Simon Chevrier, lauréat du Goncourt du premier roman pour « Photos sur demande », évoque la précarité étudiante et la recherche de contact humain à travers la prostitution.
Retrouvez « Nouvelles têtes » présenté par Mathilde Serrell sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/nouvelles-tetes
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00:00Au Nouvelle Tête, il est 9h52, Mathilde Serrel, ce matin, votre deuxième invité, à 32 ans,
00:10il vient de remporter le prix Goncourt du premier roman.
00:13L'écrivain Simon Chevrier est dans notre studio.
00:25Ah, il chante aussi !
00:30Bonjour Simon Chevrier !
00:42Bonjour !
00:42Bravo pour ce prix, et puis vous chantez très bien, j'ai l'impression !
00:45Non, non, non !
00:47Sur cette chanson d'Ali Lennox, on va y revenir, mais d'abord, ça vous a fait quoi d'entendre Nicolas vous qualifier d'écrivain ?
00:55D'écrivain, à partir du moment où on signe un contrat d'édition, c'est ce qui est marqué dessus, mais quand on sort un premier livre,
01:05c'est toujours un petit peu étrange de se définir écrivain au bout de trois mois après une publication.
01:12Vous êtes comment dans ses habits ? Est-ce que vous avez envie d'en écrire un deuxième, ça on le sait déjà ?
01:16Oui, le deuxième est déjà écrit d'ailleurs, j'ai pas perdu de temps.
01:22En fait, je l'ai écrit l'été dernier, donc j'ai même pas le temps de me mettre la pression après avoir eu un prix, voilà c'est ça.
01:29Le prix de concours du premier roman, Annie Lennox du groupe mythique Eurythmics a donc chanté Money Can't Buy It,
01:35que l'on vient d'entendre et qui apparaît dans ce premier roman, Photos sur Demande, publié chez Stock.
01:40C'est aussi une chanson qui vous a accompagné dans l'écriture, c'est pour ça que vous l'aviez en tête à l'instant.
01:45Ça a quel sens pour vous Money Can't Buy It dans ce livre qui raconte la précarité étudiante,
01:50la prostitution passagère, le deuil, les amours fragmentaires, la génération Grindr et l'Underground New Yorkais ?
01:58Comme elle dit dans sa chanson, c'est que tout ne s'achète pas et qu'il y a d'une certaine façon une manière de se dire
02:08qu'en tout cas avec l'argent, on fait comme on peut.
02:13Quand je l'écoutais au moment de l'écriture, j'avais toujours quelque chose en arrière qui me disait
02:22que ça prenait une place ultra importante dans ma vie et que...
02:31Et qu'on ne parle pas finalement d'argent en littérature, alors que c'est la clé.
02:35C'est ça.
02:36On l'avait découvert aussi avec Mokhtar Amoudi dans Les Conditions idéales.
02:40Exactement.
02:41Ce sont vraiment des thématiques qui commencent à apparaître dans la littérature aujourd'hui.
02:44C'est vrai qu'on peut penser à la prostituée suisse, Griselides Réal,
02:48une grande humaniste qui avait un carnet de ses clients.
02:51Un carnet de courtisanes.
02:52C'est ça.
02:52Donc c'est une prostitution politique, mais vous, c'est fondamentalement une prostitution économique.
02:56Vous n'aviez pas le choix.
02:57De besoin et puis aussi, c'est qu'à un moment, on se retrouve avec des choix à faire.
03:05Et il n'y en a pas beaucoup.
03:07Surtout qu'il y a une espèce de concurrence énorme par rapport aux emplois étudiants.
03:13Quand on fait des études, c'est difficile d'en décrocher.
03:17Et surtout, ce qui coïncide également avec nos emplois du temps d'études.
03:22Et je me retrouvais à une période de mal vie où je n'arrivais pas à trouver de boulot.
03:28Vous envoyez des CV pour devenir hôte d'accueil sans succès.
03:32On n'appréciait pas forcément votre boucle d'oreille.
03:35D'ailleurs, on le voit dans l'entretien dans le livre.
03:37Et puis, puisqu'on parlait de ces carnets de clients, on les voit aussi chez vous.
03:40On croise le PDG d'entreprise qui s'inquiète de votre précarité, qui veut vous aider.
03:46Le patron de presse, Sado Mazo, qui veut disposer de vous.
03:49Le vieux garçon qui prend soin de son vieux père lui-même et qui, entre deux visites chez le kiné de papa, vous reçoit.
03:56Il y a aussi ce médecin urgentiste qui avait besoin urgentement de chaleur humaine.
04:01Il y a un homme qui aimerait que vous lui envoyiez vos sous-vêtements souillés.
04:05Et puis, il y a le proprio qui fait un loyer pas cher contre quelques caresses.
04:09Qu'est-ce que vous avez découvert de la société à travers ces hommes, mon chevrier ?
04:13C'est quand même 30% de fiction.
04:16Voilà, plus ou moins, je me suis inspiré en effet de personnes ou de clients que j'avais croisés.
04:26Mais j'ai essayé aussi, pas de maquiller la réalité, mais d'en donner des contours un peu différents
04:33et qui se rapprochaient de ce que j'ai pu vivre.
04:37Et pardon, c'était quoi la fin de votre question ?
04:39C'était ce que ça vous avait raconté de la société, parce que c'était un roman qui se passe aussi pendant le Covid,
04:43pendant le décès de votre père.
04:45Et donc, il y a énormément de...
04:46Enfin, à travers ces échanges, que ce soit tarifés ou sur Grindr, c'est toute la société qui passe.
04:51Mais en fait, oui, c'est ça.
04:52C'est que peu importe le profil des personnes, en fait, il y a vraiment une réelle recherche de contact humain.
04:59Et ça peut passer par la sexualité, mais en fait, on se rend compte que parfois, il y a autre chose qui...
05:06La recherche est ailleurs.
05:08Et d'ailleurs, on le voit, tous les clients parlent.
05:10Ils parlent, ils parlent.
05:11Qu'est-ce qu'ils parlent ?
05:12Parlons de l'Andergrande New Yorkais, puisque c'est important sur cette couverture.
05:15Les lecteurs le découvriront.
05:16Il y a une photographie.
05:17C'est un garçon qui s'appelle Daniel Schock.
05:19Enfin, Daniel Schock, on le découvre grâce à vous.
05:21Il est photographié par Peter Ujar au début des années 80.
05:24Un photographe qui est mort du CIDA en 1987.
05:27Pourquoi est-ce que cette photo, dont vous dites d'ailleurs que c'est un reflet qui vous renvoie à vous-même,
05:34pourquoi est-ce qu'elle vous a obsédé ?
05:36Ce qui m'a obsédé, c'est...
05:38Alors déjà, je l'ai trouvé particulièrement joli en la découvrant.
05:42C'est un homme qui tête son orteil.
05:43Voilà.
05:44Qui est nu.
05:44Et puis, le cadre de la photo est vraiment très réussi.
05:50Et ce qui m'a frappé, c'est son anonymat.
05:53C'est-à-dire qu'en fait, il est exposé vraiment partout dans le monde.
05:57Enfin, principalement en Europe et aux Etats-Unis.
06:00Mais le fait qu'on ne sache absolument rien sur lui,
06:03avec un nom mal orthographié en légende de la photo,
06:07m'a un peu interrogé sur le travail de mémoire qu'on pouvait faire sur des modèles inconnus.
06:14Je crois qu'il n'y a pas que lui, d'ailleurs, dans l'histoire de l'art.
06:18Il y a eu d'autres modèles qui se sont retrouvés plus tard,
06:21découvrir qu'ils étaient en effet dans des musées sans le savoir.
06:24Et voilà.
06:25Et il a aimé, il a vécu, il a été quelqu'un, il a laissé une trace.
06:28En tout cas, c'est ça que vous avez voulu retrouver.
06:31Et ce que le héros cherche aussi dans cet excellent livre photo sur demande.
06:35Je le recommande.
06:36Signé Simon Chevrier.
06:37Vous venez de recevoir le prix Goncourt du premier roman.
06:40Bonne route à vous.
06:41Merci beaucoup.
06:42Et vivement le deuxième.
06:42Et merci Mathilde.