L'année 2024 a été la plus chaude jamais enregistrée, en hausse de 1,6 degrés par rapport à 1850, selon l'observatoire européen Copernicus. Du cyclone Chido à Mayotte aux inondations de Valence en Espagne en passant par les incendies qui ravage Los Angeles. Les événements extrêmes vont-ils devenir la norme ? François Gemenne, chercheur spécialiste des questions environnementales et climatiques, membre du Giec est l'invité pour tout comprendre dans RTL Soir.
Regardez L'invité pour tout comprendre avec Yves Calvi du 10 janvier 2025.
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00:00RTL Soir, Yves Calvi et Agnès Bonfillon.
00:04Il est 18h42, bonsoir François Gémen.
00:06Bonsoir.
00:07Vous êtes chercheur spécialiste des questions environnementales et climatiques,
00:10et par ailleurs membre du GIEC, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
00:14L'année 2024 a donc été la plus chaude jamais enregistrée,
00:17en hausse de 1,6 degrés par rapport à 1850 selon l'observatoire européen Copernicus.
00:221,6 degrés, on a parfois un peu de mal à comprendre pourquoi ce chiffre doit nous inquiéter François Gémen.
00:28Parce que symboliquement on franchit pour la première fois sur une année totale la barre symbolique des 1,5 degrés.
00:35C'est vrai que 1,5 c'est un peu le seuil le plus ambitieux qu'on s'est fixé dans l'accord de Paris.
00:41Alors c'est pas parce qu'on l'a atteint sur une année qu'on a manqué l'objectif, soyons clairs.
00:46C'est quelque chose qu'on va calculer sur une moyenne de plusieurs années,
00:50mais vu le train où ça va, nous allons dépasser cet objectif au début des années 2030.
00:56Il faut bien se rendre compte qu'en réalité on est condamné à battre record de température sur record de température
01:01tant qu'on émet des gaz à effet de serre, tant qu'on n'a pas atteint la neutralité carbone, le zéro émission nette,
01:06et bien on va continuer à battre record sur record.
01:09Avec des conséquences très concrètes, lesquelles ont parlé des incendies qui ravagent la Californie, Los Angeles en l'occurrence en ce moment.
01:18Bien sûr, une des conséquences les plus concrètes de cette élévation des températures,
01:22c'est que le risque d'événements extrêmes s'accroît à la fois dans leur nombre et dans leur intensité.
01:27Donc on va parler d'inondations, on va parler d'ouragans, on va parler aussi de feux.
01:32Est-ce qu'on est objectivement en train de vivre une vraie accélération du réchauffement climatique ?
01:36Et sait-on pourquoi 2024 en particulier a explosé tous les records du coup ?
01:39Oui, c'est notamment sous l'effet d'El Niño, qui est un phénomène météorologique qui n'est pas lié au changement climatique,
01:45qui est récurrent tous les 3 ou 4 ans, et qui effectivement va un peu doper les températures.
01:51Alors à partir de cette année, on va entrer dans le phénomène inverse qui s'appelle l'aninia,
01:55et donc on peut s'attendre à ce que les températures soient un peu moins élevées cette année,
01:59ce qui ne voudra pas dire que le changement climatique s'est arrêté, évidemment.
02:02Vous le disiez, ces catastrophes sont de plus en plus intenses, mais aussi coteuses.
02:07Les victimes vivent parfois une double peine.
02:09De nombreux assureurs, on en parlait sur l'antenne, se sont retirés de Californie ces deux dernières années,
02:14à cause des incendies à répétition.
02:17Ils peuvent vraiment refuser d'assurer dans l'état actuel des choses ?
02:22Alors ça va être le gros sujet pour la reconstruction, c'est que déjà depuis deux ans,
02:27certains gros assureurs, State Farm notamment qui est un des gros assureurs américains,
02:31refusent d'assurer de nouveaux logements en Californie, notamment à cause de risques accrus d'incendie.
02:36En Floride, c'est le risque d'inondations et d'ouragans qui a fait que 70 000 foyers ont perdu leur assurance habitation
02:42qui était résiliée unilatéralement par l'assureur cet été.
02:45La question c'est, est-ce que les assureurs vont encore accepter de couvrir ce risque et à quel prix ?
02:50Mais c'est légal, les assureurs peuvent refuser d'assumer des risques ?
02:53Absolument, sauf si l'état intervient et les y oblige.
02:56Mais comme nous allons entrer dans une présidence un peu disons libertarienne de Donald Trump,
03:00est-ce que Donald Trump va contraindre les assureurs à assurer les habitations ?
03:05Qu'il me soit permis d'en douter.
03:06Et donc ça pourrait être la première étape de ce qu'on appelle l'inhabitabilité,
03:10le fait qu'on ne parvienne plus à assurer les logements, les habitations.
03:14Ou alors, à quel prix ?
03:16Que donc il y ait une vraie stratification sociale et que seuls les plus riches puissent se permettre d'habiter dans des endroits à risque.
03:20C'est ce que j'allais vous dire, pardonnez-moi, les conséquences sont monstrueuses.
03:22C'est monstrueux.
03:23Notamment pour les plus fragiles, on n'est pas d'accord.
03:25Bien entendu.
03:26Et ça pose aussi des questions en France où le système d'assurance est quand même globalement un système mutualiste.
03:31La question c'est jusqu'à quand est-ce que ce système mutualiste tient avec des risques qui vont devenir très très élevés,
03:37donc potentiellement impayables pour des gens qui habitent dans des zones à risque.
03:40Il faut réaliser que même en France, le coût des dommages liés aux changements climatiques pour les assureurs,
03:46il double tous les cinq ans.
03:48L'an dernier c'est 6 milliards d'euros.
03:49Et on le voit certaines municipalités disent nous on ne peut plus payer ce que vous nous demandez pour s'assurer face à ces changements climatiques.
03:57Exactement, c'est ça qui explique cette réaction un peu ironique d'un maire dans une commune je crois près de Briançon
04:01qui a déclaré interdire les catastrophes naturelles sur le territoire de sa commune pour protester contre le fait qu'il ne parvenait plus à assurer sa commune.
04:08Alors, citation, les températures caniculaires de 2024 exigent une action climatique novatrice en 2025.
04:14C'est ce que vient d'affirmer le secrétaire général de l'ONU, alors on l'aime beaucoup.
04:17Mais est-ce que vous comprenez ce qu'il veut dire ?
04:19On peut le dire chaque année en réalité.
04:23Et le problème c'est que ces discours et ces injonctions en réalité deviennent un peu de plus en plus creux.
04:28Et c'est vrai que ce type de discours, moi, commence un peu à m'énerver sincèrement.
04:32Parce qu'on a l'impression qu'on se réfugie derrière ces injonctions un peu creuses pour masquer le fait que nous ne déployons pas les solutions que nous avons à notre disposition aujourd'hui.
04:41Or c'est là qu'est l'enjeu.
04:43Donc vous dites à Antonio Guterres, taisez-vous ou alors aidez-nous à prendre des mesures.
04:46L'enjeu c'est pas de crier au feu, l'enjeu c'est d'éteindre l'incendie.
04:49Et donc l'enjeu c'est pas d'alerter la population mondiale, je pense qu'on a dépassé ce stade.
04:54L'enjeu c'est de mettre en place les solutions qui existent aujourd'hui et de faire en sorte, prenons le cas de la transition énergétique,
05:00la question c'est comment est-ce qu'on mobilise les financements pour la transition, notamment dans les pays du sud.
05:05Quelle garantie d'état est-ce qu'on va donner aux investisseurs pour qu'ils puissent déployer la transition énergétique dans les pays du sud ?
05:10Voilà un enjeu très concret.
05:11Et ce que vous nous dites c'est que tout est question de volonté, une inversion des courbes du réchauffement est encore possible.
05:17Bien sûr ! Alors pas une inversion des courbes mais en tout cas nous pouvons limiter la hausse des températures.
05:22Et quand on atteint la neutralité...
05:23C'est pas la même chose.
05:24C'est pas la même chose.
05:25Parce que la question que vous a posée Daniel c'était très clair, c'est est-ce qu'on peut encore envisager ou espérer une inversion des courbes du réchauffement ?
05:32Non, il n'y aura pas de retour à la normale.
05:34Ça il faut le dire clairement aux auditeurs, notamment ceux qui peuvent se dire,
05:37ah là là, est-ce qu'on va revenir aux températures qu'on a connues au XXe siècle ?
05:40Ça, ça n'arrivera pas. Nous tous, nous serons morts avant que ça n'arrive.
05:44Alors dans le meilleur des cas, si on atteint la neutralité carbone vers le milieu du siècle,
05:48on stabilise les températures vers le milieu du siècle et puis elles commenceront à baisser vers la fin du siècle.
05:54Nous ne serons plus là pour le voir.
05:55Et j'espère que certains des auditeurs plus jeunes seront quand même encore là pour le voir.
05:59Tout cela à quel prix ?
06:00Je ne dirais pas que c'est une question de prix, c'est une question d'investissement.
06:04Le prix, c'est un prix de volonté politique aujourd'hui et c'est vraiment un message très important du dernier rapport du GIEC.
06:10Nous avons aujourd'hui toutes les connaissances, toutes les technologies et toutes les ressources financières
06:14qui nous permettent d'atteindre ces objectifs, qui nous permettent de limiter le réchauffement,
06:18de garder la hausse des températures sous 2 degrés d'ici 2100.
06:22Donc on sait ce qu'il faut faire, il s'agit de le mettre en œuvre.
06:25Et la bonne nouvelle, c'est que ça peut même rapporter de l'argent.
06:28On sait qu'aujourd'hui les énergies renouvelables, par exemple, présentent un retour sur investissement
06:32qui est très très avantageux et c'est ça qui a décidé de plus en plus les investisseurs à investir dans les renouvelables
06:38qui ont investi 2000 milliards de dollars en 2024, c'est-à-dire quand même deux fois plus que dans les énergies fossiles.
06:43Donc si je vous demande s'il est déjà trop tard, que me répondez-vous ?
06:46Il n'est jamais trop tard. On est face à un problème qui est graduel, ce n'est pas un problème binaire,
06:50ce n'est pas gagné ou perdu, ce n'est pas blanc ou noir.
06:52Et chaque dixième de degré fait une énorme différence, notamment des risques auxquels nous allons être exposés.
06:57Donc il n'est jamais trop tard, même si vous êtes obèses, vous pouvez encore perdre du poids.
07:01On a du mal à être optimiste pour le climat avec l'arrivée au pouvoir de certains climato-sceptiques.
07:06Je pense évidemment à Donald Trump, ça vous inquiète vous aussi ?
07:09Ah bien sûr, on ne va pas dire que c'est une bonne nouvelle, et tout le monde est un peu inquiet
07:13de voir ce que le mandat de Donald Trump va donner.
07:16Effectivement, on craint à la fois sur le plan domestique une hausse des émissions américaines,
07:21alors que ces émissions sont quand même en baisse depuis plusieurs années.
07:24Il faut le rappeler parfois aux auditeurs qui ont l'impression que la France serait le seul pays à agir.
07:28Tous les pays industrialisés aujourd'hui connaissent une baisse de leurs émissions,
07:31et les émissions chinoises commencent à plafonner.
07:34L'autre risque international, c'est évidemment non seulement qu'ils se retirent à nouveau de l'accord de Paris,
07:39avec un risque d'effet domino cette fois,
07:41et l'autre risque, c'est évidemment que les autres pays ne veuillent pas prendre d'engagement supplémentaire,
07:45et attendent que les États-Unis prennent à leur tour des engagements.
07:48Merci beaucoup, François Gemmene.
07:49Merci à tous les deux.
07:50Climatique, membres du GIEC, le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.
07:55Si vous aimez les chiens, la montagne, les aventures extrêmes, restez avec nous,
07:59on vous propose une très belle idée pour votre week-end dans un tout petit instant.
08:04Bonne soirée.