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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare.
00:08Un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Le 12 juillet 1962, M. Litsenhoff, graphologue, entrant dans les bureaux de la police de Lucerne.
00:18Bien des gens dans cette belle et calme ville, qui fait de la chaise longue toute l'année sur le lac des quatre cantons,
00:24se souviendront de la visite de ce graphologue venu tout exprès de Zurich.
00:28C'est pour vous faire l'étonnant récit de cette visite que Jacques-Antoine a choisi le dossier extraordinaire d'aujourd'hui.
00:37Le 30 juin 1962, Lucerne se prépare à une grande fête
01:00à laquelle 9000 personnes officielles doivent participer auprès de 50 000 touristes.
01:07Le 30 juin au soir, vers 22h, en pleine allégresse,
01:12explose une bombe dans l'ascenseur d'un restaurant.
01:16Trois heures plus tard, une deuxième bombe explose dans une voiture en stationnement.
01:22Les ambulances accourent car plusieurs personnes sont blessées.
01:25Le lendemain à midi, lorsque l'immense cortège des officiels défile en grande pompe,
01:32un autre ascenseur explose dans un café sur la route du cortège.
01:36Mais le défilé continue, et le premier secours aux blessés,
01:40dont un Anglais qui échappe tout juste à la cécité,
01:43est entravé par des badauds trop curieux de voir l'attentat.
01:46Le soir même, vers 11h, il y a une quatrième explosion dans une cave.
01:51Le lendemain, une cinquième qui fait encore sauter l'ascenseur d'un café.
01:56Bilan des cinq attentats, tous commis dans le centre de la ville,
02:00cinq blessés, dont un grièvement, et 100 000 francs suisses de dommages.
02:05La police s'interroge.
02:07Est-ce une vengeance perpétrée à l'encontre de l'un ou l'autre restaurateur ?
02:12S'agit-il d'actes de déséquilibré, de blousons noirs, d'actes d'ordre politique ?
02:20On surveille depuis peu un étranger qui vient d'acheter sur l'ordre de l'OAS un émetteur de radio.
02:26On l'arrête, mais il n'est pour rien dans cette affaire et l'on doit le relâcher très très vite.
02:31Après le troisième attentat, c'est-à-dire 14 heures après la première détonation,
02:36des mesures de sécurité sérieuses ont été prises.
02:38On fait surveiller les abords des restaurants, leurs ascenseurs en particulier.
02:42Comme on songe à des actes d'un déséquilibré,
02:46toutes les maisons de santé de Suisse sont interrogées pour savoir si des internés se sont enfuies ou ont été libérés.
02:52Un détachement spécial est mis sur pied.
02:54On surveille la bord des cinémas, on barricade les rues d'accès de Lucerne
02:58et l'on fait patrouiller dans le centre, la nuit venue, des voitures radio de la police maquillées.
03:04Enfin, au cinquième attentat, on photographie tous les badauds pour pouvoir les comparer avec les autres badauds qui viendront aux attentats suivants,
03:16s'il y en a, ce qui hélas sera le cas.
03:18On compte sur la collaboration de la population, de la radio, de la télé et aussi de la presse.
03:25Mais vous allez voir, chers amis, que cette collaboration va s'avérer être une véritable catastrophe,
03:31jusqu'au moment où interviendra M. Litsenhoff, le graphologue dont je vous ai parlé.
03:37Des débris recueillis sur les lieux des explosions, on extrait surtout des bouts de mèches de détonateur.
03:45Il s'agit d'explosifs tout préparés, non bricolés par le criminel.
03:48En Suisse, la vente et l'utilisation des explosifs sont évidemment réglementés.
03:54Le marchand d'armes doit avoir une concession et ne peut délivrer d'explosifs qu'à des clients connus.
04:00S'il vend à des inconnus, ceux-ci doivent être en possession d'un permis de la police,
04:04ils doivent signer une liste et indiquer leur adresse.
04:08On allait donc s'adresser au marchand d'armes de Lucerne lorsqu'un champion de tir,
04:13Carl Zimmermann, à présent propriétaire d'un magasin d'armes,
04:17appelle de lui-même la police pour lui apprendre qu'un individu qui lui paraît assez louche
04:21a acheté chez lui des explosifs.
04:25Les policiers se rendent aussitôt chez Zimmermann,
04:28qui leur expliquent que l'homme est venu à son magasin le 25 juin,
04:31soit cinq jours avant le premier attentat.
04:34Il lui a fait l'impression d'un employé assez peu sûr de lui,
04:37il parlait le patois de Lucerne.
04:39Il s'est fait expliquer longuement comment il devait manipuler l'explosif.
04:44Et Zimmermann a dû recommencer plusieurs fois ses explications,
04:46car l'homme ne semblait pas briller par son intelligence.
04:50Bien entendu, Zimmermann montre le registre où l'homme a signé.
04:54Il a signé Affled Spany et mentionné son adresse.
05:00En toute hâte, on vérifie l'adresse, comme on pouvait le craindre.
05:04Celle-ci est fausse, comme probablement le nom, Affled Spany.
05:10Reste le signalement.
05:13Zimmermann croit se souvenir que l'homme avait un époids éminent et bossu,
05:17un menton galoche et les cheveux coupés en brosse.
05:20La police établit alors le portrait robot que toute la presse attend,
05:25mais quelques heures plus tard, la police annonce à Zimmermann
05:28qu'elle a mis la main sur le coupable.
05:30L'homme entre dans la boutique de Zimmermann, accompagné de deux policiers.
05:35Le reconnaissez-vous ?
05:37Je crois, dit Zimmermann.
05:40En effet, l'homme a les cheveux en brosse, le néproids éminent et bossu
05:43et le menton en galoche.
05:44Alors le policier se lève à serrer la main de l'inconnu.
05:48Merci, monsieur.
05:49Merci de vous être prêté à ce test.
05:52Vous nous avez rendu grand service.
05:54En effet, cet homme est bien un client de Zimmermann,
05:57mais il est venu la veille de la visite du fameux Affled Spany.
06:02Zimmermann a confondu, mélangé les traits de l'un et de l'autre.
06:06La police décide donc de ne pas diffuser le portrait robot que la presse attendait.
06:11Hélas, après neuf jours de répit,
06:13un nouvel attentat a lieu le 11 juillet dans une cave du centre.
06:17Pas de victime cette fois, mais c'est un miracle.
06:20Alors la presse se déchaîne contre la police
06:22qu'elle déclare inefficace, incapable.
06:26Quelques journalistes harcèlent le malheureux Zimmermann
06:28qui, cuisiné des heures durant,
06:30finit par s'enfermer dans son appartement.
06:32Certains journalistes laissent entendre
06:34qu'ils ont découvert la piste du coupable.
06:36D'autres établissent, d'après les déclarations de Zimmermann,
06:39un second portrait robot, très différent du premier,
06:41qu'ils n'hésitent pas à publier.
06:44Aussitôt,
06:45oh, aussitôt surgissent de partout
06:48les témoignages de la population.
06:50On a vu le meurtrier ici, là et là-bas.
06:54Malheur à ceux qui ont le nez pareil
06:56à celui du portrait robot.
06:58Malheur à ceux qui ont les cheveux
07:00ou le menton du portrait robot.
07:03Quant à ceux qui ont les trois,
07:05leur vie devient intenable.
07:06Des centaines et des centaines de personnes
07:09sont désignées à la police
07:10comme étant le coupable.
07:11Il faudrait des semaines à celle-ci
07:13pour vérifier toutes ces pistes.
07:15Et pendant ce temps, bien entendu,
07:16le criminel court toujours
07:17et les attentats peuvent reprendre.
07:22Finalement, la police continue de s'accrocher
07:24au seul élément concret tangible
07:26qu'elle détient,
07:27à savoir la signature de l'inconnu.
07:30Aflède, Spani.
07:31Spani.
07:33Mais, quelle signature ?
07:36C'est d'ailleurs l'attitude de l'individu
07:38au moment où il a signé le registre
07:39qui a frappé Zimmermann.
07:41De toute évidence,
07:43il ne s'attendait pas à devoir signer.
07:45Et lorsque Zimmermann lui a demandé de le faire,
07:47il a marmonné.
07:48Je suis cultivateur, je m'appelle Alfred.
07:51Là, il a ajouté un nom
07:53que Zimmermann n'a pas compris.
07:55Oui, dit alors l'armurier,
07:57mais il faut signer quand même.
07:59Comme le dénommé Alfred
08:00n'avait rien pour écrire,
08:01il a pris le crayon
08:02que Zimmermann lui tendait
08:03et il a signé debout.
08:05Dans sa confusion,
08:07il semble donc
08:08qu'il n'ait pas su écrire
08:09le prénom Alfred
08:10qui est devenu Aflède.
08:13Dans ces conditions,
08:14quel crédit peut-on attacher
08:15au nom Spani ?
08:16S-P-A.
08:19Le A surmonté d'un tréma,
08:20N-I, Spani.
08:23Quant à l'adresse,
08:24c'est Zimmermann
08:24qui l'a écrite lui-même,
08:25donc là, rien n'intéresse.
08:27C'est donc sans espoir aucun
08:29que la police entre en rapport
08:30avec le graphologue de Zurich,
08:32Litsenhoff.
08:34Le policier,
08:35qui l'appelle au téléphone,
08:36est même convaincu
08:36que Litsenhoff va refuser.
08:39Mais il découvre
08:39un homme ouvert,
08:41convaincu
08:41de l'efficacité
08:42de sa science,
08:43qui ne promet rien,
08:44mais qui veut bien essayer.
08:46Il demande simplement
08:47« De quel exemplaire
08:50d'écriture disposez-vous ? »
08:52« Pas grand-chose, » dit le policier.
08:55« Mais encore,
08:56une signature. »
08:59« Rien d'autre ? »
09:00« Non. »
09:01« Et encore ? »
09:03« Et encore quoi ? »
09:04demande le graphologue
09:05qui commence à s'amuser.
09:06« Eh bien,
09:09c'est une signature
09:10faite au crayon. »
09:13« En effet,
09:14c'est pas grand-chose. »
09:16« Surtout que... »
09:18Le policier entend
09:18le graphologue éclater
09:19de rire au téléphone.
09:20« Écoutez, » dit-il.
09:21« Pour une observation
09:22sérieuse de l'écriture,
09:24un graphologue professionnel
09:25exige un minimum d'éléments.
09:26Une ou deux pages de texte,
09:28si possible écrite à l'encre,
09:29et non au stylo à billes
09:30ou au crayon,
09:31le sexe, l'âge
09:32et le métier
09:33de l'auteur de l'écriture.
09:34Or, si je comprends bien,
09:36vous disposez en tout
09:37et pour tout
09:37d'une signature faite au crayon
09:38et vous me dites
09:39que ce n'est pas tout.
09:40Alors,
09:40laissez-moi imaginer la suite.
09:43Voyons,
09:43vous l'avez gommée par erreur,
09:45vous avez renversé
09:46un encrier dessus,
09:47elle a été faite
09:48sur une surface en relief
09:49qui la rend illusible.
09:50Ah, ah, j'y suis.
09:52Cette signature a été froissée,
09:54brûlée.
09:55Non ?
09:56Ah, ben alors,
09:57je donne ma langue au chat.
09:58Qu'est-ce qui a bien pu lui arriver ?
10:01Elle est fausse, monsieur.
10:04Le policier s'attend
10:05à ce que Litsonov
10:06lui demande
10:07s'il se moque de lui
10:08ou même lui raccroche au nez.
10:11« Bah ! »
10:12dit Litsonov.
10:12« C'est tout de même
10:14un exemplaire d'écriture,
10:16mais je ne pourrais
10:17certainement pas
10:17en dire grand-chose.
10:19Le moindre renseignement
10:20peut nous être utile, monsieur.
10:22Bon.
10:24Bon, alors,
10:25je vais bien essayer
10:25de vous aider.
10:27Je serai à Lucerne
10:28demain matin. »
10:31Lorsqu'il raccroche,
10:31le policier est presque déçu.
10:33Il est tellement convaincu
10:35qu'il n'y a rien à tirer
10:36de ces deux mots
10:37à flède spani
10:38qu'il en vient
10:39à penser
10:40que si un graphologue
10:41accepte de risquer
10:42sa réputation
10:42sur un aussi minable
10:44échantillon d'écriture,
10:46c'est que la graphologie,
10:48ce n'est pas
10:48très, très sérieux.
10:49Les récits extraordinaires
10:58de Pierre Belmar,
10:59un podcast européen.
11:02Le 13 juillet,
11:04lorsque Litsenhoff
11:05entre dans les locaux
11:06de la police à Lucerne,
11:08c'est à la fois
11:08l'effervescence
11:09et la consternation.
11:11Un septième attentat
11:12vient d'avoir lieu.
11:14Le criminel a fait exploser
11:16la veille une baraque
11:17sur une hauteur
11:18proche de la ville.
11:19Comme il faisait
11:20une très belle journée,
11:21beaucoup de Lucernois
11:23étaient en promenade
11:23et la foule
11:24qui s'est précipitée
11:25sur les lieux
11:25après l'explosion
11:26a été tellement énorme
11:28que la police
11:29n'a pas pu s'en approcher
11:30avant plusieurs minutes.
11:32Elle n'a donc pu recueillir
11:33aucun indice
11:35d'aucune sorte.
11:37Lorsque Litsenhoff
11:38est introduit
11:38dans le bureau
11:39du directeur de la police,
11:41ce dernier lui dit
11:41tout de suite
11:42qu'il n'attend pas
11:42de miracle,
11:44mais lui montre
11:44un énorme dossier.
11:45Il y a plusieurs centaines
11:48de pistes,
11:48dit-il.
11:49Elles concernent
11:50pour la plupart
11:50des individus
11:51plus ou moins douteux,
11:52mais nous n'avons pas
11:53le temps
11:54de les suivre toutes.
11:55La moindre indication
11:56qui nous permettrait
11:56de choisir
11:57dans ce fatras
11:58telle ou telle piste
11:59plutôt que telle
12:00ou telle autre
12:00peut nous faire gagner
12:01un temps précieux
12:02et sans doute éviter
12:03de nouveaux désastres.
12:07C'est bien ce que j'ai compris,
12:08dit Litsenhoff.
12:09Sinon,
12:10je ne prendrais pas
12:10le risque
12:11d'extrapoler
12:12en partant
12:12d'une simple signature
12:14au crayon.
12:16Fausse,
12:17ajoute le chef
12:18de la police.
12:19J'espère qu'on vous a prévenu.
12:21Je sais.
12:23Et il saisit
12:24la photographie
12:26que le policier
12:26lui tend.
12:29Remarquez bien,
12:30cher monsieur,
12:30vous n'ayez pas eu besoin
12:31de me dire
12:31qu'elle était fausse.
12:33Ça se voit.
12:35Elle est écrite
12:35sans élan,
12:37sans le mouvement général
12:38qui caractérise
12:39d'ordinaire
12:39une signature.
12:41Elle est improvisée.
12:42les lettres
12:43se succèdent
12:44laborieusement.
12:46Elle est,
12:46comment dirais-je,
12:48anonnée.
12:50Voilà,
12:50anonnée.
12:52Puis le graphologue
12:53repose un instant
12:54la feuille de papier
12:54et regarde le chef
12:55de la police.
12:58Puis-je vous poser
12:59des questions
12:59ou dois-je me risquer
13:00d'emblée
13:01aux suppositions ?
13:03J'imagine
13:04ce que ce travail
13:05peut avoir
13:05de désagréable pour vous,
13:06dit le policier
13:06en s'excusant,
13:07mais je préférerais
13:09ne rien vous dire
13:10de ce que nous savons.
13:13Eh bien,
13:13je préfère aussi,
13:14je me sens plus libre
13:14et au moins,
13:16si je me trompe,
13:18ça sera plus évident.
13:20Notez que j'ai peu
13:21de chances de me tromper
13:21car votre criminel,
13:22je le vois déjà.
13:24Pour moi,
13:24ces quelques lettres
13:25au crayon
13:25ne me parlent plus
13:26qu'un visage,
13:27pas de fausses barbes,
13:28pas de vêtements trompeurs
13:29avec l'écriture.
13:31L'écriture,
13:32c'est l'homme,
13:33c'est l'homme à nu.
13:35Lorsque vous arrêterez
13:36le criminel,
13:37peut-être qu'il vous
13:38paraîtra différent
13:38du portrait
13:39que je vais vous faire,
13:39mais ce n'est pas moi
13:42qui me serai trompé,
13:43c'est lui
13:44qui se sera travesti.
13:47Bien,
13:49je vous écoute.
13:52Pendant quelques instants,
13:53le graphologue
13:54semble se perdre
13:55dans la contemplation
13:55de ce gribouillis.
13:57« Affled Spany »
14:00écrit au crayon.
14:02Il retourne la feuille
14:03sans dessus-dessous
14:03pour la lire à l'envers,
14:05la retourne
14:06et la place dans la lumière
14:07pour la lire au travers,
14:10l'éloigne
14:10pour en avoir
14:11une vision globale.
14:13Enfin,
14:14il sort une loupe
14:14et il examine longuement
14:16chaque lettre.
14:21De toute évidence,
14:22dit enfin le graphologue,
14:24il s'agit d'un être
14:24très primaire,
14:26d'intelligence moyenne,
14:28une intelligence
14:28qui, de plus,
14:30n'a pas été cultivée.
14:31On peut généralement
14:33obtenir l'âge psychique
14:35qui ne correspond pas
14:35forcément avec l'âge réel.
14:38L'âge psychique
14:39de notre sujet
14:39se situerait entre
14:4020 et 40 ans,
14:42mais sur le plan graphologique,
14:44plutôt à la limite inférieure,
14:4620 ans.
14:49Pour être concret
14:50et vous aider
14:50dans vos recherches,
14:52je dirais que ce jeune homme
14:52a été un très mauvais élève
14:55qui a dû redoubler
14:56toutes ses classes.
14:57Bien sûr,
14:58la signature est fausse,
14:59mais il doit être
15:00de toute façon
15:01incapable de signer
15:02deux fois de la même façon,
15:04car c'est un être instable.
15:07Alors je dirais même
15:08qu'il est illogique,
15:10souvent psychopathe.
15:12Là encore,
15:13pour vous aider,
15:13j'essaierai d'être
15:14plus concret.
15:15Je dirais qu'à mon avis,
15:17bien qu'il fabrique
15:17des bombes,
15:19cet homme n'est pas
15:19un technicien.
15:21Comme je ne lui vois pas
15:22la constance qu'il faut
15:23pour apprendre un métier,
15:24il n'a pas de métier.
15:26Comme évidemment,
15:27il n'écrit pas beaucoup.
15:29Il ne peut pas être
15:30employé de bureau.
15:31Comme son écriture
15:32trahit des sentiments
15:33d'infériorité,
15:34des complexes,
15:34une certaine nervosité,
15:35je doute fort
15:36qu'il puisse être
15:37employé de commerce
15:38constamment en contact
15:39avec la clientèle.
15:41Si c'était un ouvrier
15:42agricole,
15:42il ne connaîtrait pas
15:43la ville
15:43comme il semble
15:44la connaître.
15:46Voyons,
15:46il pourrait être
15:47manœuvre,
15:48mais les usines
15:49sont rares à Lucerne.
15:51Il s'en suit donc
15:52qu'il doit être
15:53ouvrier auxiliaire,
15:55magasinier,
15:56ou quelque chose
15:56comme ça.
15:59Voyez-vous,
16:00le mobile qui fait agir
16:01cet homme ressort
16:02des complexes
16:02et des sentiments
16:03d'infériorité
16:04qu'exprime sa signature.
16:06Il doit ressentir
16:06un besoin irrésistible
16:08de se faire valoir,
16:09d'autant plus irrésistible
16:10que ce besoin est refoulé
16:11puisqu'il est incapable
16:13de se faire valoir
16:13à visage découvert.
16:15Pour dissimuler
16:16ses tendances profondes,
16:18il doit se conformer
16:19strictement aux us et coutumes
16:20en ce qui concerne
16:21l'habillement,
16:22les manières d'être
16:23et les habitudes visibles.
16:25Il est même possible
16:26qu'il soit d'un commerce
16:26agréable et même serviable
16:28dans la mesure
16:28où cette attitude
16:29ne lui est pas imposée.
16:31Enfin,
16:32si l'on considère
16:34la vitalité
16:34de l'écriture,
16:36elle dénote
16:36une robustesse
16:37exceptionnelle.
16:39Peut-être a-t-il fait
16:40un sport,
16:41un sport dans lequel
16:42il aurait relativement réussi
16:44grâce à cette
16:44constitution athlétique.
16:48Le policier regarde
16:49le graphologue
16:50penché sur le gribouillis
16:51de dix lettres au crayon
16:52à flets de spani.
16:55Et ce policier
16:56est sidéré
16:57d'en voir surgir
16:57petit à petit
16:58un personnage
16:59qui de minute en minute
17:00prend vie.
17:02« Bien,
17:03dit le policier,
17:04je ne m'attendais pas.
17:06Non,
17:06je ne m'attendais pas
17:07à ce que vous puissiez
17:07tirer tant de déductions
17:09de si peu de données.
17:10C'est prodigieux.
17:12Je vous remercie. »
17:14Mais comme le graphologue
17:15continue de journée
17:16et de retourner
17:16la feuille de papier,
17:17le policier demande
17:18« Vous voyez encore
17:20autre chose ? »
17:21« Oui. »
17:26« Il est rusé. »
17:28« Un rusé
17:29primitif. »
17:32« L'habileté du psychopathe,
17:33mais pas assez imaginatif
17:35pour avoir totalement
17:36inventé ce nom,
17:38Aflède Spani. »
17:41« Je pense qu'il doit
17:41connaître en Alfred
17:42et qu'au dernier moment
17:44il a écrit
17:45Aflède,
17:46soit qu'il n'ait pas
17:47su l'écrire,
17:48peut-être parce qu'il
17:48était troublé,
17:49soit parce qu'il
17:51ne l'a pas voulu. »
17:53Et l'adresse
17:53demande le policier.
17:55« Quelle adresse ? »
17:56« Celle que le marchand
17:57d'armes a écrite
17:57sous sa dictée. »
18:00« À mon avis,
18:00il ne l'a pas inventé
18:01non plus.
18:03Cette adresse
18:03doit avoir un rapport
18:05avec sa vie
18:06ou son entourage. »
18:08C'est tout ?
18:11Oui, cette fois, oui.
18:13C'est tout
18:14qui puisse vous être utile.
18:15Mais bien sûr,
18:16partant de là,
18:17des tas de déductions
18:17s'imposent.
18:18Ce genre de caractère
18:19est généralement
18:20le produit
18:20d'une éducation désastreuse.
18:22Des parents alcooliques
18:23ou séparés
18:24ou pas de parents du tout.
18:26Entre parenthèses,
18:27voyez donc l'assistance publique.
18:29Malgré son apparence
18:30bien rangée,
18:30je pense qu'il a eu maille
18:32à partir avec la police déjà.
18:33Il est possible
18:34qu'il ait commis
18:35des infractions, etc.
18:36Quelques instants plus tard,
18:41le graphologue
18:41serre la main
18:42du policier Ahuri
18:43et s'en va.
18:45Reste maintenant
18:45à vérifier
18:46s'il a vu
18:48la vérité
18:49ou si c'est du bluff.
18:53Grâce aux suggestions
18:54du graphologue,
18:55la police fait un tri
18:56parmi les centaines
18:58de dénonciations
18:58qui lui sont parvenues
19:00et n'en retire d'abord
19:01qu'une demi-douzaine.
19:02Et puis finalement,
19:04une seule.
19:06Le message numéro 234
19:08qui est vérifié aussitôt.
19:10On y dénonce
19:11un certain
19:12Anton Fendrich,
19:15âgé de 20 ans,
19:17magasinier
19:18dans un grand magasin,
19:20qui aurait déclaré
19:21il y a quelque temps
19:22qu'il allait en faire voir
19:23à quelques-uns.
19:25On compare
19:26la fameuse signature
19:27à flets de Spani
19:28avec des échantillons
19:30d'écriture prélevés
19:31chez son patron.
19:31La ressemblance
19:33est frappante.
19:34Alors,
19:36Anton Fendrich
19:37est interpellé
19:37et il est conduit
19:38à la police.
19:40Anton Fendrich
19:41est aussi éloigné
19:43du portrait robot
19:44établi par la police
19:45et par la presse
19:45qu'on peut l'être.
19:47Il mesure 1m82,
19:48bien bâti,
19:49athlétique,
19:50les cheveux bruns
19:51rejetés en arrière,
19:52une petite moustache
19:53vêtue d'un complet sombre,
19:54croisé,
19:55chemise propre
19:56et cravate discrète.
19:58Alors que le portrait robot
19:59lui donnait
19:59un grand nez busqué,
20:01le sien serait plutôt
20:02en pied de marmite.
20:04Parmi ses amis
20:04et connaissances,
20:06personne ne peut croire
20:07qu'Anton soit
20:08le monstre qu'on cherche
20:09puisqu'on le connaît
20:10comme un garçon aimable,
20:12rangé
20:12et prêt à rendre service.
20:14Son patron
20:14et sa propriétaire
20:15n'ont pas à se plaindre de lui.
20:17Dans le home
20:17de jeunes gens
20:18où il prend ses repas,
20:19les religieuses
20:20aiment beaucoup
20:20ce jeune homme bien mis,
20:22soigneux de sa personne
20:23et toujours complaisant.
20:24Il va jusqu'à les aider
20:26à faire la vaisselle.
20:27Anton ne fait aucune difficulté
20:29pour expliquer
20:30qu'il est né en 1942
20:32dans le canton de Zoug.
20:34Ses parents,
20:35paresseux
20:35et demeurent dissolus,
20:36plusieurs fois arrêtés
20:37par la police,
20:38se séparèrent.
20:39Anton n'a,
20:40pour ainsi dire,
20:41jamais vécu en famille.
20:42Tout jeune,
20:42déjà,
20:43on le mit à l'assistance.
20:44On se donna
20:45beaucoup de peine
20:45pour l'élever
20:46par des méthodes
20:47pédagogiques spéciales.
20:48Il fut suivi
20:49par des psychiatres.
20:50En classe,
20:50il fut un mauvais élève.
20:52On ne peut cependant
20:53pas le considérer
20:53comme débile.
20:55À l'âge de 9 ans,
20:56il se mit à voler.
20:57À 16 ans,
20:58il commit des petites escroqueries
20:59et s'enfuit
21:00d'une maison d'éducation.
21:02Bien entendu repris,
21:03il fut interné de nouveau.
21:05Bref,
21:05il a passé 19 ans
21:06dans des maisons d'éducation
21:08et Anton déclare de lui-même
21:10que la liberté
21:11ne lui réussit pas,
21:12qu'il serait bon
21:13de l'enfermer
21:13car il a commis
21:15pas mal de vols
21:15à Lucerne comme à Zurich,
21:17qu'il a pris des bijoux,
21:18des radios,
21:19des tournedisques
21:19qu'il revendait.
21:22N'ayant
21:22jamais pu faire
21:23un apprentissage
21:24jusqu'au bout,
21:26avant d'être magasiné,
21:27il était ouvrier auxiliaire.
21:29Et devinez-vous,
21:30chers amis,
21:31eh bien,
21:32dans un établissement,
21:34c'est à l'adresse
21:35que le dénommé
21:35Affleck de Spani
21:37a donné
21:38à l'armurier Zimmermann.
21:41Malgré cette coïncidence,
21:43Anton refuse
21:44de reconnaître
21:45les attentats à la bonde
21:46et sur les conseils
21:47du graphologue Litsenhoff,
21:49c'est en faisant appel
21:50à son honneur
21:51que la police finit
21:52par obtenir ses aveux.
21:53Et c'est tout simple.
21:56Un beau jour,
21:56Anton
21:57a ressenti l'envie
21:59de se venger
22:00en occasionnant
22:01un remue-ménage
22:02sans pareil
22:03pour jouir
22:04du spectacle.
22:05Il estima
22:06qu'une grande fête
22:08helvétique
22:08était le moment rêvé
22:09puisque la police
22:11était alors
22:11pleinement occupée.
22:13Il pensa
22:13aux incendies
22:14et finalement
22:15choisit la bombe.
22:17Le bruit
22:18des explosions
22:18lui faisait un plaisir fou,
22:20autrement exaltant
22:21que d'être seulement
22:22incendiait.
22:23Si son dernier attentat
22:24avait attiré
22:25des milliers de badauds,
22:26il fut cependant déçu
22:27que la police
22:28ne fit pas fonctionner
22:29davantage
22:30les sirènes des voitures.
22:33Anton
22:34fit preuve
22:34de beaucoup de sang-froid
22:35et de ruse
22:36pour commettre ses crimes.
22:38Il ne portait jamais
22:38ses explosifs
22:39dans ses poches
22:40pour ne pas être pris
22:41au moment d'un contrôle
22:41de police.
22:42Il les attachait
22:43à une ficelle
22:44autour du cou
22:44et les portait ainsi
22:46sur le dos
22:47au milieu,
22:48sous la veste.
22:50Anton
22:50ne peut être considéré
22:51ni comme irresponsable
22:52ni comme tout à fait
22:53responsable
22:54de ses actes.
22:55Mais il n'a
22:56aucun sens moral
22:57et c'est un psychopathe
22:59effroyablement dangereux
23:00qui sera condamné
23:02à six ans
23:02de réclusion criminelle
23:04auquel succédera,
23:06espérons-le,
23:07un séjour long,
23:08sinon définitif,
23:10dans un établissement
23:11spécialisé.
23:12Ah, au fait,
23:14un détail
23:15qui conclut
23:15l'extraordinaire portrait
23:17du graphologue
23:18Litsenhoff.
23:20En effet,
23:21Anton
23:21avait bien fait du sport
23:23puisque,
23:25comme boxeur junior
23:25amateur,
23:27il avait gagné
23:28deux championnats.
23:29Vous venez d'écouter
23:41les récits extraordinaires
23:43de Pierre Bellemare,
23:44un podcast
23:45issu des archives
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