Israël a visé des sites liés au programme nucléaire iranien et tué des gardiens de la Révolution Iranienne. Une attaque à laquelle l'Iran a riposté, faisant au moins 13 morts côté israélien. De son côté, Donald Trump menace le régime de Téhéran d'une réplique maximale s'il attaque les États-Unis. Le conflit risque-t-il de s'étendre dans la région ? La désescalade est-elle encore possible ? Regardez l'analyse de Frédéric Encel, docteur en géopolitique et enseignant à Sciences Po Paris, auteur de "La Guerre mondiale n'aura pas lieu. Les raisons géopolitiques d'espérer" (Odile Jacob, 2025). Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 16 juin 2025.
00:05Il est 8h17, l'interview d'Amandine Bégaud alors que la nuit a encore été très tendue et meurtrière entre Israël et l'Iran.
00:10Vous avez choisi de nous donner quelques clés de compréhension de ce qu'il se passe depuis vendredi et qui nous inquiètent grandement.
00:16Alors Amandine, vous avez choisi d'inviter Frédéric Ancel et on pourra toujours s'accrocher au titre de son dernier livre
00:21La guerre mondiale n'aura pas lieu pour ne pas désespérer. Bonjour et bienvenue à vous.
00:25Bonjour Frédéric Ancel.
00:27Bonjour.
00:27Merci d'être en ligne avec nous. Ce matin, plusieurs grandes villes d'Israël, on l'évoquait dans le journal, ont à nouveau été visées par des missiles iraniens.
00:34Au moins 5 morts d'après les secours. Dans le même temps, l'armée israélienne a procédé à de nouvelles frappes.
00:40Et le ton monte clairement puisqu'Israël avertit désormais que les habitants de Téhéran payeront le prix des frappes iraniennes.
00:47C'est une guerre Frédéric Ancel, on est d'accord ?
00:50On est d'accord, c'est une guerre, je le dis depuis plusieurs jours.
00:52C'est-à-dire que jusqu'à présent, il y avait des frappes ciblées, des menées israéliennes depuis d'ailleurs plusieurs,
00:58enfin au moins deux décennies en tout cas, en Iran, toujours visant ce processus de nucléarisation considéré par les Israéliens
01:05comme potentiellement mortels en fait, exterminateurs.
01:09Mais là, effectivement, c'est une vraie guerre.
01:10L'État-major a décidé d'en finir, alors non pas de manière définitive et totale parce que ce n'est pas possible,
01:15mais en tout cas d'en finir avec l'épée de Damoclès immédiate.
01:18Aujourd'hui, l'objectif d'Israël, il est clair, je le dis en un mot, c'est de gagner du temps,
01:22plusieurs années, peut-être plusieurs décennies, en attendant soit que le régime change,
01:26soit qu'un nouveau dôme de fer encore beaucoup plus efficace puisse protéger définitivement Israël.
01:31Mais ce qui peut surprendre les non-spécialistes, c'est le décalage entre ce qui se passe ce matin et ce qu'on disait vendredi matin.
01:38Vendredi matin, lors des premières frappes israéliennes, beaucoup doutaient de la capacité de l'Iran à riposter.
01:44Est-ce que vous aussi, par exemple, vous avez été surpris ?
01:47Non, non, pas du tout. On connaît parfaitement le système balistique iranien.
01:51Et je vais même vous dire mieux, c'est pratiquement le seul élément militaire sérieux dont dispose la République islamique d'Iran.
01:57Mais ça veut dire que l'Iran a les moyens de tenir ?
02:00Oui, oui. Alors, tout dépend de ce que vous appelez tenir.
02:02Parce qu'en réalité, fondamentalement, aujourd'hui, l'enjeu de cette guerre,
02:07parce qu'il faut bien employer le mot, vous avez raison,
02:09c'est la capacité nucléaire iranienne, oui ou non.
02:12Donc, les Iraniens peuvent bien continuer à frapper des immeubles civils en Israël
02:16et malheureusement pour les Israéliens, à tuer des civils.
02:19Mais à la fin des fins, si ça se poursuit, et je pense que ça va se poursuivre,
02:22comme je vous l'ai dit, l'Iran aura perdu sa capacité nucléaire immédiate.
02:26Et c'est ça, tout l'enjeu de la guerre.
02:27Ça va se poursuivre, nous dites-vous ce matin, Frédéric Ancel, combien de temps ?
02:31Des semaines ? Des mois ?
02:32Non, des mois, je crois que ce n'est pas possible.
02:35L'Iran ne peut pas tenir plusieurs mois à ce rythme-là.
02:37D'une part, d'autre part, son espace aérien est nu, je le dis depuis octobre dernier,
02:41depuis l'écrasement du Hezbollah par Israël, et l'intervention israélienne en Iran.
02:47Et d'autre part, les États-Unis, même s'ils n'interviennent pas directement,
02:51continueront de toute façon à prodiguer à Israël les munitions, les armes,
02:56et parfois les pièces détachées d'avionique qu'il leur faut.
02:59Donc, je pense que ça peut durer plusieurs jours, ça c'est une certitude, plusieurs semaines.
03:03Mais ce n'est pas une question de moi.
03:04Vous évoquiez les États-Unis, venons-en justement à Donald Trump,
03:07qui s'est dit hier, ouvert à ce que le président russe, Vladimir Poutine,
03:10joue un rôle de médiateur dans ce conflit.
03:13Quand on entend ça, franchement, on se dit que c'est un peu n'importe quoi, non ?
03:16Ah mais oui, mais on se dit que c'est n'importe quoi, parce que c'est vrai,
03:19parce qu'on a un enfant roi à la tête des États-Unis,
03:22notamment en termes d'affaires internationales.
03:24Mais écoutez, non seulement il accorde à Poutine un rôle ou une mission
03:28de manière absolument stupéfiante,
03:30mais je rappelle que sur le plan du nucléaire iranien,
03:33c'est bien le président Trump, numéro un,
03:35qui déjà à l'époque, en 2018, avait cassé l'accord qui avait été trouvé
03:39entre la communauté internationale et l'Iran,
03:42accord sur lequel finalement il revenait ces dernières semaines
03:45dans des négociations à la tête desquelles vous aviez un promoteur immobilier.
03:49C'est un enfant roi impuissant quand même.
03:51Alors attention, il pourrait être parfaitement puissant
03:55et la République islamique d'Iran devrait réfléchir à deux fois
03:58avant de toucher des objectifs américains dans la région,
04:01parce que sur le plan militaire, les États-Unis restent absolument déterminants.
04:05En revanche, l'imprévisibilité et l'inconséquence,
04:08employons le mot, du président des États-Unis,
04:11ça effectivement, c'est un objet géopolitique
04:13qu'on connaît déjà depuis pas mal d'années et qui ne se dément pas.
04:16Ce qui veut dire que si les intérêts américains étaient visés d'une manière ou d'une autre,
04:19les États-Unis entreraient en guerre, ça ne fait aucun doute ?
04:23La réponse est oui, ça ne fait aucun doute.
04:25Et c'est la raison pour laquelle les Iraniens jusqu'à présent
04:27font en sorte de ne cibler que des cibles israéliennes.
04:33Tout ça se joue sur un fil.
04:35Frédéric Ancel, vous connaissez extrêmement bien la société israélienne.
04:38On sait que les Israéliens soutiennent de moins en moins l'offensive sur Gaza.
04:42Que disent-ils de ces attaques sur l'Iran ?
04:45Exactement le contraire.
04:46C'est-à-dire qu'autant, et vous avez tout à fait raison de rappeler
04:48que la majorité des Israéliens, une grande majorité critique
04:51et condamne très durement son gouvernement, d'ailleurs,
04:54et notamment Netanyahou et en particulier depuis le massacre du Hamas du 7 octobre.
04:57En revanche, là, il n'y a pas de débat.
04:59D'abord parce que le nucléaire iranien est perçu comme potentiellement exterminateur
05:08pour la société israélienne, ce qui d'ailleurs n'est pas idiot, d'une part.
05:11D'autre part, parce que là, il n'y a pas de question identitaire.
05:14Il n'y a pas de territoire palestinien, il n'y a pas d'humanitaire, il n'y a pas de politique.
05:17On n'est même pas dans une dimension biblique pour les sionistes religieux.
05:21Là, c'est un problème strictement militaire et existentiel.
05:23Et tout cela, j'imagine, Benyamin Netanyahou le sait.
05:26Est-ce qu'on peut aller jusqu'à dire que ce n'est peut-être pas un hasard
05:30s'il fait ça maintenant pour se redorer son blason peut-être auprès de sa population ?
05:36Alors, c'est une hypothèse.
05:38Pourquoi pas ? Je note quand même toutefois qu'en 2002, lorsque l'AIEA...
05:43Alors l'AIEA, ce n'est pas le Likoud de Netanyahou, c'est l'Agence internationale
05:46de l'énergie atomique à Vienne, commence à stigmatiser très durement l'Iran
05:50justement pour ses mensonges liés au processus de nucléarisation.
05:53Mais Netanyahou, il n'est même pas revenu au pouvoir en Israël.
05:55Il ne revient qu'en 2009.
05:56Autrement dit, tous les premiers ministres israéliens ont toujours averti que de toute façon,
06:00l'Iran ne pourrait pas avoir la bombe.
06:02Sinon, ce serait potentiellement une nouvelle Shoah.
06:05Et du point de vue israélien, que ce soit Netanyahou ou pas, au fond, on est tout à fait d'accord avec ça.
06:11Bon, ça n'est pas donc qu'une manœuvre politique, comme peuvent le dire certains.
06:15Non, je n'y crois pas.
06:16Mais je crois d'autant moins que cette même AIEA, il y a quelques jours seulement,
06:19avant l'offensive israélienne, disait, voilà, là on est en train d'atteindre le seuil critique
06:23au-delà duquel on ne pourra plus empêcher l'Iran de transgresser le traité de non-prolifération de 1968.
06:29Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que tout cela change la donne pour bien des pays occidentaux.
06:33On le voit très bien avec la France.
06:35Emmanuel Macron a clairement changé de ton.
06:38Il écarte désormais son intention de reconnaître la Palestine, en tout cas pour tout de suite.
06:42Il n'avait pas le choix, le président français, de faire autre chose ?
06:46Il n'avait pas le choix.
06:47Les Occidentaux n'ont pas le choix.
06:48Mais je vais vous dire, au-delà de ça, c'est le monde entier qui ne veut pas de prolifération nucléaire.
06:53Et notamment lié à l'Iran.
06:54Quand je vous parlais de 2002, je vous donne une dernière date, le 1er janvier 2007,
06:58le Conseil de sécurité des Nations, donc la France, bien évidemment, mais dont aussi la Chine et la Russie,
07:03on est en 2007, lance un grand plan, un train de sanctions qui court toujours d'ailleurs contre l'Iran,
07:09précisément parce que personne au monde, et alors je vais vous dire, surtout pas les voisins arabes,
07:14notamment l'Arabie saoudite, personne au monde ne veut que l'Iran atteigne ce seuil de nucléarisation militaire.
07:20Donc la France, de ce point de vue-là, j'ai presque envie de vous dire qu'elle est dans le consensus,
07:24et je pense que pour bien comprendre la position du président de la République,
07:27il faut absolument découpler la question, enfin le dossier palestinien, et notamment de Gaza,
07:33et celui de l'Iran, sinon on ne comprend pas.
07:34D'un côté, on a du politique et de l'humanitaire, mais de l'autre côté, on a du militaire qui concerne le monde entier.
07:39La guerre mondiale n'aura pas lieu.
07:41C'est le titre de votre dernier livre, Frédéric Ancel, publié fin février chez Audit Jacob.
07:46Vous y croyez toujours, la guerre mondiale n'aura pas lieu, vraiment ?
07:50Mais plus que jamais, puisqu'on assiste à un conflit qui n'est que localisé.
07:54Regardez à quel point aujourd'hui, personne ne soutient l'Iran.
07:57Personne ne soutient sérieusement l'Iran, et notamment sur le plan militaire.
08:01Et du côté israélien, certes, les matériels sont d'origine américaine,
08:05mais il ne vous aura pas échappé que les Américains, et évidemment les Français et les Britanniens,
08:09ne participent pas aux opérations.
08:11Donc on a, pour la énième fois, un conflit localisé,
08:13et entre parenthèses, c'est pareil en Ukraine et en Russie,
08:16on a des conflits localisés, mais il n'y aura pas de guerre mondiale.
08:19Vous en êtes convaincu ?
08:21J'en suis absolument convaincu.
08:22Merci beaucoup, en tout cas, Frédéric Ancel, d'avoir pris le temps de nous aider à y voir plus clair ce matin.
08:28Et je rappelle donc le titre de ce livre,
08:29La guerre mondiale n'aura pas lieu, c'est publié chez Audit Jacob.
08:32La guerre mondiale n'aura pas lieu, c'est publié chez Audit Jacob.