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Chaque année, des millions de touristes montent à bord de paquebots géants pour s’offrir une parenthèse de rêve. Mais derrière les apparences se cache un modèle bien plus sombre : frais supplémentaires dissimulés, conditions de travail éprouvantes pour les employés, empreinte écologique dramatique sur les océans…

Ce documentaire dévoile les coulisses peu reluisantes d’une industrie qui vend du bonheur, mais génère aussi des tonnes de CO₂, des déchets à perte de vue et des inégalités flagrantes. À travers des témoignages de passagers déçus, de personnels sous pression et d’experts environnementaux, cette enquête remet en question l’image lisse des croisières modernes.

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Personnes
Transcription
00:003, 2, 1, go !
00:02Devinez où nous sommes ?
00:04Au-dessus d'un immeuble ?
00:08Sur un terrain de golf ?
00:11Dans un parc d'attractions ?
00:14Ou un centre commercial ?
00:20Perdu !
00:24Nous sommes en pleine mer, sur le plus gros bateau du monde.
00:28Aussi haut qu'un immeuble de 18 étages, plus grand que la tour Eiffel,
00:34l'Harmonie of the Seas est le navire de tous les records,
00:37capable d'accueillir 8500 personnes.
00:43Un club de vacances flottant avec des innovations spectaculaires.
00:48Un parc intérieur avec 10 000 plantes et des murs végétaux,
00:52bordés de cafés et de restaurants où l'on oublierait presque que l'on est sur l'eau.
00:58Un bar à cocktail où les barmen sont des robots.
01:08Et même une patinoire avec des chaussures sur glace tous les soirs.
01:12Des croisières de rêves à petit prix, sur des navires toujours plus impressionnants.
01:20L'an dernier, 25 millions de touristes ont embarqué sur ces paquebots de la démesure,
01:26deux fois plus qu'il y a dix ans.
01:29Les chantiers de construction sont sous pression.
01:4367 navires doivent être livrés dans les sept ans à venir.
01:52Une course au gigantisme.
01:55Mais à quel prix ?
01:57De la Méditerranée au Bahamas, en passant par l'Inde et les Etats-Unis,
02:09nous allons faire le tour du monde de la croisière.
02:12Un voyage plein de surprises, loin des clichés que ces géants des mers laissent dans leur sillage.
02:17Notre enquête commence sur les bords de la Méditerranée, à Marseille.
02:30Magnifique, il est gigantesque.
02:39C'est leur première croisière sur ce navire, le plus gros de la compagnie.
02:44Regarde, c'est le restaurant là-haut.
02:48C'est impressionnant.
02:51Ses vacances, Sandrine amplement et ses deux garçons en rêvent depuis des mois.
02:56Je me languis de découvrir l'intérieur.
02:58Ça sent bon les vacances.
03:01Pendant une semaine, la petite famille va profiter de l'ambiance festive.
03:20Des trois piscines.
03:25Des jacuzzis.
03:26Et des activités à volonté.
03:30Tout ça pour 550 euros par personne.
03:33Pour Dylan et Christopher, l'attraction principale, c'est ce toboggan, perché à 30 mètres de haut.
03:38Oh purée ! Je le savais !
03:39Oh la glissade !
03:40Trop bien ! C'était bien ?
03:42Trop !
03:43C'est génial !
03:44La croisière, c'est plus ce que c'était avant.
03:45Avant, c'était plus pour les personnes âgées.
03:46Maintenant, c'est pour les familles.
03:47Il y a même des tous bébés dans les poussettes.
03:48Il y a de tout.
03:49Il y a de tout.
03:50Il y a de tout.
03:51Il y a de tout.
03:52C'est pour tout le monde.
03:53C'est génial.
03:54Aux côtés des 4000 passagers, Sandrine va sillonner la Méditerranée pendant 7 jours.
04:09Faire escale en Italie, à Malte et en Espagne.
04:12Plus que l'itinéraire, c'est le bateau lui-même qui séduit les vacanciers.
04:19On passe par là.
04:22Musique à tous les étages, décoration clinquante, Sandrine est sous le charme.
04:47La classe ! Comme mes bijoux ! Je suis assortie aux escaliers.
05:04C'est trop beau ! Je suis venu spécialement pour les escaliers, dans cette croisière.
05:08Le navire est devenu une destination en soi.
05:13C'est sophistiqué, c'est...
05:19Pendant son séjour, Sandrine et ses enfants vont avoir l'embarras du choix.
05:258 restaurants, 7 bars et des spectacles différents tous les soirs.
05:37Faire du paquebot l'attraction majeure, une stratégie inventée il y a plus de 40 ans par un visionnaire.
05:43Miami, le plus grand port de croisière du monde.
05:54C'est ici que nous avons retrouvé le pionnier qui a fait du bateau un nouveau mode de vacances.
06:03Dans sa maison, il profite tranquillement de sa retraite.
06:06Bob Dickinson a dirigé pendant 35 ans Carnival, la première compagnie mondiale.
06:14Il conserve avec fierté les souvenirs de ses heures de gloire.
06:19C'est quoi cette affiche ?
06:20Ça, c'est une parodie d'affiches de films sur laquelle il est écrit « C'est une année de tueur ».
06:27Cette phrase, je la prononçais tout le temps quand on avait fait une super année et qu'on avait de très bons résultats financiers.
06:35Bob Dickinson est devenu le tueur de l'année grâce à une idée de génie qui a révolutionné le monde de la croisière.
06:42Les premiers voyages remontent au 19e siècle, sur des paquebots luxueux qui traversent l'Atlantique.
06:51C'est alors un mode de transport réservé à une élite.
06:55Mais dans les années 60, l'avion devient un concurrent majeur.
06:59Pour séduire de nouveaux clients, les bateaux sont transformés en clubs de vacances.
07:04« Sur ces villes flottantes, nous réinventons les vacances. »
07:12En 1972, Carnival inaugure son nouveau navire, le Mardi Gras.
07:17Ce nom, synonyme de fête, n'est pas choisi au hasard.
07:20Bob Dickinson, alors jeune vice-président, veut faire du bateau une nouvelle destination.
07:27« Tous nos concurrents faisaient la promotion des escales.
07:30Mais sur une croisière de 7 jours, les touristes passaient 80% de leur temps à bord
07:36et seulement 20% en escale.
07:39Donc j'ai mis en avant tout ce qu'on offrait sur notre gros bateau.
07:42Les 3 piscines, la gym, les 4 groupes de musique, 8 bars.
07:49Ça montrait aux gens à quel point on pouvait s'amuser sur un bateau. »
07:55Une série télévisée providentielle va conforter son choix.
07:58Dans les années 80, la croisière s'amuse va populariser ce mode de vacances.
08:11« La croisière s'amuse, c'était génial.
08:17Cette série reflétait parfaitement l'ambiance de fête à bord de nos bateaux.
08:22C'est comme si on s'invitait dans le salon des téléspectateurs. »
08:26Et pour gagner de l'argent avec ses navires, ils trouvent une recette très efficace.
08:33« On arrivait à gagner plus d'argent tout en baissant les prix des séjours.
08:40En fait, une part importante de nos profits provenait des revenus générés à bord.
08:44Quand 900 passagers boivent, dépensent leur argent au casino ou encore dans toutes les boutiques
08:50ou qu'ils achètent des photos, ça fait beaucoup d'argent dépensé en plus. »
08:56Cette recette a fait la fortune de Bob Dickinson et de sa compagnie.
09:06Aujourd'hui encore, rien n'a changé.
09:09« A bord du bateau, tout est bon pour vous faire dépenser. »
09:16Au bout de ce couloir, nous retrouvons Sandrine.
09:20Elle rêve d'un massage.
09:22« Bonjour madame. Merci.
09:26Je voudrais des renseignements sur l'accès au spa. »
09:30Mais en découvrant les prix...
09:32« 70 euros pour 30 minutes, 99 euros pour 45 minutes, 126 euros pour 55 minutes. »
09:40Elle déchante un peu.
09:42« Ça fait cher quand même. »
09:45« Ça fait cher. »
09:46En moyenne, 30% de plus qu'un institut sur la terre ferme.
09:50« Ça ne me surprend pas.
09:52Je suis au courant que sur les bateaux de croisière, il faut toujours rajouter un petit peu.
09:56« Beaucoup. »
09:58« Mais je ne me fais jamais prendre au piège. »
10:02Sandrine craque quand même, mais pour le massage le moins cher.
10:0710 euros les 10 minutes.
10:10Sur le navire, difficile de résister.
10:14Les tentations, il y en a à tous les étages.
10:18La traditionnelle photo du commandant.
10:20« Bonsoir. »
10:22Vendue 28 euros.
10:23« C'est beau, c'est la classe. »
10:26« C'est la croisière, voilà. »
10:28Pas une croisière sans shopping dans les 9 boutiques du navire.
10:34« Les dominos. »
10:37« On peut regarder en elle ? »
10:38« C'est un peu le bateau de la tentation, non, ici ? »
10:42« Un petit peu, oui, on se fait plaisir. »
10:45On se fait plaisir dans les boutiques.
10:46« Il va falloir faire le régime. »
10:48« Hop là ! »
10:50« Au casino. »
10:52« Et pour toucher le jackpot, les compagnies de croisière ont même inventé un nouveau lieu de tentation. »
11:00« Cette fois, sur la terre ferme. »
11:05« Ce lieu de tentation, nous n'y avons pas résisté longtemps. »
11:11« Les Bahamas, dans la mer des Caraïbes. »
11:15« Un archipel de 700 îles, souvent privées. »
11:18« Repère, de nombreux milliardaires. »
11:22« C'est ici que les compagnies de croisière ont acheté des petits paradis, réservés uniquement à leurs passagers. »
11:31« Comme l'île de Castaweki, Gretztyrupki, Kokoki, ou encore, plus au sud, Princess Keys et Little San Salvador. »
11:45Des escales de rêve exclusives, un nouvel argument de vente.
11:51« Kokoki est l'une de mes destinations préférées. »
11:56« C'est une escale privée. »
11:58« Il n'y a pas d'autre bateau. »
12:01« L'île est à vous pour la journée. »
12:03« C'est l'idée que je me fais du paradis avec un sable blanc magnifique. »
12:07« Si vous aimez l'aventure, vous pouvez faire de la plongée, du jet ski, du parachute ascensionnel. »
12:13« Il y a tellement à voir, tellement à faire. »
12:16Nous avons voulu voir de près ce paradis pour touristes.
12:20La compagnie n'a pas souhaité nous y accueillir.
12:23Alors nous avons embarqué parmi les 2400 passagers et filmé discrètement notre croisière.
12:3112 heures plus tard, l'île de Kokoki est en vue.
12:34Nous allons y passer la journée.
12:39Trop gros pour accoster, le navire reste au large.
12:43Nous sommes acheminés sur ce petit bateau.
12:49Sur cette île inhabitée, les touristes débarquent par milliers chaque semaine.
12:54Avec eux, les membres d'équipage apportent boissons et nourriture.
12:59Dans ce rêve tropical, tout est payant.
13:01« Bonjour, est-ce que je peux avoir une bouteille d'eau ? C'est combien ? »
13:08« Deux dollars. »
13:09Pour profiter de la plage, il faut aussi payer.
13:1416 euros le matelas.
13:21200 euros le bungalow.
13:22Du côté des activités, il faut débourser 38 euros pour une heure et demie de kayak.
13:3060 euros, une heure trente de plongée.
13:3592 euros, une heure de jet ski.
13:39Pour ces jeux gonflables, c'est 32 euros.
13:42Et 23 euros pour glisser sur la terre ferme.
13:48Et bien sûr, on peut s'offrir de jolis souvenirs.
13:54Vers 16 heures, les touristes repartent sur le bateau.
13:58Ils laissent derrière eux quelques traces de leur passage que les habitants des îles voisines vont effacer.
14:03« C'est bon pour le business.
14:09C'est bon pour tout le monde, en fait.
14:11Vous savez, sans les touristes, il n'y aurait plus de travail pour nous. »
14:16Des petits boulots pour les locaux, de gros profits pour la compagnie de croisière.
14:22C'est le rêve, plus un euro ne leur échappe, même en escale.
14:25Désormais, chaque croisiériste veut son île privée.
14:32Le projet le plus incroyable est situé à une centaine de kilomètres de Miami, sur l'île d'Ochéonki.
14:42Cet îlot de 40 hectares sera bientôt transformé en paradis pour touristes.
14:48La compagnie a vu les choses en grand.
14:50Dans deux ans, voilà à quoi ressemblera cette île.
14:53Six plages, des restaurants, des bars, des boutiques, un lagon créé de toutes pièces,
15:01et même un amphithéâtre de 2000 places pour les spectacles.
15:06Le navire débarquera les touristes directement sur l'île.
15:11Un investissement de 180 millions d'euros.
15:18Cette mainmise des croisiéristes sur les îles des Bahamas commence à être contestée.
15:23Notre voyage se poursuit à l'est de l'archipel, sur l'île de Spanish Wells.
15:33Cette communauté de 1800 habitants vit essentiellement de la pêche et du tourisme.
15:39Théoline y a fait construire la maison de ses rêves.
15:53Il y a quatre ans, cet Américain a quitté les montagnes de l'Utah pour ce décor idyllique.
15:59J'ai commencé à venir aux Bahamas quand j'étais enfant.
16:07Depuis, j'ai eu la chance de pouvoir y prendre ma retraite.
16:10C'est magnifique.
16:12J'adore.
16:13Mais aujourd'hui, son paradis serait menacé.
16:18Théo nous emmène sur une île voisine, très convoité par les croisiéristes.
16:23C'est l'île que la compagnie Disney souhaitait acheter et privatiser.
16:33L'île des Gaïlandes est riche de deux lacs intérieurs et d'une végétation luxuriante.
16:39Le gouvernement des Bahamas s'en est propriétaire.
16:45Disney, qui exploite quatre bateaux de croisière, rêvait de la transformer en profondeur.
16:52Ils comptaient agrandir les plages.
16:56Pour ça, ils auraient dû amener du sable blanc.
16:59Ils auraient ainsi créé l'île à l'image d'un paradis pour touristes.
17:03Mais 5 000, 6 000 personnes sur une île aussi petite, les conséquences auraient été énormes et très négatives.
17:17Théo tient à jouer les guides pour nous faire découvrir les trésors cachés de cette île.
17:24Voici le cœur de l'île.
17:26Les poissons grandissent dans ce bassin là-bas.
17:29Ils sont abrités par la mangrove.
17:33C'est un lieu plein de vie.
17:39Vous voyez ces racines ?
17:42Elles sont en train de pousser.
17:46Un abri naturel pour les poissons et les conques qui grandissent dans cette mangrove.
17:57On est au milieu d'une crèche.
17:58Rien qu'ici, on peut voir une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit conques.
18:07Elles sont au calme.
18:09Et quand elles sont suffisamment grandes, elles partent dans les eaux plus profondes.
18:14Vous voyez son pied là ?
18:15Ici, personne ne les dérange.
18:21Alors imaginez s'il y avait des milliers de touristes sur cette île, ce serait une autre histoire.
18:25Egg Island est l'une des dernières îles à avoir échappé au tourisme de masse.
18:32Pour la protéger des prédateurs, Theo est parti en résistance.
18:40En juillet dernier, cet ancien avocat a lancé une pétition sur Internet pour stopper le projet.
18:45On a réuni 3397 signatures en deux semaines seulement.
18:52C'est beaucoup pour une petite île comme la nôtre.
18:55Assez pour que la compagnie renonce.
19:00Je pense que Disney a compris qu'ils n'étaient pas les bienvenus et que ça allait être compliqué pour eux.
19:06Nos bateaux de pêche auraient pu bloquer les allées et venues des navires.
19:11Vous imaginez la scène ?
19:11La menace a reculé, mais l'île n'est pas sauvée.
19:18Pour empêcher toute invasion des compagnies de croisière,
19:21Theo aimerait que le gouvernement bahaméen classe l'île en réserve naturelle.
19:27L'aide de sa communauté est primordiale.
19:30Une nouvelle mobilisation commence.
19:33Hey Bruno, t'as une minute ?
19:36Je ne savais pas si tu avais des clients ce matin.
19:39Ce guide touristique emmène les vacanciers découvrir Egg Island.
19:46Theo sait trouver les bons arguments pour le convaincre de soutenir son projet.
19:53Si les touristes apprennent qu'Egg Island est une réserve naturelle, ils viendront plus nombreux.
20:00Et ça fera plus de boulot pour toi et pour les autres.
20:03Oui, oui, c'est une bonne chose de préserver le dernier endroit où on peut aller à la plage et emmener les touristes.
20:10Toutes les autres îles ont été vendues.
20:12Pour eux, classer Egg Island, ce n'est pas seulement protéger l'environnement, c'est aussi préserver l'économie de leur île.
20:19S'il y avait une compagnie de croisière ou des hôtels sur Egg Island, on n'en tirerait plus aucun bénéfice et on perdrait une part de l'héritage de cette communauté, et pour toujours.
20:31Si Theo se bat contre l'arrivée des géants des mers, c'est aussi parce qu'ils peuvent avoir un impact sur l'environnement.
20:38Un navire de croisière, c'est une ville flottante qui se déplace en permanence.
20:48A bord, les touristes profitent des nombreuses piscines, des jacuzzis, des douches.
21:03En moyenne, 5 millions de litres d'eau pompés dans l'océan, soit l'équivalent de deux piscines olympiques chaque semaine.
21:12Une fois traité, l'eau est rejetée en mer.
21:18Dans ce club de vacances, les passagers consomment sans compter au bar, dans les restaurants et les buffets du navire.
21:28Une semaine de croisière, c'est plus de 100 000 repas.
21:33Une vie à bord qui génère de nombreux déchets, l'équivalent d'une ville de 4000 habitants.
21:38En moyenne, 20 000 bouteilles de plastique, 25 000 canettes sont ramassées par les serveurs.
21:49Pour se débarrasser de leurs déchets, certaines compagnies n'hésitent pas à braver des interdits.
21:54En 2013, un passager filme de sa cabine des sacs poubelles jetés à la mer par dizaines au large du Brésil.
22:06« Ça n'était pas que des restes de nourriture parce qu'on entendait le bruit des bouteilles et des boîtes qui s'entrechoquaient.
22:15L'un des sacs s'est déchiré et on a même vu des briques de lait qui flottaient dans la mer. »
22:22Ces pratiques seraient fréquentes, selon le salarié qui a filmé discrètement l'un de ses collègues la même année à bord du même navire.
22:31Depuis, la compagnie a été condamnée à 600 000 euros d'amende.
22:42Comment les déchets sont-ils gérés à bord de ces géants des mers ?
22:47Une compagnie a accepté de nous parler de ce sujet sensible et nous a autorisé à filmer ses poubelles.
22:55Nous sommes dans le couloir de l'équipage.
22:58Ici, tout est propre et parfaitement huilé.
23:01De bon matin, les hommes de ménage défilent.
23:04Ils viennent jeter les déchets des passagers.
23:06À chaque poubelle, sa couleur.
23:09À bord, tout est trié, c'est la loi.
23:13Un officier les suit de très près.
23:17Nicolas Fortunato vérifie que le tri est bien fait.
23:25Jusque dans les cuisines du restaurant.
23:29« Ça va, tout se passe bien ? »
23:33Dans les couloirs, l'inspection de Nicolas est redoutée.
23:38« Est-ce que tu as bien trié ? »
23:44« Oui, chef. Tu es sûr ? »
23:46« Oui. »
23:47« Je vérifie, d'accord ? »
23:51« Là, c'est que du plastique. »
23:54« Et les bouchons, je les ai mis là-bas. »
23:56« Très bien. »
23:58« Qu'est-ce qui se passe, Nicolas, si le personnel ne fait pas bien son tri ? »
24:01« S'il ne fait pas bien son tri, une fois, ça passe. Deux fois, ça passe. Trois fois, ça passe. Mais la quatrième fois, ça ne passe pas. »
24:11« Et là, ça ne rigole pas. »
24:15« Il faut vraiment qu'on suive les règles à la lettre. Sinon, on a une amende. »
24:22« Oui, une amende. »
24:24Une amende qui peut aller jusqu'à 20 euros retenus sur leur paye. Pour ces salariés, ce n'est pas rien.
24:34Une fois triés, les déchets arrivent ici pour être traités.
24:37« Comment ça se passe ici ? »
24:42« Carton d'emballage, canette en aluminium, verre, tout est compacté ou concassé pour gagner de la place sur le bateau. »
24:53« Ces déchets seront déchargés à terre pour être recyclés. »
24:57« La compagnie fait donc des efforts pour préserver l'environnement. »
25:00« Et à bord, ils font tout pour le faire savoir. »
25:04« Nico, comment vas-tu ? »
25:06Grâce à Patricia Gomez, la géo en chef du bateau.
25:09« Tu as quelque chose pour moi ? »
25:12« Ah, c'est toujours quelque chose pour toi. »
25:15Si elle vient faire les poubelles, c'est parce qu'elle prépare une activité.
25:18« Ah, fantastique ! Ils sont beaux ! »
25:23« Et tu as plusieurs couleurs, c'est génial ! »
25:25« Je vais utiliser ça pour faire un aquarium avec les enfants. »
25:31« Et avec ça, je vais faire des algues. »
25:34« J'adore, et aussi des coraux. »
25:38« Vous avez beaucoup d'imagination ? »
25:39« Oui ! »
25:40« Oh, regardez les enfants, regardez la baleine ! »
25:47« La baleine arrive ! »
25:49« Grâce à ses jeux éducatifs, Patricia entretient l'image de la compagnie auprès des parents de ses jeunes passagers. »
25:59« La mer est polluée non seulement par les filets des pêcheurs, mais aussi par le plastique jeté par les hommes. »
26:11« Donc on va enlever tout ce qui pollue l'océan. »
26:15« Voilà. Maintenant, prenez vos animaux, on va reconstruire un aquarium tout propre. »
26:24« Un, deux, trois, partez ! »
26:30« Qu'est-ce qu'on n'a pas le droit de jeter quand on est à bord d'un navire ? »
26:36« Les ordures ! Bravo ! Merci les enfants ! »
26:42« Lorsqu'ils grandiront et reviendront en croisière, j'espère qu'ils protégeront la mer autant que nous. »
26:50« Et pourtant, il y a un point noir dont les compagnies de croisière n'aiment guère parler. »
27:02« C'est ce qui brûle dans les cheminées de leur navire. »
27:06« Nous arrivons à Marseille, le premier port de croisière de France. »
27:20« 500 paquebots y font escale chaque année. »
27:25« Deux fois plus qu'il y a dix ans. »
27:29« Ces monstres marins font désormais partie du paysage de la cité phocéenne. »
27:36« Mais leur présence imposante commence à inquiéter. »
27:44« Sur leur terrasse de rêve, Michel et Claude Rosier profitent de leur retraite. »
27:49« Et d'un spectacle que beaucoup leur envient. »
27:53« Quelle belle vue ! »
27:55« Un cadre magnifique dans lequel se sont invités ces dernières années les bateaux de croisière. »
28:01« Ah ça y est, il est en train de s'écartir du quai là. »
28:05« Devant leurs yeux, le balai incessant des géants des mers. »
28:12« Oh là là ! Tu vois, moi quand je vois ça, j'ai envie de partir avec. »
28:18« Mais cette invitation au voyage est très vite gâchée. »
28:22« Oh là, mais là je crois qu'il fume. T'as vu ça, cette fumée là ? »
28:27« Oh là là, dis donc. Regarde comme ça crache. »
28:31De la fumée, très vite irritante.
28:34« Ça pique à la gorge. »
28:37« Tu sens ? »
28:38« Ah oui. C'est un picotement. »
28:42« C'est une odeur extrêmement désagréable. »
28:45« Moi j'ai des picotements dans le nez, dans la gorge. »
28:48« Bon, c'est quelque chose que je supporte pas du tout, quoi. »
28:53« Donc je pense qu'il va y avoir quand même beaucoup de pollution derrière ça. »
28:56« Beaucoup de nocivité. »
29:01« Les panaches de fumée de ces bateaux seraient-ils nocifs pour la santé des habitants de Marseille ? »
29:10« Ils se repèrent de loin sur la ligne d'horizon. »
29:14« Ce matin-là, un paquebot fait escale dans la cité phocéenne. »
29:19« Il est attendu avec impatience par un petit groupe que la croisière n'amuse plus. »
29:25« Oh, regarde, mais il est énorme. »
29:29« Il a 12 cheminées, c'est ça ? »
29:31« Ces défenseurs de l'environnement guettent les fumées dégagées par les cheminées du navire. »
29:38« Des fumées qui polluent l'atmosphère, car le bateau utilise un fioul lourd bon marché. »
29:44« Lorsqu'il brûle, ce fioul va rejeter des oxydes de soufre. »
29:48« Et surtout, des particules fines. »
29:53« Selon cet expert allemand, les quantités de particules fines émises par les bateaux sont plus importantes que celles de nos voitures. »
30:00« Un navire de croisière dégage autant de particules qu'un million de voitures par jour. »
30:07« L'ensemble des voitures de la ville émettent donc moins qu'un navire. »
30:44« Pour faire tourner les équipements. »
30:46« C'est comme si on avait une usine au milieu de la ville. »
30:51« C'est ça qui pose problème pour l'environnement et la santé des habitants. »
30:58« Quel est l'impact de cette pollution au cœur de la ville ? »
31:05« Pour le savoir, ils vont aller au centre de Marseille, à la gare. »
31:10« Et mesurer, grâce à ce détecteur, la quantité de particules fines dans l'air. »
31:17« Ils vont se concentrer sur les particules ultra fines, les plus dangereuses, selon Axel Friedrich, car elles pénètrent profondément dans les voies respiratoires. »
31:29« Le chiffre est très élevé. On a 20 000 particules par centimètre cube d'air. »
31:36« Au même endroit à Berlin, on serait à 6 000. »
31:40« Ça veut dire qu'en plus des voitures, des bus, des camions, les navires ont un impact sur la qualité de l'air de la ville, qui est bien plus polluée qu'une ville normale. »
31:52« Cette pollution est encore plus visible lors du départ des bateaux. »
31:56« Cette fois, ils vont prendre des mesures dans un quartier résidentiel proche du port. »
32:02« La petite équipe va poser ses appareils dans ce jardin pour enfants, situé juste en face d'un navire prêt à partir. »
32:11« Et on commence à voir de la fumée. »
32:15« Le bateau remet en route ses cheminées et brûle à nouveau du fioul. »
32:20« Au moment du départ, le nombre de particules fines dépasse les 13 000 par centimètre cube d'air et le chiffre monte. »
32:28« On commence à voir les particules ultra fines du navire qui arrivent vers nous. »
32:33« Là, on le voit, le vent vient d'arriver, on le sent, rien connaît et on voit le chiffre qui augmente. »
32:41« Et ce n'est qu'un début. »
32:45« On a les chiffres qui explosent. On a... »
32:49« J'allais vous dire qu'on était dans les alentours des 38 000 et puis on est passé à 41 000 particules. »
32:56« Là, on doit être dans les 43 000. »
33:00« Un pic est même atteint à 57 000. »
33:04« Aucune norme n'existe pour ces particules ultra fines. »
33:07« Mais selon certaines études, elles peuvent avoir des conséquences sur la santé. »
33:12« Ce sont donc les habitants qui sont proches de ce port, qui vont respirer ces particules régulièrement, »
33:18« qui vont être exposées à davantage de risques de problèmes cardiaques, de problèmes respiratoires, de cancers du poumon, etc. »
33:28« En juin 2015, une étude publiée par une université allemande renommée a établi un lien direct entre les émissions des bateaux de croisière, des navires marchands et les maladies pulmonaires et cardiovasculaires. »
33:46« Les habitants des côtes seraient les plus exposés. »
33:53« Ce pic de pollution a été enregistré dans ce quartier, là où habite Michel, notre retraitée marseillaise gênée par les odeurs des fumées. »
34:04« Donc ça, on pourrait l'organiser, peut-être. »
34:06« Nous la retrouvons en pleine réunion avec son association de quartier. »
34:11« Tous s'inquiètent. Autre les picotements dans la gorge, certains ont trouvé des traces de pollution très visibles. »
34:18« Alors, chez vous, toi, tu es... »
34:21« Ça, c'est la pollution que j'ai sur mes stores. »
34:25« Ce qu'on récolte, c'est pas que de la poussière, parce qu'on voit la partie grasse qui reste sur la feuille. »
34:37Cette poussière grasse, il n'en avait jamais vu autant avant le boom des croisières à Marseille.
34:43Jean-Pierre Hérault s'interroge sur les conséquences sur sa santé.
34:46« Moi, je sors d'un cancer de la gorge, par exemple. J'ai jamais été fumeur. »
34:52« On a une militante qui était avec nous, qui a malheureusement été morte d'un cancer des poumons. »
34:57« Qui n'a jamais fumé. »
34:59« Jamais fumé. »
35:00« Et on a eu une hécatombe depuis quelques années. »
35:03« Je ne peux pas ne pas faire la relation entre l'augmentation des bateaux de croisière jusqu'à 8, 9, 10, 10 bateaux qui arrivent en même temps le même jour
35:14et qui polluent d'une manière colossale. »
35:18« Et ma maladie qui est arrivée comme ça, alors que je suis sportif, je ne suis pas fumeur. »
35:26Jean-Pierre habite depuis 20 ans dans le quartier, comme Lucienne Brun, qui elle aussi a des problèmes de santé.
35:33« Moi, je suis suivie sur une suspicion de cancer du poumon, donc j'attends les derniers résultats. »
35:41Ces habitants demandent une étude pour mesurer l'impact sanitaire des fumées des navires sur leur quartier.
35:47« La pollution des bateaux de croisière, effectivement, ça va être le combat de l'année 2017. Il faut que ça aille vite. On ne peut plus rester dans cette situation. »
35:58Pour l'instant, impossible de faire un lien formel entre leur maladie et les fumées dégagées par les bateaux de croisière.
36:06« Jusqu'à présent, cette pollution encore méconnue n'a jamais été une priorité. Si les habitants des ports sont exposés à la pollution des navires, qu'en est-il pour les passagers ? »
36:24Nous décidons de partir en croisière pour le vérifier.
36:34Cette fois, nous allons prendre des mesures en pleine navigation, quand les moteurs tournent à plein régime.
36:41Pour ça, nous avons emprunté le détecteur de notre expert allemand.
36:47Grâce à cet appareil, nous allons mesurer le nombre de particules ultra fines auxquelles les passagers sont exposés.
36:54Pour ne pas attirer l'attention, seul le capteur dépasse de mon sac.
36:59Et très vite, les chiffres s'emballent.
37:02« Là, ça monte, là. 50 000, 69 000, 70 000, 91 000.
37:10Ah, là, c'est monté d'un coup, là. On a eu un pic à 109 000. »
37:14109 000 particules fines par centimètre cube d'air.
37:18Sur leur transat, les passagers respirent 5 fois plus de particules fines qu'à la gare de Marseille.
37:24« Lorsque je me déplace, les chiffres continuent à osciller. »
37:31« 52 000, 60 000, 71 000, 84 000. »
37:38« Là, j'ai eu un pic à 237 000. »
37:40« Nous montons au pont supérieur, là où est installée une piste de jogging, non loin des cheminées. Et là, nouveau pic. »
37:53« 307 000. »
37:55« 307 000 particules ultra fines pour ce jogger. »
38:00« Quant à cette femme qui bronze tranquillement au soleil, c'est encore pire. »
38:06« 380 000 particules. »
38:10« Les chiffres varient sans cesse, mais restent plus élevés qu'au centre de Marseille. »
38:20« Une question se pose. Pourquoi ce fiol riche en soufre, qui dégage de grandes quantités de particules fines, est-il toujours autorisé ? »
38:29« Notre voyage se poursuit sur les bords de la Tamise, à Londres. »
38:44« La capitale anglaise est le siège de l'OMI, l'Organisation maritime internationale. »
38:52Le gendarme de la mer régule notamment les navires de croisière, qui trônent fièrement dans l'entrée de l'institution.
39:00Ces bateaux ne font pas rêver ce défenseur de l'environnement.
39:05Depuis 15 ans, John Maggs vient ici faire du lobbying pour qu'ils utilisent un carburant moins polluant.
39:11« Les industriels devraient promouvoir un fioul plus propre, mais ils ne le font pas.
39:17C'est décevant et c'est même une honte parce que les passagers ne sont pas censés partir en croisière
39:22sur des bateaux qui brûlent du fioul sale, nocifs pour l'environnement et la santé.
39:28Les croisiéristes devraient être plus responsables. »
39:34Mais dans cette salle, ces compagnies de croisière ont beaucoup d'influence.
39:39Et John Maggs est aux premières loges pour l'observer.
39:42Leurs bateaux sont immatriculés dans les pays qui sont aussi les plus gros financeurs de cette institution.
39:52Le Panama, le Liberia, Malte ou encore les Bahamas.
40:02En clair, le gendarme de la mer est en majorité financé par les pays qui ont des pavillons de complaisance.
40:09Ils pèsent de tout leur poids pour réglementer le secteur le moins possible.
40:12Mais aujourd'hui, John espère que l'OMI va bouger.
40:18Les pays pollués par les navires, les Etats-Unis et l'Union européenne font pression pour baisser le taux de soufre dans le carburant.
40:27« Nous sommes donc d'accord pour le 1er janvier 2020. »
40:33Après des heures de discussion, le président de l'OMI tranche.
40:37La teneur en soufre dans le carburant va bientôt baisser de 3%, ce qui va réduire le nombre de particules fines.
40:45Pour John et son collègue, c'est une victoire.
40:47« Tu es content ? »
40:49« Oui, toi aussi, non ? »
40:51« Oui. »
40:51« D'habitude, on ne dit pas du bien de l'OMI. »
40:54« Mais là, c'est une exception. »
40:57« Ils ont enfin fait ce qu'on attendait d'eux. »
41:01Des années de batailles pour en arriver là, mais cette avancée reste timide.
41:06« La façon dont cette institution est organisée et financée, et les gens qui viennent ici négocier, tout ça a des effets sur le résultat des décisions. »
41:17« Pour moi, c'est très clair. La régulation n'avance pas assez vite et n'est pas assez stricte. »
41:23Le gendarme de la mer tarde à légiférer. Pourtant, une technologie plus propre existe déjà.
41:31Ce bateau est le premier à ne dégager aucune fumée.
41:38Son moteur fonctionne au GNL, le gaz naturel liquéfié.
41:43Ses cheminées ne rejettent pas de soufre ni de particules fines.
41:47Sept navires comme celui-là ont été commandés par les compagnies de croisière.
41:51C'est un début, mais ça reste une goutte d'eau comparée aux 300 bateaux qui sillonnent le monde.
42:01À Malte, nous retrouvons Sandrine.
42:06Elle poursuit sa croisière en Méditerranée.
42:08« T'as le soleil dans les yeux ? Mais moi, ça me va très bien. »
42:12« Tchis ! »
42:13Comme tous les autres passagers, elle ne soupçonne pas la qualité de l'air qu'elle respire à bord du navire.
42:20Le gendarme de la mer offre d'autres souplesses aux compagnies de croisière.
42:26Sur ce bateau flotte le drapeau du Panama.
42:29Ce navire est enregistré dans ce paradis fiscal, où la compagnie ne paye ni charges sociales ni impôts.
42:35Tous les salariés qui travaillent à bord dépendent des lois de ce pays.
42:41Un contrat unique pour les 55 nationalités.
42:46Indiens, Philippines, Roumains, Indonésiens.
42:49Au total, 1370 membres d'équipage.
42:54Malgré une législation sociale peu avantageuse, ils sont nombreux à vouloir embarquer.
43:01Adjé Moroud, 35 ans, est arrivé il y a 6 mois.
43:04« Dernier coup d'œil, et sa journée peut commencer. »
43:15Adjé est serveur dans ce restaurant.
43:17« Vous voulez du thé ou du café ? »
43:20« Café. »
43:21« Vous êtes d'où ? »
43:22« De l'île Maurice. »
43:23« C'est où ? »
43:24« Vous voyez l'Afrique du Sud ? »
43:26« Après, vous avez Madagascar, juste à côté. »
43:31« C'est loin. »
43:33« Vous avez dû voyager pour venir jusque-là. »
43:37Avant, Adjé était serveur dans un hôtel de l'île Maurice.
43:41S'il a choisi de travailler loin des siens, c'est pour une raison toute simple.
43:45« Qu'est-ce qui vous a poussé à venir travailler ici ? »
43:50« L'expérience, l'expérience du travail, aussi l'argent. »
43:55« On fait un peu plus d'argent ici. »
43:56« Deux fois, trois fois, plus qu'à Maurice. »
43:59« Trois fois plus, soit 1300 euros par mois. »
44:03Mais pour gagner ce salaire, Adjé, comme ses collègues, travaille tous les jours, 77 heures par semaine.
44:11Bien loin de nos 35 heures.
44:13« Auparavant, c'était dur, mais on est habitués maintenant. »
44:17« C'est pas une prison, Bounod, mais on a les repos aussi. »
44:20« On aime ça, on aime le boulot. »
44:25Pendant ses neuf mois de contrat, Adjé n'aura pas un seul jour de repos.
44:32Alors la journée, ses temps de pauses sont précieux.
44:37Le bateau vient d'accoster à Palerme.
44:43Comme les passagers, il achète quelques souvenirs pour sa famille.
44:46« Bonjour, vous avez des tailles pour enfants ? »
44:53« Oui. »
44:55« Celui-là, il est petit. »
44:57« Vous passez souvent à elle ? »
44:58« Bien sûr. C'est pour elle que je suis là. »
45:04Sa petite fille, il la voit grandir à distance.
45:09« Quand elle était née, j'étais pas à Maurice. »
45:12« Et quand elle a eu un an, j'étais pas à Maurice. »
45:16« Là, elle a eu des ans. Je suis pas à Maurice. »
45:19« Mais je pense à elle beaucoup. »
45:23« Je pense à elle, et aussi à ma femme. »
45:27Une vie de famille sacrifiée pour quelques avantages.
45:32« J'ai réussi à faire mon maison. »
45:35« J'ai marié aussi. »
45:37« Mais sa maison, sa famille... »
45:42« Adjé n'en profite que trois mois par an. »
45:46« Allez, bye. Allez, bye. »
45:51« Elle dit toujours, c'est la dernière fois, c'est la dernière fois, mais quand je reste à la maison, trois mois, rien faire. »
45:58« Elle a pas d'autre choix de me laisser partir. »
46:02« Élevée par le salaire, Adjé remonte toujours à bord. »
46:07« Mais quand la vie bascule, ces contrats de travail sous pavillon de complaisance ne protègent pas toujours les salariés. »
46:18« Un mort et quatre blessés à Marseille sur le paquebot Harmony of the Sea. »
46:23« Le drame s'est déroulé lors d'un exercice de sécurité. »
46:26« L'accident ternit l'image du plus gros navire de croisière lancé en grande pompe au printemps dernier. »
46:32Le 13 septembre dernier, un canot de sauvetage tombe de 10 mètres lors d'un exercice de sécurité.
46:39Une chute fatale pour l'un des membres d'équipage.
46:42Quatre autres sont gravement blessés et évacuent à l'hôpital de Marseille.
46:46Une enquête est ouverte pour connaître les raisons de l'accident.
46:52Un canot de sauvetage en moins, le plus gros bateau du monde, reprend sa croisière dès le lendemain du drame.
46:59Mais pour les victimes, ce sont des vies bouleversées.
47:11Sur les bords de l'océan Indien, la forêt du Kerala, au sud de l'Inde.
47:16Au milieu de cette plantation d'Evea, nous avons retrouvé l'un des blessés de l'Harmonie of the Seas.
47:30« Allez, c'est l'heure de la toilette. »
47:32Deux mois après son accident, Justine Rajamani ne peut toujours pas se lever seule.
47:37« Je prends la ceinture. »
47:40Sa femme et sa mère sont à son chevet tous les matins.
47:44« Il touche son front. »
47:47« Je crois qu'il a de la fièvre. »
47:51Justine souffre de deux fractures en bas du dos et ne se déplace plus qu'en fauteuil roulant.
47:56Sa femme, infirmière, a dû arrêter de travailler pour l'assister dans tous les gestes du quotidien.
48:10« Je ne peux pas prendre ma douche seule. Même une chose aussi simple, je n'y arrive plus. »
48:20Cette photo, c'est tout ce qui lui reste de ses huit années passées sur les navires de croisière.
48:26À 34 ans, ce cuisinier gagnait 1300 euros par mois, trois fois plus que dans son pays.
48:33« Ça, c'est le prix que j'ai reçu pour mes cinq ans de travail pour la compagnie. »
48:40L'accident a ruiné ses espoirs de nouvelles récompenses.
48:45Le jour du drame, l'un de ses collègues a filmé son évacuation.
48:50La famille découvre la vidéo pour la première fois.
48:57Justine ne sait toujours pas pourquoi le canot est tombé brutalement.
49:02« Il t'a emmené à l'hôpital en fauteuil roulant ? »
49:05« Non, non, les fauteuils roulants, c'était juste pour nous emmener jusqu'à l'ambulance. Quand j'ai repris conscience après l'accident, j'ai eu très mal dans le dos. Une douleur horrible. Ensuite, j'ai eu du sang sur la tête. »
49:20Le jour même, il ressort de l'hôpital et il est pris en charge par l'infirmerie du navire.
49:25« Deux jours après, la compagnie le renvoie à se faire soigner chez lui, en Inde. Commence alors un long périple de 24 heures en avion, puis 12 heures en train. Depuis son retour, il ne tient assis que quelques minutes par jour. »
49:45« J'ai préféré que la compagnie me soigne pendant un mois avant de me renvoyer chez moi. Le trajet en avion et celui en train ont été très pénibles. Ma blessure s'est aggravée. »
50:01« Et ça, j'ai du mal à l'accepter. »
50:06Des prières pour guérir. Seul espoir de cette famille. Son salaire faisait vivre sa femme, sa fille de 3 ans et sa mère.
50:17« S'il vous plaît, mon Dieu, soignez mon fils. »
50:22« Quand je les vois pleurer à cause de moi, ça me rend triste. »
50:31« Je pense que je ne pourrai plus jamais travailler pour la compagnie. J'espère qu'ils vont m'aider et me donner un peu d'argent. »
50:45La compagnie va lui verser chaque mois seulement 15% de son salaire jusqu'à la fin de son traitement.
50:52Pas assez pour faire vivre sa famille ni rembourser ses crédits.
50:56Justine espère obtenir réparation.
51:01Il compte sur un avocat installé à Miami.
51:08Julio Alaya est spécialiste du droit maritime.
51:11Il y a 20 ans, il défendait une compagnie de croisière.
51:16Choqué par ses méthodes, il a décidé de porter la voix des salariés que l'on n'entend plus.
51:22« Bonjour Justin, c'est Julio Alaya, votre avocat. Comment allez-vous ? »
51:28« Ce jour-là, il appelle Justin pour préparer le dossier. Il veut comprendre avec précision les conditions de son retour en Inde. »
51:37« Qui a décidé de vous débarquer à Naples, de mettre un terme à votre contrat et de vous renvoyer chez vous ? Qui a pris cette décision ? »
51:47« Je ne sais pas. Je ne sais pas. »
51:50L'avocat n'est pas surpris que Justin soit rentré si vite.
51:53« Les compagnies mettent un terme au contrat pour faire des économies et se débarrasser du problème. Elles font comme ça avec tous ceux qui tombent malades ou ont un accident. La seule chose qui les intéresse, ce sont les profits. C'est la partie sombre du business. L'employé, c'est un coût. »
52:09« Il le sait, il ne pourra pas obtenir une indemnisation très élevée pour Justin, car son contrat de travail dépend des lois des Bahamas. »
52:19« C'est dans ce paradis fiscal qu'est immatriculé le navire Harmony of the Seas. »
52:29« Au Bahamas, le juge ne regarde que les pertes financières que nous pouvons prouver. »
52:38« Il ne tient jamais compte des préjudices moraux comme l'anxiété, la souffrance psychologique ou la dépression. »
52:48L'indemnisation sera d'autant plus faible que depuis 10 ans, les litiges se règlent devant une cour d'arbitrage présidée par un juge payé par la compagnie.
52:58« Il y a 10 ans, nous pouvions obtenir un accord à 100 000 dollars pour une blessure au dos. »
53:09« Aujourd'hui, à cause de ce système d'arbitrage, tout ce qu'on peut avoir, c'est 40 000 dollars. »
53:16« Le montant des indemnisations a été divisé par deux. »
53:21Nous avons contacté la compagnie américaine dont le siège est à Miami, mais elle n'a pas souhaité commenter le cas de Justin.
53:27« Et notre pionnier de la croisière, que pense-t-il de ces navires mondialisés ? »
53:40« Il y a 40 ans, Bob Dickinson a été l'un des premiers à y matriculer ses bateaux dans les paradis fiscaux. »
53:48« Aujourd'hui, à 74 ans, il défend le système plus que jamais. »
53:55« Vous savez que vous êtes très critiqué pour avoir mis vos bateaux sous pavillon de complaisance. »
54:00« Oui, mais si les gens comprenaient notre modèle, ils feraient la même chose. »
54:05« Par exemple, je suis allé récemment en croisière sur un bateau avec un équipage américain. »
54:10« Ils savent que leur job est protégé, alors ils se relâchent un peu. »
54:16« Nous, on veut un équipage vif, compétitif et très serviable. »
54:22« On a des gens d'Europe de l'Est, d'Asie, d'Afrique, qui lèvent la main pour venir travailler. »
54:26« On n'a qu'à se baisser pour les choisir. »
54:28« Et s'ils ne sont pas bons, on en prend d'autres. »
54:31« On peut être sélectif, nous recrutons dans le monde entier. »
54:36Le pavillon de complaisance, moyen de pression sur des équipages sans frontières.
54:46Au terme de notre enquête, notre regard sur ces géants des mers a changé.
54:55Ces navires, symboles de la mondialisation, nous ont laissé un souvenir éloigné de l'image de rêve cultivée par les compagnies de croisière.
55:16Merci d'avoir regardé cette vidéo !

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