus puissante du monde,
09:47en termes de puissance continentale, donc sur Terre.
09:51Il n'y en a pas d'équivalent, cette armée soviétique.
09:55Elle est surpuissante en termes de masse humaine,
10:00puisqu'il y a à peu près autour, au minimum, 2 millions de combattants.
10:04– Oui.
10:05– Les effectifs ont monté jusqu'à 6 millions,
10:07mais ça comprend beaucoup de personnel administratif, logistique, etc.
10:13Des métiers qui sont remplis par des personnels civils dans le camp occidental.
10:21Donc c'est une armée qui est pléthorique.
10:23C'est une armée qui, en termes d'industrie lourde, d'armement, est très performante.
10:28C'est une armée qui va produire énormément d'armes nucléaires.
10:33On va y avoir un stock considérable d'armes nucléaires,
10:35donc à partir du début des années 50, quand elle va se doter de l'arme nucléaire.
10:40C'est une armée qui a une logistique hypertrophiée,
10:44donc qui fait très attention à sa logistique,
10:46mais qui est une logistique, là aussi, en termes de matériel,
10:49qui est incroyablement à la fois puissante et à la fois nombreuse.
10:56Donc ça peut causer aussi des problèmes.
10:58Donc elle a quelques points faibles, si vous voulez,
11:00mais dans l'ensemble, c'est une armée qui est redoutable.
11:04– Mais quand vous dites, une armée technologiquement très avancée,
11:06elle ne surpassait pas l'armée américaine ?
11:08– Non, la guerre technologique n'a jamais été gagnée par l'URSS.
11:13Elle a toujours couru un petit peu après son opposant américain.
11:17Néanmoins, elle va mettre en place, dans les années 70,
11:20et surtout juste avant la fin de l'URSS, les années 80,
11:25grâce au maréchal Ogarkov, qui va réfléchir sur la technologie,
11:28la place de la technologie dans l'armée.
11:31Elle va se doter de systèmes très performants.
11:34Elle va même toucher du doigt tout ce qui est cybernétique.
11:38sans y arriver, parce qu'elle va s'effondrer finalement.
11:42– Alors je voudrais un peu détailler justement cette armée.
11:46Par exemple, la marine qui est souvent présentée comme un outil secondaire,
11:49donc est-ce que c'est une erreur ?
11:51Le rôle des sous-marins, puis les forces spéciales, les divisions blindées.
11:55Je rappelle, il y avait 50 divisions blindées,
11:58107 motorisées, 8 aéroportées.
12:00On parlait effectivement des troupes aéroportées.
12:03Et vous disiez, c'est une armée de conscription,
12:06s'il y a des appelés, qu'est-ce que c'est ?
12:08– Il y a une armée de conscription.
12:10Donc là aussi, la masse…
12:11– 500 000 appelés par an.
12:12– Oui, c'est énorme.
12:14Voilà.
12:15Donc il y a cette masse humaine qui est omniprésente
12:18tout au long de la guerre froide.
12:20En termes de…
12:22Si on regarde les différentes branches de l'armée soviétique,
12:24effectivement, c'est la terre qui a le dessus,
12:27c'est normal.
12:28Ça va avec sa géographie, qui est continentale.
12:30Sa marine, pourtant, elle a quelques fenêtres sur la mer,
12:35mais sa marine va toujours être une marine protection des approches,
12:39finalement.
12:40– Y compris la sous-marinale ?
12:41– Alors en surface.
12:42En surface, c'est protection des approches
12:44et éventuellement couper les lignes de ravitaillement
12:47entre les États-Unis et l'Europe de l'Ouest.
12:52Mais c'est surtout, effectivement, sa force sous-marine
12:54qui est redoutable,
12:56qui est une force sous-marine qui a été bâtie
12:58pour lutter contre le groupe aéronaval américain,
13:03qui est la grande force des États-Unis, son groupe aéronaval.
13:07Donc c'est une…
13:09Elle construit toute une série de sous-marins très performants
13:12pour lutter contre le groupe aéronaval
13:14et aussi pour…
13:17Donc c'est ce que nous appelons la force océanique stratégique,
13:19des SNLE,
13:21pour la dissuasion nucléaire
13:23et l'usage éventuel de l'arme nucléaire.
13:26– Et l'aviation ?
13:27– Alors sur l'aviation, l'armée soviétique a de très très bons matériels,
13:32représentés par Sukhoi notamment.
13:35Donc elle a une aviation qui…
13:36Là, elle capitalise sur la fin de la Seconde Guerre mondiale
13:40où elle a été particulièrement brillante
13:42dans la maîtrise du ciel et dans ses matériels et ses pilotes.
13:46Donc elle a une armée de l'air qui est très efficace,
13:48qui est redoutée,
13:50que ce soit une armée de chasse ou une armée stratégique,
13:52là aussi,
13:54donc sur le volet nucléaire.
13:55Donc l'armée de l'air,
13:58très bonne armée de l'air,
13:59armée de terre,
14:00bon,
14:01rien à dire,
14:02il n'y a que la marine de surface qui pêche.
14:03– Qui pêche,
14:04si on peut dire.
14:07Et au niveau humain,
14:09c'est une armée qui est très bien entraînée,
14:12qui est bien commandée,
14:13je crois qu'il manque cruellement de sous-officiers,
14:16il n'y a pas de corps intermédiaire,
14:18est-ce que c'est une armée qui serait très combative finalement ?
14:22– Alors au niveau de la combativité,
14:23il n'y a pas de doute là-dessus,
14:24puisque c'est une armée qui est quand même très idéologique,
14:27donc il y a une motivation idéologique qui est très forte.
14:31Effectivement, il n'y a pas ce chaînon majeur
14:35et très important dans nos armées occidentales,
14:37qui est le chaînon des sous-officiers.
14:39Il est inexistant, quasiment inexistant dans l'armée soviétique.
14:43Et il y a une extrême verticalité.
14:46Et donc ça, c'est le côté…
14:49Nous, c'est tout l'inverse dans nos armées.
14:52La liberté d'action est très réduite dans l'armée soviétique.
14:55– C'est une armée très rigide.
14:57– C'est une armée très rigide, très verticale.
14:59Les ordres avant tout,
15:01et la liberté d'action de celui qui doit exécuter l'ordre,
15:04est minime.
15:06Donc on le voit encore aujourd'hui dans l'armée russe.
15:09– Alors maintenant, je voudrais qu'on parle un petit peu
15:11du fameux plan, je vous disais en introduction,
15:137 jours jusqu'au Rhin.
15:17Donc ce plan, qu'aurait-il impliqué concrètement
15:21pour l'Europe occidentale ?
15:23Vous dites que le plan prévoit la destruction de grandes villes,
15:26belges, néerlandaises, allemandes.
15:30Et si le plan aboutit, l'OTAN ne pourrait plus réagir efficacement.
15:33Donc qu'est-ce que c'est avec ce plan de 7 jours jusqu'au Rhin ?
15:36– C'est un plan d'invasion de l'Europe de l'Ouest.
15:38Alors il y a plusieurs volets.
15:41Ce n'est pas tant l'invasion finalement que la suppression
15:44de tout ce que l'OTAN compte de structure,
15:49l'OTAN et l'Europe.
15:51Donc tout ce qui est centre politique, centre décisionnel.
15:56Donc c'est pour ça que les villes de Belgique sont particulièrement visées.
15:58les ports aux Pays-Bas pour casser l'arrivée du ravitaillement américain,
16:05par exemple, et la destruction des sites nucléaires d'Europe de l'Ouest
16:09pour éviter toute riposte.
16:11sachant que les soviétiques tablent beaucoup sur une crainte telle de la part des États-Unis
16:19qu'il n'y aurait pas de riposte de la part des Américains.
16:22La peur de l'usage de l'arme nucléaire,
16:25les soviétiques estiment que les Américains, au fond,
16:28seraient tétanisés à l'idée d'utiliser l'arme nucléaire depuis les États-Unis
16:33et donc que ça en resterait là.
16:37– Parce que dans ce plan de séjour, il n'y a pas de volet nucléaire ?
16:39– Il y a un volet nucléaire tactique.
16:41– Ok.
16:42– Donc, destruction des villes, des centres de commandement,
16:44des centres décisionnels politiques, alarmes nucléaires.
16:48Puis, envoient des troupes massives dans la plaine d'Europe centrale.
16:53Donc là, c'est les grandes trouées pour les troupes mécanisées et blindées
16:57avec plusieurs armées qui se répandent au moment où l'Europe de l'Ouest
17:04est choquée par cette attaque fulgurante nucléaire tactique.
17:08Là, l'armée soviétique et le pacte de Varsovie,
17:13puisqu'il y a les armées tchécoslovaques aussi,
17:15et Est-Allemande, envoient, font dérouler les troupes mécanisées et blindées
17:20dans la plaine d'Europe centrale.
17:21– Mais ils les font dérouler sur un terrain qui aurait été préalablement nucléialisé ?
17:26– Oui.
17:26– Ce qui est un peu dangereux pour les soldats qui vivent.
17:28– Alors, c'est dangereux, mais depuis les années 60,
17:32les soviétiques construisent des matériels aptes à résister
17:39ou à traverser des champs nucléaires, que ce soit pour le matériel éléphant à ça,
17:46et donc à mener des manœuvres sur des terrains contaminés.
17:53Donc là, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup d'entraînement.
17:55Les armées s'entraînent énormément depuis les années 60.
17:57à ce genre d'opérations très particulières, effectivement.
18:02– Donc on est vraiment dans un emploi préventif de l'arme nucléaire
18:06par le pacte de Varsovie, on n'est plus dans la dissuasion.
18:08– On n'est plus du tout dans la dissuasion, on est dans le…
18:12Moscou estime que le premier mouvement viendra de l'OTAN.
18:19Il en est persuadé, il est persuadé que c'est l'OTAN qui frappera le premier.
18:22Donc c'est une action préemptive d'attaquer avant que l'OTAN ne frappe.
18:27Et comme les soviétiques sont persuadés que l'OTAN frappera,
18:31ils se persuadent que finalement le fait d'attaquer en premier
18:34leur empêchera d'être envahis et détruits par l'OTAN.
18:38– Dans leur esprit, qu'est-ce qui pourrait déclencher justement
18:40un conflit sur le théâtre européen ?
18:42– C'est une action de l'OTAN contre l'URSS.
18:44– Oui, mais il y a toujours un élément déclencheur, si vous voulez.
18:48Enfin, il y a une accumulation, puis ensuite une étincelle.
18:50Donc dans leur esprit, quel était cette…
18:52– L'élément déclencheur pour eux, c'est simplement que les États-Unis
18:56et l'OTAN veulent en finir avec l'idéologie communiste
19:01et donc décident à la manière des Allemands en 1941
19:05de frapper le premier.
19:09– Alors, est-ce que ces plans à l'étude, est-ce que ces plans soviétiques
19:12vous paraissez réalistes ?
19:15– Absolument, oui, oui, tout à fait.
19:18Je pense que si les plans avaient été mis à exécution,
19:21ils auraient été très efficaces.
19:25Le fait d'envoyer des frappes nucléaires, même tactique,
19:29sur les grands centres de commandement et décisionnels,
19:32je pense que ça aurait été vraiment dévastateur.
19:34Et puis sur certaines villes aussi importantes d'Europe de l'Ouest,
19:37ça aurait créé une espèce de choc incroyable
19:40qui aurait permis justement aux troupes terrestres
19:43après de profiter de ce moment de flottement à l'Ouest
19:47pour déclencher l'orientation.
19:49– Parce qu'ils pensaient que l'OTAN, elle, n'employerait pas l'arme nucléaire.
19:53– Alors, l'objectif c'était de détruire,
19:56avant qu'elles ne l'utilisent, les armes nucléaires,
19:59les sites nucléaires de l'OTAN,
20:01en estimant que les États-Unis, depuis les États-Unis,
20:04n'utilisent jamais par peur…
20:06– Non, mais s'ils pensaient à une agression de l'OTAN,
20:08au départ c'était une agression conventionnelle.
20:10– C'est une agression conventionnelle,
20:11mais il y a toujours cette espèce de…
20:15L'arme nucléaire, finalement, c'est le fil rouge
20:17depuis qu'elle a été créée,
20:19c'est cette espèce de peur viscérale, de destruction totale,
20:24donc que ce soit nucléaire ou conventionnel, sûrement les deux,
20:28je pense que Moscou a imaginé que ça pouvait être combiné,
20:32comme eux le font d'ailleurs dans leur plan, finalement.
20:34– Alors, de l'autre côté, en Occident,
20:38est-ce que finalement les Occidentaux, l'OTAN, les États-Unis,
20:40avaient-ils connaissance de ces plans ?
20:42Ou est-ce que vous évoquez un voile idéologique,
20:45longtemps maintenu en Occident ?
20:48Alors, pourquoi est-ce que les États-Unis ont si mal compris
20:49leur adversaire soviétique ?
20:52– Alors, l'OTAN avait envisagé plusieurs scénarios d'invasion,
20:57ils avaient même envisagé un débarquement en Angleterre
21:00des forces de l'Union soviétique depuis la France et les Pays-Bas, etc.
21:08Mais finalement, ce qui s'est passé, c'est que durant toute la guerre froide,
21:13jusqu'à la fin des années 70,
21:15les États-Unis et l'OTAN n'ont jamais vraiment compris
21:20comment était constituée l'armée rouge
21:22et comment elle se battait réellement sur le terrain.
21:25Il y a une espèce de grand vide intellectuel chez le grand occidental.
21:32– Et même de l'avoir observé pendant les trois années,
21:35les quatre années de guerre mondiale, ils n'ont pas compris ?
21:37– Non, ils n'ont pas compris du tout comment elle fonctionnait.
21:40Et en fait, ils se sont fait leurrer.
21:43Ils se sont fait leurrer par les Allemands, en fait.
21:45– Expliquez-nous ça.
21:45– C'est ça qui est assez incroyable.
21:47– C'est-à-dire ?
21:47– C'est qu'à la fin de la guerre,
21:48les Américains ont recruté pas mal d'anciens officiers
21:52ou généraux de la Wehrmacht
21:53pour avoir des dossiers très détaillés,
21:59des études, des analyses sur l'armée rouge.
22:01– Faites par les officiers de la Wehrmacht ?
22:03– Par les officiers de la Wehrmacht,
22:04qui les avaient combattus sur le front de l'Est.
22:06Donc, ils se sont dit que c'était le meilleur moyen
22:08d'avoir finalement les analyses les plus fines.
22:13Et notamment, ils ont recruté l'ancien général Halder,
22:18Franz Halder, qui était le chef d'état-major de l'armée de terre.
22:22Et Halder va monter une équipe assez pléthorique d'analystes de la Wehrmacht
22:27et ils vont produire énormément, énormément.
22:29Et finalement, les Américains, ce qu'ils ont sous les yeux,
22:33c'est le descriptif d'une armée soviétique pléthorique, sauvage.
22:41Et finalement, c'est ça qui leur a permis de gagner cette guerre.
22:44C'est le sacrifice de millions d'hommes jetés dans la fournaise.
22:47Et ce n'est pas du tout le sens tactique ni stratégique des penseurs soviétiques.
22:55– Donc ça, c'était la perception…
22:57– C'est la perception des Américains.
22:58– Non, c'est la perception des Allemands.
23:00– Alors, les Allemands mentent, bien sûr.
23:01– Ah, les Allemands mentent.
23:02– Ils racontent n'importe quoi.
23:04Pour se dédouaner et pour sauvegarder l'honneur de la Wehrmacht,
23:07ils racontent que finalement, c'est la masse qui a eu raison de la Wehrmacht,
23:11qui a toujours été supérieure au niveau tactique,
23:13ce qui n'est pas faux d'ailleurs.
23:15Mais au niveau stratégique, c'est complètement planté.
23:20Donc oui, la masse a joué, mais il n'y a pas eu que ça.
23:22– Donc il y a une véritable désinformation voulue ?
23:24– Oui, oui, c'est voulue.
23:26C'est pour masquer, finalement, soit l'incompétence de la Wehrmacht sur le front russe,
23:33bon, je passe sur les massacres, etc.
23:37Et de ce fait, les Américains vont recevoir ces analyses,
23:41vont les tenir pour justes,
23:45et donc vont s'abreuver d'informations,
23:50de chiffres complètement erronés, en fait.
23:54Et donc ça, ça va durer jusque dans les années 70.
23:56– Oui, parce que dans les années 70, il y a un basculement.
23:58– Il y a un basculant complet, oui.
23:59– Expliquez-nous ce réveil occidental,
24:03quand a-t-il lieu et comment, et pourquoi ?
24:05– Alors, c'est dans les années 70,
24:07c'est des universitaires et des historiens,
24:09et notamment un qui s'appelle John Erickson,
24:11qui enseigne à Stenders, donc le collège, le lycée,
24:16enfin l'école militaire britannique.
24:20Et Erickson, en fait, va reprendre toutes les batailles de l'armée rouge
24:23de la Seconde Guerre mondiale pour bien comprendre, en fait,
24:26ce qui s'est vraiment passé,
24:28et bien comprendre comment cette armée s'articulait sur le champ de bataille.
24:30Il va décortiquer toutes les batailles,
24:34et il va trouver ce que nous, on appelle maintenant l'art opératif.
24:41Il va comprendre ce que c'est que l'art opératif sur le champ de bataille,
24:45comment les unités sont organisées,
24:47quels sont leurs rôles à un moment donné et sur un espace donné.
24:50Donc c'est cette vision, dans ces dimensions-là,
24:54dans le temps, dans l'espace,
24:57qui va faire prendre conscience à Erickson et à d'autres qui l'accompagnent,
25:01que finalement, si l'armée rouge a gagné contre l'Allemagne,
25:04c'est aussi qu'elle avait un sens stratégique très aiguisé,
25:09et une vision du champ de bataille qui n'avait rien à voir
25:11avec notre vision occidentale,
25:13où nous, on est plutôt, comme les Allemands d'ailleurs de la Seconde Guerre mondiale,
25:16très axés sur la tactique, sur le local et sur la bataille.
25:21Que les soviétiques ne voient pas la bataille, à proprement parler,
25:24ils voient l'enchaînement des opérations,
25:27et ils ont des buts stratégiques qui sont beaucoup plus poussés,
25:30et beaucoup plus clairs, surtout.
25:33Et c'est ça qui les différencie de notre approche.
25:37Ils ont une vision qui est globale de la guerre,
25:41des opérations, plus que de la bataille.
25:43– Et ça, c'est une spécificité russe ou soviétique ?
25:46– Alors c'est russe au départ,
25:47parce que c'est les dépenseurs de l'armée impériale
25:51à la fin du 19e siècle et au début du 20e qui vont la penser,
25:54mais ça va être retravaillé par les…
25:56beaucoup passeront dans l'armée rouge,
25:58ça va être retravaillé par l'armée rouge,
26:01et ça va être finalement peaufiné,
26:04et cette doctrine, cette vision de la guerre,
26:06va être mise en pratique pendant, à la fin,
26:10enfin dans la deuxième moitié de la guerre germano-soviétique,
26:13à partir de 1942-1943.
26:14– Et à partir du moment où, donc, c'était Ericsson,
26:20les armées de l'OTAN se disent,
26:24bon sang, mais c'est bien sûr ?
26:25– Bon sang, mais c'est bien sûr.
26:25– Et est-ce qu'on change les plans à ce moment-là ?
26:27– Alors, ces recherches vont essaimer aux États-Unis,
26:32dans plusieurs collèges militaires aux États-Unis,
26:37et il y a un historien qui va compter beaucoup,
26:41qui est officier dans l'armée américaine,
26:43qui est David Glantz, qui va s'imposer comme le grand spécialiste
26:47de l'armée rouge pendant la Seconde Guerre mondiale,
26:50et des opérations, il va même créer une revue sur le sujet,
26:54sur les armées soviétiques pendant la Seconde Guerre mondiale,
26:58et c'est lui qui va lui aussi redécortiquer toutes ces batailles,
27:02les ordres d'opérations, le matériel, etc.,
27:05et il va retracer, refaire cette histoire-là,
27:09pour mieux comprendre comment cette armée rouge a réussi
27:12à vaincre la Wehrmacht après avoir touché le fond.
27:16Donc ça, ça va essaimer jusqu'aux États-Unis,
27:19et après ça va remonter dans les États-majors,
27:21au niveau américain, puis après dans l'OTAN.
27:24– Alors quelles vont être les conséquences
27:25de cette découverte de l'art opératif ?
27:28– C'est que l'armée américaine va complètement revoir
27:30l'organisation, la structure de son armée de terre.
27:36– Oui.
27:37– Complètement.
27:37En se basant sur l'armée soviétique,
27:41la manière dont elle a organisé ses unités,
27:43les Américains vont complètement revoir l'organisation de leur armée.
27:46Et donc, tout ça va prendre le temps de se profiler.
27:52– Et concrètement, c'est-à-dire qu'on va développer
27:53plus une armée terrestre ?
27:55– Alors, au niveau de là, c'est vrai que la puissance soviétique,
27:59c'est une armée terrestre, donc les Américains vont…
28:01ils ont leur marine, qui est la première marine du monde,
28:04donc là-dessus, il n'y a pas de sujet,
28:05mais sur le côté terrestre, ils vont réorganiser leurs unités pour…
28:11ils vont avoir une vision du champ de bataille
28:13qui va être beaucoup plus large et beaucoup plus profonde
28:15à la manière des soviétiques,
28:17qui regardent toujours très très loin dans le dispositif adverse
28:19et ne s'arrêtent pas au local, à la bataille.
28:22Les Américains vont opter pour cette vision
28:25en allant plus profondément encore dans le champ de bataille,
28:28vont se concentrer sur les centres décisionnels, par exemple,
28:31décapiter l'adversaire plutôt que de l'anéantir.
28:33On va sortir de cette idée que, au fond,
28:37c'est la bataille qui règle une guerre,
28:39c'est une bataille ou sans bataille,
28:40à cette époque, comme depuis le début du XXe siècle,
28:45ce n'est plus possible.
28:46Une bataille ne résout pas une guerre, même sans bataille.
28:50Ce qu'il faut, c'est décapiter les centres de pouvoir,
28:52les centres industriels, etc.
28:53– Donc là, on sera art opératif contre art opératif, si je puis dire.
28:56– C'est un peu l'idée, puisque pendant la première guerre du Golfe,
29:01le général américain Schwarzkopf, qui dirige les troupes,
29:05qui est le commandement suprême des troupes alliées,
29:08parlera d'une opération, d'une percée,
29:14à la manière opérative, sous-entendue des soviétiques.
29:18– Alors, cette guerre froide prend fin entre 89 et 92.
29:26Est-ce qu'on peut dire quand même que, déjà,
29:27l'armée soviétique est sur le déclin à cette période ?
29:32Avec l'Afghanistan, le manque de crédit ?
29:36– Alors, il y a l'Afghanistan, effectivement, il y a les problèmes budgétaires.
29:39Elle reste quand même massive, efficace.
29:43Alors, en Afghanistan, ce n'est pas du tout la guerre…
29:46– Là, on n'est plus dans l'art opératif.
29:47– On n'est plus du tout là.
29:48Là, on est vraiment dans le type de guerre qu'on va connaître par la suite,
29:52en Afghanistan, enfin, troupes américaines, autant en Afghanistan.
29:55– Mais que les soviétiques ne connaissaient pas.
29:56– Et ne connaissaient pas du tout.
29:57Et donc, ils se sont retrouvés piégés en Afghanistan
29:59par cette nouvelle façon de faire la guerre,
30:01ce type de guérilla, en fait.
30:03Donc, ils vont s'adapter petit à petit.
30:04Mais le problème ne va pas être militaire, au fond.
30:06Ça va être comme toujours, ça va être un problème politique.
30:08Donc, ils vont se retirer d'Afghanistan.
30:10Ça va faire très, très mal à l'Union soviétique.
30:11On estime que, finalement, c'est un des jalons
30:14qui va participer à la chute de l'Union soviétique.
30:17Donc, elle reste quand même pléthorique, efficace.
30:23Elle a perdu la guerre technologique, la course technologique.
30:26Elle l'a perdue contre les États-Unis, c'est sûr.
30:28Malgré tout, elle reste une armée redoutable.
30:31– Justement, en quoi cette force soviétique,
30:34on va venir à aujourd'hui, finalement,
30:36on va tirer les leçons pour aujourd'hui.
30:38En quoi cette force soviétique annonce-t-elle
30:40un certain trait de la Russie d'aujourd'hui ?
30:44– Au fond, à partir des années…
30:48Il va y avoir une période assez moyenne
30:51entre la fin de l'Union soviétique
30:53où l'armée soviétique va s'effondrer,
30:58va se déliter.
31:00C'est toute la Russie, au fond,
31:01qui va sombrer dans le gouffre.
31:04Et l'armée soviétique sera un effet…
31:06C'est un miroir de la société russe.
31:08L'armée russe de 1991, corruption, drogue, alcoolisme.
31:14Comme assassinat, mafia, trafic d'armes.
31:18D'armes, parfois, très, très lourdes.
31:20On vend des chars d'assaut, on vend des avions.
31:24Enfin, c'est le grand n'importe quoi.
31:26Il y a un taux de corruption qui est très élevé.
31:30Et donc, à partir du début des années 2000,
31:33cette armée va être reprise en main.
31:34Pas notamment, mais par Vladimir Poutine.
31:40– Et sinon, la logique impériale est toujours la même ?
31:43On est toujours, finalement, dans cette idée
31:45d'une forteresse assiégée ?
31:48– Alors, l'idée d'être assiégée
31:51et d'être encerclée de dangers,
31:53c'est une permanence chez les Russes.
31:56Il y a toujours ce côté un peu paranoïaque
31:58de le monde extérieur nouveau du mal
32:01et prêt à déstabiliser, à nous déstabiliser
32:06par divers moyens, pas forcément par la lutte armée.
32:10Donc, pour ça, ce qu'ils craignent,
32:13c'est toutes les révolutions de couleur.
32:16Il y avait eu la révolution orange en Ukraine, notamment.
32:19Et donc, ça, pour eux, c'est un danger qui est majeur.
32:23Et donc, ils se sentent en danger par rapport à ça.
32:25Dans leur zone d'influence et leur étranger proche.
32:29Ils se sentent déstabilisés par ça.
32:32Au niveau de la doctrine militaire,
32:34il va y avoir un retournement, en fait.
32:35On ne va plus rester sur le modèle soviétique.
32:38On va quitter le modèle soviétique.
32:39À partir des années 2010,
32:42avec notamment Gerasimov,
32:44un chef d'état-major, un penseur militaire brillant,
32:46va, en réalité, se leurrer,
32:50c'est assez intéressant,
32:51sur les résultats de la guerre froide.
32:53C'est pourquoi l'URSS a perdu, finalement.
32:55Elle a perdu sans faire la guerre.
32:57Et les Américains ont gagné sans faire la guerre.
32:59Donc, il va repenser toute la doctrine
33:02et tout le rôle de l'armée sous ce prisme-là.
33:07Et il pense que, finalement, si l'URSS a perdu,
33:11c'est parce que les Américains ont mené une guerre dite hybride.
33:14C'est-à-dire qui n'est pas seulement militaire,
33:16mais qui est informationnelle,
33:17dans la désinformation, dans le cybernétique, etc.
33:20Donc, il va faire en sorte que, finalement,
33:23que l'armée russe, on va copier le modèle
33:25et on va, finalement, le russifier.
33:28C'est-à-dire, on ne va pas le copier
33:30exactement comme les Américains,
33:33mais les Russes vont créer leur propre modèle
33:35de guerre dite non linéaire,
33:36puisque le terme russe, c'est des guerres non linéaires.
33:38Et donc, ça va être des effectifs réduits,
33:42rôle prépondérant ou très important d'effort spécial,
33:46donc le cyber, la lutte informationnelle,
33:50la déstabilisation, la corruption de régimes étrangers, etc.
33:54Et donc, c'est cette doctrine-là qui va prévaloir
33:58et qui, encore aujourd'hui, est dans tous les esprits en Russie.
34:05Le chercheur Dimitri Minich parle, à juste titre,
34:09de contournement de la lutte armée.
34:11La Russie opte pour un contournement du choc frontal.
34:14Maintenant, on fait la guerre que si on y est poussé,
34:18parce que les autres moyens n'ont pas fonctionné,
34:20mais c'est ce qui s'est passé en Crimée, par exemple,
34:23avec l'envoi de forces spéciales, de désinformation, d'intimidation.
34:27On a tout ce qui s'est passé dans le Donbass en 2014-2015 aussi,
34:31donc des conseillers militaires, du matériel,
34:34mais pas d'engagement frontal.
34:36Et donc, la Russie est restée sur cette doctrine-là.
34:39Et c'est ce qui lui a coûté la victoire, finalement, en 2022.
34:44Donc, c'est ça, cette façon de voir la guerre.
34:47Elle a suivi, finalement, le mouvement occidental,
34:49qui était plus dans la contre-guérilla,
34:54ou l'envoi de forces spéciales pour lutter contre les djihadistes au Sahel, etc.
34:58Il n'y avait plus, le choc frontal avait disparu.
35:02– Alors, on va terminer là-dessus.
35:03Donc, en quelques mots, est-ce que, pour vous,
35:05le péril rouge, comme on l'appelait,
35:08est-ce que c'était une illusion stratégique,
35:10ou bien c'était une menace suspendue,
35:13dont la dissuasion nucléaire a été ?
35:16– Je pense que c'était une menace qui était bien réelle,
35:21mais il ne faut…
35:21Enfin, c'est difficile.
35:23Il ne faut pas non plus l'exagérer.
35:24C'est-à-dire, il ne faut pas en faire la matrice
35:27d'une pensée exclusive sur l'Union soviétique
35:31va réellement envahir l'Europe de l'Ouest
35:33et on va tous être asservis et vivre sous le drapeau rouge.
35:36L'Union soviétique, dans son esprit,
35:41c'était vraiment pour lutter contre une agression de l'OTAN.
35:45Donc, c'est la perception de l'autre qui est intéressante,
35:48je trouve, qui est vraiment intéressante.
35:51Et donc, à ce moment-là, l'Union soviétique
35:53est plus dans le domaine de la riposte
35:56ou d'anticipation d'une attaque
35:58et pas dans une volonté express d'envahir à tout prix
36:01jusqu'à Brest, jusqu'à la Manche, l'Europe de l'Ouest.
36:04Et c'est comme ça qu'il faut le voir.
36:07– Boris Laurent, merci infiniment.
36:09Je rappelle votre ouvrage,
36:10Une histoire de l'armée russe,
36:12des Tsars à Poutine, paru chez Nouveau Monde,
36:15ainsi que le dossier sur la guerre froide,
36:17paru dans la revue d'Histoire européenne.
36:21Avant de nous quitter, direction Nîmes,
36:23au musée de la Romanité,
36:25pour une exposition ambitieuse, gaulois mais romain.
36:29Conçue en partenariat avec le musée d'archéologie nationale
36:32de Saint-Germain-en-Laye,
36:33cette exposition temporaire,
36:34visible jusqu'au 4 janvier prochain,
36:37propose une plongée dans la Gaule romaine,
36:39cette période charnière
36:40où l'on passe du monde celtique
36:42à une culture galo-romaine.
36:44Le propos est clair,
36:45montrer que la conquête romaine
36:46ne s'est pas traduite par une simple disparition
36:48des traditions gauloises,
36:50mais par une adaptation, une fusion culturelle.
36:52Une romanisation bien réelle, certes,
36:55mais qui n'a pas gommé les héritages locaux.
36:57On découvre ainsi une société complexe,
36:59façonnée autant par les dieux celtes
37:01que par les lois de Rome,
37:02les pratiques rurales que par les institutions impériales.
37:06L'exposition s'organise en trois temps.
37:08D'abord une immersion dans la vie quotidienne des galos romains,
37:11des objets du quotidien, des stèles, des bijoux,
37:13mais aussi des outils et des reconstitutions 3D,
37:17comme celle d'une villa rurale du nord de la Gaule,
37:19permettent de visualiser cette vie à la romaine,
37:22vécue entre tradition et nouveauté.
37:24La deuxième séquence explore la sphère religieuse.
37:27Ici, le syncrétisme prend tout son sens.
37:30On voit cohabiter divinités celtiques et panthéons gréco-romains.
37:34Les ex-votos, des masques, des statuettes,
37:36évoquent les pratiques rituelles
37:38et les croyances de ces sociétés rurales
37:40où l'on priait Mercure avec une serpe
37:42et Apollon sous son nom gaulois.
37:44Enfin, la dernière section propose un retour critique
37:47sur la manière dont cette histoire a été redécouverte,
37:50souvent reconstruite, notamment au XIXe siècle,
37:52sous l'impulsion de Napoléon III.
37:55C'est l'occasion de rappeler combien notre imaginaire des Gaulois
37:58a été forgé par une archéologie souvent idéologisée,
38:02nourrie de clichés autant que de science.
38:04Si certaines transitions entre les périodes
38:06ou les thèmes peuvent parfois manquer de fluidité,
38:09la richesse du parcours, la qualité des objets exposés
38:12et l'approche pédagogique,
38:13notamment grâce aux dispositifs numériques,
38:15en font une exposition solide, bien rythmée
38:17et accessible à tous les publics.
38:19En résumé, une exposition à ne pas manquer,
38:22elle offre une belle occasion de dépasser les caricatures,
38:25de revisiter notre histoire avec nuance
38:27et de découvrir, loin des stéréotypes,
38:29une Gaule qui fait bien plus qu'une simple province conquise,
38:32une Gaule devenue romaine,
38:34mais sans renier son identité.
38:36C'était Passé Présent, l'émission historique de TVL,
38:39réalisée en partenariat avec la revue d'Histoire européenne.
38:43Avant de nous quitter, n'oubliez pas bien sûr
38:44de cliquer sur le pouce levé sous la vidéo
38:46et de vous abonner à notre chaîne YouTube.
38:49Merci et à bientôt.
38:52Sous-titrage Société Radio-Canada
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