- 21/05/2023
Catégorie
✨
PersonnesTranscription
00:00 Bonjour à tous, bienvenue dans 27/27, la grande conversation des citoyens européens,
00:08 ravie de vous retrouver.
00:09 Au programme de cette émission, faut-il lever les brevets pour que les vaccins et les médicaments
00:14 soient accessibles à tous ? Covid, sida, diabète, cancer, le traitement des maladies
00:19 est devenu un business très lucratif pour l'industrie pharmaceutique.
00:22 Et les prix pratiqués, parfois stratosphériques, empêchent souvent les plus pauvres d'être
00:27 correctement soignés, mais que représentent les brevets ? C'est la question que nous
00:31 avons posée aux Européens de notre atelier.
00:33 Innovation.
00:34 Nouvelles thérapies.
00:36 Commerce.
00:37 Disparité d'applications.
00:39 Un système pour équilibrer innovation et compétition.
00:43 Une barrière à l'accès pour beaucoup de patients.
00:45 Pour en débattre, nous recevons Pauline Londesk, cofondatrice de l'Observatoire de la transparence
00:51 pour les politiques du médicament et autrice de Combien coûtent nos vies ? Un ouvrage
00:56 dans lequel elle remet en question le principe même des brevets pharmaceutiques.
00:59 Face à elle, Thomas Klit Christensen est conseiller juridique de LIF, une association
01:05 danoise qui représente l'industrie pharmaceutique.
01:07 Pour lui, le système des brevets est garant de l'innovation et ne doit en aucun cas être
01:12 modifié.
01:13 Enfin, Sabine Vogler est directrice du département de Pharmacoéconomia à l'Institut national
01:19 de la santé en Autriche.
01:20 Elle coordonne le centre collaboratif de l'Organisation mondiale de la santé pour les politiques
01:25 de tarification et de remboursement des produits pharmaceutiques.
01:28 Notre reportage nous conduira en France et en Belgique où le laboratoire Novartis a
01:33 accepté de lever l'un de ses brevets sur le Chymria, un traitement novateur contre
01:38 le cancer extrêmement cher.
01:40 Le prix actuel, un seul traitement, une seule injection, 320 000 euros.
01:46 Ici, on estime que si on produit chez nous les mêmes quarticels, on pourra probablement
01:54 être trois fois moins cher que ce prix actuel.
01:57 Et enfin, notre grand entretien.
02:00 Je recevrai Peter Draos, professeur de droit et de gouvernance à l'Institut universitaire
02:05 européen de Florence.
02:06 Ses travaux sont des références en matière de propriété intellectuelle.
02:10 Avec lui, nous parlerons de la nécessité des biens communs à l'humanité.
02:14 Voilà, c'est le programme de 27 et c'est tout de suite.
02:16 Bonsoir à tous, bienvenue, ravi de vous retrouver comme chaque dimanche dans ce débat,
02:32 comme chaque semaine.
02:33 À mes côtés, Corentin Chrétien de Rose, Labvacar Corentin.
02:36 Labvacar Nora, c'est du laiton cette semaine.
02:39 C'est du laiton cette semaine.
02:40 Corentin, vous allez nous parler des dates, des chiffres, des données clés et être le
02:43 rapporteur du débat que nous organisons en ligne en amont de chaque émission.
02:46 Oui, cette semaine, un débat qui était assez tranché avec deux oppositions frontales,
02:50 avec d'un côté des activistes ou des philosophes venus d'Angleterre, de Pays-Bas ou de France,
02:55 c'était votre cas Pauline Londex, vous en faisiez partie, assez opposés au système
02:58 de brevets.
02:59 Et puis de l'autre côté, des représentants des laboratoires venus de Grèce, d'Autriche
03:02 ou de Norvège, pour qui les brevets sont la clé de l'innovation en santé.
03:06 Alors justement, les brevets pharmaceutiques sont-ils essentiels pour la recherche ou nocifs
03:10 pour l'accès à la santé ? Vous avez résumé ce débat.
03:13 Corentin, c'est votre pourquoi de la semaine.
03:15 Au début, il y avait la nature, il y avait la pluie, la terre, les fleurs et tout ça,
03:24 c'était des molécules.
03:25 Et puis, on les a mises dans des tubes à essai, on les a fait bouillir, on les a fait
03:29 geler, on leur a donné des noms et on a dit c'est à moi, c'est ma molécule.
03:34 Un brevet est obtenu pour 20 ans minimum.
03:37 Pendant ce temps, celui qui l'a découvert peut exclure les autres et les empêcher d'utiliser
03:41 son invention.
03:42 C'est un monopole donné par l'État.
03:46 Grâce aux brevets, les compagnies pharmaceutiques peuvent se triturer la molécule jusqu'à
03:51 en faire un médicament.
03:52 Mais faire un médicament, c'est compliqué.
03:54 Ça coûte cher, ça prend 15 ans et on peut se planter.
03:58 Sans l'existence des brevets, aucune entreprise pharmaceutique n'aurait fait la moindre recherche
04:05 ou le moindre investissement pour développer des vaccins contre le Covid-19.
04:09 Et les brevets, c'est un peu comme les Pokémon.
04:13 On en attrape un et après, on les veut tous.
04:16 On a des entreprises qui sont si énormes, si riches, qu'elles peuvent acheter n'importe
04:21 quel brevet, peu importe si elles l'utilisent.
04:24 Elles achètent même des brevets prometteurs, des brevets qui pourraient faire de la concurrence
04:28 à leurs médicaments, afin de les mettre dans un tiroir pour ne rien en faire, justement
04:33 pour éviter qu'ils atteignent le marché.
04:34 Car une fois breveté, le médicament est immunisé contre la concurrence.
04:40 Il devient rare et donc, il devient cher.
04:43 On a eu des traitements à plusieurs centaines de milliers d'euros par personne.
04:49 Et le dernier en date, c'est un médicament commercialisé par Novartis pour 2 millions
04:53 d'euros l'injection.
04:54 Et quand il y a un monopole, c'est payer le prix ou mourir.
04:59 Et beaucoup ne peuvent pas payer.
05:01 Aujourd'hui, la moitié des diabétiques ne peuvent pas acheter leur insuline faute
05:05 de moyens, alors que le brevet a été déposé il y a 100 ans.
05:08 Le système des brevets, non seulement ne facilite pas l'innovation, non seulement
05:14 il bloque l'accès à des médicaments aux pays non développés, mais en plus, c'est
05:20 un racket institutionnalisé.
05:21 Les pouvoirs publics ont sous-traité la recherche et le développement à l'industrie, forcément
05:26 l'industrie fait de l'argent avec, c'est tout ce qu'elle sait faire.
05:30 Alors on fait quoi ? Peut-on produire les médicaments nous-mêmes ? Mais est-ce qu'on
05:34 sait le faire ? Doit-on forcer les laboratoires à baisser leurs prix ou à lever leurs brevets
05:39 ? Et s'ils refusent, comment peut-on faire pression sur ceux qui ont nos vies entre
05:44 leurs mains ?
05:45 Faut-il faire pression sur ceux qui ont nos vies entre leurs mains ? C'est votre conclusion
05:51 Corentin.
05:52 Thomas Clitch Christensen, déjà je tenais à vous remercier du fait que vous ayez accepté
05:56 de venir débattre car on a contacté beaucoup d'industriels qui n'ont pas souhaité venir.
06:01 Donc vous représentez ici les industriels danois.
06:05 A quoi ça sert les brevets ?
06:06 A créer et développer l'innovation.
06:11 Et pour les médicaments en particulier, c'est un processus extrêmement coûteux.
06:16 Il faut environ un milliard d'euros pour développer un médicament et cela prend 10 à 12 ans.
06:23 Et là, le brevet garantit qu'il continuera à y avoir des innovations parce qu'on a le
06:29 droit d'apporter des innovations pendant un certain temps.
06:32 Il est également important de dire que nous avons en Europe un système réglementaire
06:39 visant à garantir aux patients des médicaments de qualité, des médicaments efficaces.
06:44 Et on a donc mis en place tout un système qui, dès le début de la recherche, demande
06:50 une grande exigence, des essais cliniques qui doivent être faits sur de grands groupes
06:54 de patients et qui imposent à l'entreprise pharmaceutique de surveiller aussi ce qui
06:59 se passe ensuite.
07:00 Et tout ceci est très coûteux.
07:02 Pauline Londex, finalement, si ça permet l'innovation et comme le disait Thomas Clitt
07:08 Christensen à l'instant, tout ceci est fait dans l'objectif de venir en aide aux patients,
07:12 pourquoi est-ce que vous vous remettez en cause ce système ?
07:15 Je pense qu'il faut sortir d'une vision complètement binaire et simplificatrice des choses.
07:20 C'est-à-dire qu'on aurait l'impression, en vous écoutant, que les dépôts de brevets
07:26 viendraient uniquement des firmes pharmaceutiques et que ça permettrait ensuite de récompenser
07:30 une prise de risque et qu'ensuite il y aurait une divulgation qui permettrait à l'ensemble
07:35 de la société d'en bénéficier.
07:36 Sauf que dans la réalité c'est différent.
07:38 Quand on creuse par exemple qui a financé la recherche et le développement de certains
07:42 médicaments, y compris celui commercialisé pour 2 millions d'euros par Novartis, on
07:46 se rend compte qu'il y a énormément d'argent public, énormément de recherche fondamentale,
07:51 d'instituts publics en France et d'autres pays.
07:53 Est-ce que vous nous dites, Pauline Londex, pour être claire, dans chaque médicament
07:56 il y a des fonds publics qui sont injectés ?
07:58 Alors il y a énormément de fonds publics qui sont injectés pour le développement
08:01 de la plupart des produits de santé.
08:03 Le problème c'est qu'il y a une opacité.
08:04 On a besoin des chiffres pour pouvoir voir à quelle hauteur vous contribuez, les goulets
08:08 industriels, et à laquelle hauteur les autorités sanitaires publiques contribuent.
08:13 C'est ça qui permettra de fixer les prix des médicaments.
08:14 Et on reviendra sur cette question de la transparence, effectivement.
08:17 Sabine Wolfe, qu'est-ce que vous en pensez de ce débat ?
08:19 Je pense que Pauline a déjà dit beaucoup de choses.
08:23 L'idée des brevets à l'origine c'était de créer des incitations.
08:26 Et l'argumentation des fabricants est la suivante.
08:29 Nous demandons ces prix pour récupérer l'investissement.
08:31 Mais il y a de l'argent public dedans.
08:34 Et nous ne savons pas à combien s'élèvent exactement les coûts de recherche et de développement.
08:39 Cela signifie que lorsque les États négocient, ils sont en quelque sorte tributaires des
08:43 informations que les industriels leur donnent.
08:46 Il est bien sûr très important qu'il y ait de la recherche fondamentale dans les universités.
08:51 Mais à partir du moment où on a une substance active qui fonctionne pour devenir un médicament,
08:57 on est encore très très loin d'avoir un médicament qui a subi des essais.
09:01 Des essais mondiaux, des essais cliniques sur parfois 10 000 personnes et une validation.
09:07 C'est là qu'interviennent les très gros coûts.
09:10 Une seule molécule testée sur 10 000 personnes devient un médicament.
09:16 Et cet énorme risque, à savoir qu'on risque de devoir abandonner un projet de recherche
09:20 à un stade avancé du processus parce qu'il y a un effet secondaire indésirable, ce risque,
09:26 il existe donc.
09:27 Et il doit être compensé par le système en aval.
09:30 Ça paraît logique.
09:32 Quel gouvernement serait capable justement de produire ce que l'industrie pharmaceutique
09:37 produit, ces gélules qu'on voit derrière nous ?
09:38 Alors les risques, excusez-moi, mais à nouveau, ils sont quand même massivement pris par
09:44 les États.
09:45 Si on prend les 140 candidats vaccins contre le Covid, il y a énormément d'argent public
09:49 qui a été mis sur la table par la Commission européenne, par les institutions européennes,
09:54 français, etc. et américains.
09:56 Par exemple, aux États-Unis, on sait que la technologie ARN messager, elle est issue
10:01 de la recherche fondamentale financée par le National Institute of Health à hauteur
10:05 de 15 milliards de dollars.
10:07 Et donc Moderna, petite startup, oui c'est un rêve cette petite startup, mais elle s'est
10:11 appuyée sur ces 15 milliards de dollars d'argent public qui a été investi.
10:15 Donc on ne peut pas dire que tous les risques sont absorbés par l'industrie.
10:18 C'est la première chose.
10:19 La seconde chose, c'est que vraiment le prix des médicaments met en danger le système
10:25 de santé des pays basés sur la solidarité, comme par exemple la France, mais d'autres
10:30 en Europe.
10:31 Et ça, ça va amener certains pays à dérembourser des médicaments.
10:34 Donc il faut bien un moment donné des critères rationnels pour savoir qui a contribué à
10:38 quoi à quel moment.
10:39 Alors, dans le débat correntin que nous avons eu en amont de cette émission, une méthode
10:44 simple a été proposée pour solder le débat éternel qu'on a autour des brevets.
10:48 Alors simple, peut-être trop simple.
10:49 Elle n'a pas fait l'unanimité dans l'atelier, elle ne va pas faire l'unanimité sur ce plateau,
10:52 je le sens.
10:53 Mais elle a le mérite d'être radicale.
10:54 Les brevets, on les interdit.
10:55 Si on revient par exemple à l'année 1959, pendant laquelle aux États-Unis, il y a eu
11:03 une commission sénatoriale assez fameuse sur les pratiques monopolistiques de l'industrie
11:09 pharmaceutique.
11:10 On constatait que les pays ayant un système de brevets avaient des prix pour les médicaments
11:19 de 18 à 255 fois plus élevés que les autres.
11:23 Donc, ça prouve bien que le système des brevets augmente artificiellement les prix.
11:32 C'est devenu la norme planétaire.
11:36 Mais en fait, si on revient un peu en arrière, on voit que ça n'a pas toujours été comme ça.
11:40 Ce n'est qu'en 1968 qu'en France, il y a eu un brevet sur les médicaments, sur 20 ans.
11:48 1967 en Allemagne, 1978 en Suisse.
11:53 Donc, je veux dire, qu'on ne vienne pas nous dire que c'est impossible de fonctionner sans
11:59 les brevets.
12:00 En fait, on peut très bien.
12:02 Aucune entreprise au monde, que ce soit dans l'industrie pharmaceutique, dans la technologie
12:10 ou dans la biotech, n'aurait jamais investi les sommes énormes que nous avons investies
12:15 pendant le Covid s'il n'y avait pas eu de brevets.
12:17 Et si on est tous assis ici ensemble, malheureusement pas face à face, mais en bonne santé, c'est
12:26 seulement parce que les industries ont fait leur travail.
12:29 Et nous pouvons vraiment en être fiers.
12:32 Thomas Clit Christensen, après tout, les brevets n'ont pas toujours existé, alors
12:38 supprimons-les.
12:39 Je crois que le plus important, dans toute cette discussion, on a un peu tout mélangé.
12:44 Quand on parle de 1968, c'est une époque où le système de santé était tout autre.
12:49 Je trouve important de dire qu'au niveau mondial et au niveau de l'Union européenne,
12:54 on a construit tout le système de réglementation suite à des affaires épouvantables, notamment
12:59 à l'affaire de la thalidomide, qui a entraîné des malformations chez les enfants, des fœtus
13:04 parce que des femmes enceintes avaient pris ce médicament contre la nausée.
13:07 Alors, on a décidé de rendre le système plus sûr.
13:11 Par conséquent, on a transféré tout un tas de coûts très importants sur l'industrie.
13:15 Mais cela a pour effet qu'il revient beaucoup plus cher de développer des médicaments.
13:19 Et c'est pourquoi les brevets sont encore plus importants.
13:21 Pour le coup, Sabine Vogler, est-ce que vous diriez que mettre fin aux brevets, faire en
13:27 sorte de revenir à la situation d'avant les années 70, permettrait de régler ces
13:32 questions que vous évoquiez tout à l'heure de prix trop élevé, d'accès à tous à
13:37 la santé ?
13:38 Nous ne connaissons pas les coûts de recherche et de développement, mais nous ne connaissons
13:43 pas non plus les autres coûts.
13:45 Nous ne savons pas non plus combien les autres pays ont payé en réalité pour ces produits.
13:51 Car il y a certes une obligation de publier des prix officiels, des prix vitrines pourrait-on
13:56 dire, mais dans la réalité, parce que ces prix sont alors trop élevés, presque tous
14:01 les États font des négociations de prix pour les médicaments chers.
14:05 Et c'est là que des prix réduits sont proposés par les industriels.
14:09 Mais ils sont confidentiels.
14:12 En d'autres termes, nous avons un manque de transparence à divers niveaux.
14:17 Et cela rend les choses très difficiles.
14:19 Alors justement Corentin, depuis leur création, l'utilisation des brevets a bien évolué.
14:27 Aujourd'hui, les laboratoires pharmaceutiques ne s'en servent plus seulement pour protéger
14:31 l'innovation.
14:32 Certains laboratoires pharmaceutiques utilisent les brevets au contraire pour consolider,
14:35 prolonger leur monopole.
14:36 Cette méthode a un nom, elle s'appelle l'Evergreening.
14:39 Elle est simple, on va essayer de la simplifier un peu ici.
14:42 Quand votre médicament s'apprête à tomber dans le domaine public, au bout de 20 ans,
14:45 quand le brevet va expirer, vous avez peur que d'autres laboratoires puissent le copier
14:49 pour en faire des génériques moins chers, qu'est-ce que vous faites Nora ? Vous rebrevetez
14:52 à nouveau ce médicament.
14:53 Alors pardon, ça veut dire qu'on peut breveter deux fois le même médicament ?
14:57 Alors en théorie non, sauf si vous le modifiez un peu.
15:01 C'est ça l'Evergreening, on a vu comme ça des laboratoires changer la posologie,
15:04 la composition, afin de dire "eh ben c'est un nouveau médicament, on le brevette à
15:07 nouveau, il est à nouveau protégé".
15:09 On pourrait se dire que c'est une pratique un petit peu originale, mais non, elle n'est
15:11 pas si marginale.
15:12 En tout cas, si on écoute Robin Feldman, qui est la chercheuse américaine qui a mis
15:16 cette pratique en lumière, elle a observé le marché américain pendant 10 ans et 78%
15:20 des médicaments qui recevaient un nouveau brevet étaient des médicaments qui existaient
15:24 déjà.
15:25 Thomas Clitt Christensen, bon j'entends qu'effectivement il y a de l'innovation,
15:29 qu'il y a tous ces tests qu'il faut que vous mettiez en place pour vérifier que le
15:33 médicament n'est pas dangereux, etc.
15:36 Cette pratique de l'Evergreening, là on est quoi ? On est clairement dans un phénomène
15:41 de rente.
15:42 On n'obtient pas un brevet à moins que trois critères ne soient remplis.
15:46 Il faut qu'il y ait un caractère de nouveauté, c'est-à-dire que la substance ne doit pas
15:50 déjà être connue.
15:51 Elle doit présenter quelque chose qui s'appelle l'activité inventive.
15:55 Elle doit donc être nouvelle et je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qu'on vient
16:00 d'entendre.
16:01 Il faut une application industrielle.
16:02 Mais vous nous dites alors que selon vous l'Evergreening ça n'existe pas ? C'est
16:08 ça que vous nous dites ? Que ce qu'on vient de dire est faux et que cette pratique n'existe
16:11 pas ?
16:12 Pas de la manière dont on vient de voir où on change la couleur d'un produit et où
16:16 on obtient un nouveau brevet.
16:18 Cela ne fonctionne tout simplement pas comme ça.
16:20 Il faut montrer que la substance est plus efficace que la précédente.
16:23 Il faut qu'il y ait une activité inventive et une nouveauté.
16:26 Alors, certains médicaments foliogènes n'ont pas d'un, mais de plusieurs brevets.
16:33 Une toile d'araignée dans laquelle les patients sont parfois pris au piège.
16:36 Aglaé-Emiliar s'est penché sur le cas du Timria, un traitement contre le cancer.
16:41 J'ai eu une leucémie de type B à l'âge de 2 ans.
16:49 Après, j'ai rechuté à l'âge de 16 et j'ai à nouveau rechuté à l'âge de 19.
16:59 Pour vaincre sa leucémie, Nicolas, 23 ans, a reçu une injection de Timria, un traitement
17:06 novateur destiné aux patients victimes d'une deuxième récidive de leur cancer.
17:10 J'étais plutôt content parce que j'ai pu expérimenter un traitement, pouvoir faire
17:15 avancer la science.
17:16 Et aujourd'hui, tout continue à bien marcher comme ils le prédisent.
17:22 Donc, pour le moment, j'en suis content.
17:24 Le Timria, traitement anti-cancéreux dont a bénéficié Nicolas, consiste en la modification
17:30 génétique d'une certaine catégorie de globules blancs.
17:34 Une fois la modification effectuée en laboratoire, ces globules blancs sont capables de reconnaître
17:39 et de détruire les cellules cancéreuses.
17:41 Commercialisé par le géant pharmaceutique Novartis, ce traitement coûte plus de 300
17:50 000 euros pour une dose unique.
17:52 Un prix injustifié selon l'Association Médecins du Monde, qui a déposé une action contre
17:57 le laboratoire quelques mois après sa mise sur le marché, en demandant la levée de
18:02 son brevet.
18:03 Nous avons à peu près 2 à 3 millions de patients cancéreux en France.
18:08 Ce type de médicament, il est pour des cancers mous, pour des leucémies.
18:10 Mais s'il y a simplement 1 000 ou 10 000 patients, on est tout de suite à 3 millions
18:17 ou à 30 millions d'euros.
18:18 Je rappelle que le budget médicament en France pour soigner 65 millions de Français, c'est
18:22 30 milliards d'euros par an.
18:25 Avec ce type de médicament, on sait qu'à ce prix-là, on ne peut pas soigner tous les
18:28 malades.
18:29 En décembre 2019, Médecins du Monde gagne son pari.
18:33 Novartis lève un brevet sur le Timria.
18:37 Une victoire toute relative.
18:38 Le traitement reste protégé par deux autres brevets.
18:42 La décision de Novartis ne permet donc ni de faire baisser le prix de son traitement,
18:47 ni d'en fabriquer des génériques.
18:48 Sur cette situation, Médecins du Monde a alerté le gouvernement.
18:52 Dernier recours pour imposer la levée des brevets restants.
18:55 L'État a les moyens de s'extraire du système des brevets lorsqu'il y a danger pour la santé
19:02 publique.
19:03 Lorsque le prix anormalement élevé qui est associé à un brevet, anormalement mérité,
19:08 empêche l'accès aux soins, il a un outil qui est très fort qui s'appelle la licence
19:12 d'office.
19:13 Il prend la main sur le brevet pour confier la production du médicament à un compétiteur
19:19 sur un prix que l'État fixera.
19:22 Jusqu'alors, le gouvernement ne s'est pas prononcé sur ce sujet précis.
19:27 Les brevets sur le Timria protègent le gène introduit dans les globules blancs, mais pas
19:32 le processus de modification génétique, ce qui permet à d'autres laboratoires de reproduire
19:37 ce procédé.
19:38 C'est ce qu'a fait le CHU de Liège, en Belgique.
19:42 Les équipes du professeur Beguin ont repris le principe de production du Timria pour fabriquer
19:47 un traitement similaire.
19:48 Les cellules sont prélevées chez un patient, ce sont des lymphocytes tout à fait naturels
19:54 qui circulent dans le sang du patient.
19:55 Et une fois qu'on les a prélevées au patient, on vient ici au laboratoire avec ces cellules
20:00 dans un sac et on connecte le sac à cet incubateur qui permet d'injecter dans le sac le vécu
20:07 du vecteur viral que l'on veut introduire dans les lymphocytes du patient pour qu'ils
20:12 deviennent un quart-ticelle.
20:14 Et puis, une fois que tout ça est fait, il y a une période de quelques jours de culture
20:21 pour permettre à ces lymphocytes transformés génétiquement de se multiplier pour qu'il
20:26 y ait une quantité adéquate que pour pouvoir traiter un patient et même plus.
20:32 Le traitement fait actuellement l'objet d'essais cliniques.
20:35 Et si ces tests sont concluants, il pourrait devenir une alternative moins chère au Chymria.
20:40 Le prix actuel, un seul traitement, une seule injection, 320 000 euros.
20:46 Ici, on estime que si on produit chez nous les mêmes quart-ticelles, on pourra probablement
20:54 être trois fois moins cher que ce prix actuel.
20:57 Six patients ont été traités au CHU de Liège dans le cadre des essais cliniques.
21:04 Et pour la plupart, les signes de la maladie ont déjà disparu.
21:08 Alors, on vient de l'entendre, finalement, seul l'État peut casser en quelque sorte
21:14 les brevets et garantir l'accès à ce type de traitement salvateur mais onéreux.
21:18 Pauline Nondex, est-ce que véritablement les États sont prêts à forcer la main au laboratoire ?
21:24 Est-ce qu'il y a un manque de volonté politique là-dedans ?
21:27 Alors, clairement, tous les outils juridiques sont réunis pour que les États, s'ils le
21:30 souhaitent, aient recours à ce qu'on appelle la licence d'office ou licence obligatoire
21:34 ou que les examinateurs des bureaux des brevets rejettent des demandes de brevets abusifs
21:38 comme celle dont on parlait.
21:39 Ça, c'est possible, les outils juridiques sont en place.
21:43 En revanche, ce qu'on observe, c'est qu'il y a des pressions qui sont exercées par l'industrie
21:47 pharmaceutique pour que certains pays n'utilisent pas, n'aient pas recours à ces licences
21:53 qui permettraient donc une accélération de l'accès aux médicaments génériques.
21:56 Oui, mais alors quand on voit, et je me tourne vers vous Thomas-Clid Christensen, quand on
22:01 est un secteur comme celui de l'industrie pharmaceutique au Danemark, vous êtes une
22:06 part importante du PIB, forcément on a des arguments assez importants à faire valoir
22:12 auprès de son gouvernement.
22:13 Le Danemark est une grande nation en matière d'industrie pharmaceutique.
22:19 Notre empreinte sur l'économie danoise est importante.
22:23 Je crois qu'il est reconnu dans le monde entier que les brevets fonctionnent, ont fonctionné
22:30 et qu'ils créent de l'innovation.
22:32 Nous réfléchissons du côté des industriels, y compris au niveau européen, à des modèles
22:38 économiques innovants.
22:40 Comme Sabine l'a mentionné, les choses ne fonctionnent pas toujours et on pourrait alors
22:46 partager le risque.
22:47 Si ça ne marche pas, on ne paye pas et si ça marche, on paye.
22:52 Mais l'octroi de licences obligatoires n'est pas une bonne idée car cela générerait
22:56 énormément d'insécurité et cela freinerait l'innovation à l'avenir.
23:01 Oui, j'aimerais revenir sur ces systèmes de paiement dits innovants.
23:06 Ils ne sont pas si innovants que ça.
23:09 Pay for performance, risk sharing, ils existent déjà depuis 10 ans.
23:14 Et le problème c'est qu'ici, c'est toujours lié à des rabais confidentiels.
23:19 Tout à l'heure, on s'est demandé, que peuvent faire les Etats ? C'est vrai, les Etats peuvent
23:25 faire beaucoup de choses.
23:26 Mais en comparaison, si on regarde bien, face à l'industrie pharmaceutique, les Etats
23:31 ne sont certainement pas assez forts sur le plan individuel.
23:35 Alors justement, les Etats individuellement ne sont pas assez forts Corentin.
23:40 Face à cela, certains membres de notre atelier se sont prononcés pour un encadrement encore
23:45 plus strict des brevets.
23:46 Oui, et ça nous a donné une petite illustration de la force des laboratoires parfois sur les Etats.
23:52 Vous allez voir, écoutez, Hélène Thohen, elle a fait une plaidoirie, elle est avocate des Pays-Bas.
23:56 Mais elle a aussi eu une réponse juste derrière de la représentante norvégienne de Novartis.
24:01 Écoutez.
24:02 Le système actuel ne permet pas de savoir quand les entreprises ont gagné assez.
24:10 Les brevets sont là pour permettre aux entreprises qui innovent de récupérer leurs investissements.
24:16 Mais on n'a aucun moyen de savoir à quel moment c'est assez, à quel moment elles
24:20 ont récupéré leur mise.
24:21 Et souvent, elles récupèrent plusieurs fois ce qu'elles ont investi.
24:26 Je pense que la clé, c'est la transparence.
24:29 Si les chiffres sont sur la table, alors on peut vraiment savoir, et de manière juste,
24:36 combien doit vraiment être investi, afin qu'il y ait suffisamment d'essence dans
24:40 le moteur à investissement.
24:41 Je ne pense pas que n'importe quelle autre industrie accepterait de montrer ses prix
24:48 à la concurrence.
24:49 En ce qui nous concerne, en Norvège, le système est basé sur des appels d'offres, et si
24:54 on devait faire la transparence sur nos offres, des entreprises comme Novartis n'investiraient
24:58 plus en Norvège.
24:59 Véronika vient de dire quelque chose de très intéressant.
25:04 La transparence nous ferait quitter le marché norvégien.
25:07 Ça, c'était une menace.
25:09 Désolé, mais c'est très concret.
25:11 Et je pense que tous les pays réfléchissent comme ça.
25:14 Si on force l'industrie pharmaceutique à la transparence, ils vont partir.
25:18 Mais en fait, nous devons travailler tous ensemble, au moins au niveau européen, afin
25:22 de créer une transparence européenne.
25:24 Sabine Wögler, je me tourne vers vous.
25:27 Là, c'est clairement, en fait, vous appelez de vos voeux une transparence sur les prix,
25:31 sur les investissements, et on a une représentante qui dit « si vous nous mettez une transparence,
25:36 nous, on s'en va ». Est-ce que véritablement les États sont assez puissants pour ça ? Est-ce
25:40 qu'il ne faudrait pas une législation au niveau européen pour faire face à ces big
25:45 pharma ?
25:46 Je pense qu'on l'a entendu.
25:49 Nous n'investirons plus.
25:51 Il y a là quelque chose de l'ordre de la menace, alors que je pense que la coopération
25:56 est tout à fait possible, et ce, dans différents domaines.
26:00 Nous n'avons pas encore parlé de l'achat groupé.
26:03 Et on peut dire beaucoup de choses sur les vaccins Covid, mais dans cette situation de
26:07 crise, les États membres européens se sont réunis et ont acheté ensemble.
26:12 Ils ont coopéré ?
26:15 Bien sûr.
26:17 Je trouve que la crise du Covid que nous venons de connaître et sa gestion ont montré
26:22 qu'en moins d'un an, nous avons disposé de plusieurs vaccins très efficaces grâce
26:26 au fait que les industriels ont travaillé ensemble.
26:28 Les brevets ont justement permis de partager les résultats de recherche, ont permis une
26:34 coopération entre les universités, et le fait qu'on ait disposé d'un vaccin en
26:39 seulement un an, cela me semble être une énorme réussite.
26:42 Mais vous comprenez, Thomas Kristensen, qu'aujourd'hui, cette demande de transparence, notamment sur
26:49 les prix, notamment sur vos investissements, sur le retour sur investissement, c'est
26:54 une demande générale.
26:55 Est-ce que vous pouvez aller contre l'histoire et contre les citoyens, notamment européens,
26:59 qui vous demandent des comptes ?
27:00 Mais c'est très difficile à évaluer.
27:03 Le prix total d'un médicament représente-t-il seulement le projet qui finit par aboutir,
27:07 ou alors faut-il prendre en compte les milliers de projets qu'il a fallu ne pas retenir
27:11 et qui représentent eux aussi un coût ?
27:12 Thomas Kristensen, je constate que vous ne voulez pas répondre à ma question, mais
27:16 du coup, je vais poser la question à votre voisine, Pauline Londex.
27:19 Parce que, Pauline, je vais me faire l'avocate du diable, mais on est aussi dans le secret
27:24 des affaires, après tout, est-ce qu'on peut demander à des industriels, je ne sais pas,
27:28 de l'automobile, de l'informatique, de révéler leur modèle économique, c'est aussi les
27:33 affaiblir ?
27:34 Alors, bon, on entend qu'il y a peut-être une forme de transparence, mais de là à
27:38 lever les brevets ?
27:39 En fait, le problème, c'est qu'on n'est pas dans une industrie comme une autre.
27:43 Quand on n'a pas accès à un médicament, on meurt.
27:46 Quand on n'a pas accès à une voiture, on peut aller chez un autre concessionnaire.
27:50 Malheureusement, quand on n'a pas accès à l'insuline, pour prendre l'exemple de
27:53 l'insuline, on meurt.
27:55 Et c'est le cas aujourd'hui de 50% de la planète qui n'a pas accès à l'insuline.
27:58 Donc, en fait, on n'est pas du tout dans le même débat.
28:01 Les produits de santé ne peuvent pas être considérés comme des biens de consommation
28:04 puisqu'on en a absolument besoin pour survivre.
28:07 Moi, ce que je trouve assez désespérant dans le débat, c'est d'entendre qu'à
28:10 chaque fois qu'il y a une volonté des États qui investissent vraiment à toutes les étapes,
28:15 qui investissent en recherche et développement, etc., à chaque fois, l'industrie pharmaceutique
28:19 répond.
28:20 Vous voulez un peu plus de transparence ? Eh bien, nous, on va partir.
28:22 Pour moi, c'est du chantage.
28:24 Et ça me met hors de moi quand on sait les conséquences que ça a pour les hôpitaux
28:28 publics dans certains pays et le manque d'accès et des gens qui meurent faute de traitement
28:33 dans les pays en développement.
28:34 Alors, justement, on a eu un témoignage de cet ordre, Corentin, durant notre atelier,
28:40 lié justement aux politiques de prix et aux brevets.
28:44 Oui, justement.
28:45 Le prix d'un médicament, il est fixé avec une négociation entre l'État et le laboratoire
28:49 pharmaceutique.
28:50 Sauf que parfois, cette négociation, elle est un petit peu à sens unique, dans le cas
28:53 d'un médicament breveté, un laboratoire qui a le monopole et donc qui dit à l'État
28:57 "Voilà le prix, et puis sinon, vous ne pouvez pas bénéficier de ce médicament".
29:00 C'est ce qui est arrivé avec le médicament Orkambi, un médicament contre la mucoviscidose
29:04 au Royaume-Uni.
29:05 L'État et le laboratoire n'ont pas réussi à se mettre d'accord sur le prix du médicament.
29:09 Il est donc resté bloqué aux portes du pays, privant ainsi beaucoup de patients de l'accès
29:12 à ce traitement.
29:13 Gaëlle Pledger était l'une de nos invitées dans notre atelier.
29:15 Elle a justement un proche qui était touché par la mucoviscidose et elle s'est battue
29:19 pour qu'il puisse avoir son traitement.
29:20 Bien sûr, je m'attendais complètement à ce que mes proches et d'autres aient automatiquement
29:27 accès à ce médicament.
29:28 Nous sommes l'une des premières économies au monde au Royaume-Uni et j'avais entendu
29:34 des problèmes d'accès aux médicaments dans les pays à bas revenus.
29:37 Mais je ne m'attendais pas à ce que ça affecte nos vies à nous.
29:41 Donc, ça a été un grand choc pour moi et pour des milliers de familles au Royaume-Uni
29:46 quand on a appris qu'on n'allait pas pouvoir avoir ce médicament.
29:49 Du coup, on a commencé à faire campagne et ça a pris des mois, puis des années.
29:57 Et durant cette période, au moins 200 jeunes patients sont morts dans le pays.
30:01 En gros, le Royaume-Uni était raquetté par la compagnie pharmaceutique qui pratiquait
30:06 des prix très élevés.
30:07 Pourtant, le médicament en question avait été initialement financé par les dons d'organisations
30:13 caritatives et par des aides des gouvernements aux États-Unis et au Royaume-Uni.
30:18 Finalement, notre campagne a réussi.
30:20 On a vu qu'en Argentine, il y avait une entreprise qui fournissait une version générique du
30:26 médicament, où il n'y avait pas de brevet.
30:28 Et c'est uniquement lorsqu'on a commencé à menacer de l'acheter que les choses ont
30:34 commencé à changer, parce qu'il n'y avait aucune autre menace qui pouvait pousser cette
30:38 entreprise pharmaceutique à agir avec responsabilité.
30:41 Il doit y avoir quelque chose qui ne fonctionne pas quand les compagnies pharmaceutiques ont
30:45 tellement de pouvoir qu'elles peuvent rançonner les patients de cette manière, alors qu'ils
30:49 perdent la vie par centaines, par milliers.
30:52 Quelque chose doit changer.
30:53 Thomas Christensen, quelque chose doit changer.
30:59 Finalement, vous avez des industries pharmaceutiques qui rançonnent, qui raquettent les États.
31:05 Les mots sont forts quand même.
31:06 Je ne vois pas les choses comme cela.
31:11 Ce sont des exemples très concrets sur lesquels je dois me prononcer.
31:14 La fixation des prix est effectuée dans les différents États, en dehors de la compétence
31:20 de l'Union européenne, qui valide le médicament.
31:22 Au Danemark, par exemple, quand un brevet expire, le prix chute de 75-95% dès le premier
31:29 jour.
31:30 Cela libère des ressources dans le système pour les produits innovants.
31:35 L'idée, ce serait, dans votre vision des choses, un brevet tombe dans le domaine public
31:41 et il y a une compétition par les génériques et il y a un prix qui baisse automatiquement.
31:44 Sauf que tout à l'heure, on a entendu parler de la pratique d'« evergreening », qui
31:47 consiste à prolonger par des dépôts de brevets continu sur des médicaments, et ce
31:52 qui prolonge artificiellement la durée des brevets.
31:55 C'est l'exemple de l'insuline, découverte il y a 100 ans, et pour laquelle des brevets
31:58 ont été progressivement déposés, et aujourd'hui c'est encore sous brevet.
32:03 On n'est pas dans une situation où les brevets tombent dans le domaine public et tout d'un
32:07 coup il n'y a plus de brevet.
32:08 Donc ça, c'est vraiment une clé parce que ça permet de comprendre que les prix ne chutent
32:12 pas du jour au lendemain.
32:14 Sabine Vogler, là-dedans, il y a le prix des médicaments, mais il y a aussi le prix
32:18 pour nous collectivement, pour nos assurances maladie.
32:21 Quand on parle de « rackettes », comme on vient de l'entendre, est-ce que vous
32:25 diriez que sur ces pratiques de prix, les laboratoires parfois peuvent racketter les
32:29 États ?
32:30 En ce qui concerne les prix, nous sommes maintenant, et nous l'avons également entendu,
32:36 dans une situation très problématique, où les pays riches disent aujourd'hui « nous
32:41 ne pouvons plus nous permettre ces prix », ou alors « nous mettons durablement en danger
32:45 nos systèmes de solidarité ». Les États le disent parce que ce sont eux qui payent.
32:52 Ce sont des sommes que les particuliers ne pourraient pas payer.
32:56 Or nous sommes très heureux d'avoir des systèmes de santé financés par la solidarité,
33:00 n'est-ce pas ? Et pourtant, nous mettons durablement ces systèmes en danger.
33:05 Et ce n'est pas soutenable, Pauline Landex, pour nos systèmes de santé, pour nos sécurités
33:10 sociales ?
33:11 Non, ce n'est pas soutenable, et ce sont les États eux-mêmes qui le reconnaissent.
33:14 C'est pour ça qu'une résolution sur cette question a été portée à l'OMS en 2019,
33:19 donc elle a été adoptée par les États membres.
33:21 Et c'est très clair, on ne peut pas continuer comme ça parce que quand on a un traitement
33:24 contre l'hépatite C en 2014 qui est commercialisé pour 41 000 euros, et qu'aujourd'hui on
33:29 a un nouveau traitement commercialisé pour 2 millions d'euros, on voit bien qu'il
33:32 y a une dynamique exponentielle d'augmentation des prix, et que si on ne réinjecte pas un
33:37 petit peu de transparence, on n'y arrivera plus et on ira vers un déremboursement ou
33:41 des coupes de soins, autres soins qui sont absolument nécessaires.
33:44 Thomas Clete-Christensen, à un moment il va bien falloir baisser vos prix.
33:47 On a fait des calculs sur le marché danois du coût total des dépenses de santé.
33:54 Les prix des médicaments ont été stables ces dix dernières années et représentent
33:59 environ 12,5% de l'ensemble des dépenses de santé.
34:04 Je sais qu'au niveau de l'Union européenne, elles se situent plutôt à environ 15%.
34:09 Je sais bien qu'il y a des exemples de médicaments très très chers, ce qui éveille souvent
34:14 l'attention du public.
34:15 Mais si l'on considère les budgets totaux des dépenses de santé, ce ne sont pas les
34:21 médicaments qui les alourdissent.
34:23 Alors, le problème de cette inflation aussi, c'est que les traitements sont bien souvent
34:30 réservés aux pays les plus riches qu'Aurantin, et on l'a vu notamment avec le vaccin contre
34:33 le Covid-19.
34:34 Oui, c'est un exemple qui est vraiment sans équivoque.
34:36 Si on regarde les taux de vaccination, par exemple, vous avez 3% en République démocratique
34:40 du Congo, de la population qui est vaccinée, au Soudan, au Niger, en Algérie, on est autour
34:44 de 16%, alors que je vous le rappelle, en Allemagne et en France, on est à 80% de personnes
34:49 qui ont reçu leur 3 doses.
34:50 Il ne s'agit pas de dire que les brevets sont la seule cause de cette différence, mais
34:53 en tout cas, ça joue selon l'Organisation mondiale du commerce, puisque l'année dernière,
34:57 ils ont appelé, ainsi que les États-Unis, à la levée des brevets sur les vaccins anti-Covid.
35:01 Thomas Clitch-Christensen, qu'est-ce que ça vous inspire justement ? Est-ce qu'il
35:05 ne va pas falloir transformer complètement vos pratiques pour devenir véritablement
35:10 un acteur de santé et pas juste un acteur de profit ?
35:13 Je crois que tous ceux qui travaillent dans l'industrie pharmaceutique pensent aux patients,
35:19 c'est pour ces derniers qu'ils travaillent.
35:20 Il est bien entendu qu'on peut toujours discuter des prix et il y a certains exemples
35:28 complexes, mais si on regarde les 20 dernières années, il a été produit 650 nouveaux médicaments
35:36 et il y en a encore 8000 dans les tuyaux.
35:38 Cela bénéficie bien entendu aux patients.
35:41 Nous souhaitons être un partenaire et proposer des solutions.
35:44 Actuellement, l'Union européenne prépare une nouvelle stratégie pharmaceutique.
35:49 On y examine certaines questions sur l'accessibilité, car nous souhaitons assurément une solution
35:54 et notre objectif est de diffuser nos produits à autant de patients que possible.
35:58 On aura au moins réussi à faire converger les parties que vous représentiez tous ce
36:05 soir autour de l'accessibilité, du prix et de l'accès à la santé.
36:09 Merci beaucoup à tous les trois d'avoir été avec nous.
36:12 Merci Corentin.
36:13 Tout de suite, c'est notre grand entretien.
36:15 Je reçois le professeur Peter Draus.
36:19 Comment définir la propriété intellectuelle ? Quels en sont les risques ? Et pourquoi
36:26 posséder l'abstrait ? C'est à ces questions que réfléchit le professeur Peter Draus
36:31 depuis plus de 30 ans.
36:32 Spécialiste des questions de propriété intellectuelle, il enseigne à l'Institut
36:36 Universitaire Européen de Florence.
36:38 Son livre « Philosophie des lois de propriété intellectuelle » est une référence.
36:43 Bonsoir Peter Draus.
36:44 Bonsoir.
36:45 Je suis ravi d'être ici.
36:47 On est ravi de vous recevoir.
36:48 Alors expliquez-nous Peter Draus, on vient d'avoir un débat autour des brevets.
36:53 Est-ce que vous pouvez me dire à quoi sert la propriété intellectuelle ? Qu'est-ce
36:56 que ça veut dire de posséder une idée ?
36:58 C'est un sujet avec une longue histoire.
37:03 Voici donc la version courte.
37:05 La propriété intellectuelle concerne ce qui est immatériel, ce que nous ne pouvons
37:12 pas toucher, manger ou sentir.
37:15 Ce n'est pas comme un objet de propriété sur un terrain, par exemple, sur lequel nous
37:21 pouvons marcher.
37:22 Cette distinction entre immatériel et matériel remonte à l'époque du droit romain.
37:29 Et de nos jours, nous avons des systèmes très complexes relatifs à la propriété
37:35 de ces objets que nous ne pouvons pas toucher, sentir ou voir.
37:40 Mais alors, du coup, c'est de là qu'est née la notion de brevet.
37:44 On brevet de quoi ? Une idée, une innovation, une pensée ? Qu'est-ce qu'on peut breveter
37:51 ?
37:52 Les idées ne sont pas vraiment le sujet central du droit des brevets.
37:57 En fin de compte, pour obtenir un brevet, vous devez définir votre invention en étant
38:03 plus précis.
38:04 Donc, par exemple, si je dis « je voudrais breveter l'ADN », ce n'est pas vraiment
38:12 suffisant.
38:13 Ou cela ne suffit pas non plus de demander un brevet sur toutes les inventions à base
38:18 d'hydrogène.
38:19 Vous devez, en quelque sorte, rendre votre invention un peu plus précise que cela.
38:25 Mais vous avez mis le doigt sur un problème.
38:29 Les frontières des objets immatériels sont floues.
38:33 Vous savez, nous ne savons pas vraiment où elles commencent ni où elles finissent.
38:37 Ce n'est pas comme un bloc de terre autour duquel vous avez une frontière.
38:42 Mais alors, ne faudrait-il pas laisser une partie de ces innovations dans le droit commun
38:47 parce que finalement, c'est aussi une question de santé publique auxquelles nous devrions
38:51 pouvoir avoir accès tous ?
38:52 Dans les temps anciens et pendant la période médiévale, on a compris que les droits de
38:58 propriété ou d'autres limites posées autour de la connaissance sont très dangereuses.
39:03 Simplement parce qu'il est difficile de savoir où une limite de connaissance commence et
39:08 où elle s'arrête.
39:09 Mais, pardon, est-ce que là-dedans, on a été trop loin dans notre rapport au brevet,
39:17 à la propriété intellectuelle en faisant de ces savoir-faire ancestraux, de ces molécules
39:22 qu'on connaissait, parfois même du vivant ? Est-ce qu'on a été trop loin dans cette
39:26 dimension-là ? Est-ce qu'il faut revenir à cette notion de bien commun pour l'humanité ?
39:30 Je dirais incontestablement oui.
39:34 Nous sommes allés trop loin en tant que société.
39:37 Mais ce n'est pas nous, les citoyens, qui avons fait ces choix.
39:40 Ce sont nos responsables politiques qui ont fait ces choix.
39:43 Et ils l'ont fait sous l'influence de beaucoup de lobbying.
39:46 C'est ainsi que les droits de propriété intellectuelle ou les privilèges de monopole
39:51 n'ont pas été définis de manière efficiente.
39:54 Ils sont le fruit d'un lobbying.
39:55 Donc, il s'agit là d'un sujet politique compliqué pour lequel il est difficile de
40:00 faire marche arrière.
40:01 Mais là, est-ce qu'on n'est pas arrivé à la limite, en fait, d'une forme de caporalisme,
40:07 d'une forme de despotisme de la part d'industries qui sont aujourd'hui plus fortes que les
40:11 États sur ces questions ?
40:12 Je ne pense pas qu'il sera possible de revenir en arrière.
40:17 Parce qu'à mon avis, l'aspect politique est trop complexe et qu'il est invisible.
40:21 Je veux dire qu'en fin de compte, la plupart d'entre nous ne comprennent pas vraiment
40:26 le système des brevets.
40:27 C'est un jeu que les insiders gagnent et que les citoyens ont tendance à perdre.
40:32 Donc, à mon avis, ce sera très difficile de résister aux politiques dans ce domaine
40:39 de la propriété intellectuelle.
40:40 Quand vous regardez l'histoire, la durée des brevets a augmenté, celle des droits
40:46 d'auteur aussi.
40:47 Ces droits sont devenus de plus en plus forts, pas plus faibles.
40:51 Oui, mais alors, moi j'entends dans ce que vous nous dites que ça pose aussi une question
40:54 démocratique.
40:55 La puissance, justement, de ces brevets, le fait qu'on privatise, finalement, des savoir-faire,
41:01 que cette dimension de bien commun, elle est mise de côté par rapport au profit, ça
41:07 pose une question démocratique.
41:08 Je pense que c'est en grande partie une question de démocratie.
41:12 Et en fin de compte, les sociétés qui définissent les droits de propriété de manière à promouvoir
41:19 l'égalité, à instaurer la justice, à créer un sentiment d'équité, ont plus
41:25 de chances d'être stables et de mieux s'en sortir sur les questions d'égalité que
41:29 celles qui ne le font pas.
41:31 Je pense que la propriété intellectuelle représente un échec de nos démocraties.
41:36 J'entends par là qu'on peut voir les choses ainsi.
41:39 Les compagnies pharmaceutiques sont vraiment comme les propriétaires invisibles d'objets
41:44 invisibles, non ? C'est vraiment ce qu'il se passe.
41:48 Et tout ce qu'ils veulent, c'est continuer à nous faire payer de plus en plus de loyers.
41:53 Cela nous ramène à la question de l'invisibilité, des propriétaires invisibles qui nous font
41:58 payer pour l'utilisation de connaissances.
42:00 À mon avis, il y a là un très gros problème, et il sera difficile d'inverser la tendance.
42:06 Je pense qu'il s'agit donc en partie de conscientiser les citoyens sur cette question.
42:13 Mais Peter Draus, diriez-vous, vous, le spécialiste de propriété intellectuelle, qu'il faut
42:19 l'abandonner ?
42:20 Je pense que nous devons réfléchir à des systèmes alternatifs.
42:24 Il est possible que si nous construisons de meilleurs systèmes, basés sur les principes
42:29 open source par exemple, cette idée que certaines données relatives à la connaissance devraient
42:34 être librement disponibles pour que tout le monde puisse les utiliser, alors un plus
42:40 grand nombre de scientifiques, par conscience, choisiront de prendre part à ces systèmes
42:44 plutôt qu'à des systèmes brevetés.
42:46 Si nous construisons des alternatives, beaucoup de jeunes scientifiques dans les universités
42:53 devront faire un choix, n'est-ce pas ? Ils se diront « je peux aller travailler pour
42:59 les grandes entreprises pharmaceutiques et gagner beaucoup d'argent », ou « je peux
43:03 travailler dans un environnement open source et la reconnaissance publique sera une récompense
43:08 ». Je pense que nous devons compter sur l'esprit rebelle d'une partie de la jeunesse.
43:14 Je pense que nous devons croire qu'il y aura suffisamment de personnes, comme les
43:19 programmateurs informatiques, qui finissent par créer leur propre culture, une culture
43:23 du partage, à qui l'idée de résister à l'establishment plaît.
43:27 Et je pense que nous devons essayer de créer plus de possibilités pour que ces esprits
43:33 rebelles œuvrent pour le bien social, que ce soit en résistant sur le plan du changement
43:38 climatique, en protestant contre les injustices sociales ou en luttant contre la propriété
43:43 intellectuelle.
43:44 Voilà, écoutez, croyez en cet esprit de rébellion.
43:48 Voilà, je resterai sur ce message.
43:52 Merci beaucoup Peter Draus.
43:53 Voilà, 27, c'est fini.
43:54 Mais comme vous le savez, notre grande consultation continue.
43:57 Vous êtes très nombreux à y participer.
43:59 Alors merci.
44:00 Dans les prochaines semaines, nous discuterons de la 5G, des retraites, du lien entre sport
44:04 et politique ou encore de sécurité nucléaire.
44:07 Vous avez envie de débattre, surtout écrivez-nous.
44:10 27, c'est fini sur cet écran, mais ça continue sur tous les autres.
44:13 Alors n'hésitez pas à réagir et à commenter sur les réseaux sociaux.
44:17 Très belle semaine à tous.
44:19 Tchuss !
44:19 [Musique]
Recommandations
0:51
|
À suivre
0:46
2:11
50:56
8:31
7:07
1:45