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  • 19/05/2025
Chères lectrices, chers lecteurs,

Mardi 13 mai, nous avons eu le plaisir de recevoir Étienne Fabre pour échanger autour de son premier roman consacré à un écrivain hors-pair qui connut un destin pour le moins romanesque : Un certain Louis Wolfson.

Discussion animée par Léo F.

Vous souhaitant de belles lectures,

L'écume

La Quatrième :

« Louis Wolfson est l’auteur d’une de ces œuvres rares qui peuvent modifier notre perception du monde. » — PAUL AUSTER
En 1970 paraît chez Gallimard un roman qui va faire l’effet d’une bombe : Le Schizo et les langues. Son auteur s’appelle Louis Wolfson. Il est américain, schizophrène, et la nouveauté radicale, l’énergie fulgurante de son écriture fascinent les plus grands noms : Deleuze (qui signe la préface de l’ouvrage), Queneau, Sartre, Beauvoir, Foucault, Auster ou encore Le Clézio, tous saluent la naissance d’un écrivain hors norme. Mais peu après la publication de son livre, Wolfson disparaît, ne ressurgissant qu’à de rares occasions. Les plus folles rumeurs courent à son sujet : il aurait mené une vie de marginal, errant des rues de Montréal à la jungle de Porto Rico, puis serait devenu millionnaire en gagnant à la loterie… avant de tout perdre, et de se volatiliser pour de bon. Que lui est-il arrivé ? Est-il au moins encore en vie ? A-t-il laissé d’autres textes, restés inédits ?
Captivé par le destin et le talent incandescent de Wolfson, Étienne Fabre s’est lancé sur sa piste. Compilant archives, témoignages et légendes, il signe un portrait sensible, impressionniste de cette sorte de Kafka new-yorkais. Un livre à l’écriture somptueuse qui célèbre les mystères de la littérature.
Transcription
00:00Bonsoir mesdames, bonsoir messieurs, bonsoir Etienne Favre.
00:05Nous sommes très heureux d'accueillir ce soir le lancement de votre premier roman,
00:09un certain Louis Wolfson, paru aux éditions Seguier dans la collection Indéfinie.
00:13C'est un portrait consacré à la vie d'un Américain qui a toujours rejeté l'Amérique,
00:20en tout cas la langue, aujourd'hui âgé de 94 ans s'il est encore là aujourd'hui.
00:25Une personnalité très mystérieuse, mais c'est un sujet qu'on pourra aborder en fin d'échange,
00:29où est-il aujourd'hui, et qui connut un certain succès d'estime dans les années 60-70,
00:35notamment, surtout pour son roman de schizo et les langues qui a été préfacé par Gilles Deleuze
00:43et qui a eu beaucoup de soutien de la part de grandes personnalités littéraires de l'époque,
00:51telles que Jean-Paul Sartre, pas Jean-Paulin par contre, mais plusieurs,
00:57et qui a connu une vie presque encore plus romanesque que son oeuvre,
01:03et que vous relatez dans ce roman.
01:05Donc tout d'abord, c'est une enquête très bien rythmée,
01:09qu'on voit au gré de rencontres et d'échanges que vous avez eus avec plusieurs personnalités,
01:14notamment Paul Auster, et vous entendez du coup réhabiliter cette figure,
01:21et je me demandais tout d'abord comment vous l'avez découverte ?
01:24Vous le dites dans le livre, mais pourquoi cette fascination a été aussi importante pour vous pendant vos études ?
01:33Déjà, merci de m'inviter, de me permettre de parler du livre.
01:38La découverte de Wilson, en fait, elle s'est faite en deux temps.
01:42Il y a une première, qui était en 2014, quand j'étais étudiant à Dublin,
01:47où j'avais un devoir à la con à faire,
01:50et en gros, je suis allé chercher un texte de Deleuze qui parlait de Melville et de Kafka,
01:57et en fait, vraiment, en tournant les pages, je suis tombé sur ce nom, en fait,
02:03Bruce Wilson, qui m'a interpellé,
02:05et puis, en fait, Deleuze, il a une phrase à un moment où il dit
02:10« Wilson est quelqu'un qui veut sortir de la langue maternelle ».
02:12Et en fait, c'est très précisément, moi, ce qui m'intéressait,
02:15ce que je pense que je voulais faire quand j'étais à Dublin,
02:18c'était de sortir du français, après avoir passé déjà toutes mes années d'études,
02:22toute mon enfance, et de trouver autre chose dans la littérature, dans les langues.
02:27Je lisais beaucoup Joyce, aussi, à l'époque,
02:30et en fait, Wilson m'a semblé une sorte de Joyce français, mais passé par New York.
02:37Et ça, ça a été une sorte de décharge électrique, je me suis dit « Mais c'est incroyable ! ».
02:42Et tout de suite, j'ai voulu trouver le livre, qui n'était dans aucune librairie, évidemment.
02:47Du coup, je l'ai commandé, et je suis tombé dedans,
02:50et j'ai eu une sorte d'obsession qui a commencé.
02:53Et cette obsession, elle a duré un an, deux ans,
02:58et puis après, il y a d'autres lectures, d'autres écrivains,
03:01d'autres paysages qu'on a envie de voir, et du coup, je suis passé à autre chose.
03:05Et j'ai redécouvert ça, il y a quelques années,
03:09quand mon petit frère était malade d'un cancer,
03:12et en fait, je cherchais des livres qui parlent de maladies, de cancers.
03:18Ça peut paraître un peu morbide, mais en fait, je voulais voir
03:21ce que la littérature pouvait dire de la maladie,
03:24et ce qu'il y avait face à ce trou noir de la maladie.
03:27Et donc, en fait, je suis tombé sur le deuxième livre de Wolfson,
03:32qui, lui, parle du cancer de sa mère, et qui, en fait,
03:36m'a semblé une forme vraiment de contre-témoignage
03:39de ce que, moi, je vivais en allant à Cochin, en voyant mon petit frère.
03:43Et plutôt que de m'apesantir là-dessus,
03:47c'est le destin de Wolfson qui est remonté à la surface.
03:50Et c'est de là que j'ai recommencé un petit peu la redécouverte
03:55ou l'envie de redécouvrir Wolfson.
03:58Effectivement, je veux dire, le livre se présente comme une enquête
04:02pour réhabiliter justement la mémoire d'un auteur injustement oublié,
04:06à la fin des années 70, et notamment parce qu'il était peut-être
04:09trop excentrique du fait de sa schizophrénie,
04:11où il demandait constamment à réécrire et réécrire son livre.
04:14Et on y arrive, justement, à travers l'enquête éditoriale.
04:28Vous partez de, finalement, un cadre très littéraire et germanopratin
04:34pour arriver à la vie beaucoup plus intime, finalement, de cet auteur.
04:38À travers, justement, vous disiez le titre qui est une allitération,
04:43M, son deuxième texte.
04:45« Ma mère musicienne », son deuxième roman connu,
04:48qui a d'abord été publié par les éditions Navarra en 83-84,
04:52et ensuite les éditions Atilla ont fait une nouvelle édition
04:56et qui est un nouveau texte parce que Wolfson avait réécrit aussi
04:58plusieurs pages qui étaient d'ajout, en fait, de textes qui ne s'arrêtaient jamais,
05:02qui étaient sortis en 2011-2012.
05:05Et si j'ai voulu repasser un peu par l'histoire et la jeunesse du texte,
05:10c'est qu'il a été tout de suite présenté comme une sorte de fou génial
05:17et quelque chose qui a saisi de l'euse.
05:20Et Raymond Queneau, il pentalise parfois pour des raisons un peu divergentes,
05:23mais où les gens se sont dit « Ah, c'est incroyable, cet écrivain ! »
05:27qui ne pouvait pas répondre ou qui répondait très lentement ou très bizarrement
05:31parce que les choses se faisaient par courrier de l'autre côté de l'Atlantique.
05:34Et puis tout de suite, il y a eu un intérêt de pentalise de le positionner
05:39dans sa collection, l'Inconscient.
05:41Ils l'ont presque considéré en objet, finalement, une sorte de fou génial.
05:45Ils se sont dit « Ça va être un représentant de ce... »
05:48C'est comme si on avait un nouvel Artaud, mais qui s'expliquait
05:52et qu'on va pouvoir enfermer dans une collection et dans un texte.
05:56Et Wolfson est quelqu'un qui ne...
06:00Pour lui, le texte n'était pas quelque chose qui s'arrêtait,
06:02c'était une sorte de roue.
06:04Ça creusait et ça revenait.
06:07Et Wolfson, aussi, ne voulait pas s'arrêter dans son écriture.
06:12Et logiquement, en tant qu'éditeur de santé, au bout d'un moment,
06:16ils ont dit « On va arrêter les frais, il faut un texte, il faut qu'on arrête quelque chose. »
06:19Et ce que vous dites, c'est la pentalise qui a justement trouvé un compromis
06:22sur le manuscrit, à faire une sorte d'annexe du texte retravaillé par Wolfson
06:29qui refusait une première version du texte
06:32parce qu'il voulait faire tant de modifications
06:36que finalement, le texte n'avait plus rien à voir.
06:38Et pentalise a essayé de ménager la chèvre et le chou
06:40en apportant une annexe du nouveau texte pour maintenir le premier manuscrit.
06:45En fait, le premier texte arrive par la poste chez Gallimard en 1963
06:50et le texte final est publié en février 1970.
06:52Donc il y a quasiment 7 ans et c'est énorme, cette distance.
06:57Et il y a presque plusieurs textes, en fait.
07:00Quand vous ouvrez aujourd'hui « Le schizo et les langues » dans la version de 1970,
07:04d'ailleurs il n'y en a qu'une,
07:06vous avez l'impression de voir plusieurs strates, plusieurs franges,
07:10plusieurs épaisseurs de textes.
07:12Et c'est vrai que, oui, à la fin du texte,
07:16Wolfson avait dans sa manière d'écrire une sorte de procédé radical
07:20de transformation de la langue.
07:23Il est américain, il parle la langue américaine
07:27et c'est une langue qui est un mélange, finalement,
07:33de français, d'allemand, de yiddish, de russe, de danois,
07:37de toutes les langues qu'il va apprendre en autodidacte à la New York Public Library.
07:41Et en fait, face à cette langue,
07:44il va essayer à chaque fois de pousser au maximum
07:47une sorte de style, de radicalité d'écriture
07:50où les sons et le sens, finalement, se parlent l'un de l'autre.
07:55Et du coup, le livre témoigne de toutes ces strates, de toutes ces tentatives.
07:58Donc ce n'est pas du tout un livre fini, c'est un livre infini.
08:01C'est un livre que l'auteur ne voulait même pas arrêter.
08:03C'est pour ça que Pontalis et Queneau et Deleuze, au bout d'un moment,
08:06ont dit stop, on arrête, ce n'est plus possible.
08:09Et d'où le fait qu'il devienne rapidement ensuite un objet pour eux.
08:16Alors que certains ont... Jean-Paulan a été directement très circonscrit.
08:19Au début du livre, il y a vraiment trois écoles chez Gallimard qui se disent...
08:23Il y a eu un peu le club du nom, c'est Jean-Paulan.
08:26Et il était un peu seul dans son club.
08:28Et il était tout seul dans son club.
08:30Il y a eu Raymond Queneau et Pontalis,
08:34qui étaient plus dans une position un peu institutionnelle,
08:36où ils voulaient... Ils savaient que ça avait de l'intérêt,
08:39mais ils voulaient que le texte sorte.
08:41Et Deleuze, qui en fait s'est raccroché à Walson,
08:44parce qu'il a pensé à Lewis Carroll,
08:47il a pensé à Antonin Arthaud, il a pensé à Joyce.
08:50Et en fait, ça servait ses intérêts conceptuels ou sa recherche philosophique.
08:54Donc il s'est dit, banco, je vais en faire une préface.
08:58Et ses intérêts ont quand même eu un grand retentissement dans les années 70-80.
09:02Ensuite, il y a eu cette grande conférence dont vous parlez,
09:06qui est quand même l'un des coeurs du livre,
09:08qui est la conférence Schizo-culture, justement, à New York, à Columbia.
09:13Et qui a été un grand moment politico-littéraire un peu oublié lui aussi,
09:21avec Michel Foucault notamment, qui était accusé d'être un agent de la CIA.
09:25C'est parti...
09:27C'était un grand moment de littérature bauque.
09:30Et en fait, c'est marrant, parce qu'il y a plusieurs écrivains,
09:33il y avait Paul Oster qui était jeune,
09:35et c'est pour ça qu'il a écrit ensuite l'article de 74-75,
09:38qui est reproduit dans le livre à la fin.
09:42C'était une très bonne idée de faire ça.
09:45Il y avait aussi du coup Michel Foucault, Gilles Deleuze,
09:49mais qui avaient été convoqués et puis appelés par Passilver Lortringer,
09:53qui est donc en fait cet écrivain, cet universitaire qui habite à New York,
09:57et en fait a correspondu, a rencontré Wolfson,
10:00dans une librairie, dans la rue,
10:03qui l'appelait au téléphone,
10:05et Wolfson lui hurlait des mots dégleusaliers,
10:08lui jetait des phrases comme ça, et puis il parlait.
10:11Et il a voulu l'inviter à ce colloque,
10:14il est venu au moins la première journée,
10:17les autres journées, je ne sais pas,
10:20et du coup, en fait, dans ce colloque, c'est ce que je voulais montrer aussi dans ce livre,
10:23c'est qu'il y avait déjà toutes les personnes qui s'intéressaient à Wolfson.
10:27Paul Oster, Deleuze, Foucault,
10:30toutes les philosophes, les écrivains français,
10:35et en même temps, Oster, le seul représentant américain
10:38qui s'était intéressé de près à lui.
10:41Donc il a soutenu, en toute excentricité,
10:44notamment cette phrase en quatre langues,
10:47qui comprend du russe, de l'allemand,
10:50et qui change sur les phonèmes où vous parlez.
10:53Ah, le...
10:56Je ne l'ai pas, mais...
10:58Vous ne les connaissez pas ?
10:59Je ne sais ni le russe ni le breu,
11:01mais normalement, elle est...
11:06Ça va être au début, je crois.
11:08Oui, c'est le titre d'un chapitre, je crois.
11:14On va la voir.
11:22On ne l'a plus.
11:24On ne la retrouve pas, évidemment.
11:26C'est pas normal, là.
11:32C'est un chapitre.
11:34C'est un chapitre.
11:36C'est le troisième chapitre.
11:38C'est le troisième chapitre.
11:40Avant, avec Paul Oster.
11:42Avant Paul Oster.
11:43Voilà.
11:46Oui.
11:47Je ne parle pas non plus de...
11:49Avec l'accent français.
11:50On peut le faire avec l'accent.
11:52Mais...
11:53Oui, c'est...
11:54Alors, en allemand, j'ai un très mauvais allemand,
11:57mais c'est...
11:59Et, qui est de l'hébreu,
12:01et Svern, qui vient aussi de l'allemand.
12:03Et en fait, c'est une phrase
12:05qui a l'air complètement absurde,
12:07mais qui est se concentrer
12:09de toutes les langues,
12:11russes, hébreux, allemands, français.
12:14Et pourquoi, en fait, cette langue
12:16et pourquoi, en fait,
12:18Wolfson écrit comme ça,
12:19je pense qu'il faut le rappeler,
12:21c'est que Wolfson est quelqu'un
12:23qui souffre dans son corps,
12:25dans ses oreilles, dans sa tête,
12:27d'entendre, de vivre,
12:29de voir la langue anglaise.
12:31En fait, c'est sa langue maternelle.
12:33Et c'est insupportable pour lui
12:35d'aller dans les rues de Times Square
12:37et d'entendre parler en anglais.
12:39Et en fait, il va vraiment inventer
12:41cette méthode, cette méthode personnelle,
12:43cette méthode d'écriture,
12:45pour, à chaque fois qu'il va entendre un mot,
12:48pouvoir le convertir dans un mélange
12:50où il y a du russe, du français,
12:52de l'hébreu,
12:54et d'autres langues.
12:56Donc, tout nire, trébucher,
12:58hubert et zwer,
13:00ce qui veut dire quelque chose.
13:02Mais en fait, il l'apprend d'une phrase en anglais
13:04qui veut dire don't trip over the wire,
13:06ne tombe pas sur le film.
13:08Et en fait, il fait ça,
13:10c'est ça ce qu'il explique dans son livre
13:12Le schizo et les langues,
13:14c'est qu'à chaque fois qu'il entend une phrase
13:16en anglais, en américain,
13:18il la convertit directement
13:20dans cette nouvelle langue.
13:22Et c'est pour ça que je pense que ça a intéressé
13:24quelque chose de l'ordre de la poétique
13:26de ce qu'il fait.
13:28Après, je vous rassure, dans le livre qu'il écrit,
13:30ce n'est pas que des concentrés de phrases incompréhensibles
13:32parce que sinon, ça n'intéresserait personne.
13:34Mais il explique comment
13:36il arrive à ce résultat
13:38où il veut tendre à ce résultat.
13:40Et comment les « et » doivent être remplacés.
13:42Du coup, il y a des pages
13:44vraiment raides, de maniaques,
13:46qui expliquent que l'accent doit se mettre là,
13:48que la prononciation est celle-là.
13:50Je ne sais pas pourquoi,
13:52mais ça m'intrigue énormément.
13:54Comme si le langage, en traduisant,
13:56pouvait traduire sa souffrance
13:58puisqu'il allait très loin dans l'idée
14:00que la vie n'était que souffrance.
14:02Ses derniers textes sont
14:04plus sombres, c'est difficile quand même.
14:06Mais il y a des psychiatres
14:08qui ont fait ça,
14:10qui, face à des personnes
14:12qui avaient des traumatismes très forts,
14:14les faisaient parler dans une autre langue,
14:16leur apprenaient une autre langue,
14:18pour appréhender leurs traumatismes,
14:20leurs difficultés de l'ordre psychique.
14:22Et ça fonctionne.
14:24C'est l'idée qu'il y a quelque chose de la guérison,
14:26de la transformation dans le langage.
14:28Et c'est ça qu'il explique
14:30dans son livre.
14:32Mais c'est ce que Queneau et Deleuze ont
14:34beaucoup moins vu, parce qu'ils se sont dit juste
14:36« ce type est un écrivain,
14:38ce type est un fou génial ».
14:40Je me sens sûr, parce que
14:42le fait de dire que c'est un écrivain
14:44n'était pas forcément évident pour eux.
14:46Même dans le texte de Deleuze des années 90,
14:48ils passent beaucoup de temps à dire
14:50« est-ce que c'est vraiment un écrivain ? Non, je ne crois pas.
14:52Est-ce que c'est un écrivain scientifique ? Non, je ne crois pas. »
14:54Et même Sartre est beau voir
14:56quand il publie
14:58des extraits, quasiment 80 pages
15:00de Wolfson
15:02dans les temps modernes,
15:04dans un numéro de 1964,
15:06ils mettent « documents », parce qu'ils ne savent pas ce que c'est.
15:08Et vous, vous avez mis « romans ».
15:10Oui, moi j'ai mis « romans ».
15:12Un portrait d'une personne
15:14existante ou qui a existé,
15:16on ne sait toujours pas.
15:18Oui, qui a existé.
15:20J'ai mis « romans »
15:22parce que
15:24je ne voyais pas d'autres catégories
15:26ou d'autres labels.
15:28Et pour moi,
15:30j'ai toujours conçu l'écriture
15:32de ces livres comme un roman.
15:34Parce qu'il vient d'un endroit
15:36qui est
15:38le cancer de mon petit frère,
15:40parce que, pour moi,
15:42il s'approche aussi de tout ce qui est documents,
15:44la rassemblement de témoignages,
15:46d'archives, et le fait qu'il y ait quelqu'un
15:48qui interroge ces personnes
15:50et qui traverse l'écriture.
15:52Je ne voulais pas que ce soit un objet froid
15:54et toute cette chaleur
15:56fait que, pour moi,
15:58ça le qualifie de roman.
16:00Après, c'est qu'un label,
16:02mais je l'ai toujours tout de suite
16:04senti comme ça.
16:06Oui, et puis ça vit exceptionnellement romanesque.
16:08Il y a ça aussi.
16:10Quand il part à Porto Rico,
16:12je vais essayer de raconter peut-être,
16:14il lui arrive une chose extraordinaire,
16:16notamment,
16:18mais il gagne à la loterie,
16:20il devient multimillionnaire
16:22du jour au lendemain alors qu'il était
16:24quasi à la rue.
16:26En fait, Wolfson,
16:28c'est quelqu'un qui est passionné
16:30par les paris, par les paris hippiques,
16:32par les tombolas, par les lotos.
16:34Et du coup, il est schizo
16:36et il vit à New York
16:38avec sa mère, et avec l'argent.
16:40Il reçoit une bourse,
16:42une pension de l'état fédéral américain,
16:44je crois que c'est à peu près 45 dollars à l'époque,
16:46et il dépense tout
16:48dans les paris hippiques.
16:50Donc, il va dans les hippodromes
16:52à Lacueduc, Roosevelt, qui sont un peu dans le nord
16:54de New York, et il dépense tout son argent
16:56en attendant le moment où il deviendra
16:58immensément riche.
17:00Et ce jour n'arrive pas.
17:02Mais il a toujours continué à faire
17:04cette pratique des lotos,
17:06et c'est une pratique du hasard, une pratique de la mise en danger.
17:08C'est un peu l'idée aussi,
17:10je la vois, de dépenses.
17:12On brûle tout, on craint tout.
17:14Et avant de devenir
17:16multimillionnaire, en fait, il va continuer
17:18de jouer au loto.
17:20Il le fait à New York, et il le fait
17:22au décès de sa mère en 1979,
17:24où il va d'abord
17:26vivre un peu à New York,
17:28dans le sud de New York, et puis ensuite il va sortir dans le New Jersey.
17:30Et puis il va passer un moment d'errance
17:32dont il parle très peu, dont on a peu d'informations,
17:34entre Chicago
17:36et Montréal.
17:38Une information sûre, c'est qu'on sait par exemple qu'il a vécu un an
17:40à l'aéroport de Chicago, dans l'un des terminaux.
17:42Et on en voit
17:44aujourd'hui des personnes comme ça, vous les voyez,
17:46ils sont dans un sac de couchage, sur une
17:48bourquette, dans un aéroport.
17:50Wolfson a fait ça dans les années 80.
17:52Et donc il est resté un an comme ça. Et puis après il est reparti
17:54toujours en traversant la frontière,
17:56côté américain, côté canadien, et puis il finit
17:58par s'établir
18:00à Montréal,
18:02où il pourchasse un peu l'idée du
18:04français d'Amérique, qui est son français
18:06à lui, qui est un autre français
18:08d'Amérique qu'il a inventé.
18:10Et c'est là où il va rester
18:12à peu près dix ans, de 1984
18:14à 1994.
18:16Et un jour, il vit
18:18dans la mendicité totale,
18:22dans des abris,
18:24dans des garnis,
18:26dans des foyers
18:28de la Croix-Rouge. Dans le film
18:30dont je parle, Schizo, qui a été fait par
18:32des abris, il se vante beaucoup des vêtements
18:34qu'il conserve de l'époque,
18:36de tout ça qu'il a récupéré.
18:38Et finalement,
18:40un jour, il va tomber sur un journal dans la rue, comme ça,
18:42qui roule, et qui parle du radiotélescope
18:44d'Arecibo. Et jusqu'en 2016,
18:46c'était en gros le plus gros
18:48et le plus important radiotélescope
18:50du monde. Maintenant, ça a été supplanté
18:52par le SALT, qui est un radiotélescope
18:54chinois.
18:56Il fait des centaines de
18:58mètres de diamètre.
19:00Les Cubains
19:02soupçonnaient les Américains de les espionner
19:04pendant les années 70-70
19:06avec ce radiotélescope.
19:08Et c'est là où il y a eu, finalement,
19:10pas mal d'expériences pour
19:12se mettre en contact avec les extraterrestres.
19:14Et si j'en viens là, c'est que
19:16Wilson a toujours été intéressé
19:18par le contact extraterrestre. C'est ça que j'aimais
19:20aussi beaucoup chez cet auteur, c'est que c'est
19:22un écrivain, mais avec des lubies
19:24très particulières.
19:26Et j'aime bien les écrivains
19:28avec des lubies un peu particulières.
19:30Donc les extraterrestres, les paris hippiques
19:32et les jeux à gratter et la loterie.
19:34Et en fait, la loterie, c'est un jour
19:36à Porto Rico,
19:38donc là où il y a ce radiotélescope,
19:40il va aller dans
19:42une sorte de super-aide de quartier
19:44qui s'appelle le Supermercado Dona Ana.
19:46Et là, il va jouer
19:48à une loterie
19:50et il va tomber sur le
19:52ticket gagnant. Et un ticket gagnant à plus
19:54de 2 millions de dollars.
19:56Qu'il perd ensuite à la crise des subprimes
19:58pour des mauvais placements.
20:00En fait, il va le perdre, mais en deux temps.
20:02C'est-à-dire qu'il va... C'était à peu près
20:042 millions 200 000 dollars.
20:06Et il va en perdre... Il va acheter
20:08un appartement avec.
20:10Où il fait
20:12sa créature du livre.
20:14Et ensuite,
20:16il va...
20:18Parce que c'est quelqu'un qui était passionné de bourse aussi.
20:20Tout ce qui l'intéresse,
20:22c'est les calculs, c'est
20:24de tester la causalité.
20:26C'est toujours la même rengaine qu'avec
20:28les paris. Il veut créer un élément
20:30de danger, créer un élément de contingence.
20:32Voir dans quelle mesure on peut pousser la causalité
20:34jusqu'à un certain point.
20:36Et en fait,
20:38cet argent,
20:40il va la mettre dans des bourses,
20:42dans ce qu'on appelle des chock-bounds. Donc c'est des titres
20:44pourris. Et en fait, à la crise des subprimes,
20:46il aurait été mal conseillé
20:48ou alors il aurait été assez négligent.
20:50Et du coup, il va perdre plus d'un million
20:52de dollars et il va entamer
20:54ce qu'il appelle son procès contre l'Amérique.
20:56Donc il va tout seul refuser un avocat
20:58et il va se
21:00mettre en ordre de bataille
21:02contre la FINRA
21:04et aussi
21:06la Banco Populaire
21:08qui est une autre banque de Porto Rico et la Banque Centenaire.
21:10Trois institutions,
21:12trois organismes.
21:14Et c'est
21:16ce dont parle Duccio Fabri dans son film
21:18Schizo et on suit les moments du procès
21:20et comment il va dans des salles,
21:22il s'enferme, il s'habille un peu comme un
21:24télévangéliste, il met une grande croix,
21:26il met, vous voyez, des peintures noires sur ses joues
21:28et il se dit, je vais défier l'Amérique.
21:30Mais c'est très sérieux.
21:32C'est pas du tout nul. Et c'est ce qui est assez
21:34impressionnant avec ce personnage,
21:36c'est que tout est à la fois très
21:38excentrique et très sérieux.
21:40Il faut communiquer avec les extraterrestres, mais de manière très sérieuse.
21:42Donc on va réellement aller à côté
21:44du télescope.
21:46Quand il entre en guerre contre l'Amérique,
21:48il va jusqu'au bout à chaque fois de ses peintres,
21:50il perd beaucoup d'argent, il va même ensuite
21:52s'énerver contre les avocats.
21:54Il a toujours
21:56une sorte de premier degré dans le millième degré.
21:58Il est très
22:00visionnaire là-dessus.
22:02Aujourd'hui, il y a des
22:04programmes, il n'y a pas besoin de Citoyen Musk pour savoir
22:06que ça t'intéresse. Ça remonte à très loin
22:08dans l'histoire américaine. Il est convaincu qu'il y a une vie
22:10extraterrestre. Convaincu qu'il y a une vie extraterrestre
22:12et qu'en fait, il faut appeler
22:14les extraterrestres pour qu'ils viennent détruire la Terre parce que
22:16c'est évident qu'il y a jamais une vie extraterrestre
22:18à la place de la Terre.
22:20Il y a peut-être une vie extraterrestre
22:22qui est peut-être encore plus
22:23crue que l'alien.
22:25D'ailleurs, un fait qui est encore plus
22:29le plus vrai c'est qu'il y a pas de
22:32réponse à la souffrance humaine et
22:34qu'on ne peut pas dans l'homme
22:36parler de la souffrance humaine.
22:38Non, on n'a pas de réponse à la souffrance humaine et
22:40surtout pas le moment.
22:42D'ailleurs, c'est vrai qu'on ne peut pas
22:44Finalement, il faut tous se faire péter et c'est le point final pour une pérette infernale.
22:49Exactement et d'où l'appel à en gros ce que toutes les nations,
22:54Poutine, Trump, Macron, s'appellent et disent on va faire chacun sauter nos arsenaux thermonucléaires
23:01et qu'on en finisse.
23:03C'est pour ça qu'il est très marqué par le nucléaire.
23:05Après c'est les années 70, il y a tout le travail de Kissinger,
23:10tout ce contexte là qu'on retrouve un peu aujourd'hui avec la guerre en Ukraine
23:13qui est un peu de crainte permanente.
23:14Mais je pense que c'était encore plus violent et encore plus intimidant à l'époque.
23:18Et vous pensez justement qu'en Paul Auster,
23:22vous dites c'est très bien qu'une personne de votre âge s'intéresse à Louis Wolfson.
23:28Vous pensez qu'il a une actualité ?
23:31Paul Auster ou Wolfson ?
23:33Les deux, pourquoi pas.
23:35Surtout Louis Wolfson, que ce soit par rapport à la santé mentale,
23:38qui est un sujet qui est actuel.
23:40Oui, il a un sujet, vous dites la santé mentale,
23:48mais tout le monde le traitait de schizophrène à l'époque,
23:50peut-être qu'aujourd'hui on parlerait plus d'autisme.
23:52C'est un vrai débat, il y a les deux.
23:58Vous ne dites presque pas qu'il est schizophrène,
24:00c'est plus lui qui le dit dans ses interviews.
24:03Beaucoup de personnes dans les années 60-70
24:05ont passé leur temps à dire que c'est un schizo
24:07et du coup à le marginaliser et à ne pas vouloir le lire.
24:09Et moi ce que j'ai voulu faire à travers ce livre,
24:11c'est de dire que c'est d'abord un écrivain,
24:13peut-être qu'il a des troubles schizophréniques,
24:15peut-être qu'il a des troubles autistiques,
24:17mais c'est d'abord un écrivain,
24:19et de dire ok, je vais essayer de le lire
24:21et de trouver ce qu'il y a dans ce livre.
24:23Mais oui, pour moi c'est vraiment un écrivain qui est devant nous,
24:29parce que c'est un écrivain déjà qui a été peu lu,
24:32c'est un écrivain où il y a juste
24:34une édition qui a été faite en 70 par Gallimard,
24:38deux autres éditions,
24:40mais finalement on le connaît peu encore cet écrivain.
24:44Et même tous ses textes,
24:46aujourd'hui, ne sont pas encore rassemblés.
24:48Il n'y a pas de livre où on peut avoir l'entièreté
24:50de ses publications dans la revue Change,
24:52et aussi tout ce qui est intéressant avec Wilson,
24:54c'est tous les allers-retours,
24:56ou alors par exemple la correspondance,
24:58moi je vais récupérer une partie de la correspondance
25:00qu'il a eue avec une écrivaine et une universitaire française,
25:02Chloé Thomas,
25:04et la correspondance, que je ne cite pas entièrement,
25:06mais en partie, est passionnante,
25:08avec même des parties où il écrit en anglais,
25:12et moi je pensais, comme Sylvain Lautranger,
25:14qu'il ne parlerait jamais en anglais,
25:16parce que c'est quelqu'un qui déteste ça,
25:18parce que c'est sa langue maternelle,
25:20donc pour moi c'est vraiment un écrivain
25:22qui est encore devant nous.
25:24Il ajoute des entre parenthèses,
25:26des traductions de certaines expressions,
25:29et il parle même d'une humanité masochiste,
25:31qui serait là uniquement pour souffrir,
25:33c'est peut-être sa thèse,
25:35si vous deviez résumer sa littérature,
25:37finalement...
25:39Moi je pense que c'est, en fait,
25:41Wilson, quand je l'ai découvert,
25:43je trouvais que c'était un mélange
25:45entre James Joyce et Antonin Artaud,
25:47et comme j'aime beaucoup ces deux écrivains,
25:49ça m'a beaucoup plu,
25:51et aujourd'hui je trouve aussi qu'il a un aspect,
25:53un côté poète et un côté moraliste,
25:55et toute l'interview,
25:58qu'on a reproduit avec l'édition Séguier,
26:00qui est l'interview qu'il a donnée en 1984,
26:02qui est complètement folle,
26:04où en fait il tient des propos de...
26:06De la revue Lannes ?
26:08Oui, qui est un magazine freudien,
26:10freudien-lacanien,
26:12et en fait c'est un magazine dans lequel
26:14il ne tient que des positions qui sont métaphysiques,
26:16c'est des propositions métaphysiques,
26:18c'est-à-dire l'humanité,
26:20ça fait des milliers d'années qu'on existe,
26:22certes on a réussi à remonter la souffrance
26:24à la combatte d'un point de vue technique ou scientifique,
26:26mais c'est pas du tout ça souffrir,
26:28est-ce que ça vaut vraiment le coup ?
26:30Et du coup, moi ça m'a aussi beaucoup interpellé
26:32personnellement en me disant,
26:34vu ce que je traversais par rapport à la maladie de mon frère,
26:36c'est quoi le pli de la souffrance ?
26:38Qu'est-ce qu'il y a derrière ?
26:40Et qu'est-ce qu'il vaut le coup de, très bêtement,
26:42de continuer à vivre ?
26:44C'est pour ça que le texte et l'écrivain m'a beaucoup parlé.
26:46Et pourtant il n'apporte pas de solution à ça,
26:48puisqu'il parle de...
26:50Juste de se faire sauter.
26:52Que la plupart des planètes sont mortes,
26:54il y a une sorte de limite,
26:56de désespoir un peu,
26:58rare,
27:00court, où il veut.
27:02Ça vaut pas le coup de continuer.
27:04Vous avez trouvé de l'espoir dans le désespoir ?
27:06Un peu,
27:08mais j'ai trouvé déjà la force
27:10de faire le livre et d'aller au bout
27:12et de...
27:14Ce que je voulais faire, c'était de relancer cet écrivain,
27:16de relancer cette écriture, de le faire connaître,
27:18parce que l'un des autres points
27:20aussi de départ de ce livre,
27:22on dit des trucs très mélos et tout,
27:24mais c'est quand même
27:26que pas grand monde le connaissait.
27:28Et moi je trouvais que c'était un très grand écrivain,
27:30et je ne comprenais pas pourquoi
27:32il n'était pas assez lu, et pourquoi autour de moi
27:34on ne le connaissait pas. Le premier désir,
27:36ça a été aussi ça, de me dire,
27:38j'aime cet écrivain, j'ai envie de le partager,
27:40et pourquoi il n'est pas assez connu.
27:42Sans vraiment le partage de votre enquête,
27:44depuis l'appartement
27:46de Porto Rico,
27:48c'est du point de vue de la voisine,
27:50à la porte à 23h,
27:52en disant qu'il va mourir,
27:54et de ce témoignage,
27:56on revient sur les premières années.
27:58Parce que le livre est construit
28:00de manière à avoir quelque chose
28:02où je voulais que ce soit vivant, et qu'on puisse
28:04un peu fonctionner par tableau,
28:06avec à la fois des choses très concrètes,
28:08qui sont des archives, des sources,
28:10pour aussi un petit peu
28:12épaissir l'ombre de Wilson,
28:14et qu'on puisse dire,
28:16c'est quelqu'un qui a vraiment vécu,
28:18et c'est quelqu'un qui a écrit.
28:20C'était important pour moi de pouvoir le signifier.
28:22Et c'est pour ça
28:24qu'il y a des chapitres qui sont très...
28:26Il y a un chapitre qui ressemble un peu plus à un essai,
28:28il y a un chapitre qui est beaucoup plus personnel,
28:30il y a des chapitres qui sont des conversations avec Paul Auster,
28:32un autre où j'utilise sa correspondance,
28:34un autre où je raconte un séminaire
28:36de 75 à New York,
28:38pour donner aussi un peu
28:40d'éléments de vie,
28:42qui n'avaient jamais été mis en relation.
28:44Et c'est ça qui fait que
28:46l'enquête, du coup,
28:48est un peu plus digeste.
28:50C'est ce qui la rend très plaisante à la lecture.
28:52Vous avez refusé pourtant
28:54d'aller le rencontrer.
28:56Vous vous êtes dit, il y a une forme de pudeur
28:58qu'on sent dans le livre, où vous expliquez pourquoi
29:00vous n'êtes pas allé jusqu'à,
29:02comme justement le cinéaste italien,
29:04qui est allé toquer
29:06à sa porte presque tous les jours en insistant
29:08pour le rencontrer et faire un film avec lui.
29:10Pendant des années et des années,
29:12pendant à peu près 5-6 ans,
29:14ça a été
29:16un grand moment de bascule.
29:18Très rapidement,
29:20je me suis dit, il faut que j'aille le voir.
29:22Et je n'avais pas envie
29:24de tomber dans le piège du fanboy littéraire
29:26pour aller toquer à la porte
29:28d'un vieux schizo qui avait créé un bouquin
29:30dans les années 70 en France.
29:32Quand j'en ai parlé à Jean-Jacques Lebel,
29:34je raconte l'artiste Jean-Jacques Lebel,
29:36il m'avait engueulé en me disant,
29:38qu'est-ce que vous faites, dépêchez-vous,
29:40allez le chercher.
29:42J'ai remarqué que pas mal des témoins
29:44que j'avais interrogés
29:46se sont laissés un peu
29:48emportés par lui,
29:50comme s'ils avaient été brûlés par une sorte de fascination.
29:52Et du coup,
29:54j'ai trouvé que cette distance que j'avais,
29:56le fait d'interroger ceux qui l'avaient interrogé,
29:58c'était beaucoup mieux
30:00comme technique
30:02littéraire, plutôt que d'aller le voir
30:04directement, où je pense que
30:06l'admiration, la fascination, la peur,
30:08je ne sais pas, l'émotion,
30:10c'était peut-être trop. Et du coup, là, j'avais l'impression
30:12de garder la tête froide.
30:14Et vous le gardez en vrai sujet littéraire,
30:16plutôt qu'objet, ou vous restez assez impartial,
30:18pour montrer toute sa complexité,
30:20à travers le côté lubie,
30:22le côté, j'emménage à côté d'un télescope
30:24pour accueillir les extraterrestres,
30:26et...
30:28Il y a des choses un peu déroutantes,
30:30c'est pour ça que c'était bien d'avoir quand même,
30:32de faire un pas de côté pour
30:34essayer de jauger
30:36ce qu'il racontait, et je me suis rendu compte aussi,
30:38en ayant accès à une partie de la correspondance entre
30:40Wolfson et cet universitaire
30:42Chloé Thomas, c'est qu'il était fort aussi
30:44pour manipuler les gens, ou pour tenir
30:46des doubles, des triples, des discours.
30:48Donc, il fallait aussi
30:50naviguer dans ce qu'on pouvait retrouver de lui.
30:52Et comment vous avez sélectionné
30:54du coup, par rapport justement à l'interview ?
30:56Enfin, c'est assez justifié d'avoir mis l'interview
30:58justement de la revue Lannes, pour montrer
31:00enfin, il y a vraiment de longs verbatims, on voit l'étendue
31:02de la folie,
31:04peut-être, ou en tout cas de...
31:06du décalage qu'il y avait
31:08chez Louis Wolfson, où certaines de ses réponses sont
31:10plus cohérentes que d'autres.
31:12L'idée aussi, en interrogeant tous les témoins,
31:14il y a Paul Auster,
31:16il y a Duccio Fabri, il y a un universitaire qui s'appelle Raphaël Cunning,
31:18il y a Chloé Thomas, il y a toutes
31:20les sources,
31:22Deleuze, etc.
31:24Mais l'idée c'est aussi de multiplier
31:26les points de vue pour que,
31:28sachant que cet écrivain
31:30qui vraisemblablement est décédé
31:32aujourd'hui, on puisse
31:34avoir le maximum d'entrée dans ce qu'il
31:36est, dans ce qu'il a fait, dans ce qu'il a écrit,
31:38et que ça ne soit pas juste
31:40mon point de vue qui
31:42prime trop. J'avais un peu
31:44envie de faire une sorte d'état des lieux aussi,
31:46depuis presque
31:48maintenant, en 1963, de tout
31:50ce qui s'était dit, de tout ce qu'on avait pu
31:52colporter et tourner autour de lui.
31:54Et...
31:56je pense qu'il y a des informations qui me
31:58manquent, parce que
32:00il est parti
32:02en retenant beaucoup d'informations,
32:04mais je pense que
32:06aujourd'hui, il n'y a pas
32:08un livre qui a plus d'informations
32:10sur Wilson que celui-là.
32:12Mais...
32:14Sachant que justement, sa disparition est
32:16aussi mystérieuse que sa vie,
32:18où il laissait un appartement allumé
32:2024 heures sur 24, et un jour, l'appartement
32:22s'est éteint, et...
32:24Et plus personne ne sait où il est, en fait.
32:26En fait, c'est après le Covid, il était encore...
32:28Le Covid, même à Porto Rico,
32:30il y avait encore des...
32:32un isolement
32:34qui était fort. Et du coup,
32:36il est resté enfermé, et
32:38il n'a pas bougé. Et puis un jour,
32:40il a claqué la porte, et il est parti.
32:42C'est ce que je dis un peu à la fin du roman.
32:44En fait, on ne sait pas s'il est mort chez lui,
32:46s'il est mort sur une route,
32:48dans un bas-côté, s'il est allé au radiotélescope,
32:50s'il est réussi à partir en Russie.
32:52Ou à rencontrer les extraterrestres.
32:54Et s'il a été enlevé par les extraterrestres, on ne sait pas.
32:56Il est surnommé le Petit Vampire
32:58par sa voisine Vampirito,
33:00qui ne dort jamais,
33:02qui n'est jamais là où on l'imagine.
33:04C'est quelqu'un
33:06qui fausse la route.
33:08Et ça, j'ai bien aimé aussi.
33:10C'était assez plaisant de pouvoir écrire
33:12sur quelqu'un qui ne donne aucune
33:14certitude, et de
33:16rechercher des preuves, des traces tout le temps
33:18pour... Et même quand, parfois,
33:20dans le séminaire de 75,
33:22quand j'avais deux personnes qui s'accordaient sur le fait qu'ils l'avaient vu au même moment,
33:24j'étais hyper heureux. Pendant une journée,
33:26je me suis dit que ça existait, c'est vrai.
33:28Et de trouver un peu de
33:30certitude là-dedans.
33:32Voilà.
33:34J'espère que ce n'était pas un peu long.
33:36Est-ce que vous avez des
33:38questions
33:40pour l'auteur ?
33:42La première est
33:44toujours la plus difficile.
33:46Sinon, je peux désigner
33:48un volontaire au bout de 30 secondes.
33:50C'est bien aussi.
33:54Bonne question.
33:56Je me demandais, petite curiosité,
33:58est-ce qu'à un moment donné, il a envisagé
34:00un remède
34:02dans la littérature ?
34:04Est-ce que ça relie
34:06à la souffrance ?
34:08Le remède à la souffrance.
34:10Il a un rapport
34:12à la littérature Walson qui est assez,
34:14je le trouve unique, c'est qu'il n'est pas du tout
34:16fétichiste des livres.
34:18Il le dit assez bien
34:20dans l'interview à Lannes en 1984
34:22qu'en fait,
34:24lui, il a lu, mais il préfère
34:26tout autant lire des livres de médecine,
34:28étudier le cours
34:30de la bourse, parce que c'est plus intéressant.
34:32Vous voyez, il y a un film
34:34comme ça, il y avait des espèces de petites
34:36machines où on tirait des petits papiers
34:38avec le cours de la bourse.
34:40C'était avant l'époque d'Internet.
34:42Et dans cette interview, il dit
34:44de toute façon, je peux lire tous les livres, mais
34:46le message,
34:48la vérité, je l'ai. Donc, les livres,
34:50finalement, je les ai écrits,
34:52mais ça ne l'intéresse pas plus que ça, parce que
34:54en fait, ça ne rapporte pas assez d'argent d'écrire des livres.
34:56Donc,
34:58j'en ai fait un, j'en ai fait deux,
35:00et on va savoir quel est l'un.
35:02Il le dit à la fin, il le dit, je ferais peut-être
35:04un troisième livre
35:06si le deuxième marche bien, mais
35:08c'est vraiment qu'une question d'argent. Donc en fait, ça
35:10ne l'intéresse pas. Il a l'impression d'avoir
35:12trouvé le message, ce qu'il dit, j'ai trouvé le message,
35:14j'ai trouvé la vérité.
35:16Et la vérité, c'est la destruction
35:18de la planète par des bombes nucléaires.
35:20Et du coup, maintenant, ce qui m'intéresse, c'est de jouer à la bourse
35:22et de me prendre pour Warren Buffett,
35:24ce qu'il arrive avec plus ou moins
35:26de succès.
35:28Et vous, vous jouez aux jeux à gratter, Jérôme ?
35:30Non, mais j'avais une grand-mère qui jouait beaucoup,
35:32qui n'a pas
35:34trop réussi. Le bout du hasard vient de là.
35:36Oui, peut-être que je devrais prendre la relève.
35:40Et est-ce que vous avez des projets
35:42d'anthologie ?
35:44Est-ce que vous pensez que Louis
35:46Wollstone va se développer l'œuvre ?
35:48C'est aussi pour ça que j'ai fait ce livre.
35:50C'est un peu mon vœu qu'on puisse
35:52reparler de Wollstone,
35:54que les gens puissent s'en saisir et aussi
35:56qu'il y ait tout un travail
35:58éditorial et de traduction qui puisse se faire.
36:00Aujourd'hui, il y a
36:02peut-être une traduction italienne,
36:04une traduction espagnole.
36:06Il y a une tentative ratée de traduction en allemand.
36:08Mais
36:10c'est deux choses.
36:12L'édition, pas complète,
36:14parce que ce sera toujours inachevé, mais une édition plus
36:16sûre, plus solide
36:18de ces textes. C'est quelque chose qui, je pense,
36:20est important dans les prochaines années.
36:22Et de le traduire aussi.
36:24Donc...
36:26Quatre langues en une.
36:28C'est fini.
36:30Je voulais poser...
36:32Je trouve que c'est une espèce de contradiction
36:34entre un homme qui est profondément
36:36profitiste,
36:38c'est le coeur de son message, de ce qu'il pense,
36:40et un homme qui s'intéresse à des activités
36:42comme boursicoter,
36:44c'est-à-dire avoir des petits gains
36:46matériels par des paris
36:48comme ça, quoi.
36:50Et qui, surtout, n'ont pas de...
36:52n'ont pas d'autres dimensions
36:54que matérielles.
36:56Donc je me disais, est-ce que c'est pas finalement
36:58très américain d'être comme ça ?
37:00Est-ce qu'un Européen aurait pu, à la fois,
37:02être profondément déprimé
37:04et s'adonner à ce genre de curiosités ?
37:08C'est une bonne question, je sais pas.
37:14Je suis assez d'accord avec vous et je pense aussi
37:16que c'est vraiment caractéristique
37:18d'un écrivain qui est américain.
37:22Son rapport à la vie est très américain,
37:24sa volonté de trouver
37:26de la vitesse,
37:28de pouvoir tout cramer,
37:30tout dépenser, recommencer.
37:32Cette manière de se jeter sur les routes, aussi.
37:34Bon, il y a tout ce qui existe
37:36avec les bitniks,
37:38Jacques Kerouac, mais en fait, il a fait
37:40un vrai sur-la-route pendant
37:42les années 80.
37:44Moi, je pense que c'est...
37:46c'est très américain.
37:52Est-ce qu'on échappe, finalement,
37:54à son origine ?
37:56C'est un peu tout le propos de la fin du Schizo et les langues,
37:58si vous arrivez à lire les 200 pages
38:00de Manie et de Tic Littéraire
38:02de Wolson.
38:04Les extraits sont déjà très denses.
38:06C'est sympa à lire.
38:08Mais à la fin, en fait, il a tout un discours
38:10et il dit, moi, je fais tout ça, c'est pour me réconcilier
38:12avec la langue maternelle.
38:14C'est-à-dire qu'il a envie, chez lui,
38:16de traverser l'anglais,
38:18de trouver une sorte d'ombre,
38:20de repli, en fait,
38:22dans la langue maternelle, de la dépasser
38:24et puis de y revenir.
38:26Une forme de réconciliation, mais qui n'arrive jamais.
38:28Mais ça, c'est un vœu pieux
38:30qu'il fait à la fin du livre.
38:32Et...
38:34Je ne sais pas s'il y a jamais arrivé.
38:36Et le...
38:38Le langage est un territoire.
38:40C'est...
38:42Oui, le langage est un territoire
38:44et le langage est fait pour être traversé.
38:46Il partit vivre à Porto Rico,
38:48qui est aux Etats-Unis, mais hispanophone.
38:50Oui. Et il parle allemand parfois
38:52dans la rue à Porto Rico et les gens lui répondent en espagnol.
38:54Que loco, enfin...
38:56Que loco, oui.
39:00J'avais une question. Alors, je n'ai pas encore lu le livre,
39:02mais le rejet de la langue maternelle,
39:04on pensait à la mère.
39:06Est-ce qu'on en sait plus sur ses parents,
39:08sur son origine sociale ?
39:12Sa mère est d'origine biélorusse.
39:16Elles sont arrivées à New York
39:18dans les années 30.
39:20Donc lui, en fait, c'est un immigré
39:22de la première génération.
39:24Et...
39:26Il a une relation
39:28très contradictoire
39:30avec sa mère, c'est-à-dire que
39:32dès qu'elle joue au piano
39:34et chante en anglais, il a envie de...
39:38Il a envie qu'elle se taise.
39:40Qu'elle se taise à jamais. Et en même temps,
39:42tout son deuxième texte
39:44qui s'appelle Ma mère musicienne,
39:46qui a été publié en 83,
39:48où il raconte le cancer de sa mère,
39:50c'est quelque chose où il y a
39:52énormément d'affection et en même temps de distance.
39:54Il a des rapports très contradictoires.
39:56Et on ne sait jamais s'il a envie
39:58de prendre sa mère
40:00dans ses bras ou de la trucider.
40:02C'est très paradoxal.
40:04Mais c'est comme s'il jouait tout le temps
40:06avec l'origine, qui est
40:08l'anglais maternel, et de se dire
40:10j'aime cette langue, je la rejette,
40:12je veux la traverser, je veux y retourner.
40:14C'est un peu cette
40:16scansion-là qui existe
40:18dans sa vie personnelle et qui existe
40:20dans son travail d'écrivain.
40:26Et qui serait peut-être,
40:28selon vous, lié à sa schizophrénie ?
40:32Je n'ai pas voulu trop m'avancer
40:34sur le terrain psychiatrique dans le livre
40:36parce que je trouve qu'on en a beaucoup trop parlé
40:38pour dire parfois des choses intéressantes,
40:40parfois des choses moins intéressantes, et que je ne me sentais pas
40:42non plus légitime à dresser un portrait
40:44trop psy et
40:46à rentrer dans des détails qui, à mon avis,
40:48ont essoufflé le lecteur
40:50et finalement n'ont pas été
40:52très digestes.
40:56Moi j'ai davantage un sentiment
40:58d'autisme, alors je ne suis pas non plus spécialiste
41:00en autisme, mais de
41:02raideur du corps,
41:04de raideur de l'écriture,
41:06de tics,
41:08davantage qu'une schizophrénie
41:10très romantique,
41:12où on a un truc un peu entre Dracula
41:14et sa voisine à Porto Rico
41:16qui pense que c'est un vampire, que c'est Dracula,
41:18avec la lumière allumée 24h sur 24,
41:20je pense que c'est quelqu'un qui est plein de tics.
41:22Il y a une rectitude,
41:24il y a une raideur,
41:26toute sa vie
41:28il a cherché à sortir de sa langue maternelle
41:30et il reste bloqué là-dessus.
41:32Il est resté vraiment 70 ans,
41:3480 ans, 90 ans, bloqué là-dessus.
41:36Et Wikipédia lui donne
41:3894 aujourd'hui. 94 ans,
41:40donc joli anniversaire, mais
41:42s'il a 94 ans,
41:44bravo à lui.
41:46Des dernières nouvelles que j'avais,
41:48il y a deux ans,
41:50il était très très mal en point
41:52et on n'avait surtout plus de nouvelles de lui.
41:54Et je sais qu'il y a eu une enquête de voisinage
41:56que
41:58personne n'a retrouvé sa trace
42:00et aux dernières nouvelles, son appartement est bloqué,
42:02fermé, donc peut-être que
42:04son appartement a été revendu
42:06ou peut-être que son appartement
42:08est toujours fermé, un petit peu comme l'appartement
42:10de
42:12Everhoeff qui était
42:14la femme de Max Brod et qui avait des manuscrits
42:16de Kafka, donc peut-être que
42:18si on tape à la porte, on va trouver
42:20un adbook,
42:22des mails, des textes ou des choses
42:24où il n'y aura rien du tout, il y aura juste des sacs plastiques
42:26avec de la nourriture dedans.
42:28On ne sait pas.
42:30C'est un autre mystère.
42:32C'est un autre mystère.
42:34Une autre
42:36question.
42:38Sans manquer.
42:40Je vous propose d'applaudir
42:42bien fort.

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