L'historien et diplomate Elie Barnavi, ancien ambassadeur d'Israël en France, était l'invité de France Inter ce mercredi. Il appelle à une "pression internationale" pour mettre fin à la guerre à Gaza, qu'il décrit comme "purement politique".
Retrouvez « L'invité de 7h50 » de Sonia Devillers sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50
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00:007h48, Sonia De Villers, votre invitée est historien et diplomate, ancien ambassadeur d'Israël en France.
00:07Bonjour Elie Barnavi.
00:09Bonjour Sonia.
00:10Vous vivez à Tel Aviv, vous êtes de passage à Paris, dans une revue belge qui s'intitule « Regard ».
00:16Vous venez de publier un texte assez inhabituel sous votre plume.
00:21Il s'achève ainsi, je le lis.
00:24« Je veux partager avec les lecteurs l'effroi et le dégoût qui m'étreignent.
00:28Le dégoût face au saccage par une bande de forcenés de l'une des plus belles aventures collectives des temps modernes.
00:35D'effroi d'avoir à m'avouer, moi, juif sioniste, honteux de mon pays. »
00:40Elie Barnavi, on pensait jamais lire ces mots sous votre plume.
00:47Honteux d'Israël ?
00:48Moi non plus, je ne pensais jamais pouvoir écrire ces mots.
00:53Mais c'est le fait, c'est-à-dire que c'est humiliant aujourd'hui de vivre en Israël.
01:00C'est humiliant de vivre sous un tel gouvernement.
01:03C'est humiliant d'être à l'étranger, sous le regard d'autres humains,
01:09qui vous regardent d'un air bizarre, comme si vous étiez une créature bizarre.
01:15Qui vous regarde d'un air bizarre ?
01:16Tous ceux qui ne sont pas au courant de qui je suis, qui savent simplement que je suis israélien,
01:25ça fait beaucoup de monde quand même.
01:27C'est le sentiment que nous n'appartenons plus à l'espèce courante à laquelle nous appartenions,
01:36de l'humanité libérale, démocratique.
01:38Certes avec des difficultés, mais enfin, il était quand même possible de vivre dans ce monde
01:45sans se faire pointer du doigt, sans se sentir un paria, ce n'est plus possible aujourd'hui.
01:52Et vous, vous qui aujourd'hui avez honte de ce pays auquel vous avez tout donné,
01:58auquel vos parents ont tout donné, Elie Barnavi,
02:01vous êtes né en Roumanie, à Bucarest, vous avez émigré en Israël à l'âge de 15 ans.
02:05Le projet de la construction d'Israël, c'était le cœur de votre vie, le cœur de votre famille.
02:10Est-ce qu'aujourd'hui, par les fondamentalistes qui sont au pouvoir,
02:13vous êtes regardé comme un mauvais juif ?
02:16Oui, par eux, certainement.
02:18Mais ce n'est pas du tout ce qui m'inquiète.
02:20Ce qui m'inquiète, c'est qu'ils sont au pouvoir.
02:22Ce qui m'inquiète, c'est la situation absurde
02:26qui a fait de gens qui, ici, en France, ou dans n'importe quel pays civilisé,
02:32seraient derrière les barreaux, a fait de ces gens, des gouvernants, des ministres,
02:40des gens qui mènent Israël là où ils le mènent.
02:45Et donc, il faut bien le comprendre, il y a deux Israëls qui s'égardent en chaîne de faïence,
02:51dans une atmosphère de guerre civile latente.
02:55De guerre civile ?
02:56De guerre civile latente.
02:57Et ça va se terminer, je n'en doute pas une seconde,
03:01dans une explosion de violence.
03:04Il faudra bien arrêter la faim.
03:06La société israélienne est divisée au point que ça va se finir dans la violence,
03:12la haine et dans le sang, entre les Israéliens ?
03:15Les deux Frances fantasmatiques dont on a entendu parler tout à l'heure,
03:19en Israël, les deux Israëls existent bel et bien.
03:24Ça n'a rien d'un slogan.
03:27Ce sont deux peuples qui n'ont rien en commun,
03:30qui ne parlent plus le même langage,
03:33qui pratiquent une hébreu différence.
03:37Il faut bien s'en rendre compte qu'entre Smotrich et Bengvir d'un côté
03:40et moi de l'autre, il n'y a absolument rien de commun.
03:44Et Bengvir qui sont ces ministres d'extrême droite
03:47avec lesquels Benyamou Netanyahou a formé une coalition.
03:53Ehud Olmert, qui est un ancien Premier ministre israélien,
03:56qui vient de la droite, qui vient du Likoud,
03:58vous l'avez connu comme un homme de droite,
04:00qui a évolué depuis, publie ce matin un texte dans Le Monde,
04:03je le cite,
04:04« Une guerre qui aurait dû prendre fin au début de l'année 2024.
04:08Le gouvernement israélien l'a poursuivi sans justification. »
04:12Voici ses mots, Elie Barnavi, les mots d'Ehud Olmert.
04:15« La guerre que nous menons à présent à Gaza est une guerre de dévastation.
04:19Le massacre aveugle, cruel, sans limite aucune de la population civile.
04:23La politique du gouvernement israélien, une politique irresponsable,
04:27intentionnellement meurtrière.
04:29Aujourd'hui, oui, Israël commet des crimes de guerre.
04:32Ce qu'il a toujours réfuté, Ehud Olmert, il en vient ?
04:36Il l'a réfuté parce que ce n'était pas le cas.
04:40On n'a jamais mené une guerre pareille.
04:42Il faut bien comprendre.
04:44Israël n'a jamais mené une guerre pareille.
04:46Pourquoi ? Quelle est la différence de nature ?
04:48La différence de nature, c'est que c'est une guerre purement politique.
04:52D'ailleurs, il n'y a plus de guerre.
04:54Ehud Olmert parle d'une guerre, mais la guerre est terminée depuis longtemps.
04:58Ce qui se passe aujourd'hui, c'est un assaut barbare
05:01contre une population civile.
05:02Il n'y a pas de guerre.
05:03Il n'y a plus contre qui faire la guerre.
05:05Il n'y a plus de Hamas ?
05:07Le Hamas est toujours là, mais il n'existe plus en tant que formation militaire organisée.
05:12Il y a des escouades de terroristes, bien sûr qu'ils sont là.
05:15Et ils seront là tant qu'on ne les remplacera pas.
05:17Donc il y a eu au départ une guerre d'autodéfense, une guerre juste ?
05:20Bien sûr.
05:21Il y a duré combien de temps selon vous ?
05:23Deux, trois mois.
05:24Et c'est tout.
05:24Après, il aurait dû l'arrêter.
05:27Ce qui s'est passé après, c'est que la guerre s'est muée à une opération purement politique
05:33de survie de la coalition de M. Netanyahou et de Netanyahou lui-même.
05:38C'est l'objectif de la guerre.
05:39Mais c'est un objectif politique ou c'est un objectif personnel ?
05:42Parce qu'il y a une guerre politique et puis il y a une guerre menée pour des raisons personnelles.
05:46Est-ce que c'est un projet politique ?
05:48Comment faire pour faire le partage entre ce qui est politique et ce qui est personnel ?
05:54C'est politique et c'est personnel en même temps.
05:56C'est politique parce que c'est un outil politique de survie personnelle.
06:01Et si on n'arrête pas, si ceux qui peuvent l'arrêter ne l'arrêtent pas,
06:07on continuera comme ça jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien à Gaza.
06:10À ce moment-là, il pourra dire que la victoire totale qu'il nous promet depuis le début de l'opération
06:15est enfin atteinte.
06:17et on se sera rendu coupable d'un crime de guerre, d'un crime contre l'humanité massif.
06:23Emmanuel Macron durcit le ton.
06:26Il veut que les Européens durcissent leur position collective vis-à-vis d'Israël et du gouvernement israélien.
06:33Est-ce que ça peut avoir une incidence ? Est-ce que ça sert à quelque chose ?
06:39Ça sert à quelque chose.
06:40Ça fait des années que je me bats pour que la France, pour que l'Europe fasse quelque chose.
06:46Alors, quoi exactement ? Malheureusement, on n'a pas le temps de développer ici.
06:51Cela fait aussi au moins 20 ans que je dis et que j'écris que si le problème israélien ne sera résolu que par une pression internationale.
07:04Seuls, eux et nous n'y parviendrons pas.
07:06Pour des raisons, là encore, que je pourrais expliciter, mais je n'ai pas le temps.
07:11Vous avez le temps. On vous invite pour vous écouter.
07:15Vous parlez, enfin vous utilisez des mots très forts.
07:17Vous dites « mon pays devient un pays paria ».
07:21Yair Golan, qui est le chef de file de la gauche israélienne, parle de pays paria.
07:26Aujourd'hui, Ehud Olmert, qui était un membre du Likoud actif, parle de pays paria.
07:32C'est donc que manifestement, le gouvernement israélien cherche ça.
07:35C'est une volonté, c'est une stratégie de rupture, d'isolement.
07:39Il y a l'idée de faire d'Israël un pays qui serait seul contre tous ?
07:42Non. Ils aimeraient bien que ce ne soit pas le cas.
07:47Ils cherchent, comme tout politicien, ils aimeraient bien des applaudissements,
07:50mais ils ne peuvent pas les avoir.
07:53Tout gouvernement a une hiérarchie de valeurs et une hiérarchie d'objectifs.
07:59Dans la hiérarchie d'objectifs du gouvernement actuel d'Israël,
08:03plaire au monde, s'insérer dans la communauté des nations,
08:06bénéficier de la coopération des autres, est tout en bas de l'échelle.
08:11S'ils comptent, c'est survivre.
08:13Et pour cela, ils sont prêts à faire de nous un peuple de paria.
08:18Et ils ont des arguments pour se défendre.
08:20Ils disent, mais évidemment, ce sont des antisémites.
08:22Nous, on veut survivre, et eux veulent nous enfoncer.
08:25Et donc l'accusation d'antisémitisme, c'est ce qu'il y a de plus facile.
08:29Nous sommes tous des antisémites.
08:31Vous, la première.
08:33Elie Barnavi, vous êtes 150 personnalités.
08:37Le texte est paru hier dans l'Obs.
08:38a appelé Emmanuel Macron à ouvrir la future conférence
08:43qu'il va coprésciner avec l'Arabie Saoudite sur l'avenir du Moyen-Orient,
08:47à l'ouvrir à la société civile.
08:50Vous voulez un congrès mondial de la paix ouvert à la société civile ?
08:55Vous savez, j'ai signé ce texte parce que des amis me l'ont demandé.
08:59Moi, je ne crois pas du tout à tout ça.
09:01C'est vrai.
09:01Je crois que c'est bien, que ça existe.
09:04Ce qui est bien, c'est l'initiative d'Emmanuel Macron avec les Saoudiens.
09:09L'initiative politique, ça c'est bien.
09:10Là où sont les Saoudiens, c'est bien.
09:12C'est-à-dire une conjonction entre Macron, qui est le seul dirigeant européen pour qui Trump a un peu de considération.
09:20Le seul.
09:21Même Mélon, il ne sait pas.
09:22Lui, oui, il est viril, il a une vraie poignée de main.
09:26Donc Macron, ça va à peu près.
09:27Donc Macron et MBS, qui lui a une vraie influence sur Trump, ça c'est une bonne société civile.
09:36Vous savez, on a donné.
09:37Ça fait 30 ans, 40 ans que je participe à des conférences civiles.
09:42C'est sympathique, j'ai des amis.
09:44Mais quand on m'a demandé de venir, j'ai décliné poliment.
09:48Merci Elie Barnavi.
09:49Merci Elie Barnavi.