- 18/06/2025
Mathieu Flonneau, historien des mobilités, et Celine Scornavacca, co-présidente de la FUB (Fédération des Usagers de la Bicyclette), étaient les invités du "débat du 7/10" sur France Inter, mercredi 18 juin. Ils échangent sur le thème : le vélo, nouvel objet de clivage politique ?
Retrouvez « Le débat du 7/10 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10
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00:00Débat ce matin sur la cohabitation parfois difficile entre voitures, piétons et vélos dans les villes de France.
00:08Le nombre de vélos en circulation a littéralement explosé ces dernières années,
00:13créant une pagaille parfois dangereuse entre usagers de l'espace public, les automobilistes donc, mais aussi les piétons.
00:20Le cycliste qui était l'incarnation d'une mobilité douce, comme on le disait, est-il en train de changer de statut ?
00:29Comment apprendre à mieux coexister ? On va poser ces questions à Mathieu Flonneau.
00:34Bonjour, vous êtes historien des mobilités, enseignant-chercheur à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
00:42Auteur, je vais donner le titre de ce livre de « Rassurer les conduites » aux éditions Descartes et compagnie.
00:53Céline Skornavaka, bonjour.
00:55Vous êtes coprésidente de la FUB, c'est la Fédération des usagers de la bicyclette.
01:03Soyez les bienvenus.
01:05Les automobilistes ont l'impression que les cyclistes font n'importe quoi, brûlent les feux, roulent le téléphone portable en main.
01:11Les cyclistes, eux, ne se sentent pas rassurés.
01:14Il y a eu des drames, on va en parler.
01:17Comment décririez-vous la situation actuelle ?
01:20Est-ce Céline Skornavaka, la pagaille ?
01:23C'est sûr que ce qu'on peut voir en ces moments, c'est qu'il y a des tensions dans certains endroits en France, surtout dans les zones denses.
01:32Après, la chose importante à savoir, c'est que c'est un changement sociétal.
01:36On voit bien qu'on est en train de faire un débat, un débat sur les vélos.
01:40Il y a dix ans, on n'aurait jamais débattu le matin à une heure de forte écoute du vélo.
01:47Il y a un changement sociétal en cours. On en a eu beaucoup. On peut parler, par exemple, de la piétonisation, les lois anti-tabac.
01:54Chaque fois qu'il y a un gros changement, il y a des tensions.
01:56Et donc, vu que le changement est de taille, les tensions sont là.
02:00Après, c'est très important de savoir que, quand on zoome, en dehors des zones denses, les problématiques sont différentes.
02:07On ne parle plus de tensions, mais plutôt des sécurités routières avec des morts.
02:11Oui, c'est donc un sujet qui concerne d'abord les villes et les problèmes sont différents.
02:19On va les explorer quand on sort des villes.
02:21Votre point de vue sur la situation actuelle, Mathieu Flonneau ?
02:26On est dans un entre-deux, cela vient d'être dit.
02:28C'est-à-dire qu'il y a des évolutions sociétales qui sont puissantes,
02:31qui aspirent à voir une pratique du vélo se développer, notamment dans les centres-villes, voire dans les hypercentres,
02:37qu'il y a énormément d'avantages à passer au vélo.
02:40Les problématiques environnementales sont là pour sous-tendre des politiques publiques qui sont consistantes sur le sujet.
02:46Un peu fragilisées dans le cadre de la conférence de financement des transports d'Ambition France Transport, là, à l'heure actuelle.
02:51Mais toujours est-il que c'est une question de civilisation, de processus de civilisation.
02:56Et donc, il y a des correctifs à côté des effets positifs à apporter aux effets rebonds potentiellement très négatifs que vous venez d'évoquer.
03:03L'espèce de chaos urbain qui est ressenti, notamment à Paris, mais dans tous les hypercentres.
03:08Et puis aussi cette dimension...
03:10Mais est-ce qu'il n'y a pas aussi une question de civilité ?
03:12Bien évidemment, d'urbanité.
03:14Ceci s'est rappelé, notamment dans un ouvrage récent.
03:17On ne se coupe pas la route, on ne s'insulte pas, on respecte le code de la route.
03:22Voilà, ce sont des règles de civilité de base.
03:24Vous avez raison.
03:25Et donc là, on est dans un continuum de civilité, de sécurité routière éventuellement.
03:30On est aussi dans une perspective où il s'agit de mettre tous les usagers sur un plan d'urbanité équivalente.
03:38Et les enjeux des équipements de la route, les enjeux des aménagements matériels doivent guider quelque chose qui dépasse.
03:46C'est le continuum de l'éducation.
03:48C'est le continuum aussi sécuritaire qu'il s'agit de prendre en considération parce qu'il y a une douceur à relativiser.
03:53J'y mets beaucoup de guillemets avec les gestes.
03:55Une douceur de ces circulations qui étaient aujourd'hui menacées de ces circulations.
03:59Oui, on les appelait comme ça, des mobilités douces.
04:01Dans une chronique au Monde, Philippe Bernard écrit la chose suivante, vous avez dû la lire.
04:07Près d'un demi-siècle a été nécessaire pour que la bicyclette, moyen de transport, longtemps populaire,
04:13mais chassée des villes, y refasse une entrée triomphale.
04:17Mais l'engin sans pollution, signe de totale coulitude, s'est muet en symbole d'agressivité, de chacun pour soi et de chaos urbain.
04:27Comment avez-vous reçu ces mots, Céline Skornavaka ?
04:32La chose importante pour nous, c'est de se rendre compte qu'il y a quand même une demande de la part des habitants et des habitantes pour le vélo.
04:41Dans un récent sondage commandité par le ministère chargé des Transports,
04:47on sait que 56% des sondés veulent laisser plus de place sur le vélo.
04:53Et après, ils veulent laisser plus de place au transport en commun et à la marche.
04:56Et on sait aussi qu'il y a eu des hausses de fréquentation au niveau de toute la France,
05:04que ce soit des grandes ou moyennes villes.
05:06Donc on sait qu'il y a une demande citoyenne pour les vélos.
05:09Mais comme ça a été dit, cela doit être accompagné avec des changements au niveau des comportements et des infrastructures pour éviter les conflits d'usages.
05:18C'est étonnant ce renversement d'images.
05:22Le vélo était cool, le vélo n'est plus cool.
05:24Oui, alors, ce n'est pas aussi caricatural que cela.
05:28J'essaye de faire des questions courtes.
05:31Oui, mais dans le tandem de nos réponses, vous ne trouverez pas de dissonance.
05:35Parce qu'il y a évidemment cette image aussi qui contestait la civilisation consumériste automobile dès les années 70.
05:43Et dans son article du Monde que vous venez de citer, Philippe Bernard,
05:47ne prend pas d'autres arguments que ceux déjà développés par André Gorce, par exemple.
05:51Ce qu'il est intéressant de constater, c'est que précisément, il y a des correctifs à apporter.
05:56L'ouvrage que vous avez évoqué le dit.
05:58Le titre « Rassurer les conduites », c'est qu'on est dans une phase où précisément il s'agit d'ajuster autour des engins motorisés individuels.
06:05Et ce que vous avez pointé, qui est très juste, c'est-à-dire qu'il serait dommageable d'avoir remplacé seulement un bien très individualiste par un bien encore plus individualiste.
06:15On a vu le débat autour des trottinettes.
06:17Ils se reposent sur les pistes cyclables aujourd'hui, qui sont devenus, mais ceci avait été pointé par d'autres bons auteurs,
06:23comme Olivier Rasmont il y a déjà quelques années,
06:25et bien ils sont devenus ces espaces, des espaces de tension entre usagers qui n'ont pas lieu d'être.
06:30Mais il faut réglementer.
06:31Et là, il y a eu une dérégulation, je me permets de le dire quand même,
06:33parce que si ça remonte jusqu'au Monde et jusqu'à France Inter, c'est qu'il y a eu une dérégulation coupable.
06:39C'est-à-dire que pendant un temps, pour archaïser la civilisation automobile,
06:42on a tout libéralisé, tout dérégulé.
06:44Et c'est un retour de bateau.
06:46Ça veut dire quoi ?
06:47C'est-à-dire qu'à force de vouloir rendre l'automobile inepte dans les centres-villes,
06:53ce qui est une réalité dans certaines zones,
06:55et bien on a sous-traité beaucoup de mobilité,
06:57des mobilités de la durabilité et de la soutenabilité de la grande métropole,
07:01parce que mettre des cyclistes en centre-ville, cela a été dit dans le monde rural,
07:04ça ne résout pas tous les problèmes, y compris de la France périphérique.
07:08Donc là, il y a une tension sur les usages.
07:10Et dernier argument sur le sujet, c'est que les transports en commun restent une solution robuste et capacitaire.
07:17Le martyr du bus dans les centres-villes, le martyr du bus à Paris, doit beaucoup aux cyclistes.
07:21Vous nous disiez en préparant cet entretien, Céline Scornavaca,
07:27qu'on assiste en ce moment, j'aime beaucoup l'expression, à un « bike-lash ».
07:32Ce n'est pas un « back-lash », mais c'est un « bike-lash ». Expliquez-nous.
07:36C'est ce que vous venez de dire, c'est le fait que l'objet vélo, quelque chose de cool,
07:41devient quelque chose de moins cool.
07:44Donc à nouveau, il faut remettre cela dans un contexte historique.
07:48Il y a eu un « car-lash », à l'arrivée dans les voitures des zones denses.
07:54On a créé par exemple les zones de jeu pour les enfants.
07:57C'était pour éviter que les enfants jouent dans la rue et qu'ils puissent être tués par des voitures.
08:08Donc c'est un « bike-lash », et donc il faut le prendre en compte.
08:11Et il faut accompagner, comme on a déjà dit, ce changement se s'étale.
08:15Et donc la FUB propose l'éducation de la maternelle, avec la draisienne,
08:22jusqu'à l'enterprise avec le label « employeur pour vélo », en passant pour la primaire, le collège et le lycée.
08:27Donc il faut partir du plus bas, des enfants qui apprennent à faire du vélo
08:35et leur dire comment on en fait, comment on se déplace en ville,
08:39ce qu'il faut respecter, faire, ne pas faire, c'est tout ce travail.
08:43Oui, c'est tout ce travail, c'est le savoir rouler à vélo.
08:45Donc ça veut dire de prendre sa place, mais aussi laisser sa place quand il faut.
08:50Évidemment, après un travail sur les infrastructures a été déjà dit,
08:53par exemple, mettre des pistes cyclables sur les trottoirs,
08:58ça crée des conflits d'usage, mais il y en a pas mal encore à Paris.
09:02Et ça, c'est problématique.
09:03Donc c'est à nouveau, c'est toujours les deux piliers,
09:05c'est travailler sur les aménagements et travailler sur les comportements.
09:09Sur les comportements, apprendre ou réapprendre ?
09:13Le code de la rue, le code civil finalement, le code de l'urbanité que vous avez évoqué tout à l'heure.
09:18Faire progresser le progressisme.
09:19C'est-à-dire qu'évidemment, mais ça prend du temps.
09:22Ça prend du temps, ça prend de la pédagogie, ça nécessite aussi de ne pas polariser le débat,
09:26de ne pas avoir une approche totalement idéologique du débat.
09:30Les modes ont leur pertinence selon les espaces auxquels ils sont effectivement les plus efficaces.
09:36Il y a là des réflexions qui doivent être décloisonnées.
09:39C'est la réflexion sur la mobilité générale, sur les besoins d'une ville.
09:44Et puis il y a quand même une dimension aussi que je rajoute,
09:46parce qu'elle est préoccupante, c'est la dimension de filière industrielle.
09:48C'est-à-dire qu'il faut encourager une filière industrielle vélo en France.
09:52Et ce point-là est tout à fait capital parce que sinon on perd une souveraineté supplémentaire
09:56après avoir perdu la souveraineté sur l'industrie automobile.
09:58On a parlé de la ville et donc de cette révolution de l'espace qui s'est opérée en très peu de temps finalement.
10:09Qu'en est-il sur les routes de campagne ?
10:11Comment le partage de la voie publique se fait-il quand on quitte les hypercentres urbains ?
10:19J'ai cité ce chiffre de 11% de hausse au niveau des communes rurales.
10:28Et c'est là, ça montre que les cyclistes sont là.
10:32Et donc l'idée c'est, nous à la FUB, on a vraiment une approche très pragmatique au niveau de la ruralité.
10:39C'est de se dire, on a beaucoup de routes, on a un réseau routier extrêmement dense.
10:46Donc une solution, ça pourrait être pour changer les choses vite et avec un coût limité.
10:50On sait qu'il y a des problèmes budgétaires en France en ces moments.
10:53Ça serait peut-être de penser les plans de circulation.
10:57Et donc ça veut dire reprendre une partie de la place de la voiture que la densité du réseau routier le permet.
11:03Et donc redonner une partie de ce réseau aux mobilités actives, je dis bien, c'est la marche, le vélo.
11:10Vous pensez que ça va se passer, ça ?
11:13Le CRMA est en train de lancer des expérimentations.
11:20Il y a 10 territoires pilotes.
11:22Nous, on porte un en Occitanie.
11:25Et donc je pense que nous, ce qu'on voit sur le terrain,
11:28c'est déjà, il y a plus de la moitié de nos associations qui demandent d'être membre de l'AFUB,
11:33on est 550 et on hausse, viennent de territoires ruraux.
11:38Donc il y a vraiment une grande demande.
11:40Et aussi les élus, ils sont partants.
11:42La problématique, c'est plutôt le manque d'ingénierie et l'humilefeuille bureaucratique, bien évidemment, mais surtout l'argent.
11:50Oui, sur le territoire, dans les territoires ruraux, votre analyse...
11:55Il y a un adossement désormais des pouvoirs publics.
11:58Le CRMA vient d'être cité.
12:00On pourrait parler de la Fédération nationale des travaux publics qui développe les aménagements cyclables,
12:05qui a des processus, des procédures désormais pour favoriser ce type de travaux.
12:09Il faut aussi quand même atterrir et être un peu modeste sur la capacité de déplacement de ces vélos
12:16qui aussi peuvent être générationnellement connotés.
12:21C'est-à-dire qu'on ne fait pas du vélo en toute sécurité à partir d'un certain âge chauffe pour faire du loisir.
12:25Et c'est autre chose.
12:26Donc il y a une dimension productive qui doit être mise en évidence.
12:32Il y a des équilibres à trouver dans l'espace public d'abord.
12:35Parce que ça se matérialise comme cela.
12:37Le syndicat des équipements de la route y travaille pour lister les espaces pertinents pour le vélo.
12:43Mais en tout cas, dernier mot, la révolution est en marche et rien ne l'arrêtera.
12:48Elle est en marche mais elle n'est aussi que partielle.
12:51Et elle doit rester partielle.
12:54Pourquoi ?
12:54Parce que précisément il n'y a pas vocation à ce que le vélo devienne le seul mode.
12:58Et j'ai monique.
13:00Oui, nous sommes tout à fait d'accord.
13:01Même Céline Scornavaca est d'accord.
13:03Oui, nous sommes d'accord.
13:04Le vélo ne substitue pas des modes, il le complémente intelligemment.
13:09Eh bien écoutez, merci infiniment à tous les deux.
13:11Mathieu Flonneau et Céline Scornavaca pour cet échange tout à fait civilisé sur la question du vélo.
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