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  • 22/05/2025
Depuis le 13 mai 2025, l’Assemblée nationale examine deux propositions de loi distinctes sur la fin de vie : l’une consacrée au développement des soins palliatifs, l’autre à l’instauration d’un droit à l’aide à mourir.
Après des années de débats éthiques, sociétaux et médicaux, la France s’apprête potentiellement à franchir une étape historique. Dans ce contexte tendu mais structuré, les auditions se multiplient, et les professionnels de terrain – dont les médecins en soins palliatifs – alertent sur les conditions de mise en œuvre et le risque de confusion entre accompagnement et interruption de vie.

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Transcription
00:00Moi je crois que la loi qui vient, c'est une loi qui essaye de répondre à la peur qu'on a tous de ces moments-là de la vie,
00:07mais beaucoup moins à une réponse au réel.
00:15Je travaille donc dans un département rural et pauvre, ou dans une équipe qui accompagne des personnes atteintes de maladies graves,
00:21et dans le même temps je représente l'ensemble des acteurs de soins palliatifs en France dans le débat public,
00:27et j'ai voulu garder une trace à la fois du débat et de l'écart qu'il y a parfois entre le débat public et la réalité de l'accompagnement auprès des patients.
00:35Donc j'ai écrit au fur et à mesure à la fois des récits, des observations, des rencontres, des histoires avec des patients, c'est ce qui fait mon quotidien.
00:46Le débat public a tendance à venir très vite sur des grandes questions philosophiques, la liberté, la dignité, l'autonomie,
00:53qui sont des questions très importantes et qu'on doit partager ensemble,
00:56mais ce n'est pas trop ce qu'on vit nous au quotidien auprès des patients.
00:59On a aussi tendance à penser dans le débat public que la demande de mort est quelque chose de très fréquent,
01:04et que beaucoup de patients demandent à mourir, dans la réalité c'est beaucoup plus rare,
01:08et c'est surtout rare que ces demandes soient maintenues,
01:10et donc je voulais aussi montrer à quel point ce qui est urgent pour nous dans la question de l'accompagnement au quotidien,
01:16c'est plus la question des moyens que la question de la loi.
01:18Les soins palliatifs, ce n'est pas la médecine de la fin de vie,
01:20c'est vraiment la médecine qui accompagne la vie avec une maladie grave,
01:22pour pouvoir voir avec chaque patient quels sont ses choix, ses peurs, ses limites,
01:27et construire avec lui le parcours de soins qui lui correspond.
01:33Depuis le début des débats, on avait demandé qu'il y ait bien deux textes.
01:36Le premier texte sur les soins palliatifs est plus un texte médical ou technique.
01:40En tout cas, l'objectif est d'améliorer l'accès aux soins,
01:42puisqu'on sait qu'en France, c'est 50% des patients qui en auraient besoin,
01:45qui n'ont pas accès aux soins palliatifs.
01:47Ça veut dire qu'en France, il y a tous les jours 500 personnes qui meurent
01:50sans avoir été soulagées comme elles l'auraient pu ou dû.
01:54La deuxième loi sur la question d'un droit à l'aide à mourir, c'est une loi sociétale.
01:59Parfois, certains patients peuvent demander à mourir.
02:01La question, c'est comment collectivement, comme société, on répond à cette demande.
02:07Pour prendre une position publique,
02:09la SFAP a interrogé trois fois dans les quatre dernières années
02:12l'ensemble des acteurs de soins palliatifs
02:14pour leur demander comment ils vivaient dans leur quotidien avec la loi actuelle.
02:18La position qu'on a prise, elle est issue de ces consultations.
02:22Les acteurs de soins palliatifs, dans leur immense majorité,
02:24sont inquiets du texte.
02:26Cette perspective de fixer des conditions
02:28dans lesquelles on pourrait être amené, nous, soignants,
02:31à être ceux qui donnent la mort à nos patients.
02:34Et ce qu'on voit, c'est que dans toutes les disciplines
02:36où on est confronté de près à la question de la mort,
02:38les soignants sont très réticents.
02:40Dans l'exposé des motifs, c'est-à-dire l'introduction,
02:45il est écrit que c'est un ultime recours pour des situations exceptionnelles.
02:48Si on veut être dans un ultime recours,
02:50il faut mettre des critères extrêmement restrictifs
02:51et extrêmement stricts pour qu'il n'y ait que quelques situations
02:54tout à fait particulières.
02:56À mon sens, ce que contient le texte réel de la loi,
02:59c'est l'ouverture d'un nouveau droit,
03:00qui est le droit à choisir le moment de sa fin de vie,
03:02ce qui est une discussion tout à fait légitime.
03:04Par contre, il me semble qu'il faut que les enjeux soient clairs
03:06pour les députés.
03:07On ne peut pas à la fois dire que dans le même texte,
03:09on fait un ultime recours et qu'on ouvre un nouveau droit.
03:11Et la HAS est venue confirmer ce qu'on voit dans notre pratique.
03:14Les médecins ne sont pas capables de faire des pronostics temporels.
03:17Et puis surtout, cette question n'est pas une question médicale d'abord.
03:20Elle est d'abord une question personnelle.
03:21Chaque patient, en fonction de son histoire,
03:23de l'intensité de son désir de vivre,
03:25de comment il est entouré, de comment il va psychologiquement,
03:28s'accroche plus ou moins à la vie.
03:30On ne peut pas dire dans la loi que c'est les médecins
03:32qui vont savoir de façon précise ce qui va se passer pour les patients.
03:35Aussi, la question de la collégialité,
03:37parce que ces questions sont compliquées,
03:38parce que la question de la souffrance, c'est une question compliquée.
03:40On ne souffre pas que physiquement.
03:42On a besoin, nous, pour écouter les patients,
03:44d'être en équipe pluridisciplinaire des médecins,
03:47des infirmiers, des aides-soignants, des psychologues,
03:48des assistantes sociales.
03:49Dans le projet de loi actuel, la demande s'adresse à un médecin.
03:52Il n'y a aucune collégialité, aucune réflexion commune.
03:57On a vu dans les pays qui ont déjà légalisé
04:00des élargissements des conditions,
04:02parce qu'on voit que les critères sont impossibles à tenir.
04:05À partir du moment où on décide qu'on va répondre par la loi
04:07à la question de la souffrance,
04:09je pense qu'il est impossible de mettre des limites,
04:11puisque la souffrance est une expérience intime,
04:13forcément subjective,
04:15et que donc, quels que soient les critères qu'on met,
04:17il y a toujours quelqu'un qui va dire
04:18« Mais moi aussi, je souffre,
04:20et ma souffrance doit également être prise en compte. »
04:25La principale différence, c'est la question de l'intention.
04:28La loi actuelle,
04:29et ça, je pense que vraiment trop peu de gens le savent,
04:31et en particulier le grand public,
04:32la loi actuelle nous dit qu'on doit soulager
04:35quoi qu'il en coûte,
04:36même si ça doit raccourcir la vie.
04:37On doit prendre tous les risques pour soulager,
04:39utiliser tous les médicaments,
04:41à des doses parfois élevées,
04:43pour soulager.
04:44L'euthanasie, c'est-à-dire l'injection faite par un soignant,
04:47l'intention, c'est de faire mourir rapidement.
04:51On a accompagné depuis 25 ans
04:5315 000 patients à peu près,
04:54et on a eu trois demandes persistantes d'euthanasie.
04:56On a parfois des gens qui disent,
04:58à un moment, qu'ils voudraient mourir,
04:59mais très souvent,
05:00ces demandes sont fluctuantes ou ambivalentes,
05:02c'est-à-dire que si on est soulagé,
05:03si on a une visite,
05:04si quelque chose se passe,
05:06la demande disparaît.
05:07En fait, ce que moi,
05:08j'observe encore après 25 ans de pratique,
05:10c'est la capacité incroyable de l'être humain
05:12à s'adapter à des situations
05:13qu'il n'aurait pas imaginé pouvoir supporter.
05:16Et puis aussi,
05:17à quel point l'envie de vivre est forte,
05:19et comment elle se glisse
05:20dans tous les interstices que la maladie laisse.
05:22Moi, je crois que la loi qui vient,
05:24c'est une loi qui essaye de répondre à la peur,
05:27mais beaucoup moins à une réponse au réel.
05:29Seuls, on va plus vite,
05:32ensemble, on va plus loin.

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