• il y a 3 mois
A destination des dirigeants, DRH et responsables d’entreprise, mais aussi de tous ceux qui s’interrogent sur les enjeux actuels de la gestion des ressources humaines dans l’entreprise.

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00:00Thierry Chavelle, coach de dirigeant, co-directeur du Master Coaching à l'Université Paris Panthéon
00:16Assas, auteur d'une douzaine de livres dont je vais faire un peu de pub, mais ça va vous
00:20expliquer. Trouvez sa voix et on arrive au titre de cette séquence, Comment faire l'entreprise
00:26buissonnière. Alors Thierry, j'aimerais qu'on commence par là. C'est quoi une entreprise
00:33buissonnière ? Je t'ai vu sourire plusieurs fois. Je pense qu'il y a des gens qui ne sont pas loin
00:36de l'entreprise buissonnière dans les témoignages qu'on a eus. Quelle est ta définition et pourquoi
00:42est-ce qu'il faut penser à faire l'entreprise buissonnière ? Bonjour Cécile, bonjour à tous.
00:46Très honoré d'être là, très impressionné par tout ce qui a été dit. Moi, je suis expert en pas
00:51grand-chose. Je suis coach, donc plutôt mailloticien. Je ne suis pas sûr qu'il existe des
00:55entreprises buissonnières. C'est bien le principe. Comment on fait pour prendre un peu les chemins de
01:01traverse et s'autoriser ? Alors, on parlait d'entreprises libérées il y a des années,
01:06peut-être à passer de la carte au territoire, c'est-à-dire à aller à l'extérieur. Moi,
01:12je vois beaucoup de clients qui, en fait, sont enfermés dans l'entreprise, passionnés par
01:18l'entreprise. Mais au bout d'un moment, ça devient un peu le syndrome de la grenouille,
01:23c'est-à-dire que je ne vois pas la température monter. Quoiqu'il arrive, ça devient un environnement
01:30un peu étouffant. Mais faire l'entreprise buissonnière, c'est peut-être aussi voyager à
01:38l'intérieur de soi, c'est-à-dire se donner la permission, finalement, de travailler pour vivre
01:48et pas de vivre pour travailler. D'aller aussi, de temps en temps, sécher certaines réunions où on
01:57ne se sent pas si utile que ça. De s'affranchir de l'horaire, de se dire il faut que je sois là à
02:0419h parce qu'à l'étage, tout le monde est là à 19h, aller au cinéma dans l'après-midi. C'est
02:11possible ça ? Pour un cadre, pour un dirigeant ? Et en fait, on en est beaucoup plus engagé,
02:16beaucoup plus motivé. L'entreprise buissonnière, évidemment, ça fait référence à l'école
02:21buissonnière. Je ne sais pas vous, je trouve que les entreprises, plus elles sont grosses,
02:29plus elles sont infantilisantes. Plus on est dans des logiques de bon élève, voire de très bon
02:35élève, d'évaluation dans tous les sens, de contrôle, de comparaison, d'injonction à être
02:45comme il faut. Et les dirigeants, a fortiori, il y en a certains qui ne sortent jamais de leur
02:51grande école ou qui ne sortent jamais de leur classe prépa, qui sont toujours en train de
02:56rejouer la logique du concours. Donc, faire l'entreprise buissonnière, c'est sortir de
03:01l'entreprise pour y revenir peut-être plus joyeux. Il y a un livre dont le titre m'avait frappé,
03:08et en plus il est traduit en français, qui s'appelle « Travailler en s'amusant ». C'est
03:13quand même travailler, ce n'est pas juste s'amuser. C'est l'autobiographie du créateur du
03:20studio Ghibli, qui s'appelle Hayao Miyazaki. Il raconte comment, on a beau être dans un
03:29travail minutieux, dans un travail séquencé, parce que les coloristes ne sont pas ceux qui
03:35dessinent, dans un travail angoissant, parce que c'est des créatifs, on peut s'amuser en
03:41mettant pas trop de process. Ça ne dit pas grand chose de la relation avec son fils et de la façon
03:45dont il a laissé ou pas son fils lui succéder, mais ça c'est une autre histoire. Pour les amoureux
03:50des studios Ghibli. Très concrètement, qu'est-ce que tu nous donnes comme conseils à mettre en
03:57place, à la fois pour les hommes et les femmes que nous sommes dans cette salle à titre perso,
04:03on est tous rattachés à une entreprise ou pas. Et qu'est-ce que tu donnerais aussi comme conseils
04:11aux responsables d'entreprise, qu'ils soient dirigeants ou DRH, pour que concrètement l'entreprise
04:18s'ouvre un peu plus ? Encore une fois, je ne suis pas en mesure de donner des conseils, je vais peut-être
04:25témoigner de ce que j'entends et de ce que je vois. D'abord, c'est peut-être de ne pas traiter le
04:31désengagement. On a beaucoup parlé de l'engagement, mais bien souvent, on arrive trop tard. On arrive
04:37en essayant de pallier une démotivation ou de pallier une souffrance au travail qui ne dit pas son nom.
04:47Quitte à être un peu provocateur, je pense que c'est une bonne nouvelle de ne pas être tout le temps
04:55engagé, de donner aussi un peu de respiration et d'accepter qu'il y a des hauts et des bas, déjà dans
05:02une carrière, mais aussi dans un job. Et que la logique d'engagement, on a fait l'étymologie tout à l'heure,
05:08c'est sûr qu'il y a le militaire, mais il y a aussi la logique de gage. Vous vous souvenez de Sganarell dans Don Juan ?
05:13Mes gages, mes gages. Donc on est dans un contrat de rétribution, contribution. Et donc en demander plus,
05:20ça pose aussi la question du jeu qu'on laisse à ses collaborateurs. On a beaucoup parlé des cadres,
05:27mais il y a la question de l'engagement des non-cadres aussi. Qu'est-ce qui fait qu'il y a des bullshit jobs ?
05:32Qu'est-ce qui fait qu'il y a des invisibles ? C'est d'abord un corps social, une entreprise. Donc l'engagement,
05:37ce n'est pas juste une affaire individuelle. On individualise énormément les parcours de carrière,
05:43c'est très bien. Mais il ne faut pas oublier que la spécialisation, ça conduit aussi à l'isolement,
05:50ça conduit aussi à la parcellisation des tâches. A l'époque de l'industrie taylorienne, on parlait de flânerie systématique.
05:59Il fallait absolument éviter que l'ouvrier fasse de la flânerie systématique, qu'il ne soit pas occupé.
06:05Donc il y a une dialectique occupée, business en anglais, et peut-être non pas oisif, mais peut-être un petit peu fantaisiste.
06:15Donc ne pas traiter le désengagement. Il y a un livre qui date de 1853, que vous connaissez peut-être,
06:22de Herman Melville, qui est l'auteur de Moby Dick, qui s'appelle Bartleby.
06:26Alors moi, je vous conseille, là c'est un conseil de lecture de la bibliothérapie, lisez Bartleby.
06:31C'est l'histoire d'un cadre qui décide de répondre à toutes les sollicitations par « I'd rather not to ».
06:39Je préfère ne pas. Il ne dit pas non, il dit qu'il ne préfère pas. Voilà un homme désengagé.
06:45Donc travaillons plutôt la cause que les faits. Qu'est-ce qui fait qu'on se retrouve dans des situations tellement routinières,
06:53tellement monotones, qu'on a envie de regarder par la fenêtre, on regarde les heures passer,
07:00et on attend tranquillement le temps de loisir. La deuxième chose, si je peux, c'est d'investir la relation humaine.
07:12Il y a un mot qui m'a un petit peu manqué ce matin, c'est le mot de relation. On est des êtres reliés.
07:20Et donc c'est d'abord la qualité de la relation avec son manager direct qui fait qu'on est engagé ou pas.
07:26On ne dira jamais assez, vu de ma fenêtre, le mal que le Covid a fait au monde du travail.
07:34Je regrette, moi je rencontre que des clients qui souffrent du télétravail, qui sont très contents d'avoir cette pause,
07:43mais qui souffrent de l'effet induit sur la dispersion des équipes, sur la difficulté à donner du feedback,
07:50sur la difficulté à prendre la température régulièrement avec un collectif. Et donc la technologie n'est pas que notre allié.
08:01C'est aussi la relation d'intimité, de complicité. Il me semble qu'il y a un mouvement de centralisation des entreprises en ce moment,
08:14surtout dans les grands groupes internationaux. Et donc on voit une couche, souvent régionale, européenne, de grands pays,
08:23qui vient se mettre entre les opérations et le corporate. Et ça, ça conduit un certain nombre de collaborateurs à être coupés du terrain,
08:32à avoir l'impression qu'ils travaillent pour faire du reporting, qu'ils passent leur temps à remplir des tableaux de chiffres,
08:39mais qu'ils ne voient plus vraiment leurs collaborateurs pour manager, pour voir les clients, pour aller sur le terrain.
08:44Je ne sais pas si small is beautiful, mais en tout cas, les process sont souvent l'opposé de la relation authentique.
08:54Et puis, vous savez, on sait très bien mesurer l'engagement et le désengagement. C'est très rassurant pour la marque employeur.
09:04Ça a des effets souvent catastrophiques. C'est-à-dire que moi, je vois arriver des managers qui me disent
09:08Cette année, j'ai eu 3,7 dans le Global Gallup Survey. C'est une catastrophe. Toute l'entreprise est à 4,2. Vous voyez, toujours la logique scolaire.
09:17Donc, c'est très bien de mesurer le désengagement, mais de croire qu'on peut mettre en équation ce qui motive un collaborateur,
09:26c'est une illusion qui a été battue en brèche par tous les travaux de psychosociologie du travail.
09:32Vous ne pouvez pas motiver quelqu'un de l'extérieur. Vous pouvez le mettre dans les conditions de s'auto-motiver.
09:39C'est très différent. Et le troisième retour que j'ai envie de dire, c'est que je crois que la seule vraie raison d'être engagé, au final,
09:49c'est l'amour du travail bien fait. C'est le contenu du job lui-même. Et ce que j'entretiens, un rapport créatif, c'est-à-dire poétique,
09:59la poésie, en grec, c'est l'acte créateur, au-delà juste du rapport de contribution-rétribution.
10:06Vous savez, c'est Yankelevich, le philosophe, qui disait qu'il y a trois modalités de rapport au temps.
10:13La première modalité, nous dit-il, c'est l'ennui. Voilà, on est en plein dedans.
10:20Qu'est-ce qui fait qu'on s'ennuie ? Les réseaux sociaux, notre ami opérateur de téléphone n'est plus là,
10:28mais les réseaux sociaux sont un très bon facteur de désengagement. Pendant la réunion, je regarde, je scrolle mon téléphone,
10:36je ne suis pas vraiment présent. C'est des facteurs de dispersion, de distraction. Donc l'ennui, on le connaît tous.
10:45C'est l'ennui métaphysique, il faut peut-être en parler, ce n'est peut-être pas tabou de s'ennuyer.
10:50La première étape, c'est de reconnaître et d'accepter qu'il y a des phases d'ennui, que c'est humain.
10:55Même moi, j'adore mon métier, mais de temps en temps, je m'ennuie.
11:00Et si je commence à me forcer, à me dire non, ce n'est pas vrai, je n'ai pas le droit de m'ennuyer,
11:04je me fais encore plus de mal, je me raconte une histoire. La deuxième modalité de rapport au temps chez Yankelevich,
11:11c'est le sérieux. C'est intéressant, c'est important d'avoir l'impression qu'on contribue à quelque chose de sérieux.
11:18Je suis très d'accord avec ce qui a été dit sur la désaffection pour l'industrie,
11:22on pourrait dire pour le BTP, pour les métiers de col bleu. Pour autant, c'est souvent là que ça se passe.
11:28Il faut encourager les jeunes à ne pas commencer par le conseil, le private equity, la banque d'affaires,
11:33à commencer par travailler avec des gens qui travaillent sur le terrain.
11:38Et le troisième, je vous le donne en mille, c'est l'aventure, la modalité qu'on peut avoir de rapport au temps.
11:44Voyons, on peut chercher chez Yankelevich des réponses.
11:47Et donc l'amour du travail bien fait, c'est peut-être un rapport au temps long, un rapport à la belle ouvrage.
11:57Peut-être avoir trois choses en tête. La première, c'est de se sentir utile.
12:02Est-ce que je me sens utile dans ce que je fais ? Est-ce que je vois la finalité de ma tâche ?
12:09J'ai des dirigeants dans mon bureau qui me disent qu'en fait, ils ne sont pas détachés.
12:22Mais plus le temps passe, plus il y a une forme de corrosion. À cause de quoi ? À cause des jeux de pouvoir.
12:30Le temps qu'on peut passer dans les bureaux feutrés à faire tout sauf le contenu de ce qui nous rend utile, c'est terrifiant.
12:37Et donc il y a une usure de ça.
12:40La deuxième chose, c'est de créer. Et la troisième, c'est d'apprendre.
12:45Est-ce que j'ai un travail où je continue à apprendre des choses ?
12:49Et je ne l'ai pas dit tout à l'heure, mais dans la relation de proximité, il y a aussi une fonction d'admiration.
12:57On a parlé de considération, de respect. J'étais tout à fait en phase avec ce que Ghislain disait.
13:02Mais est-ce que j'ai envie de ressembler à mon chef ou à ma chef dans dix ans ?
13:08Est-ce que c'est un rôle modèle ou pas ?
13:12Voilà, ça c'est la base de la relation de mentor ou je ne sais pas quoi.
13:18Merci beaucoup Thierry.
13:20Peut-être un mot...
13:22Applaudissements
13:26Un mot de conclusion, parce que ceux qui me connaissent savent que je suis complètement psychorigine.
13:29Donc on est juste bien.
13:31Mais si tu dois conclure, qu'est-ce qu'on doit retenir, à part aller au cinéma cet après-midi ?
13:38Et ça, je te promets que je ne l'ai pas oublié.
13:40Alors si tu vas au cinéma cet après-midi, il faut aller voir le dernier film de Wim Wenders qui s'appelle Perfect Days.
13:49Vous comprendrez pourquoi.
13:51Le pitch, c'est l'histoire d'un homme qui nettoie les toilettes de Tokyo pendant deux heures sur la musique du Velvet Underground.
13:57Dit comme ça, ce n'est pas passionnant.
13:59Vous allez voir ce que c'est que se sentir engagé dans son travail.
14:01Écoute, le mot de conclusion, ce n'est pas moi qui vais le dire.
14:05C'est une phrase, une fois n'est pas coutume, d'Albert Camus.
14:09On ne s'attend pas à lire Albert Camus à propos de l'engagement au travail.
14:11J'ai le temps ?
14:13Mais oui !
14:15Je n'ai jamais été heureux.
14:18C'est Albert Camus, ça commence mal.
14:20Je n'ai jamais été heureux, je le sais, ni pacifié que dans un métier digne de moi.
14:26Un travail mené au milieu d'hommes que je puisse aimer.
14:32Je sais aussi que beaucoup sur ce point me ressemblent.
14:36Sans travail, toute vie pourrie.
14:40Mais sous un travail sans âme, la vie étouffe et meurt.
14:47N'est-ce pas alors le véritable effort d'une nation
14:53de faire le plus possible pour que ses citoyens
14:57aient le riche sentiment de faire leur vrai métier
15:01et d'être utiles à la place où ils sont ?
15:05Je vous remercie beaucoup.
15:07Merci.

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