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Chute du gouvernement : quelles conséquences politiques et économiques pour la France ? Regardez l'analyse Anne-Charlène Bezzina, docteur en droit, enseignante à Sciences Po Paris, auteure de "Cette constitution qui nous protège" par chez XO Editions.
Regardez L'invité d'Amandine Bégot du 04 décembre 2024.

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Transcription
00:00RTL Matin
00:03Avec Amandine Bégaud et Thomas Soto
00:05Il est 8h16, l'interview d'Amandine Bégaud.
00:07On risque de se souvenir longtemps des conséquences politiques de ce mercredi 4 décembre 2024.
00:12Ce grand saut dans l'inconnu comme le titre d'Alsace ce matin.
00:15Alors Amandine, vous avez eu envie de nous donner toutes les clés pour bien comprendre ce qui va se passer dans cette journée.
00:19Raison pour laquelle vous avez choisi d'inviter la constitutionnaliste Anne-Charlène Bézina.
00:23Bonjour et bienvenue à vous.
00:24Bonjour Anne-Charlène Bézina, vous êtes maître de conférence en droit public, spécialiste de la constitution
00:28et vous publiez d'ailleurs ce livre qui franchement est formidable.
00:31Cette constitution qui nous protège.
00:33Alors il y a le texte intégral de la constitution et des éclairages pour tout comprendre.
00:37Justement on va essayer de tout comprendre ce qui peut se passer dans les prochaines heures et les prochains jours.
00:41D'abord cette motion de censure, cet après-midi à l'assemblée, il y a deux options.
00:45Soit elle est rejetée, soit, et c'est ce qui est le plus probable, elle est adoptée.
00:49Dans ce cas on est d'accord, le gouvernement tombe, il n'y a plus de premier ministre.
00:52Exactement, plus de premier ministre, plus de gouvernement, plus de travail gouvernemental acté depuis le début du mois de septembre.
00:59Donc il y a une période de latence en réalité qui s'ouvre dans la République.
01:04C'est arrivé une seule fois, on le rappelle, en 1962.
01:07Alors une seule fois, et à la fois ce n'est pas vraiment un parallèle utile non plus,
01:11parce qu'en fait c'est une seule fois, en 1962, Georges Pompidou est renversé par l'Assemblée Nationale,
01:16mais de manière spontanée.
01:18C'est-à-dire que c'est l'Assemblée Nationale qui prend l'initiative de s'en prendre à Georges Pompidou,
01:23alors qu'en réalité elle a un contentieux avec le Président de la République.
01:26Ici, il ne faut pas oublier que c'est la conséquence d'un article 49 alinéa 3,
01:29c'est-à-dire que c'est le premier ministre qui s'est engagé dans ce que j'appelle un chantage constitutionnel.
01:35C'est-à-dire, finalement, quand on en arrive à un article 49 alinéa 3 sur un texte,
01:40c'est qu'on n'a tellement pas pu en arriver au vote qu'on propose une alternative.
01:44Soit c'est le texte, soit c'est ma tête.
01:47Et là, en l'occurrence, ça pourrait être la tête du premier ministre.
01:50Si cette motion est adoptée, Emmanuel Macron doit nommer un premier ministre,
01:54ça c'est l'article 50, comme ça on fait en même temps un peu de pédagogie.
01:58On est d'accord, il peut choisir de renommer Michel Barnier,
02:03même si hier le premier ministre a dit que ça n'aurait aucun sens.
02:06Alors, à mon sens, ça n'est pas constitutionnellement possible ou jouable.
02:10Parce que, déjà, il y a plusieurs raisons.
02:12La première, c'est que la logique des articles 49 et 50,
02:15c'est de faire de la motion de censure le seul cas de démission obligatoire.
02:19C'est-à-dire, le premier ministre n'a plus aucune légitimité.
02:22Donc, le président est en réalité lié par cette existence parlementaire.
02:27Le deuxième point, pourquoi ça ne m'apparaît pas pertinent,
02:30c'est que le seul précédent qu'on a, en 62,
02:34Georges Pompidou est censuré par l'Assemblée nationale.
02:37Il vient présenter sa démission au général de Gaulle,
02:39qui lui dit, je vais vous garder en affaire courante,
02:41et je vais dissoudre l'Assemblée nationale.
02:43Donc, certes, on garde le premier ministre, mais parce qu'on change l'Assemblée.
02:46Donc, là, avec Assemblée inchangée, pour moi, on ne peut pas garder le même premier ministre.
02:50Et puis, troisième point, à quoi sert-il de garder ce premier ministre,
02:54alors que si on a besoin de tâches urgentes ou quotidiennes,
02:57il y a la notion d'affaire courante qui s'applique,
02:59et on le garde en tant que premier ministre démissionnaire.
03:02Donc, je crois qu'il n'y a aucune utilité.
03:04Et puis, quatrième point, on peut tout à fait rentrer dans le jeu.
03:06Le Président renomme, l'Assemblée remotionne, le Président renomme, et on fait simplement aimer.
03:11Mais ça, ça peut durer pendant des semaines et des semaines, pardon.
03:13Donc, c'est pour ça que ça n'a aucun intérêt.
03:15Comment voulez-vous que l'Assemblée nationale reconnaisse comme légitime
03:17quelqu'un qu'elle a renversé la veille ?
03:19Elle le renverserait à nouveau le lendemain.
03:20Donc, ça n'est pas logique.
03:22Combien de temps Emmanuel Macron a-t-il pour choisir un nouveau premier ministre ?
03:25Alors, c'est illimité.
03:26On l'a bien vu, cet été, c'est-à-dire qu'on a vécu cette période de liberté
03:29de l'article 8 de la Constitution.
03:31Le Président de la République n'est tenu par aucun parti, par aucun nom et par aucun temps.
03:36Et ça, c'est vraiment la volonté du général De Gaulle.
03:38Vous dites, dans le livre, il pourrait tout à fait nommer, par exemple, la première dame.
03:42L'exemple est sourire, mais il peut nommer qui il veut.
03:45Absolument.
03:46On l'oublie.
03:47On dit parfois, il faut nommer celui qui a remporté le plus de voix, le plus de sièges.
03:51Non.
03:52Pas du tout.
03:53Il y a une liberté totale du champ présidentiel.
03:55Même si, c'est vrai qu'on le voit avec le jeu de notre Assemblée nationale,
03:59il y a une forme de reconnaissance de légitimité qui doit se faire entre une Assemblée nationale et un gouvernement,
04:03notamment parce qu'ils travaillent ensemble.
04:05Les lois, les budgets, etc.
04:07Donc, la liberté du Président va rencontrer, très vite, celle de l'Assemblée nationale
04:12d'estimer légitime ou non le gouvernement avec lequel elle travaille.
04:14Donc, la coutume parlementaire lie le Président dans le choix de quelqu'un
04:18qui va être reconnu, qui va pouvoir travailler confortablement avec son Assemblée.
04:22Mais, on peut imaginer, sous la Troisième République, par exemple,
04:25un Président qui décide de tenir tête à son Assemblée et de voter un Premier ministre
04:29qu'elle n'estime pas du tout légitime.
04:31Donc, oui, il y a une liberté du Président.
04:33Et oui, il y a une liberté de temps et de ton.
04:36Bon, si cette motion de censure est adoptée, vous le disiez,
04:39tout le travail qui a été fait ces dernières semaines et ces derniers mois, en gros, est mis à la poubelle.
04:44Alors, sur le budget, c'est un tout petit peu plus complexe.
04:47C'est-à-dire que, là, on n'a plus de budget.
04:49Si on n'a plus de Premier ministre et de gouvernement.
04:51Est-ce que c'est si grave que certains le disent ?
04:53Alors, la vérité est toujours un peu au milieu de ces discours politiques.
04:58C'est-à-dire que, oui, c'est grave, parce que c'est la première fois, déjà.
05:01Alors, bon, ça nous est arrivé de voter des budgets au 1er janvier,
05:04déjà deux fois dans des circonstances tout à fait exceptionnelles.
05:07En 62, précisément, après le renversement, la dissolution, le référendum.
05:10Mais, il manquait la deuxième partie du budget.
05:13Donc, on avait déjà fait l'essentiel.
05:14Et en 79, le Conseil Constitutionnel censure pour un vice de procédure.
05:17En réalité, on a mal adopté le budget.
05:19Il suffit de 48 heures pour le reprendre.
05:21Donc, on n'a jamais eu, vraiment, une période d'incertitude aussi lourde
05:24que celle que nous allons vivre sur le budget.
05:26On va fonctionner, mais on va fonctionner à minima.
05:30Donc, en réalité, la question se pose de ce budget.
05:33Est-ce qu'on va le reprendre en janvier ?
05:35Mais, dans ce cas-là, avec les mêmes irritants.
05:37Est-ce qu'on va essayer d'en changer complètement ?
05:39Mais, dans ce cas-là, il vaut mieux solder, au moins, le fonctionnement de l'État.
05:43Et, voilà, c'est la grande incertitude de ce qui va se passer avec le budget.
05:46Parce que, si on peut débloquer de l'urgence,
05:49on paiera les fonctionnaires, on paiera les services publics.
05:51Ça, il n'y a pas d'inquiétude à avoir.
05:52Ça, justement, cette Constitution nous protège.
05:54Je voudrais vraiment que les Français aient ça en thèse.
05:56C'est-à-dire que l'article 47 de notre Constitution évite le shutdown.
05:58Il y a le vote de ce qu'on appelle une loi spéciale,
06:01avec l'article 1er de la loi de finances, au moins, qui est débloqué.
06:05Et ça, cet article 1er, c'est vraiment, depuis 1215, une grande tradition.
06:09C'est l'autorisation que donnent les parlements aux exécutifs de prélever les impôts.
06:13Et si on a ça, on a de l'argent dans les caisses.
06:15Quand Emmanuel Macron, hier, dit à plusieurs journalistes,
06:18lors de son déplacement en Arabie Saoudite,
06:20il faut arrêter de faire peur aux Français.
06:22La France a des institutions solides.
06:25C'est vrai ?
06:26C'est vrai.
06:27Même si, à mon sens, à partir de janvier,
06:30on ne sait pas dans quoi on s'engage.
06:31Parce qu'il faut solder ce budget 2025.
06:34Mais sur quelle base ?
06:35Est-ce qu'on va trouver un accord politique ?
06:36Est-ce qu'on va être sur un budget minimal ?
06:38Est-ce qu'on va, au moins, éponger tout ce que les Français vont perdre
06:41dans ce délai de latence ?
06:42L'impôt sur le revenu, qui n'est pas réactualisé.
06:44Les cotisations sociales.
06:45Il y a vraiment un inconnu dans lequel on se jette.
06:48L'une des spécificités françaises,
06:50c'est qu'en cas de motion de censure,
06:51les oppositions, ils vous l'expliquaient dans le livre,
06:53n'ont pas à proposer une alternative.
06:55Comme c'est le cas en Allemagne ou encore en Espagne.
06:57Elles peuvent démettre un gouvernement selon leurs bons plaisirs.
07:00C'est quand même un problème.
07:01Ça, ce n'est pas très constructif.
07:02C'est vrai.
07:03Ça n'est pas très constructif.
07:04C'est peut-être un des seuls problèmes de cette constitution.
07:06Il y en a d'autres.
07:07Il y en a d'autres.
07:08Moi, j'ai le sentiment qu'en plus,
07:10c'est très paradoxal avec la volonté des rédacteurs.
07:12Au départ, ils se sont dit,
07:13étant donné qu'on va déjà commencer à être plus durs
07:15avec la motion de censure,
07:16on ne peut pas, en plus,
07:17passer le cap de la motion de censure constructive.
07:19Ça serait trop violent pour notre Assemblée nationale.
07:21Or, en réalité,
07:22on aurait peut-être dû passer cette étape supplémentaire
07:24parce que ça prouve qu'aujourd'hui,
07:26l'idée de proposer une motion de censure sans rien d'autre,
07:29eh bien, ça va donner la situation qu'on aura
07:31à partir de sûrement demain,
07:33une incertitude totale.
07:34Alors que c'est vrai que, par exemple,
07:36en Espagne, la même idée,
07:38une motion de censure très rationalisée,
07:40vraiment très difficile,
07:41mais la seule fois où un gouvernement est renversé,
07:44au moins, le jour même,
07:46il y a un décret de nomination de son successeur.
07:49Donc, je crois que c'est en effet une faille,
07:51peut-être un élément à travailler.
07:52Juste d'un mot, Anne-Charlene Bézina,
07:54la proportionnelle,
07:55est-ce que ce qu'on vit aujourd'hui
07:57n'est pas la preuve que ce n'est vraiment pas une bonne idée ?
07:59C'est à la fois pas une bonne idée
08:01et à la fois, parfois, considérée comme une solution
08:03parce que la proportionnelle,
08:04ça n'est pas la solution.
08:05Au mot que nous vivons,
08:06ça, il faut vraiment le dire déjà.
08:07Elle ne peut pas s'appliquer au prochain scrutin
08:09puisqu'il faut un an de délai de latence.
08:11Mais peut-être que ça pourrait débloquer
08:13certains éléments de ce qu'on appelle
08:14la culture du compromis.
08:15Donc, il y a des réflexions à mener.
08:17Pourquoi pas une dose ?
08:18Mais je pense qu'en tout cas,
08:19il faut arrêter de se dire
08:20que la proportionnelle changera la culture des hommes.
08:23C'est aux hommes à faire de la politique convenablement.
08:25Merci beaucoup, Anne-Charlene Bézina.
08:27Je rappelle le titre de votre livre,
08:28Cette constitution qui nous protège.

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