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  • 12/06/2025
Cours de cinéma par Ophir Levy et Soko Phay, universitaires.

Face à la destruction génocidaire, des artistes comme Rithy Panh ou Claude Lanzmann interrogent la présence fantomatique des victimes, méditant ainsi sur la vocation des images à faire « œuvre de sépulture ».

Enregistré le 18 avril 2025 au Forum des images.

Dans le cadre de la thématique Qui se souvient du génocide cambodgien? du 15 avril au 4 mai 2025.
https://www.forumdesimages.fr/qui-se-souvient-du-genocide-cambodgien

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Institution culturelle de la Ville de Paris, le Forum des images est au cœur de la ville.
Rencontres, cours de cinéma et conférences, thématiques, festivals… Le forum de toutes les images.

Toute la programmation : http://www.forumdesimages.fr
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Transcription
00:00:00C'est à vous.
00:00:10Merci, merci beaucoup.
00:00:12Merci d'être venus nombreux ce soir.
00:00:15Alors, parler de fantômes,
00:00:18disons qu'en Occident,
00:00:20nous connaissons tous des histoires de fantômes,
00:00:22qu'elles soient dans la littérature
00:00:24ou le cinéma.
00:00:27Alors, peut-être, je pense que je vais...
00:00:29Ce sera plus facile.
00:00:30Donc, je disais qu'en Occident,
00:00:32nous connaissons tous des histoires de fantômes,
00:00:34qu'elles soient dans la littérature ou le cinéma.
00:00:37Je pense notamment à Harry Potter, à Hamlet,
00:00:41en passant par le fantôme de Canterville de Scarlet.
00:00:44Les fantômes sont de nature paradoxale.
00:00:47Ils apparaissent tout en disparaissant.
00:00:51Pourtant, ils ont une réalité psychique
00:00:53puisque nous y pensons ou rêvons d'eux.
00:00:56Alors, je disais tout à l'heure,
00:00:57le fantôme de Canterville,
00:00:58ça me fait penser à une anecdote,
00:01:00enfin, ce qu'on a vécu,
00:01:01Pierre Bayer et moi-même,
00:01:03lorsque nous avons fait une conférence
00:01:05au Cambodge,
00:01:06à l'Université royale des Beaux-Arts.
00:01:08Et autant en Occident,
00:01:11on ne croit pas tellement aux fantômes.
00:01:13Et l'exemple que Pierre a donné,
00:01:15le fantôme de Canterville,
00:01:17c'est pour dire qu'au fond,
00:01:18le fantôme, en Occident,
00:01:20il tombe en dépression
00:01:21parce que personne ne le prend au sérieux.
00:01:24Alors que vous allez découvrir
00:01:25qu'au Cambodge,
00:01:26c'est tout le contraire.
00:01:26Donc, aujourd'hui,
00:01:28on pourrait dire que notre époque
00:01:30est marquée par un tournant spectral
00:01:32tant l'anthologie,
00:01:34c'est-à-dire cette science des fantômes,
00:01:36touche dans tous les domaines
00:01:37des sciences humaines,
00:01:39de la littérature à la psychanalyse,
00:01:41de l'anthropologie à l'art.
00:01:43Des philosophes comme Jacques Derrida,
00:01:46Yves Versan,
00:01:47des historiens de l'art comme
00:01:48Abbey Warburg ou Georges D. Duberman
00:01:51utilisent cette notion de fantôme
00:01:53pour décrire comment des idées
00:01:55ou des représentations
00:01:57passent de manière étrange
00:01:59d'une époque à une autre,
00:02:01comme si certaines époques
00:02:03étaient, pour ainsi dire,
00:02:04hantées par des formes
00:02:06ou des figures venues d'autres temps.
00:02:08Des artistes contemporains,
00:02:11dont le plus élu représentant
00:02:13qu'on ne peut pas ne pas penser,
00:02:15c'est Christian Boltanski,
00:02:16qui ne cessent d'interroger
00:02:18la revenance des fantômes de l'histoire.
00:02:21Au Cambodge,
00:02:22les fantômes sont très présents,
00:02:23font partie de la vie quotidienne,
00:02:26parce que les croyances
00:02:27et les rites de la société Khmer
00:02:30accordent une grande importance
00:02:32aux esprits et aux fantômes.
00:02:33Je dirais même que 95%
00:02:35des Cambodgiens
00:02:36croient aux fantômes.
00:02:38A titre d'exemple,
00:02:40les nerthas sont
00:02:42les esprits des morts
00:02:43qui apportent la protection
00:02:45des villageois,
00:02:47notamment contre les épidémies
00:02:49et les calamités diverses.
00:02:53Le culte des nerthas
00:02:53coexiste au Cambodge
00:02:55avec le bouddhiste,
00:02:55surtout à la campagne,
00:02:57et on peut retrouver
00:02:58leur demeure dans une énorme pierre
00:03:01ou encore au pied
00:03:02d'un tronc d'arbre.
00:03:03L'une des fêtes-cérémonies
00:03:05les plus importantes
00:03:06pour les Cambodgiens,
00:03:08en plus de Nouvel An Cambodgiens,
00:03:10est celle donnée aux morts
00:03:12dans la période septembre-octobre,
00:03:14qu'on appelle la fête de Pyong Ben,
00:03:17qui est célébrée
00:03:18dans tous les villages.
00:03:19Les familles cambodgiennes
00:03:20se réunissent pour prier,
00:03:22pour offrir des effrandes,
00:03:24notamment des boules de riz
00:03:26avec du sésame,
00:03:28de noix de coco
00:03:28qu'on offre aux bonnes
00:03:30pour soulager
00:03:32les fantômes de leur fin.
00:03:35Et si ces fantômes
00:03:37ont accumulé suffisamment
00:03:39de mérite grâce à ces dons
00:03:40et ces offrandes,
00:03:42eh bien,
00:03:43on espère qu'ils peuvent
00:03:44un jour être libérés
00:03:45et trouver la voie
00:03:47de la réincarnation.
00:03:48Si l'étude des fantômes
00:03:51est fascinante,
00:03:53c'est parce qu'ils nous confrontent
00:03:54aux limites de la connaissance
00:03:56et de la rationalité.
00:03:58La question n'est pas tant
00:03:59de savoir si les fantômes
00:04:01sont réels,
00:04:02s'ils existent,
00:04:02même si on va essayer
00:04:03de vous le convaincre ce soir,
00:04:05mais, en tout cas,
00:04:06s'ils disent quelque chose
00:04:08de vrai sur nous.
00:04:09Pour le dire autrement,
00:04:11qu'avons-nous à apprendre
00:04:13des fantômes ?
00:04:14Que nous veulent-ils ?
00:04:16D'autant plus
00:04:17s'ils insistent.
00:04:19Et s'ils insistent autant,
00:04:21c'est parce que le passé
00:04:22est en cause.
00:04:24Pour notre cours
00:04:25Mémoire fantôme,
00:04:26Offire Lévi et moi-même,
00:04:28aimerions interroger
00:04:30les relations
00:04:30que nous entretenons
00:04:31avec les fantômes
00:04:33à l'épreuve
00:04:34des violences extrêmes
00:04:36et des génocides
00:04:37perpétrés par les nazis
00:04:39à l'encontre des juifs
00:04:40d'Europe
00:04:40durant la Deuxième Guerre mondiale
00:04:42et par les Khmer Rouges
00:04:43au Cambodge
00:04:44du 17 avril 1975
00:04:47au 7 janvier 1979.
00:04:50La question de la hantise
00:04:52de l'histoire
00:04:52s'oppose d'autant plus
00:04:53lorsque les événements historiques
00:04:55ont été effacés ou niés.
00:04:58Dès lors,
00:04:59comment exhumer
00:05:00le passé refoulé
00:05:01à l'épreuve
00:05:02de l'effacement
00:05:03du meurtre collectif ?
00:05:06Nous croyons
00:05:07que si les fantômes
00:05:07de l'histoire
00:05:08font retour
00:05:09dans le monde des vivants,
00:05:10c'est parce qu'ils nous incitent
00:05:12à questionner
00:05:13ces passés
00:05:14qui ne passent pas.
00:05:15Nous croyons
00:05:16que l'art,
00:05:17la littérature,
00:05:18le cinéma
00:05:18peuvent nous aider
00:05:19non seulement
00:05:20à penser
00:05:21les mécanismes
00:05:22des meurtres
00:05:23de masse,
00:05:24mais également
00:05:25à donner voix
00:05:26de manière sensible
00:05:28aux fantômes.
00:05:30Nous avons construit
00:05:31tous les deux
00:05:31notre intervention
00:05:32en trois moments.
00:05:34Le premier interroge
00:05:35la figure littérale
00:05:38des fantômes
00:05:39en tant que spectre
00:05:40de l'histoire
00:05:41à travers lesquels
00:05:42s'oppose la question
00:05:43comment rendre justice
00:05:45aux disparus.
00:05:47Le deuxième moment
00:05:48s'intéressera
00:05:49aux paysages fantômes,
00:05:51aux lieux hantés
00:05:52par l'anéantissement.
00:05:54Et pour finir,
00:05:54nous verrons
00:05:55comment des œuvres
00:05:56cinématographiques
00:05:58peuvent tenir lieu
00:05:59de sépultures
00:06:00pour les morts.
00:06:02Je te donne la parole.
00:06:03Merci.
00:06:05En effet,
00:06:05la première
00:06:06des déclinaisons
00:06:07de l'expression
00:06:09mémoire fantôme,
00:06:10une expression
00:06:10qu'on a voulu prendre
00:06:11au sérieux
00:06:12en s'interrogeant
00:06:13d'emblée
00:06:13sur les formes littérales
00:06:15que peuvent prendre
00:06:16ces spectres,
00:06:18ces revenants,
00:06:20c'est en gros
00:06:21la question
00:06:22qui consiste
00:06:23à s'interroger
00:06:24sur la manière
00:06:24dont ils symbolisent
00:06:25tous ces spectres,
00:06:26tous ces revenants,
00:06:27une immense cohorte
00:06:28de ce que Ricœur
00:06:29appellerait
00:06:30les victimes
00:06:30de l'histoire
00:06:31et la manière
00:06:32aussi dont ils se font
00:06:33l'allégorie
00:06:35d'une exigence
00:06:36de justice.
00:06:37Et cette exigence
00:06:38de justice,
00:06:40elle est d'autant
00:06:40plus impérieuse
00:06:41que, premièrement,
00:06:43bien souvent,
00:06:44la justice
00:06:44n'a pu être rendue.
00:06:46Combien de criminels
00:06:47contre l'humanité
00:06:48se sont dérobés
00:06:49à la justice,
00:06:50soit en se suicidant,
00:06:51soit en fuyant
00:06:51à l'étranger,
00:06:53soit en bénéficiant
00:06:54de protections
00:06:54très haut placées.
00:06:56Et deuxièmement,
00:06:57comme le notait
00:06:58Anna Arendt
00:06:59dans un article
00:07:00publié en 1946
00:07:01qui s'intitule
00:07:02« L'image
00:07:03de l'enfer »,
00:07:04ce qui a été
00:07:05perpétré,
00:07:05elle prenait
00:07:06l'exemple d'Auschwitz,
00:07:07ce qui a été
00:07:07perpétré à Auschwitz
00:07:08dépasse toute pensée
00:07:10juridique existante,
00:07:12excède infiniment
00:07:13toute notion
00:07:14de faute
00:07:14ou de crime.
00:07:16Pour le dire
00:07:16autrement,
00:07:17en somme,
00:07:18la capacité
00:07:19des institutions
00:07:20humaines
00:07:20à rendre justice
00:07:22est totalement
00:07:23débordée
00:07:24par l'ampleur
00:07:24inouïe
00:07:25d'un génocide.
00:07:27Et cela présente
00:07:28une différence
00:07:29de nature
00:07:29avec les crimes
00:07:30auxquels
00:07:30la justice
00:07:31a d'habitude
00:07:32à faire
00:07:33et auxquels
00:07:33s'applique
00:07:34d'ordinaire
00:07:34la loi.
00:07:35Pourtant,
00:07:36bien qu'imparfaite,
00:07:37la justice des hommes
00:07:38est la seule
00:07:39dont nous disposions.
00:07:41Les fictions,
00:07:41en revanche,
00:07:43peuvent parfaitement
00:07:44mettre sur pied
00:07:45des tribunaux
00:07:46de fantômes
00:07:46où les revenants
00:07:48viennent témoigner
00:07:49à la barre.
00:07:50Les fictions
00:07:50peuvent accomplir,
00:07:52fusent de manière
00:07:53purement imaginaire,
00:07:55ce qui,
00:07:55aux yeux de Primo Levi,
00:07:56reste inaccessible
00:07:57dans notre monde.
00:07:59Primo Levi écrit
00:08:00dans Les naufragés
00:08:01et les rescapés,
00:08:03cette phrase
00:08:04que j'affiche
00:08:05derrière moi,
00:08:06je le répète,
00:08:07nous,
00:08:07les survivants,
00:08:08ne sommes pas
00:08:09les vrais témoins.
00:08:10C'est là une notion
00:08:11qui dérange,
00:08:12dont j'ai pris conscience
00:08:12peu à peu
00:08:13en lisant les souvenirs
00:08:14des autres
00:08:14et en relisant les miens
00:08:15à plusieurs années
00:08:16de distance.
00:08:17Nous,
00:08:18les survivants,
00:08:18nous sommes une minorité,
00:08:20non seulement exiguë,
00:08:21mais anormale.
00:08:22Nous sommes ceux
00:08:23qui,
00:08:23grâce à la prévarication,
00:08:24l'habileté ou la chance,
00:08:26n'ont pas touché le fond.
00:08:28Ceux qui l'ont fait,
00:08:29qui ont vu la gorgone,
00:08:30ne sont pas revenus
00:08:31pour raconter
00:08:32ou sont revenus muets.
00:08:34Mais ce sont eux,
00:08:35les musulmans,
00:08:36entre guillemets,
00:08:37les engloutis,
00:08:38les témoins intégraux,
00:08:40ceux dont la déposition
00:08:40aurait eu
00:08:41une signification générale.
00:08:44Eux sont la règle,
00:08:44nous l'exception.
00:08:46Il y a l'idée,
00:08:46donc,
00:08:47que lui,
00:08:47en tant que survivant,
00:08:48n'a pas la pleine possibilité
00:08:52ou la pleine légitimité
00:08:53de se faire témoin,
00:08:54puisque pour témoigner intégralement,
00:08:56il faut être passé
00:08:56de l'autre côté,
00:08:58c'est-à-dire,
00:08:58il faut être mort.
00:09:00Et les films
00:09:01dont on va parler,
00:09:03ou plus généralement,
00:09:04les œuvres dont on va parler,
00:09:05mettent en scène
00:09:06cette possibilité
00:09:07d'un retour des morts.
00:09:08Et donc,
00:09:09la constitution
00:09:09de ce témoin intégral
00:09:10qui,
00:09:11dans notre réalité,
00:09:12évidemment,
00:09:12n'est pas accessible.
00:09:14En pleine Seconde Guerre mondiale,
00:09:18une grande initiative
00:09:20visant à sensibiliser
00:09:21l'opinion publique américaine
00:09:22au sort des Juifs d'Europe
00:09:25réunit le militant
00:09:27Peter Bergson
00:09:28et un romancier
00:09:30et scénariste bien connu,
00:09:31Ben Echt,
00:09:32qui a travaillé
00:09:33pour Lubitsch,
00:09:34pour Hawkes,
00:09:36pour Hitchcock,
00:09:37et qui est aussi
00:09:38l'auteur de plusieurs romans.
00:09:41Ben Echt écrit,
00:09:42à partir de janvier 1943,
00:09:43le livret
00:09:44d'un spectacle
00:09:45monumental
00:09:46qui s'intitule
00:09:46We Will Never Die,
00:09:48Nous ne mourrons jamais.
00:09:50Et ce spectacle
00:09:50embrasse
00:09:513000 ans
00:09:51d'histoire juive
00:09:53en évoquant
00:09:53sur fond
00:09:54d'immenses
00:09:55tables de la loi.
00:09:56Je peux vous montrer
00:09:57à quoi ça ressemblait.
00:10:00Embrasse 3000 ans
00:10:00d'histoire
00:10:01et évoque
00:10:02toutes les persécutions
00:10:03subies jusqu'à aujourd'hui,
00:10:05c'est-à-dire 1943,
00:10:07et évoque aussi
00:10:09les massacres
00:10:10qui ont lieu
00:10:10à ce moment-là.
00:10:11Donc on est en 1943
00:10:12dans les ghettos,
00:10:14dans les forêts
00:10:14ou dans des centres
00:10:15de mise à mort.
00:10:18La première du spectacle
00:10:19a lieu le 4 mars 1943
00:10:22au Madison Square Garden
00:10:24à 20h30.
00:10:25Elle réunit
00:10:2520 000 spectateurs.
00:10:27Il y a tellement de monde
00:10:28qui attend à l'extérieur
00:10:29qu'on rejoue,
00:10:31ce n'était pas prévu,
00:10:31on rejoue à 23h
00:10:32une deuxième fois le spectacle.
00:10:33Donc il y a 40 000
00:10:34personnes qui l'ont vue
00:10:35le premier soir.
00:10:37et vous avez sur scène
00:10:38plus d'un millier
00:10:39de participants
00:10:41qui se succèdent.
00:10:41Il y a des figurants,
00:10:42il y a des acteurs,
00:10:43il y a des chanteurs,
00:10:43des musiciens,
00:10:45des rabbins,
00:10:45des gens qui viennent
00:10:46faire des discours.
00:10:47C'est à la fois
00:10:48une sorte de spectacle,
00:10:49de cérémonie,
00:10:50presque de prière collective.
00:10:53C'est quelque chose
00:10:53de très étonnant
00:10:54en termes de forme.
00:10:56Et parmi les narrateurs
00:10:57du spectacle,
00:10:58des grands comédiens
00:10:59hollywoodiens,
00:11:01Edward J. Robinson,
00:11:04Paul Muni,
00:11:05John Garfield par exemple.
00:11:07Et la musique est composée
00:11:08par Kurt Weill,
00:11:09le fameux compositeur
00:11:11qui a accompagné
00:11:11notamment les oeuvres
00:11:12de Brecht,
00:11:13et aussi dirigé,
00:11:16le chef d'orchestre
00:11:17est Franz Wachsman,
00:11:18qui était un compositeur
00:11:19juif allemand
00:11:20qui s'est exilé,
00:11:21qui est venu aux Etats-Unis
00:11:22au milieu des années 30,
00:11:23où il a fait d'ailleurs
00:11:24une grande carrière.
00:11:25Il a signé des partitions
00:11:26de Sunset Boulevard,
00:11:28de Rebecca,
00:11:29de Soupson,
00:11:29de Hitchcock,
00:11:31d'Indiscrétion,
00:11:33de Cucor,
00:11:34ou d'Une place au soleil,
00:11:35de George Stevens.
00:11:37Et ce spectacle se termine
00:11:38dans une espèce
00:11:39d'étrange scène
00:11:40d'anticipation
00:11:41où,
00:11:43dans un futur indéterminé,
00:11:45ça se passe
00:11:45on ne sait pas quand,
00:11:46une conférence internationale
00:11:49sur la paix a lieu.
00:11:49Donc on imagine
00:11:50que la guerre est terminée,
00:11:51que désormais
00:11:52on construit la paix,
00:11:53que les alliés
00:11:53l'ont emporté.
00:11:55Et après la fin
00:11:56de la guerre,
00:11:57les fantômes
00:11:58des victimes
00:11:59viennent décrire
00:12:00leur sort
00:12:01dans les ghettos
00:12:01et dans les camps
00:12:03où ils ont été déportés
00:12:04ou assassinés.
00:12:05Et ils demandent
00:12:06aux alliés victorieux
00:12:07qu'ils ne les oublient pas.
00:12:09Et ils exhortent
00:12:09le monde entier
00:12:09à se souvenir
00:12:10avec ce cri
00:12:12qu'on entend
00:12:13« Remember us ! »
00:12:14« Souvenez-vous de nous ! »
00:12:15et un caddiche,
00:12:16la prière pour les morts,
00:12:18est récitée
00:12:18et bien clore
00:12:19la représentation.
00:12:21Et suite à cette première
00:12:22new-yorkaise,
00:12:23ce spectacle va circuler
00:12:24un peu partout
00:12:25aux Etats-Unis,
00:12:27Washington,
00:12:28Philadelphia,
00:12:28Boston,
00:12:28Los Angeles.
00:12:30Il est diffusé
00:12:31à la radio,
00:12:32donc ça accroît
00:12:33énormément son audience
00:12:34et les actualités
00:12:35aussi le couvrent.
00:12:36Et on va tout de suite
00:12:37regarder un extrait
00:12:38où dans un premier temps
00:12:39on va voir
00:12:40un tout petit extrait
00:12:41des actualités
00:12:42Fox-Movitone
00:12:43et ensuite
00:12:43un petit extrait
00:12:44de la version radiophonique.
00:12:45The pageant
00:12:53We Will Never Die
00:12:55is New York's
00:12:56Jewish protest
00:12:57against Nazi massacres.
00:12:59In Libyan,
00:13:01500 of our women
00:13:02and children
00:13:03were led
00:13:04to the marketplace
00:13:05and stood
00:13:07against the vegetable stalls
00:13:08we knew so well.
00:13:11Here the Germans
00:13:12turned machine guns
00:13:13on us
00:13:14and killed us all.
00:13:18Remember us.
00:13:26Remember these names.
00:13:29Travinka,
00:13:31Osbjentim,
00:13:33Treblinka.
00:13:35Remember particularly
00:13:36the name of Treblinka.
00:13:38These were the organized
00:13:41extermination camps.
00:13:44In Treblinka,
00:13:467,000 Jews a day
00:13:48were put to death
00:13:50in special steam chambers
00:13:54and the mobile line pits
00:13:56devised by General Wilhelm Kruger.
00:14:01On the 17th of March, 1943,
00:14:04there were left
00:14:0635,000 Jews
00:14:08in the ghetto Warsaw.
00:14:1035,000 Jews
00:14:13and a million ghosts.
00:14:15on the 17th of March.
00:14:18On the 17th of March.
00:14:19On voit émerger
00:14:19ici la figure
00:14:21du fantôme
00:14:22et ce qui est très frappant
00:14:24pour nous
00:14:24quand on regarde
00:14:25rétrospectivement
00:14:26ce type d'extrait
00:14:27c'est à la fois
00:14:28le savoir
00:14:29c'est à dire
00:14:30tout ce qu'on sait
00:14:31on est en 1943
00:14:31et donc on sait
00:14:33qu'on nomme
00:14:33Treblinka
00:14:34un centre de mise à mort
00:14:35qui est encore
00:14:36en fonctionnement
00:14:38à l'époque
00:14:38puisque la révolte
00:14:39à Treblinka
00:14:40c'est août 1943
00:14:41qui va mettre
00:14:42un terme
00:14:42aux activités.
00:14:44Donc on sait
00:14:45que des assassinats ont lieu
00:14:46et en même temps
00:14:47qu'il y a un savoir
00:14:47qui circule
00:14:48il y a aussi
00:14:49évidemment
00:14:50un savoir précaire
00:14:51des confusions
00:14:51des ignorances
00:14:52on parle de chambres à vapeur
00:14:54vous voyez
00:14:55on ne connait pas encore
00:14:56exactement le fonctionnement
00:14:57des chambres à gaz
00:14:58donc on imagine
00:14:59qu'on diffuse
00:15:00de la vapeur
00:15:01pour étouffer
00:15:02les personnes
00:15:03et en même temps
00:15:05que se crée
00:15:06ici
00:15:07cet imaginaire commun
00:15:09on voit apparaître
00:15:11juste après
00:15:13la cérémonie
00:15:16dont on a parlé
00:15:17un film
00:15:18qui va
00:15:18poursuivre
00:15:19continuer
00:15:20ce type de discours
00:15:21et qui s'intitule
00:15:22Non Child Escape
00:15:23de André De Tote
00:15:24qui est un cinéaste hongrois
00:15:25qui s'est exilé
00:15:27aux Etats-Unis
00:15:28en 1940
00:15:28et qui lui aussi
00:15:29va reprendre
00:15:30une partie
00:15:31du principe
00:15:33de ce qui a été
00:15:33évoqué précédemment
00:15:35c'est à dire
00:15:36l'anticipation
00:15:38dans un futur proche
00:15:39donc c'est un film
00:15:39d'anticipation
00:15:40on imagine
00:15:41que la guerre
00:15:42est terminée
00:15:42alors que le film
00:15:43est tourné
00:15:43entre la fin
00:15:45du mois de juillet
00:15:45et le début
00:15:46du mois d'octobre
00:15:461943
00:15:47en pleine guerre
00:15:48on imagine
00:15:49que la guerre
00:15:50est terminée
00:15:50on imagine
00:15:51que les alliés
00:15:52l'ont gagné
00:15:52on imagine
00:15:53que des tribunaux
00:15:54militaires
00:15:55sont dressés
00:15:56donc toutes choses
00:15:57qui vont en effet
00:15:57se réaliser
00:15:58deux ans plus tard
00:15:59et lors d'un
00:16:00de ces procès
00:16:01on voit ici
00:16:02un ancien criminel
00:16:03nazi
00:16:04traduit en justice
00:16:06et il y a des flashbacks
00:16:07et lors des flashbacks
00:16:09on revient au présent
00:16:10c'est à dire
00:16:10le présent du spectateur
00:16:11en 1943
00:16:12et lors d'un de ces flashbacks
00:16:14vous voyez
00:16:14la communauté juive
00:16:16d'une petite ville polonaise
00:16:17conduite au pied
00:16:18de wagons à bestiaux
00:16:19et c'est la toute première
00:16:20représentation
00:16:21en gros
00:16:22du processus génocidaire
00:16:24donc
00:16:25perpétré par les nazis
00:16:27dans l'histoire du cinéma
00:16:29ce qui veut dire
00:16:30que la première fois
00:16:30où on met en scène
00:16:31l'assassinat des juifs
00:16:33par les nazis
00:16:33au cinéma
00:16:34dans une fiction
00:16:35cet assassinat
00:16:36est en train d'avoir lieu
00:16:37on est en plein milieu
00:16:39de l'assassinat
00:16:41et on pourrait dire
00:16:42que le régime meurtrier
00:16:44extrême d'Auschwitz
00:16:46va être atteint
00:16:46uniquement au printemps
00:16:481944
00:16:48c'est à dire qu'on n'a pas
00:16:49encore atteint
00:16:50le pic exterminateur
00:16:51d'un camp comme Auschwitz
00:16:52et donc dans ce film
00:16:53vous voyez qu'à un moment donné
00:16:54il y a deux allusions
00:16:55au pageant
00:16:57puisque le rabbin
00:16:58sur qui on va tirer
00:17:00défie
00:17:01le SS
00:17:03et lui dit
00:17:03we will never die
00:17:04et un peu plus tard
00:17:06le prêtre
00:17:06qui essaye
00:17:09d'être solidaire
00:17:10avec le rabbin
00:17:11et qui l'a relevé
00:17:12parce qu'on lui a tiré dessus
00:17:13lui dit
00:17:14you're right David
00:17:15tu as raison
00:17:15we will never die
00:17:16et donc on a
00:17:17cette espèce
00:17:18de mantra
00:17:20qui revient
00:17:20on voit donc
00:17:22que cette question
00:17:23qui articule
00:17:25justice
00:17:25fantôme
00:17:27et génocide
00:17:28entre dans la culture populaire
00:17:30par la radio
00:17:31par des grands spectacles
00:17:32de masse
00:17:32par le cinéma
00:17:33et elle va rejaillir
00:17:3515 ans plus tard
00:17:36à l'issue
00:17:38ou plutôt
00:17:39dans l'actualité
00:17:40d'un autre procès
00:17:40le procès Heichmann
00:17:41aux Etats-Unis
00:17:43avec une série
00:17:43que vous connaissez
00:17:45certainement
00:17:45en tout cas
00:17:45les plus anciens
00:17:47d'entre vous
00:17:47l'ont certainement vue
00:17:49la quatrième dimension
00:17:51de Twilight Zone
00:17:52aux Etats-Unis
00:17:53donc là on rentre vraiment
00:17:54dans la culture populaire
00:17:55et il y a un épisode
00:17:55très étrange
00:17:56de la quatrième dimension
00:17:58dans lequel
00:17:59un ancien nazi
00:18:00qui s'appelle
00:18:02monsieur Schmitt
00:18:03revient
00:18:04on ne sait pas
00:18:04que c'est un ancien nazi
00:18:05il revient
00:18:06là où il a vécu
00:18:07quelques années auparavant
00:18:08et il va visiter
00:18:10un camp
00:18:11complètement désert
00:18:12on découvre
00:18:12que c'est le camp
00:18:13de Dachau
00:18:13et il se repaie
00:18:16il est tout à fait
00:18:16ravi
00:18:17de retrouver
00:18:18les lieux
00:18:18où il a exercé
00:18:19sa toute puissance
00:18:20son sadisme
00:18:21et des scènes
00:18:22lui reviennent
00:18:24alors on va regarder
00:18:25tout de suite
00:18:26un petit extrait
00:18:28pour vous situer
00:18:30dans l'épisode
00:18:31donc il est
00:18:31dans le camp de Dachau
00:18:32le camp est désert
00:18:34complètement désert
00:18:35à l'abandon
00:18:35on dirait presque
00:18:37un village du far west
00:18:38qui aurait été laissé
00:18:40comme ça
00:18:40à l'abandon
00:18:40et à un moment donné
00:18:42arrive
00:18:42un personnage
00:18:44dont on comprend
00:18:44assez vite
00:18:45que c'est une sorte
00:18:45de fantôme
00:18:46qui est un ancien détenu
00:18:48un ancien détenu
00:18:48de Dachau
00:18:49et ce personnage
00:18:50le poursuit
00:18:52bon au début
00:18:53il ne prend pas ça
00:18:54tellement au sérieux
00:18:55et il va lui faire
00:18:56une annonce
00:18:57qui est le procès
00:18:58à venir
00:18:59et donc on va voir
00:18:59tout de suite
00:19:00cet extrait
00:19:01c'est un ancien détenu
00:19:06un ancien détenu
00:19:11c'est un ancien détenu
00:19:11c'est un ancien détenu
00:19:13comme ça
00:19:15c'est un ancien détenu
00:19:16Sous-titrage Société Radio-Canada
00:19:46Sous-titrage Société Radio-Canada
00:20:16Sous-titrage Société Radio-Canada
00:21:16Sous-titrage Société Radio-Canada
00:21:46Sous-titrage Société Radio-Canada
00:21:48Sous-titrage Société Radio-Canada
00:21:50Non, non, non !
00:22:18On voit comment ici cette mémoire petit à petit émerge à la télévision américaine, ce sera diffusé en France par la suite, et fait entrer dans les foyers à la fois des représentations, des savoirs, des confusions comme je le disais tout à l'heure.
00:22:35Par exemple, le personnage du détenu Baker est tatoué alors que les tatouages étaient exclusivement au camp d'Auschwitz-Birkenau.
00:22:42Le mot juif n'est absolument pas prononcé dans l'épisode et en même temps, l'acteur qui joue Baker, c'est Joseph Schildkraut.
00:22:52Joseph Schildkraut, qui était un acteur du théâtre Hidish, s'est fait connaître aux Etats-Unis en interprétant notamment deux rôles de juifs persécutés, Alfred Dreyfus dans La vie d'Émile Zola de Ditterleu et le père d'Anne Franck, Otto Franck, dans le film de George Stevens.
00:23:07Donc à la fois, on ne dit pas l'origine de la victime, mais en même temps, elle est sous-jacente du fait des choix de casting.
00:23:16Et cette question se formule au moment où se tient le procès à Eichmann, c'est-à-dire au moment où on se rend compte qu'un certain nombre d'anciens criminels contre l'humanité, comme Eichmann, sont à l'étranger.
00:23:29On fait allusion ici à l'Amérique du Sud, Eichmann était en Argentine, et donc beaucoup de ces gens-là échappent à la justice.
00:23:34C'est donc la question, quand la justice ne peut pas être rendue, il faut qu'une autre justice, un autre ordre, s'organise, et c'est celle que les fantômes mettent en place.
00:23:44Les fantômes demandent aux vivants de rendre justice, de réparer les torts subis.
00:23:50Bien que les artistes ne soient pas des justiciers, ils peuvent néanmoins interroger notre présent et favoriser le travail de mémoire.
00:23:58D'une certaine manière, faire œuvre de témoignages participe à rendre justice aux disparus.
00:24:05Au Cambodge, il faut savoir que dans nos croyances, dans nos rituels, il y a deux sortes de morts.
00:24:12Il y a les morts crues et les morts cuits.
00:24:15Alors que vous allez me dire, qu'est-ce que ça peut signifier ?
00:24:19Les morts cuits, disons que dans les travaux de l'ethnologue cambodgien Ang Jun Lin, il distingue le monde sauvage et le monde civilisé, le monde cru, et le monde civilisé, c'est le monde cuit, pour aller très vite.
00:24:35Donc ceux qui sont morts de manière naturelle ont une cérémonie funéraire propre, c'est-à-dire portée par les villageois durant la journée.
00:24:45On jette du riz cuit, on les incinère, alors que les morts crues, ceux qui sont morts de manière violente, ceux qui sont morts sans sépulture,
00:24:56ou par exemple encore, les suicidés, les femmes mortes en couche, sont considérées comme des morts crues et les vivants les craignent énormément.
00:25:07Il n'y a que les exorcistes qui peuvent rompre le charme et contre des actions, le pouvoir négatif sur les vivants.
00:25:16Et donc le rituel pour les malmorts est complètement différent, de manière symétrique.
00:25:22Ce n'est pas porté par le jour, mais durant la nuit, non pas porté par le collectif, par les villageois, mais par quelques personnes qui vont déplacer le corps en secret la nuit,
00:25:34et en plus en zigzaguant pour pas que le mort retrouve le chemin pour venir hanter les vivants.
00:25:40Et ensuite, ce corps, ce mort cru sera enterré dans la forêt ou à la lisière de la forêt qui représente le monde sauvage.
00:25:49Et au lieu de l'incinérer, alors je me suis posé la question, alors vous m'excuserez, pour les spécialistes, c'est ma propre interprétation,
00:25:56je me suis demandé, mais pourquoi l'incinération ?
00:26:00Et en fait, l'ultime don qu'on peut faire aux dieux, c'est, on brûle des encens, on fait des offrandes d'animaux autres, dans certaines cultures,
00:26:11et l'ultime don, c'est le corps.
00:26:15Donc, c'est comme ça que je le comprends, mais c'est vraiment ma propre interprétation personnelle.
00:26:20Mais en tout cas, pour les morts crues, on ne peut pas les incinérer, au contraire, on va les enterrer.
00:26:26Mais avant de les enterrer, on va les rouer de coups.
00:26:30Alors, c'est aussi très choquant, mais c'est comme une manière de désorgiser le mal par le mal.
00:26:35Et donc, ce qui est frappant au Cambodge, c'est que, durant le génocide, les Khmer Rouges sont responsables des 2 millions de morts.
00:26:46Et ces 2 millions de morts sont des morts crues, d'une certaine manière, puisqu'ils sont morts de manière violente.
00:26:53Et donc, ça interroge les rituels, la manière comment on pourrait rendre aux morts.
00:27:00Et ce qui m'a le plus perturbée, c'est lorsque j'ai vu le film de S21, La machine de Morkmer Rouge, de Ritipane,
00:27:10que nous avons projeté hier dans cette salle même.
00:27:15Eh bien, ce que je vous propose, c'est d'abord qu'on regarde l'extrait, et ensuite, je reviendrai tout à l'heure.
00:27:52C'est parti.
00:28:52C'est parti.
00:29:22C'est parti.
00:30:22C'est parti.
00:30:52C'est parti.
00:30:54C'est parti.
00:30:56Le film S21, La machine de Morkmer Rouge est un film essentiel à la fois pour la compréhension,
00:31:04le dévoilement des crimes commis par le dévoilement des crimes commis par les Khmer Rouge à S21, qui est un centre de torture et d'exécution à Phnom Penh,
00:31:12qui est transformé depuis 1980, qui est transformé depuis 1980 en musée du génocide. La force de Ritipane est d'avoir ramené les bourreaux dans les lieux même du crime, à S21, mais aussi à Tchonlec, qui est plus connu sous le nom des Kéline Fields, qui se trouve à une dizaine de kilomètres de la capitale.
00:31:35Et c'est là que les Khmer Rouge emmenaient les détenus pour les tuer, les exécuter et les enterrer dans les fosses.
00:31:43Et donc ici, en plus, il les a amenés dans les conditions, c'est-à-dire dans la nuit, et en regardant les images, on voyait qu'en fait tout ce qui était de l'ordre du simulacre, du symbolique, de l'imaginaire, basculait dans la réalité.
00:31:59C'est-à-dire que les Khmer Rouge, comme pour les mal-morts, emmenaient ces détenus, puisqu'il est considéré déjà comme des fantômes, les emmenaient à Tchonlec durant la nuit, dans le secret, puisque dans la capitale, déjà, c'était quasiment vidé, donc il n'y avait plus personne.
00:32:17Mais malgré cela, il les emmenait la nuit dans le secret et ne les incinérait pas comme pour les morts cuits, mais vont les tuer.
00:32:29Donc rien que dans le dire, dans les gestes, on voit comme le rituel des mal-morts, c'est-à-dire tuer, refaire les gestes de la violence avant de les enterrer.
00:32:41Et on voit ici, également, l'obsession des Khmer Rouge pour la gestion des cadavres, c'est-à-dire le comptage des corps, compte beaucoup plus que le respect des défunts.
00:32:56Donc les Khmer Rouge ont supprimé les rites et croyances ancestrales, puisque sous les Khmer Rouge, les pagodes, les rituels sont interdits,
00:33:06les bonzes ne peuvent plus eux-mêmes vivre de leur spiritualité, ils sont défroqués, ils doivent travailler, être réuniqués également dans les camps.
00:33:18Donc la production de l'extrême se traduit aussi par la destruction de la mort, tant dans les cultes et les coutumes.
00:33:26En faisant tout effacer et à n'en dire vie et mémoire, ils ont tué la mort.
00:33:32Or, pour le peintre Vanat, qui dit au bourreau de S21 dans le film de Ritipane, il dit ceci,
00:33:40« Dans une société où la mort ne vaut plus rien, on ne peut avancer.
00:33:45Habituellement, quand quelqu'un meurt, on fait une cérémonie, on incinère, on brûle de l'encens, on met les sangs dans une stupa, on fait une cérémonie tous les ans.
00:33:55À cette époque-là, on tuait, la vie ne valait plus rien, c'était vulgaire. »
00:34:01La destruction de la mort, ce n'est pas tant l'oubli qui rend problématique le travail de mémoire, mais tout ce qui vient faire effraction dans le symbolique.
00:34:10Le déni de la mort par les Khmerouches vient redoubler la disparition des victimes, rendant impossibles les rites funéraires qui doivent normalement assurer la transmission.
00:34:21Pour préserver une forme de transmission, les rescapés deviennent alors les gardiens de la mémoire des défunts, faute de pouvoir leur donner un véritable statut de victime.
00:34:34Et c'est la tâche à laquelle Vanat s'est astreint pour honorer les disparus.
00:34:38Son art testimonial est lié à la promesse que ses compagnons de Batamban et lui-même s'étaient faites dans le camion qui les emmenait à S21.
00:34:48Ils se sont promis que si l'un d'entre eux allait survivre, devrait témoigner pour les vivants.
00:34:54Et donc Vanat, à la libération, à la débâcle des Khmerouches, il n'aura cessé de peindre et de dessiner ce qu'il a vu et entendu à S21,
00:35:06mais également, et ce qui m'a le plus touchée, c'est qu'il disait que le travail de mémoire, ce n'est pas seulement pour les vivants, pour la jeune génération,
00:35:16bien sûr que c'est important, mais ce qu'il dit aussi, c'est important pour les morts, pour que les morts comprennent aussi pourquoi ils ont été exécutés,
00:35:27de comprendre ce qui se cache derrière l'idéologie des Khmerouches.
00:35:33Et donc, pour lui, faire œuvre des témoignages, témoigner de la réalité du génocide, participe,
00:35:40comme pour les vivants, de faire don, de faire offrande pour apaiser, ou on dit plus exactement le transfert des mérites pour les bouddhistes,
00:35:51et bien créer, c'est aussi une manière de témoigner, permettre aussi à donner à ces morts ces mérites pour qu'ils puissent non seulement être plus apaisés,
00:36:03mais aussi pour, qu'on espère, pour qu'ils puissent un jour se réincarner.
00:36:07Donc je vous montre juste deux dessins, donc ce dessin est exposé ici même au forum des images,
00:36:16quand vous allez sortir, vous allez peut-être voir les dessins de Vanath,
00:36:20où ici, il montre comment les détenus dormaient et mangeaient, attachés par des barres,
00:36:30et là, un dessin qu'il a fait pour montrer qu'il dormait et qu'il mangeait à côté des cadavres,
00:36:36pourquoi ? Parce que pour les Khmers Rouges, tous les détenus qui sont considérés comme les ennemis de l'Ankar
00:36:45sont des morts vivants, si je puis dire,
00:36:49et je retiens ce que disait Ritipan dans son livre L'élimination qu'il a co-écrit avec Christophe Bataille,
00:36:57il dit ceci, il rapporte en fait à un gardien de S21 ses propos, il dit,
00:37:05les prisonniers n'ont aucun droit, ils sont moitié vivants, moitié cadavres,
00:37:10ce ne sont pas des hommes, ce ne sont pas des cadavres, ce sont des animaux sans âme,
00:37:15on n'a pas peur de leur faire du mal, on n'a pas peur pour notre karma.
00:37:18Et ils les appelaient également, quand on dit A prêtre, A,
00:37:26quand on dit le A, ça veut dire que c'est vraiment considéré comme l'autre,
00:37:29comme des sous-hommes, etc., et prêtre,
00:37:32qui signifie littéralement fantôme dont les vivants ont peur de ces fantômes.
00:37:39Donc on a commencé par interroger, envisager le caractère du fantomal,
00:37:44de la hantise à l'échelle des individus,
00:37:46par exemple la figure du fantôme comme porte-parole des morts sans sépulture.
00:37:51On va désormais élargir le cadre, changer un peu de focale,
00:37:55pour nous demander comment cette présence spectrale de la mémoire des génocides
00:37:59hante les paysages et de façon plus générale continue d'habiter le monde contemporain.
00:38:06Alors, par rapport au thème sur lequel je travaille,
00:38:10la mémoire de la destruction des Juifs d'Europe,
00:38:13le cinéaste Claude Lanzmann a fondé, on pourrait dire, toute son œuvre,
00:38:18toute son approche cinématographique de cette question,
00:38:21à partir d'une part du refus, bien sûr, de la fiction,
00:38:25mais aussi des images d'archives,
00:38:27en se disant que les images d'archives étaient impropres
00:38:29à montrer ce que lui cherchait à nous transmettre,
00:38:34d'abord parce que c'était des images de l'univers concentrationnaire
00:38:36et pas des centres de mise à mort,
00:38:38donc c'est pas la même géographie, c'est pas la même histoire,
00:38:41c'est pas les mêmes victimes, et d'autre part,
00:38:43parce qu'il comprend, en tournant en Pologne,
00:38:46en tournant dans les paysages de la Pologne de la fin des années 70,
00:38:49que quelque chose de cette mémoire est toujours là,
00:38:53alors même qu'à l'écran, elle n'est plus perceptible.
00:38:57Et donc, il va tourner des images qui donnent à voir
00:39:00quelque chose qui se tapit sous les images,
00:39:02quelque chose qui se cache sous les images,
00:39:04comme si le visible, on pourrait dire, faisait écran
00:39:09à ce qu'il faudrait voir en réalité sous l'image.
00:39:12Et c'est une question qui est fondamentalement liée,
00:39:15et dans le cadre des différents génocides,
00:39:17c'est vrai que c'est une question qui est vraiment récurrente,
00:39:19à la nécessité d'effacer les traces du crime,
00:39:23d'effacer les outils avec lesquels on est assassiné,
00:39:27et parfois même d'effacer le récit lui-même.
00:39:28Le négationnisme, on pourrait dire, fait partie du génocide.
00:39:31Le négationnisme, c'est la pointe ultime
00:39:34de l'entreprise d'effacement génocidaire.
00:39:38Dans le cadre du génocide des Juifs,
00:39:41les nazis ont mené ce qu'on appelait l'Action 1005,
00:39:44ce qu'ils ont eux-mêmes appelé l'Action 1005,
00:39:46qui consiste à revenir en arrière,
00:39:48parfois deux ans après l'assassinat,
00:39:51notamment des Juifs des Pays baltes,
00:39:54en Ukraine aussi, en Transnistrie,
00:39:56de déterrer des cadavres des fosses communes,
00:40:00des corps qui étaient en décomposition,
00:40:02et de systématiquement les brûler sur des bûchers.
00:40:04Il y avait l'idée qu'il fallait absolument dérober au visible,
00:40:08dérober toute preuve de l'assassinat qui avait eu lieu.
00:40:12Évidemment, ça pose des questions en termes d'images,
00:40:16puisque si vous dérobez ces corps,
00:40:18si vous détruisez les lieux,
00:40:21les centres de mise à mort où l'assassinat s'est perpétré,
00:40:25qu'est-ce qu'on peut bien filmer ?
00:40:26Qu'est-ce qu'on peut filmer quand il n'y a plus rien à voir ?
00:40:28Et c'est en partant de ça que Lanzmann va faire son film Shoah.
00:40:33Alors, on pourrait dire qu'il est précédé d'une certaine manière par René,
00:40:36dans Nuit et Brouillard,
00:40:38René filme les lieux aujourd'hui.
00:40:41Le aujourd'hui de René, c'est la fin de l'année 55,
00:40:44le film sort en 56,
00:40:45et il va filmer des camps,
00:40:48Maydanek et Auschwitz,
00:40:50mais il filme aussi la campagne.
00:40:51Il dit que même un paysage de campagne peut cacher en réalité un camp de concentration.
00:40:57Et il y a l'idée que la nature reprend ses droits,
00:41:00l'herbe repousse, les arbres sont là,
00:41:02et que les lieux où on est assassiné aujourd'hui peuvent paraître des lieux bucoliques.
00:41:05L'idée aussi que l'image ne contient pas tout,
00:41:10ne donne pas tout à voir,
00:41:12et que quelque chose se tapit sous le visible,
00:41:14c'est une idée qui avant Lanzmann a été pas mal travaillée,
00:41:18pas mal mise en pratique dans le cinéma de Marguerite Duras.
00:41:22Si vous regardez les films qu'elle fait à la toute fin des années 70,
00:41:25notamment Aurelia Steiner Vancouver et Aurelia Steiner Melbourne,
00:41:30ce sont des films très étranges,
00:41:31où elle va filmer des bateaux sur la Seine,
00:41:33elle va filmer une route,
00:41:36elle va filmer la Normandie,
00:41:37elle va filmer des arbres,
00:41:38elle filme des choses qui n'ont strictement rien à voir avec l'histoire de la Shoah,
00:41:42et pourtant, la voix de Duras,
00:41:45c'est Duras qui lit son propre texte,
00:41:47évoque les crématoires de Cracovie,
00:41:50évoque Auschwitz.
00:41:51Et tout d'un coup,
00:41:52vous avez des lieux qui n'ont rien à voir avec cette histoire,
00:41:55mais qui sont, par le texte, par la voix de Duras, hypnotique,
00:41:58qui sont comme contaminés.
00:42:00Elle a d'ailleurs une phrase qui est très forte,
00:42:03très belle,
00:42:03quand elle parle de ce que représente pour elle le génocide des Juifs,
00:42:07elle dit « ce trouble pour moi si fort et que je vois en toute lumière ».
00:42:12Ce trouble pour moi si fort et que je vois en toute lumière.
00:42:14Pour une cinéaste, une écrivaine, mais cinéaste,
00:42:18le voir en toute lumière,
00:42:18c'est-à-dire que n'importe quelle image
00:42:20est potentiellement dépositaire de cette mémoire
00:42:23qui hante le contemporain tout entier.
00:42:26Et là, il y a un écart incroyable entre Duras et Godard.
00:42:30Il y a un débat très intéressant.
00:42:33Duras et Godard, elle l'invite chez elle.
00:42:35C'est pour FR3.
00:42:37C'est l'émission qui s'appelait « Océanie »
00:42:38qu'on a en fin d'année 87.
00:42:40Et ils discutent très cordialement.
00:42:43Ils se connaissent bien, ils s'admirent.
00:42:45C'est une très belle discussion.
00:42:46Et à un moment donné, ils se mettent à parler du film de Lanzmann,
00:42:49de Shoah, qui est sorti en 85.
00:42:52Et Duras est bouleversée.
00:42:55Elle est bouleversée par le film.
00:42:57Et Godard, on se demande même s'il l'a vue,
00:43:00et là, il ne montre rien.
00:43:03Il est très désinvolte.
00:43:04Il dit « On ne voit rien.
00:43:06On voit des Allemands.
00:43:08On ne voit rien. »
00:43:09Et là, on comprend qu'ils ont deux visions antagoniques du cinéma.
00:43:14Elle lui dit « Mais on voit tout.
00:43:15On voit les routes, on voit les arbres,
00:43:17on voit les feuilles, on voit les traces. »
00:43:19Et Godard, non, on ne voit rien, on ne voit rien.
00:43:20Et là, tout d'un coup, on se dit « Mais qui est le cinéaste-là ? »
00:43:23Parce qu'elle lui explique que ce qu'il y a à voir
00:43:25ne s'épuise pas dans le visuel.
00:43:28Il y a quelque chose qui est creusé dans l'image.
00:43:31Et c'est ce sur quoi Lanzmann va faire son film.
00:43:33Alors, je voudrais qu'on voit tout de suite
00:43:34un court extrait de Shoah,
00:43:37où on va voir comment le paysage est porteur,
00:43:39des traces du génocide.
00:43:51Après la révolte,
00:43:59les Allemands ont décidé de liquider le camp.
00:44:03Et au début de l'hiver 1943,
00:44:05ils ont planté des petits sapins
00:44:08de trois ans, quatre ans,
00:44:09pour camoufler toutes les traces.
00:44:12Je suis là, je suis là.
00:44:13Oui, oui.
00:44:14Tout ça, c'est l'emplacement des coussins.
00:44:17Oui, parce que j'ai dit,
00:44:19c'est vrai, c'est vrai, c'est vrai, c'est vrai, c'est vrai, c'est vrai.
00:44:21Oui.
00:44:21C'est vrai, c'est vrai.
00:44:51Sur le site de l'ancien centre de mise à mort de Somibor,
00:44:54où 250 000 juifs ont été assassinés,
00:44:56et comme vous pouvez le constater,
00:44:58il n'y a quasiment plus rien à voir,
00:44:59à part des arbres qui, eux-mêmes,
00:45:01cachent les fosses,
00:45:02cachent les lieux
00:45:03où on aurait pu voir quelque chose.
00:45:07Et là, pour un cinéaste,
00:45:08c'est quand même
00:45:08une image très forte,
00:45:10puisqu'il s'agit de filmer
00:45:12des arbres,
00:45:13et donc de filmer
00:45:14une situation dans laquelle le visible
00:45:17ne révèle rien, ne donne rien
00:45:19mais le visible dissimule
00:45:21ce qu'il y a à voir est dissimulé
00:45:23derrière le visible et on pourrait dire
00:45:25que c'est la conséquence de la radicalité du geste
00:45:27génocidaire lui-même qui consiste
00:45:29comme je le disais tout à l'heure à détruire
00:45:31l'individu jusque dans ses traces
00:45:33jusque dans les traces de sa propre destruction
00:45:35et finalement
00:45:36la destruction, on pourrait dire que
00:45:39le crime s'accomplit dans sa propre
00:45:41destruction, dans sa propre invisibilisation
00:45:44et c'est la radicalité du
00:45:45geste génocidaire qu'on va retrouver
00:45:46avec Soko. Oui
00:45:49ce qu'il y a de commun
00:45:52et ce qu'on essaie
00:45:53de vous montrer c'est que dans Shoah
00:45:55ou dans le génocide perpétré par les
00:45:57Khmerouches, c'est l'effacement des corps
00:45:59jusqu'à l'effacement de leurs traces
00:46:01et qu'on voit dans les
00:46:03paysages eux-mêmes et pour
00:46:05comprendre ce double
00:46:07effacement, il faut revenir sur l'idéologie
00:46:10des Khmerouches, il y avait
00:46:11un terme pour moi à retenir
00:46:13de l'idéologie Khmerouches, c'est le terme
00:46:15Khmerouches qui signifie
00:46:18détruire voire
00:46:19réduire en poussière
00:46:21ce mot est très souvent utilisé par
00:46:24Duc lui-même qui notait sur les
00:46:26registres et les documents de S21
00:46:28il donne lui-même la définition de
00:46:31Khmerouches dans le film
00:46:33Duc le maître des forges de l'enfer
00:46:36de Rétipane que nous allons voir tout à l'heure
00:46:38qui sera projeté à 21h dans la salle 300
00:46:41il dit ceci
00:46:44le mot Khmerouches des Khmerouches a son sens
00:46:46propre, ce n'est pas seulement
00:46:48tuer, c'est tuer puis
00:46:49effacer toute trace, réduire en
00:46:52poussière afin qu'il ne reste rien
00:46:54dès 1970 à la création de notre police
00:46:58quand on tue, on n'informe pas la famille
00:47:01on efface les traces, même le cadavre
00:47:03on ne le rend pas à la famille pour une
00:47:05cérémonie, ça c'est la culture Khmerouge
00:47:08donc 4-5 décennies après les Khmerouches
00:47:11les traces des massacres sont peu visibles au Cambodge
00:47:14excepté Tchonek que j'ai parlé tout à l'heure
00:47:18j'ai parlé tout à l'heure des Khmerouches
00:47:20ou le mémorial voie de Saint-Branc-non
00:47:23qui se trouve non loin de la ville de Batambang
00:47:26qui est située dans le nord ouest du Cambodge
00:47:28rien n'indique l'emplacement des fosses communes
00:47:32or on dénombre aujourd'hui 196 centres d'extermination
00:47:37dont S21 est le plus connu et qui fait écran d'une certaine manière
00:47:42à la fois on fait l'éloge de Rétipane bien sûr pour ce qu'il nous a appris de S21
00:47:48mais on aimerait, on invite aussi aux chercheurs de pouvoir étudier
00:47:52ces 195 autres centres d'extermination
00:47:56et on a aussi dénombré plus de 20 000 charniers
00:48:00et pourtant ces charniers, ces fosses communes n'apparaissent nulle part sur les cartes
00:48:06ces fosses communes deviennent des lieux d'oubli
00:48:09il est donc très difficile de lire l'histoire avec un grand H
00:48:14à travers la topographie
00:48:16et c'est ce que montre l'artiste Vandy Ratana
00:48:20Vandy Ratana est un des artistes majeurs de la scène artistique cambodgienne d'aujourd'hui
00:48:26il fait partie de la génération de la post-mémoire
00:48:30c'est-à-dire née après les Khmers Rouges
00:48:32le concept de post-mémoire qu'on travaille beaucoup
00:48:35notamment avec Pierre Belliard
00:48:37est emprunté à l'universitaire Marianne Hirsch
00:48:41qui est professeure émérite à l'université Columbia
00:48:43elle-même, elle est descendante de la Shoah
00:48:46et pour elle, la notion de post-mémoire
00:48:50c'est précisément rendre compte qu'il y a une mémoire indirecte
00:48:55que cette mémoire indirecte
00:48:58ça se traduit dans ce récit des vivants
00:49:02qui parle des morts
00:49:04ces récits-là sont tellement prégnants, tellement forts
00:49:07que ça vient presque remplacer les souvenirs des enfants nés après le génocide
00:49:15et donc la post-mémoire parle aussi, accorde une grande place aux fantômes
00:49:23et pour Vendiratana qui est née après les Khmers Rouges
00:49:27est hantée par sa grande sœur
00:49:30qui est morte sous les Khmers Rouges
00:49:32il ne l'a jamais connue
00:49:34il voit à la maison sa photo
00:49:36mais personne ne parle d'elle
00:49:39et un jour il demande à son père
00:49:42où est enterrée sa sœur
00:49:45au départ il ne voulait pas du tout en entendre parler
00:49:48et quand Vendiratana a beaucoup insisté
00:49:51il a fini par lui dessiner un plan
00:49:53où pourrait être enterrée sa sœur
00:49:57et donc il embarque une équipe de tournage
00:50:00dans le projet justement de venir filmer l'endroit
00:50:04où a été enterrée sa mère
00:50:05pardon, sa sœur et sa grand-mère
00:50:09avec 5000 autres personnes
00:50:11et donc il se rend sur les lieux
00:50:13donc il raconte comment ça a été difficile
00:50:15de retrouver l'emplacement
00:50:16la seule indication qu'il avait de son père
00:50:20c'est qu'ils étaient enterrés
00:50:22sa sœur et sa grand-mère
00:50:23sous deux manguiers
00:50:24et lorsqu'il arrive sur place
00:50:27il a comme un choc
00:50:30de pouvoir se rendre sur les lieux
00:50:32ce choc
00:50:34c'est d'abord par rapport
00:50:37à la question de la beauté
00:50:39à la question de la beauté du paysage
00:50:41puisque comment ressentir une émotion esthétique
00:50:46cette beauté
00:50:47tout en sachant que sous les pieds
00:50:49il y a les ossements, les crânes
00:50:51il dit ceci
00:50:53il y a beaucoup de choses qui se cachent
00:50:56derrière le paysage au Cambodge
00:50:58par exemple
00:50:59quand je marche dans ce paysage
00:51:01je ne sais pas vraiment
00:51:02quel est le sens de la beauté
00:51:04on voit le soleil
00:51:06la rizière
00:51:07on sent le vent
00:51:08on entend les voix
00:51:09mais qu'est-ce qu'il y a sous la terre
00:51:12on ne sait pas vraiment
00:51:13où est la beauté réelle du paysage
00:51:15et quand on connait l'histoire réelle
00:51:17de ce qui s'est passé
00:51:18le plaisir de regarder le ciel
00:51:20ou le paysage
00:51:21disparaît complètement
00:51:23et Vendiratana souligne aussi
00:51:26que cette absurdité
00:51:28et bien dans aucun livre d'histoire
00:51:31ne l'avait préparée
00:51:32puisqu'à l'époque
00:51:33et bien S21
00:51:35où les 2 millions de morts
00:51:38sous les Khmerouches
00:51:39n'étaient pas du tout enseignés
00:51:41au lycée et au collège
00:51:44et donc arrivé sur place
00:51:47il demande de faire le vide
00:51:49autour de lui
00:51:49si je peux le dire
00:51:50il demande à son équipe
00:51:51de quitter les lieux
00:51:52et c'est là
00:51:53le titre de l'oeuvre
00:51:56que je vais montrer
00:51:56s'intitule Monologue
00:51:58c'est le monologue
00:51:59de lui
00:52:00qui parle à sa sœur morte
00:52:03et donc je vous propose
00:52:05de voir l'extrait
00:52:06de l'esprit
00:52:07de l'esprit
00:52:08de l'esprit
00:52:09Je me suis qu'a dit qu'ils ont fait une fois à l'année dernière.
00:52:15Je suis là où je suis, j'ai vu à l'intérieur pour les gens.
00:52:22Je suis là où on se dit que j'ai dit.
00:52:26Je suis là où l'autre, je ne suis pas là pour l'intérieur de la vie.
00:52:30Je suis là où on se déroule à l'intérieur de la vie.
00:52:33Je ne suis pas là où on se déroule.
00:52:37En gros, il y a des des gens qui sont insansé sur le mouge de la tête du mouge.
00:52:42Le jour où il y a des gens qui sont insansé sur le mouge de la tête du mouge.
00:52:47Il y a des gens qui nous ont fait la question.
00:52:50Je suis un peu plus.
00:52:56Je me suis dit qu'il y a un petit peu.
00:52:58Il y a une autre question.
00:53:00C'est le monde qui est.
00:53:02Je me n'ai rien essayé,
00:53:04Non j'ai n'y pensé.
00:53:05On avait besoin de « oh »
00:53:07Onu levez pas.
00:53:10C'est parce que j'y ai tu as joube.
00:53:13Non a tuu à ce que tu as joube !
00:53:18Je suis aussi là que je suis,
00:53:22je suis étonné.
00:53:23Quand je suis à toi, je me suis que je suis là.
00:53:25Après, je ne suis pas dit que tu m'as joues.
00:53:32C'est ce que j'ai fait, c'est ce que j'ai fait.
00:54:02Donc, faute de ne pouvoir filmer sa sœur, il filme les manguiers, qui en 37 ans sont devenus grands et majestueux.
00:54:27D'une certaine manière, ces manguiers sont les témoins muets d'une tragédie, ils sont devenus les traces de l'effacement des traces du génocide.
00:54:38Et la manière comment ils filment les manguiers, à la fois ils parlent des odeurs odorantes, des fleurs, la manière comment ils filment de manière trouble entre le présent et l'éloignement dans le temps.
00:54:52Cette beauté-là, cette beauté des deux manguiers, ça me rappelle cette très belle phrase de Paul Ricoeur, les promesses non tenues du passé.
00:55:03C'est comme si, à travers les images de ces manguiers, on imagine ce qu'elles auraient dû devenir s'ils n'avaient pas été assassinés par les Khmer Rouges.
00:55:14Et pourtant, ce que dit Vendiratana, entre les lignes, sans jamais nommer les Khmer Rouges, ils parlent de leur entreprise génocidaire.
00:55:23Ils ont non seulement détruit des hommes, notamment des enfants, ils ont aussi fait disparaître leurs traces, mais également la culture, la langue et les rituels.
00:55:34Et à la fin de la vidéo, on voit l'artiste qui, pardon, c'est le, qui, donc excusez-moi, il y avait le téléphone qui m'a perturbée en même temps, qui apparaît sur mon ordinateur.
00:55:50A la fin de sa vidéo, l'artiste dit ceci, j'ai donné à mes parents un morceau de bambou pourri, quelques poignées de terre que j'ai ramassées en creusant, enveloppées dans une chemise de coton blanc, ainsi qu'une branche de manguier.
00:56:07Avec Monologue, il offre d'une certaine manière, ou de manière symbolique, un linceul à sa sœur disparue.
00:56:16C'est justement le thème de notre dernier moment de cette présentation.
00:56:23La question des œuvres comme sépulture, parce que souvent le cinéma a cette capacité d'être à la fois lui-même, les films sont à la fois des films et toujours un peu autre chose.
00:56:32Ils peuvent être des films et une déclaration d'amour, des films et un chant funéraire, et une prière, et un linceul, et un tombeau.
00:56:40Et c'est cet aspect-là qu'on voudrait aborder pour terminer.
00:56:43Il y a un très beau film d'Alain Cavalier, qui s'intitule « Ce répondeur ne prend pas de message », un film de 1979, qui est tourné peu de temps après la mort de sa compagne.
00:56:54Et le film se termine par une sorte de cérémonie de deuil, durant laquelle Cavalier prend congé du monde, depuis l'intérieur même de l'image.
00:57:02C'est-à-dire qu'il va commencer à obstruer les fenêtres, à faire en sorte qu'il n'y ait plus de lumière qui entre, il va peindre les murs en noir, il va éteindre tout, et puis petit à petit, le noir se fait comme si l'image devenait elle-même une sorte de tombeau.
00:57:15L'idée de films comme l'un seul, c'est par exemple l'expérience que fait Samuel Fuller, qui n'est pas encore cinéaste à une époque où il est jeune journaliste, romancier.
00:57:25Il s'engage dans l'armée à 30 ans et il avance avec la première armée des Etats-Unis et il arrive dans le camp de Falkenau, en Tchécoslovaquie, et il ouvre ce camp de concentration.
00:57:38Et entre temps, sa mère lui a fait parvenir une caméra 16 mm et il va filmer pour la première fois de sa vie, les toutes premières images de sa vie, une cérémonie durant laquelle le commandant a ordonné aux civils allemands
00:57:51qui faisaient mine de ne pas savoir tout ce qui s'était passé dans le camp de concentration à côté de chez eux, de venir récupérer les cadavres, de les envelopper dans un linceul blanc et de les enterrer.
00:58:02Et donc ça va être la toute première image, la première séquence filmée de Samuel Fuller qui ensuite devient cinéaste.
00:58:10Et je songe aussi à tous ces innombrables films, ou aussi ces fictions télé, dans lesquels on entend des personnages qui récitent un kadiche, cette prière pour les morts.
00:58:21Comme s'il s'agissait sans cesse de les accompagner, y compris par le cinéma, y compris par la fiction.
00:58:26Comme si le cinéma devenait un lieu où pouvaient advenir des rituels funéraires dont ces victimes avaient été précisément privées.
00:58:35Si vous repensez au Fils de Saul, le film de Nemesh de 2015, tout le film tourne autour de ça.
00:58:42C'est-à-dire c'est l'histoire d'un homme qui cherche à faire en sorte qu'un enfant qui a été assassiné dans le camp, d'une certaine manière, puisse mourir.
00:58:50C'est-à-dire qu'Auschwitz est devenu un lieu où on produit de la mort, où on produit des cadavres, mais où on ne meurt plus.
00:58:56Pour qu'on meurt, il faut qu'il y ait une sorte d'accompagnement, que la mort s'accompagne de rituels, qu'elle fasse événement, que ce soit la mort d'un individu.
00:59:04Et donc tout le film, c'est l'histoire de quelqu'un qui cherche à enterrer cet enfant et à réciter une prière pour lui.
00:59:09Et on retrouve ce que disait Soko tout à l'heure sur l'importance des rituels funéraires.
00:59:12Pour cette troisième partie, je vais reprendre des exemples de Ritipan, puisque d'une part c'est aussi pour le rendre hommage,
00:59:20puisque c'est le parrain de ce programme qui se souvient du génocide cambodgien.
00:59:25Et on se rend compte que par le cinéma, Ritipan offre un linceul à ses morts.
00:59:33Et on se rend compte, dans les trois exemples que je vais vous présenter, que le deuil ne finit pas pour autant.
00:59:39Le deuil est impossible, même si on a l'impression à chaque fois qu'il y a une progression dans l'image manquante, l'exil et les tombeaux sans nom.
00:59:49C'est que progressivement, Ritipan lui-même rentre dans l'image, où il apparaît, on le voit dans son troisième film,
01:00:00j'ai dit troisième film dans sa trilogie, où il revient sur sa propre expérience d'Ekmerouge,
01:00:06où il va parler des morts de sa propre famille.
01:00:11Dans l'image manquante, il veut, disons que dans l'image manquante, c'est un monument funéraire dédié à ses parents.
01:00:24Il rend, tout en rendant hommage à l'acte de résistance dont ils ont fait preuve,
01:00:30puisque pour celles et ceux qui étaient là mercredi soir, dans l'image manquante,
01:00:34on voit que son père a décidé de se suicider, d'une certaine manière.
01:00:41Il refuse de se nourrir, c'est comme une sorte de grève de la faim.
01:00:46Ritipan a mis longtemps avant de trouver dans ce geste un acte de résistance
01:00:52contre l'inhumanité que les Khmers Rouches imposaient aux vivants.
01:00:57Au départ, il s'est senti abandonné, il était en colère.
01:01:01Et bien, dans l'image manquante, comme il n'a pas pu avoir une sépulture,
01:01:07et c'est là que sa mère va raconter comment son père aurait dû recevoir les hommages des proches,
01:01:20des personnes, non seulement de la famille, mais des personnes qui l'ont côtoyé,
01:01:25et raconté des bons, comment il y aurait les cérémonies, etc.
01:01:28Donc, il dit que cet enterrement des mots va le sauver, d'une certaine manière,
01:01:34et que le cinéma va lui permettre de donner une sorte de tombeau au mort, à son père.
01:01:42Il dit ceci,
01:01:43« Je crois que ma foi dans le cinéma vient de ce jour-là, de ce jour de cet enterrement des mots.
01:01:51Je crois en l'image, même si, bien sûr, elle est mise en scène, interprétée, travaillée.
01:01:57Malgré la dictature, on peut filmer une image juste. »
01:02:03En filmant des obsèques imaginaires, en comptant la beauté digne de la procession bouddhique,
01:02:10il offre à son père cette sépulture que les Khmerouches lui ont enlevée.
01:02:15Le cinéma, comme dispositif de fiction et de réalité, crée un espace de représentation
01:02:21qui permet à rebours, après coup, d'honorer les siens.
01:02:25Et c'est dans la même perspective qu'à la fin de l'Exil,
01:02:29qui est son deuxième film autobiographique qui est sorti en 2016,
01:02:33nous voyons des tombes en terre.
01:02:39Nous voyons des tombes, des tumulis qui sont recouverts de roses blanches,
01:02:45le blanc étant la couleur de deuil en Asie.
01:02:49Et là, on ne le voit pas complètement, mais en tout cas, on le voit ici à gauche de l'image.
01:02:55Où on voit le comédien qui joue le rôle de Rétipane jeune,
01:03:00qui rend hommage aux morts.
01:03:04Il invite les âmes à trouver la paix,
01:03:06afin que ces âmes puissent quitter le monde des limbes.
01:03:10Et enfin, dans « Les tombeaux sans nom »,
01:03:13Rétipane, dans l'image manquante, on le voyait en figurine de glaise.
01:03:20Dans « L'exil », on voit jouer par un comédien.
01:03:22Et dans « Les tombeaux sans nom », c'est lui qui apparaît.
01:03:26Et c'est ça qu'on va voir ensemble, le dernier extrait.
01:03:31« Les tombeaux sans nom ».
01:03:35« Les tombeaux sans nom », c'est lui qui apparaît.
01:03:39« Les tombeaux sans nom ».
01:03:41« Les tombeaux sans nom ».
01:03:43« Les tombeaux sans nom ».
01:04:13« Et j'ai voulu rester encore à vos côtés, parler avec vous.
01:04:27Il est vrai.
01:04:28J'ai confondu la vie et la mort.
01:04:31Je n'ai pas toujours entendu les voix que j'aimais.
01:04:33J'ai connu le deuil impossible
01:04:35et la flamme sur les petits cercueils de papier.
01:04:38Mais j'ai fait des gestes si précis.
01:04:40J'ai touché des pierres, des bois et des flammes.
01:04:45J'ai marché à l'aube, non sur les fosses, mais sur vos pas.
01:04:49J'étais avec vous en un temps meilleur.
01:04:52Et il m'a semblé que vous approchiez.
01:04:54Mais je ne croyais pas qu'on pouvait,
01:04:58accroupi dans la terre, un caillou à la main,
01:05:01se faire à nouveau enfant.
01:05:04Aux prises avec les images,
01:05:06je ne cesse de pleurer.
01:05:08Alors je ne finis pas.
01:05:10Je ne suis pas une tombe,
01:05:12mais la voix qui espérait.
01:05:14Allongé parmi vous, je vous souris.
01:05:16Je vous traverse.
01:05:17J'ouvre la main sans peur
01:05:20et me laisse tenter par le vent.
01:05:23Je ne voulais pas entrer dans l'image,
01:05:26mais elle a fini par m'emporter.
01:05:29J'ai fait tant d'images pour oublier que j'étais mort.
01:05:33Je me suis dénudé.
01:05:35Le monde est dépassé par l'attente du retour.
01:05:38Disons que j'étais mort
01:05:39et que je n'espère plus rien.
01:05:42Alors je ne cesse de filmer ce pauvre avenir.
01:05:45Serons-nous ensemble ?
01:05:47Où sommes-nous ensemble déjà ?
01:05:49Dans les tombeaux sans nom,
01:05:55Rétipane renouvelle l'inhumation des siens,
01:05:58mais cette fois-ci avec des gestes funéraires plus précis.
01:06:03Je n'ai pas pu montrer tout l'extrait,
01:06:05mais dans nos croyances,
01:06:07quand on n'a pas le corps,
01:06:09on peut trouver des objets de substitution.
01:06:13On voit ce geste
01:06:15où il prend les cailloux,
01:06:18il les lave comme on laverait les corps,
01:06:21il les met ensuite dans un linceul blanc
01:06:24et les met dans des petits coffrets comme vous avez vu.
01:06:28Et là, on voyait une dizaine de cercueils
01:06:32avec les photos de ses parents,
01:06:37de ses deux neveux, sa nièce,
01:06:39enfin, toutes les membres de sa famille qui sont morts sur les Khmers-Rouge,
01:06:42y compris Bopana.
01:06:44Bopana étant, comme il dit, sa grande sœur,
01:06:47même s'ils n'ont aucun lien de parenté,
01:06:51puisque Bopana est une femme qui a été assassinée,
01:06:57torturée à S. Vindien,
01:06:59et pour son courage,
01:07:01pour l'amour qu'elle portait jusqu'à la fin,
01:07:03jusqu'à sa mort envers son mari,
01:07:05que l'amour est aussi une résistance.
01:07:07C'est une figure qui traverse tout l'œuvre de Ritipane.
01:07:10Et donc,
01:07:11ce n'est pas par hasard
01:07:12qu'il lui rend aussi
01:07:14ses gestes funéraires.
01:07:17Et donc, dans cet extrait,
01:07:20on voit Ritipane
01:07:21qui participe pleinement
01:07:22au rituel ancestral.
01:07:26On le voit accompagner ses morts
01:07:28avec la psalmodie des bonzes,
01:07:31qui accompagne la procession des morts.
01:07:33Le cinéaste est là,
01:07:35donc, parmi les quelques participants.
01:07:38Il tient un petit cercueil
01:07:39avant qu'il ne soit déposé
01:07:41sur les brindilles de bois pour la crémation.
01:07:43Et après, comme vous l'avez vu,
01:07:46il récupère le corps,
01:07:48les pierres ne sont plus blanches,
01:07:50mais elles sont noires,
01:07:52et il va les remettre dans un leceil
01:07:54et dans un stupa.
01:07:55Le stupa, c'est le coffret
01:07:57qui permet d'honorer les morts
01:08:00qu'on peut les déposer à la maison
01:08:02ou dans un hôtel.
01:08:05Et je voudrais reprendre ce qu'il dit.
01:08:08Aux prises avec les images,
01:08:10je ne cesse de pleurer,
01:08:12alors je ne finis pas,
01:08:14je ne suis pas une tombe,
01:08:15mais la voix qui espérait.
01:08:18Allongé parmi vous,
01:08:19je vous souris,
01:08:20je vous traverse,
01:08:21j'ouvre la main sans peur
01:08:23et me laisser tenter par le vent.
01:08:25Donc, en faisant sentir leur présence
01:08:27parmi nous,
01:08:29il traduit en mots et en images
01:08:31un passé qui ne cesse de revenir
01:08:34avec insistance,
01:08:35comme si les âmes,
01:08:37les amérantes,
01:08:37nous invitaient à un voyage avec eux.
01:08:40Au-delà de la tragédie cambodgienne,
01:08:43Ritipan montre que la création
01:08:45permet de penser l'impensable du génocide
01:08:48tout en nous donnant à méditer
01:08:51sur la place des fantômes
01:08:53dans notre présent.
01:08:54Ces films ne cessent de témoigner
01:08:56que rien ni personne n'a été oublié.
01:09:00la survivance entendue ici
01:09:02comme ce qui survit à travers le temps
01:09:06est l'autre nom des amérantes.
01:09:09Je te laisse conclure.
01:09:10Merci.
01:09:12On vient de voir Ritipan
01:09:13qui dit,
01:09:14ou en tout cas la voix
01:09:15qu'il interprète,
01:09:16qui dit « j'étais mort ».
01:09:17J'étais mort,
01:09:18c'est-à-dire qu'il y a un passé de la mort,
01:09:19une mort qu'on a traversée
01:09:21et ça renvoie à ce qu'écrivait Jean Quairol.
01:09:23Jean Quairol, ce poète
01:09:24qui a écrit le commentaire
01:09:25du film Nuit et Brouillard,
01:09:27il a eu toute théorie
01:09:28sur ce qu'il appelait
01:09:29le romanesque
01:09:30et les personnages lazaréens,
01:09:32inspirés de Lazare,
01:09:33donc ce personnage de la Bible
01:09:34qui est mort
01:09:35et que Jésus a ressuscité.
01:09:36Et les survivants
01:09:38des génocides
01:09:39sont souvent des personnages lazaréens,
01:09:41c'est-à-dire qui ont traversé la mort,
01:09:43mais qui gardent avec eux
01:09:44les stigmates
01:09:45de cette expérience
01:09:46dont évidemment
01:09:47on ne peut revenir indemne.
01:09:48Et pour terminer,
01:09:50peut-être faire résonner
01:09:52ce terme de mémoire fantôme
01:09:54au sens où c'est plus uniquement
01:09:56les fantômes comme porte-parole,
01:09:58le fantomatique
01:09:59qui hante le paysage
01:10:01ou le film comme sépulture,
01:10:04mais la mémoire elle-même
01:10:05qui est fantôme.
01:10:06Tout à l'heure,
01:10:07on a vu
01:10:08la quatrième dimension,
01:10:10comment
01:10:11dans cette série
01:10:12grand public
01:10:13on évoquait
01:10:15une mémoire
01:10:16qui était avant tout
01:10:16celle de l'époque,
01:10:18vraiment celle des années 60,
01:10:19orientée vers les camps
01:10:20de concentration
01:10:21où la question
01:10:23du génocide
01:10:23des juifs
01:10:24était pas,
01:10:24elle était connue
01:10:25mais c'était pas prioritaire,
01:10:26c'était pas quelque chose
01:10:27de central à l'époque
01:10:28et l'imaginaire
01:10:30le plus global
01:10:30était essentiellement
01:10:31concentrationnaire.
01:10:32Et je vais vous montrer
01:10:33pour terminer
01:10:33l'écart
01:10:35entre la diffusion
01:10:37de la quatrième dimension
01:10:38aux Etats-Unis
01:10:39en 1961,
01:10:41l'épisode
01:10:41date du 10 novembre 61
01:10:43et la série
01:10:45avait été diffusée
01:10:46en 65 en France
01:10:47mais que les 12 premiers épisodes.
01:10:49Et elle n'a été
01:10:50achetée et diffusée
01:10:51en France
01:10:51que dans les années 80,
01:10:53à partir de 84.
01:10:54Et on va voir
01:10:55la version originale
01:10:56puis immédiatement
01:10:58la version doublée
01:10:59et vous allez voir
01:11:00que dans le doublage
01:11:01ou plutôt sous la doublure
01:11:03de la langue,
01:11:04quelque chose s'est inséré
01:11:05qui a à voir
01:11:05avec la manière
01:11:06dont la mémoire
01:11:06a totalement évolué
01:11:08dans les 20 années
01:11:09qui séparent 61
01:11:10de 84.
01:11:12Alors on va regarder
01:11:12tout de suite
01:11:12ce dernier extrait
01:11:14très court.
01:11:24Mr. Schmitt,
01:11:25as we will soon perceive,
01:11:26has a vested interest
01:11:27in the ruins
01:11:27of a concentration camp.
01:11:29For once,
01:11:30some 17 years ago,
01:11:31his name was
01:11:32Gunther Lütze.
01:11:33He held the rank
01:11:34of a captain
01:11:34in the SS.
01:11:36He was a black uniformed
01:11:37strutting animal
01:11:38whose function in life
01:11:39was to give pain.
01:11:41And like his colleagues
01:11:42of the time,
01:11:42he shared the one affliction
01:11:43most common
01:11:44amongst that breed
01:11:45known as Nazis.
01:11:47He walked the earth
01:11:48without a heart.
01:11:54Mr. Schmitt,
01:11:57comme nous allons le voir,
01:11:58porte beaucoup d'intérêt
01:11:59aux ruines
01:12:00du camp de concentration.
01:12:02Mais c'est normal,
01:12:0317 ans plus tôt,
01:12:03il s'appelait
01:12:04Gunther Lütze.
01:12:05Il avait le rang
01:12:06de capitaine
01:12:07chez les SS.
01:12:08Il était habillé
01:12:09d'un uniforme noir.
01:12:10C'était un animal
01:12:11dont la première fonction
01:12:11était de faire souffrir.
01:12:14Et comme tous les soldats SS,
01:12:15il affectionnait particulièrement
01:12:17l'élimination globale
01:12:18des Juifs.
01:12:18On les appelait des Nazis,
01:12:20des hommes inhumains
01:12:21sans cœur.
01:12:24Voilà.
01:12:25Donc vous voyez
01:12:25qu'au moment du doublage,
01:12:27on a intégré,
01:12:27ce qui n'était absolument
01:12:28pas du tout
01:12:29dans l'épisode original,
01:12:30cette question
01:12:31de l'élimination globale
01:12:32des Juifs.
01:12:32En fait,
01:12:33qu'est-ce qui se passe ici,
01:12:34c'est qu'on a totalement
01:12:35changé de paysage mémoriel
01:12:36entre les années 60
01:12:37et les années 80.
01:12:38Il y a eu
01:12:39cet énorme travail
01:12:41et aussi cette importance
01:12:43qu'a prise
01:12:44cette mémoire
01:12:45dans l'espace public.
01:12:47Et face à ce travail
01:12:48mémoriel en profondeur,
01:12:50on mesure aujourd'hui
01:12:52l'importance cruciale
01:12:54du travail qui est mené
01:12:54par les artistes,
01:12:56cinéastes,
01:12:57écrivains,
01:12:57historiens,
01:12:58programmateurs
01:12:59pour que la mémoire
01:13:00des crimes commis
01:13:01par les Khmer Rouges
01:13:01demeure vivante
01:13:03et qu'une immense cohorte
01:13:04de réponses affirmatives
01:13:06succèdent aussi bien
01:13:07en France qu'ailleurs
01:13:08à la question
01:13:09qui est posée
01:13:09en titre
01:13:10de cette rétrospective
01:13:11qui se souvient
01:13:13du génocide cambodgien.
01:13:15Nous vous remercions.
01:13:16Merci.
01:13:16Applaudissements
01:13:17Sous-titrage Société Radio-Canada
01:13:18Sous-titrage Société Radio-Canada
01:13:19Sous-titrage Société Radio-Canada
01:13:20Merci.
01:13:21Applaudissements
01:13:22Merci.
01:13:23Applaudissements
01:13:23Sous-titrage Société Radio-Canada
01:13:24Sous-titrage Société Radio-Canada

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FRANCE 24
06/10/2017