L’été des refuges frais : quand le Sud cherche le Nord

Sud Radio

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Avec Vincent Cespedes, philosophe et essayiste
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##LA_PETITE_PHILO_DE_L_ETE-2025-08-02##

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Transcription

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00:00Sud Radio, la petite philo de l'été, Vincent Saspédès.

00:05Bonjour Vincent.

00:06Bonjour Laurence.

00:07Philosophe, essayiste, auteur de la société de la trahison, séchette Albin, Michel.

00:12Alors Vincent, pour ce nouveau numéro de la petite philo de l'été,

00:15alors qu'on annonce d'ailleurs des canicules dans le sud pour la semaine prochaine,

00:19pas que dans le sud d'ailleurs, dès le début de la semaine prochaine,

00:21justement, vous vouliez nous parler de l'été des refuges frais quand le sud cherche le nord.

00:27J'aime beaucoup ce titre.

00:28Alors pourquoi cet été, tant de Français partent vers des régions plus fraîches ?

00:33Vous connaissez le proverbe, chère Laurence.

00:35Plus on sue, moins on pense.

00:37Sauf si on pense à suer moins.

00:40Vous ne connaissez pas ?

00:41Non, je ne connaissais pas.

00:42Je viens de l'inventer pour vous.

00:44Parce qu'on a compris, Laurence, confusément mais puissamment,

00:48que la chaleur n'est pas l'essence de l'été.

00:50Voilà le renversement.

00:51Ce n'est pas la température qui fait la saison, c'est l'espace qu'elle nous ouvre.

00:56Longtemps, on a associé au sud la lumière, le bronzage comme preuve sociale.

01:02Mais cette équation vacille.

01:03La canicule n'évoque plus l'exotisme aujourd'hui.

01:06Elle étouffe, elle cloître, elle fatigue.

01:09Et les vacances deviennent non pas une échappée belle, mais une épreuve logistique.

01:14Alors, sans même le théoriser, des millions de Français prennent une autre boussole.

01:19Ils cherchent non pas la chaleur, mais la fraîcheur vivable.

01:22La Bretagne devient ainsi désirable, pas seulement pour ses crêpes ou ses ménhirs,

01:27mais aussi parce qu'on y dort mieux.

01:30Petite philo de l'été, leçon 165.

01:33La liberté n'est pas toujours une conquête, elle est parfois un abri.

01:37Montaigne, déjà, disait que la vraie liberté, c'est d'être à soi.

01:41Eh bien aujourd'hui, être à soi, c'est peut-être s'installer dans un coin d'ombre,

01:46loin des grandes routes touristiques, et refuser le diktat de la performance estivale.

01:50Et ce déplacement n'est pas qu'un repli, c'est un redéploiement.

01:55On réinvente l'été comme un temps d'hospitalité climatique.

01:58On cherche des endroits qui nous accueillent, qui nous respectent,

02:01qui nous rendent disponibles au monde.

02:03Moins d'Instagram, plus d'attention.

02:05Et au fond, c'est peut-être la bonne nouvelle, Laurence.

02:08On ne suit pas l'été, on le redéfinit.

02:11On passe de la saison brûlante à la saison pensante, en tout cas j'ose y croire.

02:15On remplace le cocktail qu'ils font par le silence qui repose.

02:19On invente une philosophie du frais.

02:22Une philosophie du frais, j'aime beaucoup.

02:24D'ailleurs, vous parliez de la Bretagne,

02:25avec pour résultat quand même aussi d'une hausse des prix de l'immobilier,

02:29aussi comme dans le Sud.

02:31Vous en parlez quoi ?

02:32Comme un acte collectif, philosophique contre la chaleur,

02:36une révolution des habitudes ?

02:38Comment le philosophe regarde ça alors ?

02:40J'ai l'impression qu'on découvre un renversement.

02:43On croit souvent que choisir moins, c'est subir plus.

02:46Mais cet été, on découvre l'inverse.

02:49La contrainte fait mûrir le choix.

02:51Budget serré, essence trop chère, canicule écrasante.

02:55Plutôt que de forcer l'été à ressembler à une brochure de voyage,

02:58beaucoup le réinventent.

02:59Ils restent près de chez eux, partent moins, mais mieux,

03:03troquent l'exotisme contre l'intimité.

03:05C'est là qu'un penseur oublié redevient lumineux.

03:08Ivan Illich, prêtre rebelle et philosophe autrichien,

03:13qui défendait dès les années 70 une idée radicale.

03:16Plus on accumule les moyens, plus on perd la faim.

03:20Dans La convivialité, il expliquait qu'une société libre

03:23ne dépend pas de la croissance, mais de la capacité de chacun

03:26à créer ses propres règles du jeu.

03:28C'est ce que font les vacances 2025.

03:31On rejoue l'été avec des cartes plus simples, mais bien à nous.

03:36Moins de services, plus d'inventions.

03:38Moins de destinations, plus de présence.

03:40Moins de luxe, plus de liens.

03:42Ce qu'on prenait pour un recul est en fait un recentrage.

03:45Un luxe non pas monétaire, mais existentiel.

03:48Le droit de vivre l'été à sa juste température intérieure.

03:52Oui, c'est ça.

03:52Alors en quoi justement ça bouleverse ou pas, Vincent,

03:55notre rapport au temps et à la nature, cette nouvelle quête de vacances plus simple ?

04:01Oui, le temps et la nature, c'est un été qui apparaît pas du tout comme une parenthèse vide.

04:08En fait, il déborde d'attentes, de bruits, de soleil.

04:12Et cette année, en fuyant la chaleur, on redécouvre la fraîcheur

04:16comme une forme de luxe discret, celui de l'attention.

04:19Ce n'est pas nouveau.

04:20Les Romains, déjà, les Romains de l'Antiquité, fuyaient l'été dans leur ville de campagne.

04:27Sénèque, philosophe stoïcien, parlait dans les hauteurs pour entendre ses pensées, disait-il, loin de Rome.

04:33Plus qu'une simple pause, c'était une pratique de soi.

04:37Ralentir pour mieux se situer dans le monde.

04:39Et aujourd'hui, c'est pareil.

04:40En renonçant à courir après le spectaculaire, on redonne au temps sa densité.

04:45Une discussion au bord d'un lac nourrit plus qu'une story.

04:48Dormir sous un figuier vaut toutes les notifications du monde.

04:52C'est pas mal.

04:53D'ailleurs, on parle de slow tourisme.

04:54Finalement, on a des nouveaux récits.

04:56Évidemment, parce que ce n'est pas vide, en fait.

05:00L'ennui, l'absence de programme, c'est en réalité un retour à l'expérience nue.

05:05L'été frais n'est pas une régression, c'est une réappropriation.

05:08On cesse de consommer le temps, on recommence à l'habiter.

05:11La fraîcheur, ce n'est pas simplement un confort thermique, c'est un désir d'air aussi entre les gens.

05:18Un désir d'espace dans la relation.

05:20On croit fuir le soleil, on découvre qu'on fuyait l'asphyxie sociale.

05:24Et ce mouvement, il a une profondeur.

05:26Les anciens l'avaient compris.

05:28Les grecs vivaient les grandes chaleurs à l'ombre de la stoa.

05:31Ce sont ces portiques, Laurence, portiques publics, lieux de promenade et de paroles lentes.

05:36Montaigne, lui, ne parle pas de la canicule, mais il note une vérité proche.

05:41Je cite, « Le commerce des amis, le commerce au sens d'échanges relationnels, est la plus grande volupté de notre vie.

05:48En pleine Renaissance, il fait déjà de l'amitié un abri contre l'âpreté du monde.

05:53Or, cet été 2025, que voit-on ?

05:56Des bancs qui redeviennent lieu de parole.

05:58Des fêtes de villages où la musique circule comme un courant d'air.

06:01Des gens qui n'attendent plus le programme, mais la présence.

06:04Et si, à grande surprise, c'était ça.

06:06La chaleur nous sépare, mais la fraîcheur nous rassemble.

06:09Et le paradoxe, ce n'est pas la canicule qui fait communauté, c'est la manière dont on y répond ensemble.

06:15Et c'est peut-être la meilleure conseillère en décroissance.

06:18La vraie température de l'été, ce n'est pas celle de l'air, c'est celle du bien.

06:21On croyait fuir la canicule, on a retrouvé la convivialité.

06:25C'est ça.

06:26D'ailleurs, il y a de plus en plus de gens aussi, pour des raisons économiques aussi, au-delà de climatiques,

06:31qui passent des vacances entre amis, des échanges de maison, etc.

06:35L'occasion fait le larron, et finalement, le budget restreint fait le nouveau vacancier.

06:40Et ça va, je pense, dans le droit fil d'une présence au monde et d'un respect de la terre.

06:46Voilà.

06:46La petite philo de l'été, inspirée par tous ces changements aussi climatiques et humains, avec Vincent Cespadès.

06:55Merci beaucoup, Vincent.

06:56Merci, Laurence.

06:56Et on vous retrouve le week-end prochain.

06:58Merci.

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