Lundi 12 mai 2025, retrouvez Fabrice Bonnifet (Président du Collège des Directeurs du Développement Durable (C3D), Directeur Développement Durable & Qualité - Groupe Bouygues) et Alexandre Rambaud (Co-directeur de la chaire Comptabilité écologique, Fondation AgroParisTech) dans HR MAKERS, une émission présentée par Caroline de Senneville.
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00:04Bienvenue sur Hachemakers, aujourd'hui nous allons parler transformation des entreprises, gouvernance durable et stratégie RSE.
00:14Revirement américain, modification majeure de la CSRD, les entreprises doivent tenir le cap face à un environnement politique et économique particulièrement instable.
00:23Un contexte difficile dans lequel, point positif s'il en est, les directions des ressources humaines se révèlent être des moteurs de transformation durable.
00:31On en parle aujourd'hui avec Fabrice Bonifé, président du C3D de Genact. Fabrice, bonjour.
00:36Bonjour.
00:37Et Alexandre Rambeau, co-directeur des chaires comptabilité écologique de la fondation AgroParisTech et double matérialité de l'institut Louis Bachelier et co-fondateur du CERCES, le cercle des comptables environnementaux et sociaux.
00:51Bonjour Alexandre.
00:51Bonjour.
00:51Première question, le paquet Omnibus présenté par la Commission européenne en février dernier propose des modifications majeures de la CSRD.
00:59En parallèle, le début de présidence de Donald Trump s'illustre par des reculs majeurs sur le plan social et climatique.
01:07Que faut-il penser de cette concomitance d'événements ?
01:09Alexandre, go.
01:12En fait, ce qui se passe, c'est qu'au niveau de l'Union européenne, la CSRD était inclue dans le pacte vert européen, le Green Deal.
01:21Qui avait déjà été égratigné par les dernières élections l'année dernière au Parlement.
01:27Et la teneur géopolitique actuelle a complètement fait basculer l'orientation européenne en défaveur d'une vision de la durabilité,
01:41en opposition avec les notions de performance, compétitivité.
01:47Et il est clair que la montée en puissance du trumpisme a favorisé clairement cette vision de l'opposition complètement délétère entre compétitivité et durabilité.
01:59Oui, c'est un peu ça.
02:02C'est même exactement ça.
02:04En fait, les détracteurs de la durabilité considèrent qu'on ne peut pas aujourd'hui avoir des niveaux d'exigence pour les entreprises qui sont différents d'un continent à l'autre.
02:14Et faire peser sur les seules entreprises européennes l'obligation d'avoir des trajectoires, des transitions, des plans de transition pour mettre en place des plans de durabilité crédibles.
02:26Alors que le reste du monde ne serait pas assujetti à la même régulation.
02:31Et donc, beaucoup d'entreprises européennes se sont dit, oui, finalement, comme l'extract territorialité des normes ne va pas s'appliquer,
02:37parce que les Américains ont dit d'entrée de jeu qu'ils ne l'appliqueront pas.
02:40Ils ont dit, nous, on va se tirer une balle de lampier si en Europe, on est les seuls à appliquer ces nouvelles règles, alors que les autres ne vont pas le faire.
02:48Donc, distorsion de concurrence, donc problématique de compétitivité.
02:51Mais c'est quand même une erreur majeure.
02:53C'est quand même une erreur majeure parce qu'il aurait fallu deux choses, en fait.
02:55Il aurait fallu que l'Europe fasse front.
02:57Donc, voilà, écoutez, dire aux Américains, vous êtes gentils, mais nous, en Europe, on impose ces règles.
03:02Parce que pourquoi l'Europe a élaboré le Green Deal il y a déjà presque dix ans ?
03:07Parce que ce n'est pas récent, l'idée du Green Deal.
03:09C'est que, jusqu'à preuve du contraire, l'Europe ne dispose pas d'énergie fossile, ou très peu, pour son approvisionnement propre,
03:16et très peu de matières premières également pour son industrie.
03:18Donc, l'idée de mettre en place, de faire émerger une économie libérée de la contrainte carbone et sobre en ressources,
03:27ça fait sens sur un continent qui dépend énormément des ressources extérieures pour son activité d'aujourd'hui.
03:35Et donc, il y avait un double impact, là.
03:37C'était de faire émerger une nouvelle économie plus compatible avec les mille planétaires, parce qu'on n'a qu'une seule planète.
03:43Et puis, deuxièmement, c'était aussi de nous permettre d'expérimenter des nouveaux modèles économiques
03:50qui allaient remplacer les modèles de la civilisation thermo-industrielle très dépendants de ses ressources fossiles et minérales.
03:58Donc, on aurait, si on avait été courageux, si on avait maintenu l'ambition du Green Deal,
04:05on aurait pu faire émerger cette nouvelle économie sur le continent européen,
04:08qui, de toute façon, aurait été imité partout ailleurs sur la planète, parce que les ressources fossiles sont en dimension finie, comme vous le savez,
04:15et que, tout ou tard, ces tensions-là sur l'énergie seraient arrivées sur les autres continents, et notamment sur la partie pétrole,
04:21parce que c'est le pétrole qui va, de toute manière, être la première des énergies fossiles en tension dans les années qui viennent.
04:27Donc, là, on a tout perdu. Donc, on a reculé face aux injonctions américaines et aux menaces.
04:35Et, finalement, on va détricoter, en fait, ces exigences-là, ce qui va, à terme, fragiliser énormément les entreprises européennes,
04:43parce qu'en fait, on aura la double peine. On aura toujours des entreprises qui vont continuer avec le même modèle économique,
04:49alors qu'on va payer de plus en plus cher les ressources. Et quand les pays qui exportent ces ressources en auront moins à exporter,
04:57parce que, là aussi, on voit bien sur les métaux, eh bien, ils vont les garder pour eux. Et nous, on n'aura pas transformé nos modèles économiques
05:03et on n'aura pas de ressources. Donc, ça sent quand même très, très fort la récession, tout ça, ce qui est quand même une très, très mauvaise idée.
05:10Donc, manque de courage politique, manque de clairvoyance de beaucoup d'entreprises qui ont fait du mauvais lobbying.
05:15Alors, c'est vrai, très poussé par leurs actionnaires américains, compte tenu d'état d'esprit qui règne de l'autre côté de l'Atlantique, là.
05:23Mais c'est quand même une catastrophe, à la fois pour nos citoyens, pour nos entreprises, parce qu'à court terme, peut-être que,
05:31mais alors là, à moyen-long terme, on est sûr qu'on va se planter. Donc, il est temps de se réveiller.
05:36Si on revient, justement, sur la CSAD et le paquet Omnibus, il est prévu, à priori, une réduction du nombre d'indicateurs
05:42et une diminution drastique du nombre d'entreprises concernées.
05:46Alexandre, selon vous, qu'est-ce qui a pêché dans la construction de la CSAD ? Pourquoi on en est là ?
05:50Alors, grande question.
05:53Oui, grande question. La question, c'est déjà, bon, dire, il a pêché quelque chose, comme on le voit, comme ça a été rappelé,
06:01il y a un contexte déjà aussi très politique.
06:03Donc, oui, il y a des éléments questionnables dans CSRD, mais il faut vraiment rappeler que la remise en question très forte de CSRD provient d'abord et avant tout,
06:16non pas d'une problématique, on va dire, d'applicabilité et de questionnement par rapport aux entreprises,
06:25mais d'abord d'un cadre politique.
06:28Ça, c'est vraiment un point essentiel.
06:30Et je leur dis, ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des éléments questionnables.
06:33C'est pas... Mais il ne faut pas inverser, en fait, le processus.
06:36Et je dis ça d'autant plus que là, il y a une grande consultation européenne qui a été lancée à l'initiative de plusieurs acteurs,
06:45côté conseil, recherche, etc., via Wear Europe, dans laquelle aussi Fabrice est impliquée,
06:51qui essaie justement d'aller vraiment demander aux entreprises ce qu'il en est concrètement de CSRD.
06:57Parce que c'est juste pour rappeler que tout ce qui est en train d'être fait a été fait sans la connaissance véritablement des retours des entreprises.
07:04Donc, on est en train de dire, CSRD est difficile à appliquer je ne sais quoi,
07:09mais on n'a absolument pas à demander aux entreprises ce qu'il en était.
07:11Donc, c'est un non-sens.
07:12Donc, c'est vraiment une des décisions extrêmement politiques sur une directive qui, en plus, on a été à un an d'application.
07:18Donc, c'est assez incroyable, au bout d'un an, de dire, non, ça ne va pas, il faut revoir les choses.
07:23Donc, voilà, c'est juste pour poser ça.
07:26Alors, si on va sur les éléments questionnables, qui sont des éléments, on va dire, qui peuvent donner lieu, justement, à des débats,
07:34ce qui se passe aujourd'hui, c'est qu'on est sur une remise en question de CSRD de façon négative,
07:40en disant, il faut enlever des data points, il faut reporter, il faut enlever des entreprises, etc.
07:46Mais, en fait, on peut totalement prendre le problème à l'inverse et dire, sur la question, par exemple, des data points,
07:53oui, il y a une question de où est-ce qu'on produit l'information.
07:56Donc, les entreprises, avec CSRD, en tout cas dans la mouture actuelle, doivent structurer un budget carbone.
08:02Ce n'est plus un bilan carbone, c'est un budget carbone, donc un plafond d'émissions, raccord avec l'accord de Paris.
08:07La question, c'est, où est-ce qu'on va chercher cette information ?
08:10Même chose pour la biodiversité, même chose pour plein de choses.
08:13Là, il y aurait, en fait, des marges de manœuvre sur comment l'Union européenne peut accompagner la démarche de production d'informations.
08:20Est-ce qu'il n'y a pas des nomenclatures ? Est-ce qu'il n'y a pas, en fait, des standardisations qui peuvent apparaître ?
08:25Donner des éléments par rapport à cette production d'informations.
08:27Et c'est la même chose sur l'accompagnement des plans d'action, sur des guides plus poussés sur l'accompagnement des entreprises.
08:34Mais être dans cette démarche d'accompagnement.
08:36De la même façon, et ça, ça a été souvent rappelé, CSRD a été beaucoup présenté comme un exercice de compliance, un peu bête et méchant.
08:45Alors que ça n'a jamais été ça, c'était même Patrick De Cambourg, le président au niveau des groupes de travail techniques sur la CSRD, enfin sur les ESRS,
08:55qui rappelait que c'était une norme de management pour vraiment avoir la mise en place d'une stratégie de l'entreprise.
09:00Et donc, en fait, il y a une logique de CSRD au niveau du CERCES et de la chaire comptabilité écologique.
09:04On a énormément travaillé là-dessus sur la logique fondamentale de CSRD.
09:08Et de comprendre que l'enjeu de CSRD, c'est d'avoir un nouveau narratif et d'avoir un pilotage stratégique.
09:14Et à partir de là, comme je le dis souvent, avoir même uniquement 100 data points, qui sont simplement un exercice de compliance,
09:21ce sera toujours beaucoup plus dur que d'avoir un vrai narratif et derrière 500, 1000 data points qui ont du sens.
09:30Donc ça, c'est le deuxième enjeu, c'est la question de la narration.
09:32Et le troisième point, ça a été aussi souvent rappelé, mais il y a vraiment une question par rapport à ça, c'est la question de l'audit.
09:40C'est-à-dire que l'audit, qui est vraiment un gain énorme de CSRD, c'est-à-dire faire en sorte qu'on ait de l'information crédibilisée,
09:48puisse être non pas dans un premier temps soumise à des sanctions, mais conduise à un accompagnement des entreprises.
09:54Donc ce que je veux dire, c'est qu'il y a plein de possibilités de marge de manœuvre positive et qui ne conduiraient pas à une remise en question de CSRD.
10:04Fabrice, est-ce que vous voulez rajouter un mot là-dessus ?
10:06Oui, le mot, c'est que toutes les entreprises ne considèrent pas tout ce qu'on vient de se dire comme étant un carcan affreux.
10:15Ça, ce n'est pas du tout vrai. D'ailleurs, l'enquête actuelle de We Are Europe est en train de démontrer que non, il y a plein d'entreprises qui considèrent que c'est au contraire un excellent guide pour transformer le modèle économique de l'entreprise.
10:27Un vrai levier.
10:28Un vrai levier, parce que comme ça a été dit, en fait, il y a très, très peu d'entreprises, même quasiment que d'entreprises qui ont la totalité des enjeux matériels.
10:37Et donc, les 1178 Adapoint ne concernent pas tout le monde, enfin ne concernent pas toutes les entreprises, donc pas tout ça à prendre en compte.
10:46C'est complètement faux. Donc, il faut correctement faire l'analyse en double matérialité et à partir de là, mettre en place une trajectoire, exactement comme ça a été dit,
10:55non pas pour reporter les informations, pour reporter les informations, ça n'a aucun sens, mais pour mettre en place un plan de transition.
11:00Le terme de la loi, c'est un plan de transition. Un plan de transition, c'est de partir d'un État qu'on connaît vers un État futur désiré,
11:10qui est la prise en compte de l'empreinte carbone de l'entreprise, l'empreinte biodiversité de l'entreprise, l'empreinte matière d'entreprise,
11:18pour trouver des solutions dans le modèle économique, dans le modèle d'affaires, pour que l'entreprise reste vivante économiquement,
11:24mais en diminuant fortement ses impacts, voire en régénérant ce qui peut être régénéré. Parce que l'objectif, ce n'est pas de faire bien,
11:33c'est de faire beaucoup mieux et de faire en sorte de ne plus avoir d'impact négatif, en fait, sur les écosystèmes qui font vivre l'entreprise.
11:41Parce que quand il n'y aura plus de services écosystémiques et quand il n'y aura plus de ressources, il n'y aura plus d'activité économique.
11:46Et donc, vous savez, à chaque fois qu'il y a des nouvelles régulations, il y a des gens qui s'agitent pour dire
11:52« On n'y arrivera pas, ça coûte trop cher, c'est de la bureaucratie, etc. »
11:55Et ça a été vrai pour l'article 225 du Grenelle 2 il y a 20 ans, c'était vrai pour la DPEF, c'est vrai pour la CSRD.
12:02Il y a toujours qui s'affole. Et à dire, ceux qui s'affolent souvent n'ont même pas pris le temps de lire.
12:06Oui, et de vraiment voir ce que ça implique.
12:08C'est contre, c'est une posture contre par principe, ce qui montre d'abord la faiblesse intellectuelle des gens qui s'opposent à ça.
12:19Parce qu'une fois que les entreprises ont goûté à ce type de cadre, ils se disent « Ben oui, mais c'est vachement bien. »
12:25Parce que ça va nous accompagner, en fait, dans la transformation de notre modèle.
12:27Parce que, pour faire simple, 99% des entreprises ont des modèles qui sont linéaires, extractivistes.
12:34J'extrais des matières premières, je les transforme, je fabrique des produits que je vends à mes clients.
12:39Et puis ensuite, tout ça, ça disparaît la poubelle parce qu'il n'y a pas, ça ne reboucle pas.
12:42Les matières premières qui ont été utilisées en extrême amont, en extrême aval, ne reviennent pas dans le circuit industriel pour mille raisons.
12:48Mais ça, ce n'est pas durable sur une planète qui ronde.
12:51C'est vrai que peut-être que les Américains considèrent qu'elle n'est pas encore complètement ronde.
12:55Pourtant, ils ont été les premiers à aller sur la Lune.
12:57Et donc, à partir du moment où ça ne reboucle pas, il vaut bien falloir qu'on mette en place des approches plus circulaires et qu'on fasse durer beaucoup plus longtemps nos produits.
13:06Eh bien, les entreprises, avec CSRD, peuvent mettre en place cette approche-là progressivement avec leurs clients, avec leurs parties prenantes.
13:13Et c'était ça, en fait, l'esprit de la loi.
13:15Donc, de tout dénaturer, ça n'a pas de sens.
13:17Ça n'a pas de sens parce que ça va condamner plus rapidement les modèles d'affaires de nos entreprises.
13:23C'est terrible.
13:24C'est terrible d'avoir si peu de clairvoyance.
13:26Alors, c'est vrai que ceux qui sont en train de prendre ces décisions ne seront pas ceux qui vont devoir rendre des comptes demain à leurs parties prenantes et notamment à leurs collaborateurs, à leurs clients.
13:35Et c'est ça qui est terrible parce que c'est un problème aussi de temporalité.
13:38Donc, oui, c'est vrai qu'à court terme, on peut continuer de faire encore n'importe quoi parce que le changement climatique est trop rapide pour qu'on s'y habitue, pour qu'on s'y adapte.
13:47Mais il est trop lent, malheureusement, pour qu'on prenne des décisions radicales alors qu'on devrait, aujourd'hui, prendre des décisions radicales.
13:53Justement, on vient de le mentionner. Alexandre, est-ce que vous voulez rajouter des éléments sur la façon dont la RSE est prise en compte aujourd'hui au sein des stratégies de gouvernance que mentionnait Fabrice ?
14:02Oui, alors, je vais totalement dans le sens de Fabrice. Et ça me permet, par rapport à cette question de stratégie RSE, de mentionner qu'il y a quand même de plus en plus d'entreprises qui ne sont pas soumises à CSRD et qui utilisent le cadre de CSRD pour leur stratégie RSE.
14:18Donc, toute taille d'entreprise, c'est un guide, un levier et ça marche ?
14:22Totalement. Et c'est ça aussi un élément qui a été peu mis en avant dans le débat actuellement.
14:28C'est que, oui, il ne faut pas croire que CSRD, c'est simplement un truc, encore une fois, de compliance réglementaire et qu'eux ne sont intéressés par ça que des entreprises qui sont légalement soumises.
14:39Non, absolument pas. Il y a des entreprises qui n'y sont pas légalement soumises et qui l'utilisent. Et donc, ça permet de montrer de façon très claire que c'est un levier de transformation
14:49et que c'est un cadre de restructuration de la stratégie RSE et de reposer, en fait, vraiment quelque chose de clarifié avec les guidelines et d'utiliser donc tout ce qui a été accumulé comme connaissance
15:01et de le mettre, en fait, dans des plans de transformation correctement structurés, etc. Et là, on parle d'entreprises de toute taille.
15:10Et là, je parle d'entreprises non soumises à CSRD. Donc, ça montre vraiment cette question de la pertinence de CSRD dans l'analyse stratégique RSE.
15:22Mais je dirais, en fait, ce qui m'embête un petit peu dans la question, entre guillemets, c'est même la notion de RSE. Parce que, pour moi, c'est une question de stratégie, point.
15:34Bien sûr.
15:35Et c'est ce que aussi Fabrice disait. Là, il y a un moment donné, il faut quelque part arrêter avec la RSE. Là, on est en train de parler totalement.
15:42Même au sein de l'activité de la vie de l'entreprise. Ce n'est pas un sujet à part.
15:46Exactement. Et ça, c'est en lien aussi avec un faux problème ou en tout cas un débat qui aurait dû ne pas être vraiment un débat.
15:55C'est de dire CSRD, c'est un truc de département RSE, département développement durable. Mais absolument pas.
16:00C'est en fait une problématique globale de l'entreprise dans laquelle il faut impliquer les directions financières, les directions achats, les directions humaines.
16:08On y vient justement.
16:09Voilà. Et c'est ça, en fait, qui est au cœur de CSRD. Et on en revient à cette question aussi du narratif et de la perception de CSRD.
16:17Évidemment, si vous contraignez CSRD dans une logique purement de RSE avec des data points en termes de simple compliance, de reporting, vous passez complètement à côté du sujet.
16:27Et ça n'a absolument rien à voir avec l'ambition qui était derrière. Donc, on est sur un levier d'action stratégique global et on n'est plus sur de la RSE.
16:35Et justement, vous le mentionnez, comment les ressources humaines là-dedans peuvent servir cet enjeu global ? Quel est leur rôle ? Et est-ce qu'il y a des exemples peut-être de bonnes pratiques que vous pourriez nous partager, Fabrice ?
16:47Tout ça, ça nous rappelle un peu ce qui s'était passé pour la qualité dans les années 80.
16:51C'est qu'en fait, dans les entreprises, il y avait les démarches qualité d'un côté et puis le business de l'autre.
16:55Alors, ils n'avaient pas compris que finalement, tout ça, c'était un bedette. C'était dans le même lit, quoi.
16:59Bon, on est à peu près. C'est comme quoi l'histoire se répète. C'est quand même terrible.
17:01Alors, comme l'a très bien dit Alexandre, toutes les fonctions sont concernées.
17:05À partir du moment où ce n'est pas un problème de RSE, ce n'est pas un problème de compagnon, c'est un problème de transformation de modèles.
17:09Tout le monde fait sa part, doit faire sa part, à commencer par les ressources humaines.
17:13Parce que mettre en place des stratégies, des trajectoires de décarbonation qui prennent en compte la biodiversité,
17:19qui prennent en compte les ressources, qui prennent en compte la pollution,
17:22ça nécessite tout simplement de changer la façon de produire la valeur.
17:25Et d'embarquer les collaborateurs aussi.
17:27J'y arrive, j'y arrive. Mais changer la valeur, c'est-à-dire changer les systèmes de production,
17:31fabriquer des produits plus robustes qui vont durer plus longtemps, dont on va vendre l'usage,
17:34on ne va pas les fabriquer de la même manière.
17:35Donc, il y a un enjeu de compétence, mais qui est phénoménal.
17:39Compétence, c'est-à-dire qu'on ne va plus travailler dans une optique d'obsolescence programmée des produits,
17:44mais de pérennité programmée.
17:46Alors, ce ne sont plus les mêmes compétences, ce ne sont plus la même chose.
17:49Et les collaborateurs, ils sont appétents. Ils veulent travailler dans des entreprises qui font du bien pour la planète,
17:54qui font du bien pour la société civile. Ils en ont assez.
17:56Ils savent très bien, dans beaucoup d'entreprises, que ce qu'ils fabriquent, c'est du bullshit total
18:00et que c'est uniquement pour générer énormément de cash à très court terme.
18:04Pour des actionnaires ?
18:05Pour souvent, pour des actionnaires américains.
18:07Donc, c'est important de redonner du sens.
18:10Il y a de plus en plus de collaborateurs qui sont anxieux, qui ont des familles, qui ont des enfants,
18:15qui voient bien que les records de température sont battus tous les jours,
18:19qui commencent à s'inquiéter pour eux-mêmes et pour leurs proches.
18:22Et ils ont assez de produire la valeur d'une façon extrêmement court-termiste comme aujourd'hui.
18:28Donc, il y a un enjeu de ressources humaines à double titre.
18:30D'abord, un, continuer de sensibiliser aux enjeux.
18:34C'est indispensable.
18:35Mais surtout, doter les collaborateurs des nouvelles compétences
18:39pour mettre en place des modèles d'affaires à visée régénérative.
18:42Donc, abaisser très, très rapidement les impacts et générer des impacts positifs.
18:48Et c'est pour ça que le C3D a lancé Genact, qui est une nouvelle association,
18:52pour aider les citoyens et les salariés du monde entier à se doter des compétences.
18:57Parce que ça ne va pas de soi.
18:58Parce qu'il faut tout changer.
19:00Il faut changer les compétences pour produire, pour concevoir les produits et les commercialiser.
19:05Ce n'est plus du tout la même chose.
19:06Il y a des impacts énormes sur la comptabilité.
19:08Mais la seule, je laisserai Alexandre en parler.
19:10Il est bien plus compétent que moi.
19:11Il y a des impacts sur la gouvernance.
19:13Je vais donner Alexandre sur la gouvernance.
19:15Et qui est complètement lié à la CSRD.
19:18Aujourd'hui, dans les conseils d'administration, vous avez des représentants, des actionnaires
19:23qui n'ont qu'une seule idée en tête.
19:25C'est de préserver le capital financier.
19:28C'est le seul capital qui est à préserver.
19:30Alors que les entreprises qui mettent en place des stratégies CSRD, CS3D et taxonomie,
19:36en commençant par la CSRD, doivent définir les enjeux les plus matériels.
19:41Et dans les enjeux les plus matériels, ressort quasiment systématiquement aujourd'hui, bien sûr,
19:46et c'est normal, le climat et la biodiversité.
19:48En disant la main sur le cœur, le climat et la biodiversité, c'est des choses importantes.
19:53On le prend en compte dans notre entreprise.
19:55Et quand on regarde la composition du conseil, il n'y a personne au conseil qui sont des gens,
20:00il n'y a personne de compétent pour apprécier la crédibilité des plans de transition
20:05qui sont présentés par l'exécutif de l'entreprise.
20:08Donc, c'est quand même un peu fort de café de dire que c'est hyper important,
20:11alors que personne n'est capable de décrypter si c'est crédible ou pas crédible,
20:15si les investissements sont suffisants, si les renoncements, parce qu'il y en aura besoin,
20:18de renoncements, sont avérés.
20:20S'il y a des actifs échoués, comment on va les gérer ?
20:23Comment on va gérer, en fait, la modification du corps social en termes de compétences ?
20:28Parce que si ça s'accompagne, parce qu'il y a des métiers qui vont disparaître,
20:30d'autres qui vont apparaître, donc il y a une grosse composante rage dans cette histoire.
20:34Et donc, nous, on propose, le C3D en tout cas, que comme la loi Coppé-Zimmermann en 2011,
20:38qui a imposé enfin une espèce de parité entre les hommes et les femmes dans les conseils d'administration,
20:43qu'on ait aussi des représentants du vivant dans les conseils d'administration
20:47qui seront capables d'avoir la double compétence financière, mais aussi écologique,
20:53pour que quand on va venir leur présenter, quand l'exécutif viendra leur présenter les plans de transition,
20:57qui seront capables de dire, mais votre truc là, votre plan de transition,
21:00ben non, aujourd'hui, ça ne marche pas, vous n'allez pas décroître en absolu de X% par an
21:06vos émissions sur l'ensemble des scopes, donc votre plan de transition, il ne fonctionne pas.
21:11Donc, votre CSRD, qui est censé accompagner, en fait, les entreprises,
21:17elle n'est pas crédible.
21:18Et si elle n'est pas crédible, vous mentez quelque part à vos parties prenantes.
21:22Donc, revoyez votre copie de manière à ce que vous puissiez apparaître aux yeux de vos parties prenantes
21:27comme une entreprise véritablement responsable.
21:29Alexandre, est-ce que vous voulez revenir justement sur ces enjeux de comptabilité mentionnés par Fabrice ?
21:34Oui, alors totalement, parce que, justement, pour déjà juste rebondir rapidement sur la question RH,
21:42parce qu'il y a tout le volet aussi social dans CSRD.
21:47Et CSRD, par exemple, introduit la notion de salaire décent, ce qui n'est quand même pas rien.
21:52Donc, il y a la question de gestion des compétences, et là, je vais, mais plus que dans le sens de Fabrice,
21:57c'est vraiment un nom de fondamental, compétences, formation, recrutement, etc.,
22:02donc qui est essentiel.
22:04Et la question, donc, des politiques salariales et d'une interrogation sur la décence au travail.
22:10Et à reformuler aussi, parce que c'est ça qui est derrière,
22:14c'est là où on mesure l'ampleur de la révolution qu'est CSRD,
22:19enfin, en tout cas, dans la forme actuelle,
22:20c'est de dire, jusqu'à présent, il y avait une façon d'aborder le travail
22:24en disant le travail doit être, le paiement du travail est proportionnel à la productivité du travail.
22:29Ça, c'est des vieilles théories qui sont toujours d'actualité.
22:32En passant au salaire décent, en fait, on dit, à partir du moment où quelqu'un travaille,
22:36il faut que cette personne, ce que la personne, en fait, engage dans le travail,
22:41lui permette de retrouver, en fait, une vie décente.
22:44Donc, en termes biophysique, en termes de santé physique et en termes de santé mentale.
22:49Donc, ça, c'est un shift complet dans la compréhension même du travail.
22:54Et c'est là où j'en arrive sur le lien aussi avec la comptabilité,
22:57c'est que le cadre comptable, donc, CSRD, c'est plus que du reporting,
23:02même si c'est dans le terme, ce qu'on défend très activement au niveau de la chaire, du CERCES,
23:07on n'est pas les seuls, c'est qu'on est sur de la vraie comptabilité,
23:10c'est-à-dire être comptable de quelque chose, rendre des comptes et prendre en compte,
23:14en fait, avoir la comptabilité, elle est là pour redéfinir ce qui est important,
23:19ce qui est matériel dans l'organisation et savoir comment, en fait,
23:23ces éléments qui sont importants s'articulent entre eux dans le pilotage de l'organisation.
23:28Ça, c'est vraiment le rôle de la comptabilité et on est en plein dedans.
23:31Donc, ce que CSRD pose, ça aussi, ça n'a pas été assez mis dans le débat, je trouve,
23:37c'est que c'est la première fois dans les ESRS qu'on a la définition de ce qu'est la durabilité dans l'entreprise,
23:43de façon normalisée et conventionnée, en disant, donc, la durabilité renvoie à la double matérialité, par exemple,
23:49mais renvoie à l'idée que, par exemple, la nature est une partie prenante passive, silencieuse.
23:55Donc, c'est une révolution aussi.
23:57Et donc, c'est tout un tas, en fait, de définitions de ce qui est important
24:00et qui doit être la base des nouveaux modèles d'affaires.
24:05Donc, sur cette base-là, le rôle de la comptabilité, justement, c'est de structurer ça.
24:11Et Fabrice parlait de la gouvernance.
24:14La problématique aujourd'hui, c'est qu'effectivement, on a une gouvernance qui est uniquement sur le capital financier.
24:19Oui.
24:20Parce qu'actuellement, dans la comptabilité, dans le bilan et le compte de résultat,
24:24quand vous regardez sur la partie, justement, qui correspond à des enjeux de gouvernance,
24:29donc sur les capitaux propres, sur le passif, d'un point de vue comptable,
24:32vous ne voyez que des éléments de capital financier.
24:35L'enjeu, ça serait, à ce niveau-là, de faire apparaître autre chose au niveau capital naturel
24:40et du coup, la question, c'est d'avoir une remodélisation comptable
24:46pour faire apparaître au niveau, par exemple, de la gouvernance, dans les bilans,
24:51justement, les capitaux humains et les capitaux sociaux, capitaux naturels,
24:56pour qu'ils soient au même niveau de la gouvernance de l'entreprise.
24:59Et c'est ça, en fait, la question du repositionnement comptable.
25:04Alors, CSRD donne la trajectoire, en fait, c'est le premier pas.
25:09Et l'enjeu, c'est, à partir de CSRD, rebondir là-dessus pour pouvoir avoir une vraie modification comptable.
25:15Et donc, ça, c'est tous les travaux de la CHA et du CERCES avec le modèle CARE,
25:18Comprehensive Accounting and Respect of Ecology.
25:20Alors, Ecology, dans le sens vraiment plein et entier, c'est-à-dire l'interrelation entre humain et nature.
25:25Et ce qui se passe, c'est que, donc, CARE est une systématisation de la position de CSRD.
25:33Et le travail qu'on a réalisé, notamment, c'est sur comment est-ce qu'on peut arriver, justement,
25:39à penser les plans d'action, comment on peut arriver à repenser la gouvernance,
25:42ou des choses comme ça, à partir, justement, d'un cadre comptable et de définition comptable clarifiée,
25:47à partir de CARE, et qui permet, justement, de dire, bon, ben, le plan d'action,
25:52donc, tel qu'il est posé dans CSRD, comment, en fait, on peut avoir des typologies d'actions, etc.
25:57Et ça, en fait, CARE peut y répondre.
25:59De la même façon, sur la gouvernance, comment, en fait, on peut structurer des capitaux
26:03qui ont une voie au chapitre, etc., etc.
26:05Donc, c'est juste pour dire qu'il y a un enjeu majeur de transformation comptable,
26:09dans son sens plein et entier, permettant, derrière, de reposer la question de la valeur.
26:14Et c'est le dernier point, c'est que, enfin, le dernier point que je veux mettre en avant là,
26:18c'est par rapport à ce que Fabrice disait, on est dans un moment où il va falloir repenser
26:24vraiment à la notion de création de valeur et de création de profit.
26:27Aujourd'hui, et c'est toute l'analyse du CERCES et de la CHAIR,
26:31comptabilité écologique et de matérialité, c'est de dire, une partie du profit qu'on voit aujourd'hui
26:36dans les comptes ne sont pas du profit, mais sont, en fait, une dette vis-à-vis de la nature
26:40et des êtres humains. Et, en fait, on peut résumer la question de la soutenabilité
26:44d'un point de vue très comptable. C'est là où on voit du profit aujourd'hui,
26:48en fait, c'est de la dette. Et ça, c'est une problématique, en fait, historique comptable.
26:52Toute l'histoire de la comptabilité, ça a été de dire, qu'est-ce qui renvoie à du profit
26:56et qu'est-ce qui renvoie à de la dette ? On est en plein dedans.
26:59Et donc, il y a un moment donné, on ne pourra pas continuer à vivre correctement
27:03si on est toujours dans cette impasse entre quelque chose qu'on voit comme du profit
27:08et, en fait, une part de dette. Et donc, c'est ça qu'il va falloir
27:10en mettre en évidence.
27:11C'est ce que vous disiez, la nature doit être considérée comme une partie prenante
27:14de l'entreprise et un enjeu...
27:17Et avoir des représentants.
27:18Voilà, il y a un enjeu majeur.
27:19Dans sa gouvernance.
27:20Merci pour ces éclairages, Fabrice Bonifé, président du C3D, de Gendac,
27:25et Alexandre Rambaud, co-directeur des chaires comptabilité écologique
27:28de la Fondation Agro-ParisTech et double matérialité de l'Institut Louis Bachelier.
27:33Merci à vous.
27:33Merci beaucoup.
27:34Merci de nous avoir suivis. Et la semaine prochaine, nous parlons encore RSE,
27:37cette fois sous l'angle de l'économie circulaire.