Alexandre Ouizille, sénateur PS de l'Oise, était l'invité de Sonia Devillers ce lundi. Il est le rapporteur de la commission d'enquête sur les eaux en bouteille, dont la remise a lieu ce lundi matin. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-lundi-19-mai-2025-2937684
00:00Sonia De Villers, votre invitée, est sénateur de l'Oise et rapporteur de la commission d'enquête sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille.
00:09Son rapport est rendu aujourd'hui, Nicolas, avec des révélations explosives sur ce que contiennent les eaux du groupe Nestlé, notamment la marque Perrier,
00:17et comment les bactéries repérées dans les sources Perrier nous sont cachées avec la complicité de l'État.
00:24Bonjour Alexandre Ouizil.
00:25Bonjour.
00:26Grâce aux révélations de Radio France et du Monde, on sait depuis l'année dernière que Perrier filtre massivement ses eaux supposées être minérales et naturelles.
00:35Or, c'est rigoureusement interdit.
00:37Pour que tout le monde puisse nous suivre ce matin, je voudrais qu'on comprenne bien, en quoi c'est une tromperie pour le consommateur ?
00:44Bon, écoutez, ça fait des années en effet, même des dizaines d'années, que les eaux de ces marques, de Nestlé Water, sont traitées.
00:50Or, l'inverse de naturelle, c'est traité.
00:52Donc, lorsque vous achetez une eau minérale naturelle, vous achetez la minéralité et le fait qu'elle est naturelle.
00:56Et vous l'achetez cher, parce que cette eau minérale naturelle, elle est vendue 100 à 400 fois le prix de l'eau du robinet.
01:01Donc, vous avez une fraude lorsque vous traitez vos eaux.
01:03Et si vous le traitez, c'est ce que vous avez dit il y a un instant, ce n'est pas pour rien.
01:06C'est parce qu'il y a un problème sur les eaux brutes, sur les eaux à la source.
01:09Et le montant de la fraude, quand même, évalué par la DGCRF, c'est-à-dire la répression des fraudes, c'est plus de 3 milliards d'euros à minima.
01:15Donc, on parle d'une fraude massive.
01:16Voilà, mais comme on a bien compris, c'est beaucoup plus grave qu'une tromperie pour le consommateur.
01:22C'est que ça revient à purifier des eaux qui sont polluées, qui sont contaminées.
01:28Qu'est-ce qu'on retrouve de pas normal dans ces eaux ?
01:30Qu'est-ce qu'on retrouve de dangereux dans ces eaux ?
01:32Pour être clair, il faut être en effet assez clair là-dessus.
01:35Vous avez des eaux brutes, en effet, qui sont contaminées avec des bactéries à l'intérieur, avec Echecoli.
01:40Donc, des bactéries que les gens connaissent, qui sont des bactéries en effet dangereuses, qui peuvent amener des problèmes.
01:44En Espagne, il y a eu déjà des cas graves de contamination avec ce genre de choses.
01:48Aujourd'hui, il y a des filtrations qui sont mises en place pour, quelque part, s'assurer que ces bactéries sont éliminées.
01:53Or, les filtrations qui existent aujourd'hui, elles sont considérées comme une fausse sécurité par le rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales.
02:00Pourquoi une fausse sécurité ? Parce qu'elles ne sont pas fiables, ces filtrations ?
02:02Parce que, si vous voulez, cette eau, elle a besoin d'être traitée comme l'eau du robinet par des filtres à charbon, des lampes à UV.
02:08Elle a besoin d'être traitée.
02:10Or, elle ne l'est pas parce qu'aujourd'hui, l'appellation aux minérales naturelles ne fait en sorte qu'elle ne le soit pas.
02:15Et qu'il y a une difficulté de Nestlé à renoncer à cette appellation aux minérales naturelles.
02:20Et il y a un rapport d'hydrogéologue qui a été mandaté par la préfecture d'Angers et qui dit qu'en effet, sur les eaux brutes, il y a un problème.
02:26Il n'y a plus ce qu'on appelle la pureté originelle.
02:29Sauf que moi, dans votre rapport, quand je lis des bactéries coliformes, entérocoques, écolis, mais aussi des pesticides, des polluants éternels, il y a un risque sanitaire ?
02:41Alors, aujourd'hui, ce que je peux vous dire, c'est qu'il y a un contrôle sanitaire renforcé de la part des autorités
02:47qui fait en sorte qu'en effet, sur ce qui est commercialisé, il n'y a pas de risque sanitaire.
02:51Mais il y a un problème. Il y a un problème parce qu'il y a une fausse sécurité.
02:54Il y a un problème parce qu'aujourd'hui, en fait, il y a des contrôles, des coups de sonde qui sont faits dans les bouteilles a posteriori dans la production,
03:00que normalement, ces lots sont retenus, mais que les révélations de Radio France de ce matin le diront aussi,
03:04et on l'a constaté dans le rapport, il y a une difficulté à savoir ce qu'ils font des lots.
03:07C'est-à-dire qu'on n'a pas une réponse claire sur ce qui est fait des lots.
03:09Quand vous dites qu'il y a des lots qui sont retenus, ça veut dire que régulièrement, on demande à Nestlé,
03:16donc à la marque Perrier, de détruire des bouteilles contaminées, pas des petites quantités.
03:22Deux millions de bouteilles, par exemple, il y a quelques années, deux millions de bouteilles,
03:25il y a encore quelques mois, des centaines de milliers.
03:28Donc oui, oui, tout à fait, il y a ce problème-là qui est aujourd'hui sur la table.
03:31Voilà, et juste pour que là aussi on resitue, il y a eu en France un scandale très grave.
03:38En fait, depuis une trentaine d'années, il y a eu plusieurs scandales sanitaires très graves,
03:42connus par des marques Nestlé dans le monde entier.
03:45Nestlé est présent dans 185 pays, c'est un groupe qui fait presque 100 milliards d'euros de chiffre d'affaires.
03:51Il y a 2000 marques, dont la marque Buittoni, en France.
03:55On se souvient des contaminations avec de la matière fécale,
03:58donc des bactéries identiques à ce qu'on retrouve dans les sources des eaux minérales.
04:03Il y a eu deux enfants morts, 60 hospitalisés, ça a été très grave.
04:07Mais si vous voulez, c'est pour ça que nous, avec le groupe socialiste,
04:09on a décidé de s'intéresser à ce sujet.
04:11C'est parce qu'en effet, il y a le précédent de Buittoni qu'on a tous en tête,
04:15et donc on a voulu regarder ce qui se passait.
04:16Et moi, il y a un point dont je veux qu'on discute,
04:18c'est la manière dont l'État a géré les choses,
04:20la manière dont l'État est rentré dans une logique transactionnelle.
04:24L'État ne s'est pas comporté comme l'édicteur de la norme,
04:26garant de l'intérêt général qu'il doit être.
04:28Il est rentré dans une discussion avec Nestlé.
04:30Il a dissimulé au grand public cette fraude.
04:33L'Élysée est au courant depuis 2022.
04:35Le ministère de l'Industrie l'est depuis 2021.
04:37Le rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales a été non publié.
04:41C'est une décision ministérielle.
04:42Je n'ai pas réussi à retrouver quel est le ministre qui avait choisi la non-publication,
04:45mais pas de publication.
04:46Vous avez l'Inspection Générale des Affaires Sociales
04:48qui fait un audit après que les révélations arrivent au ministère en 2021,
04:52et ils oublient le site de Vergès.
04:54Le site de Vergès, c'est là où sont forées les...
04:57Pardon, vous avez raison.
04:58Les eaux de Nestlé.
05:00Franchement, le pic le plus édifiant du rapport que vous révélez,
05:03que vous rendez public ce matin,
05:05c'est ce rapport des autorités sanitaires qui date de novembre 2023.
05:10Un rapport qui est caviardé avec l'aide de Nestlé,
05:14à la demande de Nestlé,
05:15par toutes les échelles de l'État.
05:17Oui, c'est très grave ce qui s'est passé dans ce rapport,
05:21parce qu'en effet, vous avez un industriel qui devient co-auteur du rapport,
05:24c'est-à-dire qu'il y a des paragraphes entiers du rapport,
05:26l'audateur pour Nestlé, qui sont rajoutés à la demande de l'industriel.
05:30Nous, on retrace les mails, on voit les envois de Nestlé.
05:32Les mails, ils sont...
05:33Ils sont édifiants, les mails.
05:34Ils sont édifiants.
05:35Vous avez donc des envois et les paragraphes.
05:37On fait un avant-après dans le rapport.
05:38Donc, vous pouvez bien vous rendre compte des choses,
05:40ce qu'aurait dû être le rapport normalement et ce qu'il a été.
05:42Et puis, vous avez l'industriel qui se fait censeur du rapport.
05:45En effet, les mentions des bactéries qui sont biffées,
05:48les mentions des traces de Péphas qui sont biffées,
05:51des polluants qui sont biffés.
05:52Et donc, vous êtes dans cette situation
05:53où l'instructeur, le fonctionnaire instructeur,
05:57celui qui a travaillé sur le rapport,
05:58demande le retrait de sa signature.
06:00Et alerte.
06:00Et alerte, bien sûr.
06:01Et alerte, et alerte.
06:02Et vous avez un triangle qui est
06:04cabinet santé, direction générale de l'ARS, préfecture.
06:07L'ARS, c'est l'agence régionale de santé.
06:09L'agence régionale de santé.
06:10Qui choisit quand même de produire ce rapport caviardé au Coderst.
06:14Donc là, pour moi, ça appelle à la fois inspection et sanction.
06:17Le Coderst, c'est une autorité, si vous voulez,
06:18une instance consultative locale dans laquelle
06:20il y a des associations environnementales.
06:21La société est un peu représentée.
06:23C'est ça.
06:23Et donc ça, on modifie le rapport
06:25et on amène un rapport qui est en effet caviardé.
06:27Alors, sont impliqués le ministère de la Santé,
06:30le cabinet santé.
06:30Le cabinet santé.
06:32Grégory Emery ?
06:33Pas forcément dans cette affaire-là.
06:34Pas forcément dans cette affaire-là.
06:36C'est le directeur général de la Santé
06:38qui, là, va rejoindre l'Elysée comme conseiller de la Santé.
06:42Voilà.
06:42Est-ce que, jusqu'où on remonte à l'Elysée ?
06:45Écoutez, ce qu'on sait, c'est qu'à l'Elysée,
06:47depuis 2022, ils sont au courant de l'affaire.
06:50On a demandé l'audition d'Alexis Colleur
06:51qui a refusé de se présenter devant nous.
06:54Nous, pour faire la transparence,
06:56on donne aujourd'hui dans le rapport qu'on publie
06:57les 74 pages de discussion
07:01qu'il y a eu au sein de l'Elysée sur ce sujet.
07:03On voulait avoir Alexis Colleur pour lui demander.
07:05Il a refusé de venir devant nous.
07:07D'ailleurs, le président de la République
07:08s'est ému qu'on ait fait cette demande
07:10alors qu'il avait transmis les documents.
07:12Je ne sais pas.
07:12Moi, j'aurais bien aimé comprendre
07:14ce qu'a décidé l'Elysée.
07:15Ce que je sais,
07:16c'est que la présidente de Nestlé Waters,
07:17Muriel Leno,
07:18a rencontré à de multiples reprises Alexis Colleur.
07:20Alexis Colleur, c'est l'ancien secrétaire général de l'Elysée.
07:22C'est l'ancien secrétaire général de l'Elysée
07:23pour que tout le monde sache.
07:24Et ce que je veux dire quand même,
07:25parce que c'est un point important,
07:26heureusement qu'il y a eu la presse dans cette affaire.
07:28Heureusement qu'il y a eu des lanceurs d'alerte
07:30qui ont eu la conscience au sein de l'État
07:31que ce qui passait n'était pas normal.
07:33Je voudrais qu'on en dise un mot des lanceurs d'alerte
07:35parce qu'il y a un mois,
07:36à ce même micro,
07:37monsieur le sénateur,
07:38j'ai reçu une lanceuse d'alerte
07:40dont la vie a été littéralement bousillée.
07:43C'est une femme qui a passé une vingtaine d'années
07:45chez Nestlé,
07:46qui était responsable justement
07:48des questions de sécurité,
07:50santé et alimentaire
07:51et qui s'est battue pour révéler.
07:53Elle a publié un livre au Seuil
07:54pour raconter le calvaire de ce qu'elle a vécu.
07:57Et son ouvrage se termine sur cette phrase
07:59« Qui va oser s'attaquer à Nestlé ? »
08:01Vous, vous les avez eus les cadres de Nestlé
08:03face à vous en commission.
08:04Comment ça s'est passé ?
08:05Ça s'est mal passé.
08:06Ça s'est mal passé.
08:07Si vous voulez,
08:07il y a des gens qui viennent dans une forme de provocation.
08:09Déjà, ils venaient avec les bouteilles d'eau
08:11de leur marque pour bien nous signifier ce qu'ils pensaient de nous.
08:13On leur posait des questions.
08:14L'introduction commençait par
08:16cinq minutes de pages de réclame,
08:17de publicité sur la marque, son histoire, etc.
08:19Alors qu'ils étaient convoqués
08:20pour des sujets graves, sérieux.
08:23Et puis après, le refus de répondre,
08:24nous disant que des instructions étaient en cours à côté
08:27et qu'ils ne répondraient pas à nos questions.
08:28Donc, je ne sais pas.
08:29Je ne sais pas depuis quand tout ça a commencé.
08:31Sans doute des dizaines d'années.
08:33Je sais par contre qu'aucune enquête interne,
08:36ça, ils nous l'ont dit sur place,
08:37aucune enquête interne n'a été diligentée
08:39pour comprendre la chaîne de responsabilité.
08:41ce qui s'était passé.
08:42Donc, il n'y a même pas la conscience
08:43en leur sein de ce qui s'est passé.
08:44Et puis finalement,
08:45voyant que les choses se passaient très mal,
08:47on a demandé la convocation
08:49du directeur général de Nestlé, Monde.
08:51Et lui est venu, il nous a dit
08:52bon, je vais faire des inspections internes,
08:54je vais me rendre compte.
08:55Mais c'est les paroles pour l'instant.
08:57On attend toujours les actes
08:57et en effet, c'est compliqué avec Nestlé.
08:59Vous êtes inquiet ?
09:00Vous avez peur d'un accident sanitaire ?
09:03En tout cas, je pense qu'il y a moyen
09:05de plus sécuriser les choses.
09:06Il faut traiter les eaux si elles ont un problème.
09:08On ne peut pas jouer comme ça
09:09avec des destructions à posteriori.
09:11Je trouve que ce n'est pas suffisamment sécurisant.