Xerfi Canal a reçu Xavier Pavie, professeur à ESSEC Business School, Collège International de Philosophie, pour parler du stoïcisme pour une innovation responsable.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Xavier Pavie, vous êtes professeur à ESSEC Business School et au Collège international
00:14de philosophie. Donc on va parler philosophie ensemble. On va parler des stoïciens ensemble.
00:20Et alors, préparant cette émission, je vous confiais que j'avais une passion pour Kipling.
00:24Je lui disais, Kipling, si tu sais recevoir victoires et défaites et accueillir ces deux
00:29menteurs d'un même front, est-ce que c'est un stoïcien ? Ah oui, il n'y a pas de doute qu'il
00:34est stoïcien. D'ailleurs, on peut être stoïcien sans le savoir. Il s'avère que Kipling le savait
00:40probablement, vu sa connaissance, à la fois ce qu'il a pu écrire, à la fois ce qu'il a pu dire,
00:45ce qu'il a pu partager. Quand on commence son poème, si tu peux voir détruire l'ouvrage de ta vie et
00:51sans un seul coup remettre à reconstruire, on entend évidemment tout le stoïcisme qui est
00:56un élément fondamental, qui est des choses qui dépendent de soi, des choses qui n'en dépendent
01:01pas. C'est globalement le poème de Kipling, « If ». C'est globalement « If ». Voilà,
01:07tu seras un homme, mon fils. Trois topoïs qui nous aident à penser quelque part comment philosophie
01:15et entreprise, au sens des stoïciens et du stoïcisme, peuvent être utiles aux dirigeants
01:20et aux managers. Quand je dis utiles, on se comprend. Votre vision, ce n'est pas la philo qui
01:28doit être utile à l'entreprise, c'est l'entreprise qui doit être utile à la philo. Oui, absolument,
01:31ce point-là est important. On aura peut-être l'occasion d'en discuter en détail. Les topoïs
01:37stoïciens, qui est un terme un peu technique en philosophie, on peut le résumer sous une forme de
01:42principe. Il y a trois principes fondamentaux chez les stoïciens. Il y en a plusieurs,
01:45mais ceux-là sont véritablement fondamentaux. La première chose, c'est effectivement,
01:49et je le disais avec Kipling dans son poème, il y a des choses qui dépendent de nous,
01:53des choses qui n'en dépendent pas. Si vous posez la question du marché ou de la réception de vos
01:59consommateurs ou la réception de vos clients ou la façon avec laquelle vos équipes vont prendre
02:03les choses, il y a des choses qui dépendent de vous et des choses qui n'en dépendent pas. Et bien,
02:06cet élément-là, il est fondamental pour les stoïciens dans l'existence. Ils ne parlent pas
02:11de consommateurs, de clients ou de marché. Il n'empêche que ça, effectivement, fonctionne
02:14aussi en prenant du recul, en se disant, mais finalement, il y a des choses qui dépendent de
02:18moi, des choses qui ne dépendent pas. Je fais de mon mieux, mais il y a des choses qui sont
02:22extérieures à moi. Et cette dimension-là est fondamentale pour un dirigeant d'entreprise.
02:26Plus particulièrement, je m'intéresse à l'innovation, qui est quelque chose qui est
02:32absolument incertain. On ne sait pas si ça va fonctionner ou pas. Le deuxième topoil qui est
02:37important et qui est intéressant, c'est la notion de renoncer au désir. Renoncer au désir parce
02:42qu'on a toujours une course, que l'on peut dire une course à l'hubris. Et cette dimension-là,
02:46cette course à l'hubris peut nous entraîner dans la démesure. Et dans cette démesure-là,
02:50on va chercher quoi ? Toujours le plaisir, et les stoïciens le disent, c'est un plaisir qui est
02:55souvent éphémère, un plaisir qui n'a pas de sens en tant que tel. Et bien, cette dimension-là,
03:01c'est de se dire, jusqu'où je vais ? Si je dois lancer encore un énième produit,
03:05regarder le nombre d'iPhone, regarder le nombre de smartphones en général, regarder l'ensemble
03:11des lancements que l'on peut avoir. Il y a véritablement quelque chose de l'ordre de la
03:15démesure. Que l'on soit un entrepreneur, multi-entrepreneur, ou que l'on lance certains
03:20produits, il y a des choses qui, très clairement, ne répondent pas au renoncement du désir. Et puis,
03:26le troisième élément qui est important, c'est la dimension de l'assentiment chez les stoïciens.
03:30C'est comment est-ce que l'on parle aux autres ? Comment est-ce que l'on accueille la parole de
03:34l'autre ? Et avoir l'assentiment par rapport à ce que l'on veut faire. Et cette dimension-là,
03:38elle est évidemment très peu utilisée dans les entreprises souvent très hiérarchiques. Là,
03:43c'est plutôt une entreprise dans laquelle on a tous la parole et on essaie comment on fait en
03:47sorte d'avoir une parole accueillie, partagée, et chercher ce qu'on appelle la parole juste et
03:52vraie. Donc, trois principes. Ces trois principes-là ne sont pas du copier-coller à
03:59l'entreprise. Qu'est-ce que ça peut vouloir dire à l'entreprise ? Mais c'est plutôt comment est-ce
04:03que cette proposition stoïcienne doit nous habiter et nous entraîner, y compris quand on est un
04:09dirigeant ou qu'on travaille dans l'entreprise. C'est en tant qu'homme individu que je m'adresse.
04:14Avec une analogie que j'aime beaucoup, c'est un poignard la philo. C'est ça, c'est un poignard,
04:22c'est pour de l'autodéfense.
04:23Oui, on appelle alors en grec c'est l'anchitrion et cette dimension-là, elle est importante parce
04:29que ça veut dire qu'il faut toujours l'avoir sur soi. C'est pour ça qu'ils utilisent les
04:32stoïciens la métaphore du poignard. C'est-à-dire qu'il faut toujours le porter au cas où on en
04:37ait besoin. Alors c'est pour se défendre, c'est également si on veut se faire un sandwich ou
04:42autre chose. Et ces trois topoils, on doit toujours les avoir en soi. C'est-à-dire qu'il ne s'agit
04:47pas, et c'est très important, de lire la philosophie le soir, de lire la philosophie le
04:51matin ou quand on est en vacances, ou Epicure dirait quand on est en retraite, ou quand on
04:56est en vacances. Il s'agit au contraire d'avoir ces trois topoils quand on est en réunion. Il
05:00s'agit de les avoir lorsque c'est difficile. On ne philosophe pas lorsque ça va bien. On
05:06philosophe pour le moment où ça va mal se passer. Et à l'évidence, lorsque ça se passe mal, il faut
05:11avoir son poignard. Est-ce qu'il y a des choses auxquelles il faut renoncer ? Est-ce que l'on
05:15doit être dans une course absolue à la démesure ? Est-ce que je dis véritablement la chose juste et
05:20vraie à qui je parle ? Eh bien ça, ça doit toujours nous habiter. Donc le poignard est là à
05:26la fois pour nous rappeler et à la fois pour pouvoir l'utiliser. Merci à vous.
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