"Je trouve injuste que, certains qui, souvent, ont plus de moyens que d'autres, s'affranchissent de ce paiement d'impôts"
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00:00Avec Christophe Perrault, vous êtes donc magistrat et directeur de ces hommes et ces femmes qu'on vient d'entendre,
00:06l'Office National Antifraude. D'abord, juste des ordres de grandeur.
00:10De quoi parle-t-on quand on parle de fraude fiscale ? Combien ça représente aujourd'hui ?
00:16Alors, c'est une question à laquelle il est toujours très difficile de répondre,
00:19parce que par essence, la fraude, elle est dissimulée, donc je ne peux pas vous répondre.
00:22Moi, je ne peux vous parler que des dossiers dont je suis saisi,
00:25c'est-à-dire que les fraudes les plus complexes, les plus importantes,
00:28puisque nous sommes saisis, nous, par des magistrats, uniquement par des magistrats,
00:31lorsque l'administration fiscale, elle n'y arrive plus. Elle n'y arrive pas.
00:35Parce que c'est trop compliqué. Parce que les fraudeurs ont mis en place des systèmes de fraude
00:39tellement complexes, tellement à l'étranger, que l'administration fiscale est le but.
00:43Ce sont des professionnels.
00:45Ce sont des professionnels, ou qui ont recours à des professionnels.
00:48On entendait dans le reportage de Camille Revelle, cette voix masquée,
00:51ça veut dire que ces hommes, ces femmes, ils courent un danger ?
00:54Alors, il peut arriver qu'effectivement, nous nous attaquions à des circuits,
00:58et notamment s'agissant du blanchiment de la fraude fiscale,
01:01où il y a des connexions qui existent entre le grand renditisme et le fraudeur fiscal.
01:05C'est-à-dire que nous sommes ici dans le 16e arrondissement.
01:06Pour avoir quelqu'un qui décide de mettre de côté de l'argent
01:11parce qu'il ne veut pas payer d'impôts,
01:12le liquide qu'il va récupérer peut venir d'un plan de stup de la Castellane.
01:16Il faut nous donner des exemples.
01:18Quel est le plus gros dossier, le dossier le plus significatif à vos yeux
01:22parmi les dernières affaires que vous avez résolues ?
01:25Alors, la spécificité de ce service, c'est que nous ne parlons pas des dossiers.
01:29Je travaille sous la direction des magistrats, des procureurs, des juges,
01:33je suis ma même magistrat,
01:34donc je suis très attentif au respect du secret de l'information et de l'enquête.
01:38Camille Revelle.
01:39On parlait, je vais quand même vous donner des chiffres,
01:42vous avez 900 affaires, il y en a plus, 300 enquêteurs.
01:44Est-ce que vous avez les moyens de travailler ?
01:46Est-ce que vous êtes obligé de faire du tri ?
01:48Alors, bien évidemment, comme tout chef de service,
01:50je serais tenté de vous dire, il me faut plus de moyens,
01:52non pas parce que je voudrais grandir,
01:54mais c'est parce que d'abord, on rapporte beaucoup plus que ce qu'on coûte.
01:56Quand on saisit 600 millions d'euros d'avoir par an,
02:00je coûte moins de 600 millions d'euros d'avoir,
02:04de frais publics.
02:07Mais à côté de cela, moi j'ai besoin aussi de moyens aujourd'hui
02:10qui sont d'ordre technologique, technique,
02:13puisqu'il nous faut saisir de la donnée,
02:14traiter de la donnée particulièrement importante,
02:17récupérer de la donnée à l'étranger,
02:18des teraoctets à analyser, à structurer,
02:21pour essayer de comprendre où est la fraude.
02:23Parce que c'est de cela dont il s'agit.
02:24J'allais vous poser la question,
02:24parce qu'elle s'est complexifiée la fraude avec l'informatique,
02:27on pense aux cryptomonnaies d'ailleurs,
02:29dont on parle beaucoup ces temps-ci,
02:30ça complique votre travail ?
02:32Alors, ça peut compliquer si on ne fait pas d'investissement,
02:34si on ne cherche pas à comprendre ce qu'est la cryptomonnaie.
02:36Quand je suis arrivé au service,
02:38j'ai donné pour instruction de former tous mes agents à la cryptomonnaie.
02:40Et à partir de là, on a détecté des fraudes
02:43qu'on ne détectait pas parce qu'on ne les voyait pas, en fait.
02:46Et ça facilite vraiment le blanchiment dans certaines affaires ?
02:51Oui, oui, ça peut.
02:52Vous savez, le blanchiment, c'est une prestation.
02:54Qu'est-ce que vous voulez que je vous fasse ?
02:55Est-ce que vous voulez que je vous accepte un appartement à Dubaï,
02:57une voiture de luxe ici à Paris,
02:59un appartement à Mégevres ?
03:02Les prestataires de blanchiment vont vous offrir ce que vous cherchez.
03:04Et ça peut être des comptes en cryptomonnaie, effectivement.
03:06Cet enquêteur, Georges, il me disait aussi,
03:08moi je suis là pour qu'un jour on dise c'est fiscal et c'est grave.
03:11Est-ce que vous pensez qu'on ne prend pas assez la fraude fiscale au sérieux,
03:14collectivement, qu'on se dit finalement,
03:16bon, ben, ce n'est pas si grave que ça ?
03:18Oui, oui, je pense effectivement.
03:20Et politiquement, d'ailleurs.
03:20Tout à fait.
03:21Comme tous, moi j'aimerais payer moins d'impôts.
03:23Mais à partir du moment où il faut des impôts,
03:25parce que c'est d'ailleurs prévu par la Déclaration des droits de l'homme,
03:27et puis si on veut des routes, si on veut des hôpitaux,
03:30si on veut des policiers, il faut payer des impôts.
03:32À partir du moment où c'est voté, la loi est votée,
03:34moi je trouve très injuste que certains,
03:36qui souvent ont plus de moyens que d'autres,
03:38ont plus de relations, ont plus de connaissances,
03:41eh bien, s'affranchissent de ce paiement d'impôts.
03:43Je trouve ça injuste parce que moi, quand je vais acheter mon pain,
03:45quand je paye d'essence, je paye de la TVA, je paye des taxes,
03:48et il est anormal que ceux qui ont plus de moyens que moi,
03:50que vous, que nos concitoyens, s'affranchissent de cette obligation.
03:54On a vu dans un courrier au magistrat la semaine dernière,
03:56le ministre de la Justice, Gérald Darmanin,
03:57envisager des peines de prison moins systématiques,
04:00voire pas systématiques du tout, pour la délinquance financière.
04:03Est-ce que ça vous inquiète ?
04:05Ça m'est difficile de vous répondre par rapport à un ministre
04:07qui est le mien, parce que je suis magistrat,
04:10mais moi je souhaite qu'effectivement,
04:12il y ait non seulement de la saisie des avoirs,
04:14qu'on récupère l'argent qui n'a pas été payé,
04:16ou qui a été détourné,
04:18mais je souhaite également que,
04:19dès lors que, s'agissant des affaires que je traite,
04:22ce ne sont pas des fraudeurs, ce ne sont plus des fraudeurs,
04:24ce sont des délinquants.
04:24Ce sont des délinquants, voire des criminels.
04:27Ce sont des délinquants.
04:28Le fraudeur fiscal, c'est 7 ans encourus.
04:31Ce n'est pas énorme, c'est un cambriolage.
04:33C'est 7 ans encourus par le fraudeur fiscal.
04:35Mais, quelqu'un qui escroque les finances publiques,
04:38il y a une loi qui est en train d'être votée actuellement,
04:41et qui prévoit que l'escroquerie aux finances publiques,
04:43en va l'organiser, c'est 15 ans de réclusion criminelle.
04:4615 ans de réclusion criminelle.
04:46Parce qu'on parle, parce que vous nous dites vol, cambriolage,
04:50là on parle de braquage à très très grande échelle,
04:52si vous me passez l'expression, pardon encore une fois,
04:55les ordres de grandeur.
04:55Quels sont les ordres de grandeur des plus grosses affaires
04:58que vous avez eues à traiter ?
04:59Nous avons des affaires où des enjeux sont à plusieurs centaines de millions.
05:03Plusieurs centaines de millions d'euros.
05:04Donc des personnes en bande organisée qui vont subtiliser,
05:08en quelque sorte, des centaines de millions d'euros
05:10aux contribuables à l'État.
05:13Pour vous donner un ordre de grandeur,
05:15sur les escroqués aux finances publiques,
05:16on est saisi de 60 affaires.
05:18On a établi, nous, que d'ores et déjà,
05:20380 millions d'euros avaient été donnés
05:23à ces organisations criminelles
05:26qui avaient fait des faux,
05:28qui avaient escroqué l'oncle État.
05:29Mais donnés ?
05:30Donnés, c'est-à-dire que là où vous allez avoir des difficultés
05:34à remplir votre dossier MaPrimeRénov',
05:35eux, ils vont savoir très bien comment il faut faire
05:37et ils vont constituer des dossiers qui sont totalement faux
05:40et récupérer ainsi de l'argent, MaPrimeRénov',
05:41certificat d'économie d'énergie,
05:43le compte personnel de formation.
05:45Tout cela, ces 60 dossiers,
05:46nous, on a 380 millions d'euros qui ont été donnés.
05:49Ce n'est pas des droits éludés,
05:50c'est de l'argent qu'on donne.
05:51Une dernière question, Camille.
05:52C'est quoi le portrait robot du gros fraudeur fiscal aujourd'hui ?
05:55J'espère que ce n'est pas quelqu'un autour de la table, c'est tout.
05:57C'est quelqu'un qui d'abord a de l'argent, voilà.
06:01Qui a de l'argent.
06:02Et juste une dernière chose, cette fraude.
06:04On vous pose la question de l'évolution,
06:06notamment liée aux technologies,
06:07l'internationalisation,
06:08tout ça, c'est une réalité aussi.
06:10On a maintenant des réseaux qui agissent de l'étranger ?
06:14Tout à fait.
06:1595% des dossiers que nous traitons au service
06:17sont des dossiers qui ont, à un moment ou à un autre,
06:20un élément qui se passe à l'étranger.
06:2195%.
06:22Avec des trous noirs,
06:23certains pays qui ne répondent pas du tout,
06:24Hong Kong, Dubaï,
06:25qui vont nous faire des difficultés.
06:26Et puis d'autres, plus ou moins collaboratifs, ça dépend.