En France, 12 millions de personnes sont considérées comme neuroatypiques. Après avoir fondé Rose Magazine pour les femmes atteintes de cancer, la journaliste Céline Lis-Raoux veut monter qu’"il n’y a pas de destinée de l’échec" pour celles et ceux qui pensent et réagissent différemment de la norme.
00:00C'est aujourd'hui la journée nationale de sensibilisation au TDAH, le trouble de déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité.
00:08Et à cette occasion, Céline Meydarco, votre invitée média, est la fondatrice et directrice d'un magazine consacré au neuroatypique, il s'appelle Zèbres & Compagnie.
00:15Céline Lysraou, bonjour.
00:17Bonjour.
00:17Et merci d'être là pour que tout le monde comprenne, le TDAH fait partie de la neuroatypie, mais il y a aussi le spectre de l'autisme, les troubles dys, dyslexie, dyspraxie, etc.
00:28Zèbres & Compagnie s'adresse à toutes ces personnes qui ont des fonctionnements cognitifs différents, des standards, c'est ça qu'on peut dire, pour résumer, pour aller assez vite ?
00:40Oui, c'est ça la neuroatypie, c'est la neurodiversité, c'est la capacité de l'être humain à être différent dans la manière de penser et d'envisager les choses.
00:47Alors vous sortez le troisième numéro de ce magazine qui est un trimestriel.
00:50Je suppose que vous auriez aimé en être une lectrice parce que vous avez deux enfants neuroatypiques.
00:56Or, il n'existait aucun journal pour les 12 millions de personnes concernées.
01:00Vous, vous vous êtes souvent senti démuni, perdu, seul au monde ?
01:04On est souvent démuni quand on est parent parce qu'on se retrouve face à la différence de nos enfants.
01:09La différence en général, elle se révèle à l'école parce que quand les enfants sont dans le cadre de la vie privée à la famille,
01:15on se dit « bon, il est un peu comme ci, il est un peu comme ça, il est un peu agité, il est un peu fatigant parfois ».
01:20Et puis c'est à l'école où on vous dit « le gamin, il tombe de la chaise, il répond ça, il n'est pas assez attentif ».
01:26Et c'est quand votre enfant est confronté à la norme, une fois de plus, c'est une question de norme, qu'on se dit « ah ouais, là, ça va être compliqué ».
01:33Et là, pour les parents, comment ? D'abord, c'est un tsunami, c'est un tsunami émotionnel.
01:37On se dit « pour mon enfant, ça va être plus compliqué que les autres, est-ce qu'il va y arriver ? »
01:41Et puis souvent, les parents, on se dit « est-ce qu'on a fait quelque chose qu'il ne fallait pas ? Est-ce que je ne l'ai pas bien élevé ? »
01:47Parce qu'il y a aussi cette petite musique derrière, « il n'est pas bien élevé, il ne sait pas respecter les règles, etc. »
01:53Et puis à un moment, on se retrouve démunis face à l'institution scolaire et notre job de parent, c'est de suivre nos enfants.
01:59Et les TND ne s'arrêtent pas quand on sort de l'école.
02:02Les TND, en général, ils se diagnostiquent quand ils sont petits, mais quand ils sont ados et quand ils sont adultes, le TND, il reste.
02:08Donc, en fait, on se retrouve avec cette pluralité de problématiques à laquelle on ne sait pas trop comment on peut répondre.
02:16Et moi, j'aurais bien aimé, quand j'étais jeune maman, ce qui n'est plus le cas, je suis une vieille maman maintenant,
02:20mais quand mes enfants étaient petits, j'aurais vraiment aimé avoir ce magazine pour me rassurer, pour m'accompagner.
02:25Finalement, c'est ce que vous aviez fait aussi avec Rose Magazine, pour aider les femmes atteintes de cancer.
02:30Vous-même, vous aviez été malade.
02:32À chaque fois, vous créez quelque chose en fonction de ce que vous vivez.
02:35Moi, je suis un peu la Madame Michu de la presse, c'est-à-dire que quand je me retrouve, c'est une problématique où je me dis,
02:40mais je suis toute seule et j'essaie de trouver des solutions.
02:43Alors, pour nous, journalistes, ça fait 30 ans que j'ai ma carte de presse.
02:46Pour nous, journalistes, c'est assez simple, normalement, de trouver des réponses.
02:49Mais dans le cadre du cancer, il y a 15 ans, c'était un peu différent.
02:53Il y avait beaucoup moins de solutions sur Internet.
02:55Et dans le cadre des neuroatypies, aujourd'hui, c'était très compliqué de trouver des informations,
03:00de trouver des solutions, de trouver du suivi, alors même que, de par mon métier, j'ai quand même beaucoup de facilité à voir ça.
03:06Et à chaque fois, je me dis, mais si toi, tu passes autant de temps et tu rames autant à avoir des informations,
03:11mais comment font les autres dont ce n'est pas le métier ?
03:13Donc, c'est pour ça que j'ai créé Zèbre.
03:15Zèbre et Rose Magazine, donc avant.
03:16Donc, ce troisième numéro de Zèbre et compagnie, des conseils pour anticiper les galères de la rentrée scolaire,
03:21les rencontres amoureuses des neuroatypiques,
03:23ou encore le témoignage d'un ancien ministre qui parle de son hyperactivité.
03:28C'est Olivier Véran, ancien ministre de la Santé, il n'en avait jamais parlé avant.
03:31Comment vous avez su qu'il était hyperactif ?
03:34En fait, je connais Olivier Véran de ma vie d'avant, parce que j'étais directrice de Rose Magazine, donc.
03:39Et on a beaucoup milité, durant le Covid, dans le cadre de Rose Magazine,
03:44pour la reprogrammation des chirurgies de cancer.
03:48Au début du Covid, toutes les opérations non urgentes étaient annulées,
03:52et les chirurgies de cancer aussi, alors que nous, à Rose, qui sommes avant tout Rose Up, une association,
03:57on partait du principe qu'une chirurgie de cancer, c'est une urgence absolue.
04:01Et donc, je me suis retrouvée à téléphoner à toute heure du jour et de la nuit sur le portable professionnel,
04:06pas privé, d'Olivier Véran, et en fait, il me répondait tout le temps.
04:10Il répondait à 4h du matin, il répondait...
04:12Alors, quand vous laissez un SMS à 4h à un ministre sur son portable professionnel,
04:15vous dites, je me mets la première dans la file d'attente, et comme ça, je serai la première à qui il répondra.
04:20Mais en fait, il me répondait tout de suite.
04:22Et c'est comme ça que je me suis rendu compte qu'Olivier Véran ne dormait quasiment jamais pendant le Covid,
04:25parce qu'il est hyperactif.
04:27Et en fait, on en a discuté au début de Zèbre, autour d'un café,
04:30et c'est là où il m'a dit qu'en fait, il venait de se faire diagnostiquer.
04:34Lui, il y est arrivé via son absence de sommeil.
04:36Et ce qu'il me disait, il le dit d'ailleurs dans l'interview,
04:38dormir 4h par nuit quand on a 30 ans, c'est facile.
04:41Quand on s'approche de la cinquantaine, ça commence à picoter, et c'est comme ça qu'il a eu son diagnostic.
04:45Et sa prise de parole prouve qu'avoir un TDAH peut devenir finalement une force,
04:50en tout cas n'est pas forcément un handicap.
04:52Voilà, j'ai trouvé ça très précieux, parce que souvent le TDAH est associé à l'idée de l'échec scolaire.
04:58Olivier Véran a fait des études brillantes, il a été ministre d'État, deux fois.
05:03Je pense qu'il a prouvé pendant le Covid qu'il pouvait être sur tous les fronts,
05:07et on avait vraiment besoin pendant le Covid d'une personnalité comme Olivier Véran,
05:11dont on avait l'impression qu'il y en avait 15 en même temps, parce qu'il était partout.
05:14Et en fait, ce que j'aime beaucoup dans ce témoignage, c'est qu'il montre qu'il n'y a pas de destinée,
05:21il n'y a pas de destin de l'échec pour les gens qui ont des troubles,
05:25des déficits de l'attention avec ou sans hyperactivité.
05:27En fait, on peut devenir qui on veut.
05:29Et ça, c'est vraiment un message important que je veux faire passer dans le journal.
05:32C'est-à-dire, dans le numéro 1, par exemple, on avait une très belle interview de Glenn Vielle,
05:36le chef 3 étoiles, qui est très dyslexique et qui était très mauvais à l'école,
05:39et qui a été le plus jeune chef 3 étoiles de France.
05:41Donc, que vous soyez dyslexique ou TDA ou autiste, en fait, il n'y a pas de destinée de l'échec pour vous.
05:47Et c'est important que des personnalités publiques prennent la parole sur ces sujets-là,
05:51pour évoquer leurs troubles. Est-ce que ça peut faire changer le regard de la société ?
05:55Mais c'est exactement ce qu'on cherche, en fait, avec Zèbre.
05:57C'est-à-dire que le problème, c'est le regard. La neurodiversité, évidemment, elle se définit par rapport à une norme.
06:03Mais quand 16% de la population est hors norme, on peut vraiment, légitimement, s'interroger sur le territoire de la norme.
06:10Est-ce que ce n'est pas notre norme qui est beaucoup trop étriquée ?
06:13Est-ce que l'enjeu, ce ne serait pas d'élargir le territoire de la norme et de se dire que les personnes autistes,
06:18que les personnes dys, que les personnes TDA y ont parfaitement leur place ?
06:22Et la série HPI avec Audrey Fleureau, ça, ça a fait du bien au combat que vous menez ou pas ?
06:27Alors, pas vraiment, parce que déjà, les HPI font partie de la neurodiversité.
06:31Mais ce n'est pas un TND, ce n'est pas un trouble.
06:33C'est plutôt un avantage concurrentiel, à vrai dire, d'être HPI.
06:37Et ensuite, je n'ai pas vu la série, mais je pense qu'elle, d'après ce que m'en disent les médecins,
06:42elle transporte quand même beaucoup d'idées reçues sur les HPI.
06:45En fait, la réalité, c'est que vous soyez dys, autiste ou HPI, ce qui fait la force, c'est la personne.
06:53Vous n'êtes pas HPI, vous êtes une personne, HPI.
06:56Et donc, ça exacerbe les qualités de la personne, mais en fait, c'est la personne qui est importante.
07:01Alors, Zebra et compagnie, c'est une toute petite équipe de journalistes, dont vous, Céline Lissraou,
07:06mais épaulée par un comité scientifique.
07:08Ça, c'était essentiel d'avoir cette caution-là ?
07:11Alors, c'était très, très important, parce qu'effectivement, il se dit beaucoup de bêtises et d'idées reçues autour de la neurodiversité.
07:18Et on a eu à cœur d'avoir un comité scientifique extrêmement précis, avec un spécialiste de TDAH, un spécialiste de la dyslexie,
07:27qui relie, qui nous accompagne, qui relie la plupart des articles.
07:30Vous en êtes à quoi ? 1000 abonnés en 6 mois ?
07:32Oui, on est 1000 abonnés en 6 mois.
07:34Donc, ça veut dire que vous n'avez pas encore touché le potentiel des 12 millions de personnes concernées.
07:39Non, en fait, on est trois journalistes, on est une toute petite équipe.
07:42On n'a pas de directeur marketing, on fait tout à trois.
07:47Et c'est vrai qu'on a besoin de se développer.
07:50Pour le moment, ça marche très bien, parce que les gens sont contents.
07:52On en a beaucoup vendu en vente au numéro, en point presse.
07:56C'est une chance aussi. Il faut qu'on continue.