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L'édito de Mathieu Bock-Côté : «Redécouvrir le philosophe Julien Freund»
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13/05/2023
Dans son édito du 13/05/2023, Mathieu Bock-Côté revient sur [thématique de l'édito]
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Nous avons été témoins sans le savoir d'un événement éditorial majeur.
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Les éditions du CERF ont décidé de rééditer un ouvrage majeur et oublié d'un auteur
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lui-même majeur et oublié.
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Nous parlons de la décadence de Juin-Freud.
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Et c'est à la fois sur ce penseur et cet ouvrage que vous souhaitez revenir pour votre
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premier éditorial.
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Oui, de temps en temps, je crois, il faut prendre un peu de temps dans les grands médias
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pour s'intéresser aux grands penseurs qui nous permettent de jeter un regard profond,
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un regard perspicace, un regard qui coupe de transversal sur notre réalité, qui sont
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capables, même s'ils sont morts depuis quelques décennies déjà, de jeter un regard neuf
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sur notre société.
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Et ce penseur, c'est Julien Freud.
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Julien Freud, 1921-1993, je dirais un des grands philosophes politiques français du
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20e siècle.
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Un des grands philosophes qui aura examiné, mené une réflexion de fond sur qu'est-ce
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que c'est la politique, qu'est-ce que c'est la politique volontairement, quelles sont
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les catégories qui permettent de comprendre la politique, quels sont les grands enjeux
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pour comprendre la politique, une réflexion de fond qui nous sortait justement du commentaire
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en superficie.
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Lorsqu'on traverse son œuvre, lorsqu'on explore son œuvre, lorsqu'on en sort, on
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en ressent avec une lecture beaucoup plus riche de ce que ça veut dire vivre en société,
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vivre politiquement.
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Je donne quelques-uns des titres qui constituent son œuvre.
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L'essence du politique, je crois que c'est son classique.
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Politique et impolitique, la fin de la Renaissance, violence et utopie, le nouvel âge.
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Je souligne ce penseur oublié parce que Julien Freud n'était pas de gauche, n'était
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pas de gauche, il n'a pas été traité comme un grand penseur par une bonne partie
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de l'intelligentsia qui le traitait plutôt comme une espèce de réactionnaire sulfureux,
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un réactionnaire nauséabond, un réactionnaire infréquentable, même s'il avait eu comme
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maître notamment Raymond Aron, même si au moment de la Deuxième Guerre mondiale, c'était
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un résistant admirable, il s'est engagé dans la résistance de la plus belle manière
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avec le plus grand courage.
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Qu'est-ce qu'il y a au cœur de la réflexion de Julien Freud, donc la réédition de ce
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livre, La Décadence, sur laquelle je reviendrai dans un instant, c'est une réflexion fondamentalement
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réaliste.
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Quoi qu'on en pense aujourd'hui, la pensée politique dominante est utopiste.
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C'est le fameux « il suffirait de » et si on changeait notre conception de l'être
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humain, et s'il suffisait de vouloir ça, il suffirait de telles mesures, il suffirait
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de telles philosophies, il suffirait de telles doctrines, il suffirait d'investir des milliards
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de milliards d'euros pour que d'un coup la société se transforme.
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Julien Freud dit non.
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Une société c'est fondamentalement conflictuel.
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Une société c'est fondamentalement contradictoire.
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Une société c'est fondamentalement en tension.
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Une société c'est chercher à tenir ensemble des gens qui n'ont pas les mêmes valeurs,
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qui n'ont pas les mêmes philosophies, qui n'ont pas les mêmes principes, qui n'ont
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pas les mêmes aspirations, et réussir à tenir tous ces gens-là ensemble.
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Donc il nous dit que l'art politique c'est un art qui consiste à être capable de tenir
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ensemble des gens qui autrement se taperaient sur la tête, disons-le comme ça.
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Et grande méfiance chez lui envers toutes les utopies.
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Vous savez tous les vendeurs d'utopies qui nous disent « ma solution est telle que si
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on l'applique il n'y aura plus de problème ». Julien Freud nous disait « le drame
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de l'utopisme, le drame de l'utopisme c'est que si vous avez une solution idéale,
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les autres vous débattez pas avec eux.
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Vous les congédiez, vous dites soit on ne débatt pas avec vous, on vous condamne aux
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marges, soit on vous enferme parce que ma société est parfaite, votre société n'est
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pas parfaite, on ne veut pas débattre avec vous.
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Donc c'est un homme qui avait un grand, grand sens des réalités.
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La vie de Julien Freud, la vie intellectuelle de Julien Freud tourne autour d'un concept,
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c'est le concept d'ennemi.
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Alors ça c'est fondamental.
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Et je vais vous raconter une scène qui est assez connue dans le milieu intellectuel mais
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qui a ressurgi dans la vie publique il y a quelques années.
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En 1965, 1965 c'est la soutenance de thèse de Julien Freud, soutenance de thèse grand
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moment de la vie de ceux qui l'ont connue.
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Soutenance de thèse et là la question de base dans ça, cette soutenance, c'est qu'est-ce
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que c'est le politique?
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Qu'est-ce que c'est le politique fondamentalement?
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Et Julien Freud nous dit « il n'y a pas de politique sans ennemi.
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Au cœur de la politique il y a un ennemi et vous devez être capable de faire quelque
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chose, vous devez être capable de nommer cet ennemi, vous devez être capable de vous
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défendre contre cet ennemi, vous devez être capable de lutter contre cet ennemi, mais
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vous devez être capable de le reconnaître.
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Dans sa soutenance de thèse, il y a un grand philosophe de l'époque, Jean Hippolyte, qui
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dit « mais c'est une conception pessimiste, tragique, inacceptable, je ne peux pas l'accepter.
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Si elle est vraie, je vais me retirer dans mon jardin.
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» Et Julien Freud répond de manière absolument tragique « vous n'avez pas compris M.
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Hippolyte, si l'ennemi le veut, il ira vous chercher jusque dans votre jardin.
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» Je pense que cette réflexion-là, qui était connue par les aficionados de Julien Freud,
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est remontée à la surface quelque part à l'automne 2015, au moment des attentats
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du Bataclan.
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Quand on a constaté que des gens qui étaient pour la plupart probablement des pacifistes,
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des idéalistes, des gens qui croyaient qu'il suffirait d'aimer pour ne pas être en conflit,
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des gens qui avaient cru finalement à la promesse d'un monde sans ennemis, sans conflit,
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à un monde, autrement dit, où ils résistaient en terrasse comme on dit, ils ont constaté
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qu'il était possible que l'ennemi décide d'aller les chercher en terrasse, qu'il
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décide d'aller les chercher en salle de spectacle, autrement dit, la figure de l'ennemi
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est arrivée et là, cette conversation, cet échange, l'ennemi ira vous chercher jusque
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dans votre jardin, elle est réapparue à ce moment-là, réaction soit dit en passant
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de Jean Hippolyte en 1965, « Si tout cela est vrai, il ne me restait plus qu'à me
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suicider. » Et ça, c'est la réaction des intellectuels de gauche trop souvent, devant
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la réalité, « Si la réalité est trop dure, je préfère fuir le monde que d'affronter
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ce monde difficile. » Dans cet esprit, nommer l'ennemi, on l'a vu après le 11 septembre
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aux États-Unis, on disait « C'est quoi l'ennemi ? C'est la démocratie contre
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la terreur. » D'autres, on dit « Non, c'est la république contre ses ennemis.
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» La difficulté à nommer l'ennemi véritable, l'islam radical, la difficulté à nommer
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l'ennemi véritable, l'islamisme, c'était probablement un signe du fait qu'on n'avait
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pas suffisamment lu Julien Freund qui nous apprenait à nommer l'ennemi sous le signe
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du réalisme.
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Et pourtant, vous voulez nous parler d'un autre ouvrage, vous le disiez.
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Oui, alors je ne pouvais pas parler de Freund sans faire ce petit parcours, mais d'un
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autre ouvrage, La Décadence. La Décadence est parue en 1984, une première fois. C'est
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un livre qui, pendant des années, je peux en témoigner, c'était impossible de le
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trouver, il fallait se ruiner pour être capable de mettre la main sur l'édition d'origine.
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Qu'est-ce qui est intéressant dans ce livre ? C'est que vous savez, aujourd'hui,
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quand on parle de décadence chez les intellectuels, souvent, quand on parle de décadence, on
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nous dit « Ah, concept d'extrême droite, concept qui ne veut rien dire, concept des
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phases. » On nous dit « Toutes les sociétés sont mortes. Rome est tombée, la chrétienté
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est tombée, le monde des nations est tombée, l'empire américain va tomber, on va tous
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tomber. » La question, ça le dit, c'est que lorsqu'on est dans cette société qui
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aujourd'hui tombe, ce n'est pas agréable. Et Julien Freund propose une réflexion sur
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la décadence. Il l'avait déjà recommencé dans un premier livre en 1980, la fin de la
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Renaissance, je vais vous citer un extrait. « Il y a, malgré une énergie apparente,
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comme un affaiblissement de la volonté des populations de l'Europe. Cet amonissement
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se manifeste dans les domaines les plus divers, par exemple la facilité avec laquelle les
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Européens acceptent de se laisser culpabiliser, ou bien l'abandon à une jouissance immédiate
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et capricieuse, ou encore les justifications d'une violence terroriste quand certains
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intellectuels ne l'approuvent pas directement. Les Européens seraient-ils même encore capables
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de mener une guerre? » Alors franchement, ce qu'on pourrait dire,
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1980, ça décrit quand même très bien le climat des temps présents et même le climat
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post-attentat. Et donc, il nous propose une réflexion non seulement sur la décadence
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des temps présents, mais une histoire du concept de décadence qui finalement nous convainc
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que nous sommes probablement aujourd'hui décadents.
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Julien Freund, on le devine, savait que nos sociétés elles-mêmes étaient emportées
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par ce qu'il appelait justement la décadence. Oui, c'est exactement cela. Il en propose
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quelques critères. Premier critère de la décadence selon Freund, la perte du sentiment
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d'identité. La perte du sentiment d'identité. Petite citation, vous me le permettrez encore
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une fois. « Quel que soient les groupements et la civilisation, quelles que soient les
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générations et les circonstances, la perte du sentiment d'identité collective est
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génératrice et amplificatrice de détresse et d'angoisse. Elle est annonciatrice d'une
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vie indigente et appauvrie et à la longue d'une dévitalisation, éventuellement de
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la mort d'un peuple ou d'une civilisation. Mais il arrive heureusement que l'identité
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collective se réfugie aussi dans un sommeil plus ou moins long, avec un réveil brutal
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si durant ce temps elle a été trop asservie. » Julien Freund s'inquiétait aussi des
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grandes migrations. Des grandes migrations étant présentes. Début des années 90 ici.
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« S'il y a encore une multiplication des diasporas, la stabilité des sociétés peut-elle
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être mise en cause? Évolueront-elles vers l'intégrisme religieux pour préserver
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leur identité? » Et pour celle-même, la question la plus difficile qui soit, la juxtaposition
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d'éléments aussi hétérogènes ne peut que susciter une désarticulation du corps
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social. Julien Freund s'inquiétait de la perte d'identité. Il s'inquiétait des
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grandes migrations. Il s'inquiétait d'un politique qui s'effondre, impuissant, qui
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se perd dans le rationalisme juridique. Un politique incapable de décider. Un politique
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incapable de nommer l'ennemi. Un politique incapable de défendre la société dont il
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a la responsabilité. Il s'inquiétait d'une société trop idéologisée, trop bureaucratisée.
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Une société qui écroule sous les règles, les normes, les documents administratifs et
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qui perd de sa vitalité. Julien Freund est un des grands philosophes du dernier siècle.
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On peut le redécouvrir aujourd'hui à travers plusieurs livres, mais notamment à travers
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La Décadence qui paraît aux éditions du Serre. Un livre magnifique qui permet, je
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le redis, de faire l'histoire du concept de décadence et qui permet de jeter un regard
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sur la décadence des temps présents.
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[Musique]
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[SILENCE]
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