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Christine Angot : "La langue n'est pas un bien personnel" - L'édito culture
France Inter
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14/09/2023
Retrouvez les éditos culture sur https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-culture
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C'est pathétique.
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Des auteurs français qui ont pour porte-drapeau le Goncourt 2018 Nicolas Mathieu s'inquiètent
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de la présence du roman de Kevin Lambert, que Notre Joie demeure, sur la liste du Goncourt
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de cette année.
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Parce qu'il a été relu avant publication par un sensitive reader, un lecteur sensible.
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Pour eux, c'est l'agent d'un contrôle social sur l'écriture.
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Ils utilisent le mot anglais pour faire « menace étrangère ».
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C'est marrant.
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Parce que, en revanche, quand il est question de faire relire à des membres de la famille
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qui pourraient être heurtés dans leur sensibilité un roman où ils risqueraient de se reconnaître
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sous les traits d'un personnage, alors là tout le monde trouve ça délicat et formidable.
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Humain, respectueux de la vie privée et de la famille au sens strict.
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Et celui qui ne le fait pas a vite fait de passer à leurs yeux pour un monstre froid.
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La plupart des écrivains préfèrent attendre que leurs parents meurent pour écrire ce
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qu'est le cercle familial, tellement ils sont délicats.
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A l'égard de la sensibilité de la famille.
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La famille au sens strict.
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Pas l'humanité au sens général.
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Les sensitive readers, nous, en France, on ne pratique pas.
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On fait relire par un avocat.
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Que ce soit exactement la même chose n'effleure pas ceux qui déplorent la présence de Kevin
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Lambert sur la liste du Goncourt.
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Il est canadien, il a 30 ans, il dit que lui-même est homosexuel et qu'il aimerait bien renseigner
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un auteur sur un personnage qui le serait dans un roman.
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Le but n'est pas de suivre des conseils, mais de créer des phrases.
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Celles de Kevin Lambert sont celles d'un écrivain.
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Et la sensibilité est le sujet du livre.
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Le personnage principal est une femme, architecte, richissime, mondialement reconnue, du niveau
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de Jean Nouvel.
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Des femmes architectes de niveau international, il y en a aussi dans la réalité.
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Lina Bobardi, René Gayouste, Zaha Hadid, je me suis renseignée.
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Elle est au sommet.
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C'est une gloire internationale.
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Mais la presse qui tombe dessus, c'est la chute.
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Après la révélation d'une construction à Montréal, sur des terres autochtones.
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Le livre décrit avant, pendant la chute et après.
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Quand l'extrême richesse, l'extrême célébrité se fracasse sur une inattention à la sensibilité,
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ça oui, c'est sûr, c'est nouveau.
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Est-ce que la France doit rester le pays de la liberté d'importuner ? Pendant longtemps
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?
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D'importuner ce qu'on appelle les personnes stigmatisées comme si ce n'était pas des
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personnes mais des cas d'école ?
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Au XIXe siècle, un roman qui caractérisait le personnage des Juifs par une allusion à
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la rapacité en matière d'argent ne choquait personne.
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Non seulement ça passait, mais c'était même pas visible, même pas noté.
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Il a fallu la Shoah pour que ça s'arrête.
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Un peu, un temps, avant de reprendre en sourdine.
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Faire relire un manuscrit, ce n'est pas se soumettre à un contrôle, c'est essayer
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d'entendre ce qu'on a écrit d'une autre oreille.
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La littérature se fait dans un temps donné, contemporain, parcouru par tout un réseau
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de sensibilités, les siennes, celles des autres, l'air et les mots du temps.
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On ne peut pas écrire si on ne ressent pas tout ça en même temps et qu'on a peur d'être
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contrôlé.
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Il faut juste le ressentir, en être conscient et décider.
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La langue n'est pas un bien personnel, c'est un bien commun.
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On n'écrit pas seul.
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La littérature nous appartient à tous.
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Il ne s'agit pas d'être naïf, de plier sous un groupe de pression, il s'agit d'entendre.
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Autrement dit, la littérature c'est tout un art.
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