- hier
Mayeul, 39 ans, est un ancien militaire du 8e régiment de parachutistes d’infanterie de marine. Il publie, pour la première fois, un récit de terrain autour de l’embuscade d’Uzbin, en Afghanistan, le 18 août 2008 : une journée meurtrière au cours de laquelle dix militaires français ont perdu la vie. Après cet évènement traumatisant, Mayeul a entamé un parcours du combattant pour réapprendre à vivre, suite à un syndrome de stress post-traumatique.
Il raconte son chemin de résilience dans "La Voie du Soldat", paru le 22 mai aux Mareuil Editions.
"STORY", c'est tous les lundis à 18h30.
Il raconte son chemin de résilience dans "La Voie du Soldat", paru le 22 mai aux Mareuil Editions.
"STORY", c'est tous les lundis à 18h30.
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00:00Un de mes frères d'âme qui avait été attrapé vivant et tué.
00:05Quand on l'a mis dans la housse, on ne pouvait pas fermer la housse parce qu'il avait les bras qui étaient tétanisés.
00:10On a dû lui casser le bras pour pouvoir fermer la housse.
00:14Aller faire ça à un ami qui est décédé, il faut vivre avec ça.
00:17Bonjour, je m'appelle Mayol, j'ai 39 ans, je suis un ex-soldat au 8e régiment de para-justice d'infanterie de marine.
00:35Je vais raconter mon histoire sur une embuscade du 18 août 2008 en Afghanistan.
00:47Je rejoins l'armée le 1er février 2005, donc à Castres.
00:52Je me suis engagé parce que j'ai toujours été un amoureux de la nature, un amoureux du sport.
00:58J'ai toujours été un petit peu aventurier et j'ai longuement hésité, tout de même putain-temps,
01:05entre intégrer l'ONF, l'Office National des Forêts, ou intégrer l'armée, le lien commun étant la nature.
01:14Mais mon cœur a penché pour l'armée, j'avais pourtant pas de famille de militaires à ce moment-là.
01:21Et j'ai décidé de signer un contrat de 5 ans au 8e RPIMA à Castres, et donc je suis parti en début 2005.
01:30J'ai choisi le 8e régiment de para-justice d'infanterie de marine parce que j'ai toujours été un fan d'histoire.
01:39Et dans la bibliothèque de mon père, notamment, qui était journaliste et traité beaucoup de sujets de défense,
01:47et aussi était un fan d'histoire, j'ai lu beaucoup de récits sur les anciens,
01:53notamment particulièrement sur la guerre d'Indochine et d'Algérie, du 8e RPIMA.
01:57Et ces histoires ont façonné mon enfance.
02:03Et j'ai très vite compris que ça correspondait, la vie de ce régiment correspondait à mon profil.
02:11Donc une vie d'aventurier, sauter en parachute, le côté un petit peu casse-cou,
02:16et surtout un esprit de camaraderie et d'aventure hors normes,
02:23avec des histoires complètement improbables dans l'histoire de ce régiment.
02:27Et j'avais envie d'aller sur les traces de nos anciens.
02:32Passer du monde civil au monde militaire, c'est le jour et la nuit.
02:37Et quand on est dans un petit cocon familial, où j'ai une famille qui est très soudée,
02:43on est une famille de six enfants, où on n'a jamais manqué de rien,
02:47j'ai eu la chance d'avoir des parents qui nous ont bien élevés et nous aiment beaucoup,
02:53et là on arrive dans un régiment où ça y est, déjà on rentre dans la vie d'adulte,
02:57dans la vie active, mais dans un métier qui est, moi j'appellerais, je dis toujours,
03:05un métier extraordinaire fait par des hommes ordinaires.
03:12Je suis ensuite parti en juillet 2018 en Afghanistan, dans une FOB,
03:20ça veut dire Forward Operation Base, c'est un poste avancé en territoire taliban,
03:23à peu près 300-400 km de Kaboul, à l'est de Kaboul, pas très loin de la frontière avec le Pakistan.
03:33Notre rôle en tant que soldat, c'était de reconnaître des zones sur une grande partie du territoire afghan,
03:42divisé avec tous les soldats de la coalition, bien sûr, il n'y avait pas que l'armée française,
03:47il y avait aussi les Américains, les Canadiens, les Anglais, énormément de pays européens.
03:50Le rôle de chacun, c'était de reconnaître et de contrôler des zones
03:54pour éviter que les talibans reprennent le pouvoir sur ces zones
03:57et ne finissent par arriver à Kaboul et reprendre le pouvoir.
04:00Moi, là, où je suis arrivé en Afghanistan, j'avais 22 ans,
04:04donc on n'est plus des ados, mais on est encore des jeunes,
04:09et donc avec de l'insouciance, avec des rêves pleins la tête,
04:12pour nous, c'était l'aboutissement de longues années de travail et de préparation.
04:19Mais moi, la première impression, c'était un sentiment de peur,
04:24en fait, et de prise de conscience sur le fait que là, on pouvait mourir,
04:31on pouvait ne pas rentrer.
04:32Et preuve en est, puisque, avant même d'être descendu de l'avion sur le tarmac,
04:39en étant juste à la porte de l'avion,
04:41avant de m'engager dans les escaliers pour descendre,
04:44sur l'aéroport de Qaya, l'aéroport américain de Kaboul,
04:48on a vu tous les drapeaux de la coalition qui étaient en berne,
04:51puisque un des leurs était décédé.
04:54Quand un soldat de la coalition décède,
04:56c'est tous les drapeaux de la coalition qui sont en berne.
04:58Et là, on s'est dit, OK, bon, là, il y a des morts.
05:02C'était le 18 août 2008.
05:09Une section de ma compagnie est partie en patrouille le matin.
05:14Ma section, la mienne, nous étions de QRF.
05:18Donc QRF, ça veut dire Quick Reaction Force.
05:21En gros, la mission de la section qui est en QRF,
05:25c'est de rester en bas arrière dans ce camp retranché, dans la FOB,
05:29et d'être prêt à intervenir en moins de 3 minutes pour aller renforcer
05:34si la section qui était en patrouille était prise sous le feu ennemi.
05:39Donc j'étais de QRF ce jour-là.
05:41Entre midi et deux, plutôt en début d'après-midi,
05:43on apprend que la section qui était en patrouille depuis 10-11 heures le matin
05:48était prise sous un feu extrêmement violent et nourri de la part des talibans.
05:54et donc il a fallu aller les renforcer.
05:58Donc ma section, avec le reste de la compagnie,
06:03nous sommes partis en moins de 3 minutes
06:05en urgence renforcer la section qui était prise sous le feu.
06:10Une fois arrivé sur la zone,
06:13déjà le trajet,
06:15on doit mettre à peu près 2 heures pour y aller en véhicule.
06:22Le trajet, on l'a fait à peu près en une heure.
06:25On a décidé d'aller au plus vite,
06:28au risque d'exploser sur un engin explosif improvisé.
06:32Les talibans auraient très bien piégé les routes
06:35pour justement éviter qu'il y ait des renforts qui arrivent.
06:37La chance qu'on a eue, c'est qu'ils ne l'ont pas fait,
06:40qu'ils n'y ont pas pensé.
06:41On a quand même pris ce risque pour aller aider nos amis,
06:44aller aider nos frères d'âme.
06:46C'était un choix qui a été fait
06:48et qui pour moi d'ailleurs me semble toujours juste.
06:52Donc quand on est arrivé là-bas,
06:53on n'a pas réussi à aller jusqu'au pied du village
06:57parce que les véhicules étaient pris sous un feu nourri.
07:02Il y avait des impacts de balles
07:03qui tapaient de partout sur les véhicules
07:06et des explosions de roquettes
07:07sur et sous les véhicules.
07:10Donc on a décidé de débarquer des véhicules très vite
07:12parce que sinon les véhicules allaient se transformer
07:15en cercueil roulant
07:16et d'aller se mettre à couvert.
07:20Et donc ensuite pour pouvoir
07:21s'articuler plus facilement
07:24à couvert
07:26et de pouvoir surtout riposter très vite
07:29pour au moins faire baisser les têtes des talibans
07:33et au mieux, en tout cas ce jour-là, les éliminer.
07:36On était appuyés
07:38avec une section de l'armée afghane,
07:41nationale afghane, l'ANA,
07:43qui au bout de quelques heures de combat
07:46nous ont abandonnés.
07:49Ils ont quitté la zone de combat.
07:51Donc on était de pas de 60,
07:53on est passé à 30 soldats.
07:55Forcément la puissance de feu
07:57est bien plus mince.
08:01Et ensuite, il y a eu beaucoup de choses.
08:03J'ai été pris moi par exemple
08:04pour cible par un sniper taliban
08:07dont j'ai une balle qui a traversé mon sac.
08:10Et donc j'avais une gamelle dedans
08:12qui a traversé la gamelle, le sac,
08:15et 10 centimètres plus à gauche,
08:18la première dans la colonne vertébrale.
08:19Bon voilà, j'ai eu de la chance ce jour-là.
08:22Les balles sifflaient de partout,
08:24sur les rochers, ça tapait devant,
08:25après ça tapait au fil de l'après-midi,
08:27au fur et à mesure que l'après-midi avançait.
08:31Les talibans se sont énormément étalés
08:33sur les lignes de crête.
08:34Ils étaient étalés sur quasiment
08:35plus de 2 km de lignes de crête.
08:37Donc ensuite, les balles tapaient derrière nous.
08:40Et là, on n'avait plus du tout le moyen
08:41de se mettre à couvert.
08:42Dans ma section, on était 30,
08:44divisés en 3 groupes de 10,
08:46à peu près, approximativement.
08:48Donc ça a été vraiment un miracle
08:49qu'on s'en sorte.
08:51La première section qui était partie en patrouille
08:53n'a pas eu cette chance.
08:56Ils étaient complètement imbriqués
08:57avec l'ennemi, donc les talibans.
09:02Et eux, du coup, il y a eu 10 morts,
09:05enfin 9 morts dans la journée
09:06et un dixième mort d'un autre régiment
09:09qui arrive en renfort le lendemain matin
09:10qui mourra d'un accident de véhicule
09:14suite à un éboulement d'un chemin.
09:23Donc on a combattu toute l'après-midi.
09:27Ensuite, voyant qu'on ne pouvait pas
09:29aller aider nos frères d'armes
09:32puisque l'idée, c'était de monter
09:34sur la droite du col,
09:36d'aller jusqu'à la ligne de crête
09:38et de prendre un revers les talibans
09:41pour pouvoir faire une tenaille
09:42et permettre à la première section
09:46qui était sous le feu
09:46de pouvoir au moins se désengager
09:48pour essayer de sauver
09:49le plus possible de nos frères d'armes.
09:52Donc, voyant que ce n'était pas possible,
09:56on a décidé de faire un repli
09:58et donc de se réarticuler,
10:02donc de réembarquer dans les véhicules.
10:05Souci étant, c'est qu'on n'avait quasiment plus de munitions,
10:09ni sur les mitrailleuses qui étaient sur les véhicules,
10:11mais ni sur nous-mêmes avec nos propres armes.
10:13On avait quasiment tout utilisé,
10:16et on ne savait pas combien de temps du tout
10:17les combats allaient encore durer.
10:21Et donc, du coup, on a fait appel à un véhicule
10:23pour qu'il vienne nous ramener des munitions.
10:26Ce véhicule-là, quand il est arrivé,
10:28il a été impacté par les talibans
10:32de manière très puissante.
10:34Donc, il a fait demi-tour,
10:35parce qu'un véhicule qui est à l'arrêt,
10:37c'est un véhicule qui est mort.
10:38Donc, il fallait qu'il soit tout le temps en mouvement.
10:39Donc, il a fait un demi-tour.
10:41Il a ouvert ses portes,
10:43il a jeté des casques de munitions
10:44à 30-40 mètres de mon véhicule.
10:48Et dans un élan de je ne sais trop quoi,
10:53j'ai posé mon casque, mon arme,
10:56qui allait ne me servir à rien à cet endroit-là.
10:59Et j'ai couru à découvert sous le feu ennemi
11:01pour aller récupérer les caisses de munitions
11:03et pouvoir les ramener au véhicule.
11:06Et au moment où je les ai posées dans le véhicule,
11:09les portes arrière du véhicule étaient ouvertes.
11:10Et là, on a reçu une rafale
11:13d'un très gros calibre de la part des talibans
11:16où le premier impact est arrivé sur la porte du véhicule
11:19et complètement au niveau pile-poil,
11:23au niveau de ma tête.
11:26J'ai encore eu la chance de m'en sortir
11:29puisque si la porte avait été fermée,
11:31j'aurais été au moins décapité.
11:34De manière plus globale sur toute la partie combat
11:36qui a duré approximativement de 13h à 20h sans répit.
11:44Je n'ai pas vraiment eu de peur.
11:48J'étais plutôt dans des actes réflexes.
11:50Je faisais mon boulot et j'étais concentré là-dessus.
11:52Donc, je n'avais pas trop le temps de réfléchir.
11:56Mais, bémol,
11:59quand il y avait de très, très courts moments de répit,
12:02je n'appelle pas vraiment ça des moments de répit,
12:04mais de une minute, deux minutes,
12:06en fait, c'était juste le temps que les talibans rechargent,
12:07j'ai...
12:10Je me suis dit, évidemment,
12:12là, je me suis dit, OK, je vais mourir.
12:15Je ne reviendrai pas de cette journée.
12:18Et j'ai eu un espèce de réflexe super curieux.
12:24J'ai cherché mon téléphone
12:25et j'avais acheté un téléphone afghan
12:28avec une puce afghane
12:29pour pouvoir joindre ma famille,
12:30ma conjointe de l'époque,
12:32mes amis.
12:34Et mon téléphone, il marchait très bien.
12:36Il avait toujours très bien marché jusque-là.
12:38Et là, j'ai essayé d'appeler mes parents
12:39pour leur dire,
12:42je ne sais pas ce qui m'avait passé par la tête,
12:44pour leur dire,
12:45je vais probablement mourir aujourd'hui.
12:48J'aimerais simplement
12:49que vous fassiez en sorte que je sois enterré
12:51dans le caveau de mon grand-père paternel,
12:53avec qui j'étais extrêmement proche.
12:56Et je voulais juste leur dire ça et raccrocher.
12:58Et en fait, ce jour-là,
12:59mon téléphone n'a jamais marché.
13:01Plus tard dans la journée,
13:02j'avais essayé de prendre des photos avec ce téléphone.
13:04Il n'a jamais marché.
13:10En plus de me battre avec les talibans,
13:13je devais aussi, moi, écouter les messages
13:15de la section devant qui était prise sous le feu,
13:18écouter les messages de mon commandant d'unité
13:21qui était lui à l'arrière
13:22et qui me donnait des ordres
13:23pour la section,
13:25de les retransmettre à mon chef de section.
13:27On a dû faire des demandes d'appui mortier
13:28pour essayer de nous aider à nous désengager.
13:32Et je devais faire toutes les demandes d'appui mortier
13:34auprès de la section
13:35qui tirait avec les mortiers.
13:38Donc, j'avais quand même un boulot assez considérable.
13:40Et en plus de ça, je devais faire attention à mes copains.
13:46Mais on a vraiment vécu cet après-midi,
13:49cette journée de combat vraiment tous différemment
13:51puisque j'ai le souvenir d'un collègue, d'un camarade
13:54qui, lui, les combats étant tellement intenses,
13:58je l'ai vu poser son arme et essayer de creuser un trou avec son casque.
14:03Et en fait, je ne sais pas ce qui s'est passé dans son cerveau à ce moment-là,
14:05mais on a très vite deviné que lui était déjà inapte au combat
14:10et sans jugement.
14:12Et en fait, il était en train de s'enterrer vivant.
14:14Donc ensuite, en fin de journée, nous sommes partis jusqu'au village
14:19où là, c'était l'hécatombe.
14:21Il y avait des camarades, des frères d'arbre complètement déboussolés,
14:26d'autres qui étaient blessés par balle,
14:28donc pris en charge par des médecins qui étaient arrivés avec nous,
14:31avec des postes de garros.
14:35Les véhicules étaient criblés de balle, comme les nôtres.
14:39Il fallait faire le point, déjà.
14:42Il fallait temporiser un peu la situation.
14:44Et les tirs, c'était quand même relativement calmé.
14:48Il était 20, 21 heures.
14:51La nuit était en train de tomber.
14:52Les talibans, la chance que nous avions, nous,
14:55c'est qu'ils n'étaient pas équipés de systèmes de vision nocturne.
14:58En général, les talibans, les combats de nuit sont assez rares.
15:04Donc on a évalué la situation.
15:07On a commencé à effectuer les premiers soins sur nos frères d'arme blessés.
15:10Et très vite, quand on avait fait le point
15:13de qui était présent, qui était manquant,
15:16sur la première section qui était sous le feu,
15:18on a décidé de partir avec quatre groupes.
15:24Deux groupes de ma section et deux groupes d'un autre régiment.
15:28Et de ratisser le col, faire comme une battue à la chasse.
15:33C'est-à-dire que tout le monde se met en ligne et on monte le col.
15:37Et on va chercher nos blessés, on va chercher nos morts.
15:43Puisqu'on n'abandonne jamais personne qui soit mort ou vivant.
15:49On n'abandonne jamais un frère d'arme.
15:50Donc on a décidé d'aller faire cette infiltration dans le col.
15:54Et donc effectivement, avec le risque de devoir se battre et d'éliminer,
15:59peut-être au corps à corps, surtout la nuit,
16:00les talibans, s'ils en avaient encore sur zone.
16:04Là, il y a un sentiment de peur énorme.
16:06C'est quand même hyper éprouvant physiquement.
16:10Même si on était prêt physiquement,
16:12c'est quand même compliqué de tenir.
16:14Et puis, il n'y a pas de surhomme.
16:17Et surtout, rien que le stress, l'hypervigilance,
16:20ça bouffe déjà énormément d'énergie.
16:21Donc en plus, avec le poids du sac, du gilet pare-balles,
16:25du casque, des munitions, ça rend les choses plus compliquées.
16:29Là, on a commencé l'infiltration dans le col.
16:31On a commencé par découvrir le traducteur afghan de l'autre section
16:35qui avait été brûlé en plein milieu du village.
16:38Pour montrer l'exemple aux villageois.
16:40Ça, c'était impressionnant.
16:44Après, ce n'était pas la première personne que je voyais brûler en Afghanistan.
16:48Enfin, c'est quand même très agréable de voir ça.
16:56On commence l'infiltration.
16:57On commence à découvrir les blessés.
16:59On commence à découvrir les morts.
17:03Donc là, c'est pareil.
17:05C'était en pleine nuit.
17:06Un état de stress permanent.
17:08Plus de jus du tout.
17:10Mais, toujours avec ce réflexe de faire le boulot,
17:18c'est un combat contre la gestion de nos émotions.
17:22Parce que là, à ce moment-là, il ne peut pas y avoir de place pour l'émotion.
17:27Si on commence à se laisser submerger par l'émotion à ce moment-là,
17:33on prend tout le risque de se faire tuer.
17:34Parce qu'on ne sera plus concentré.
17:35On va perdre de la concentration.
17:36On sera plus vigilant, autant vigilant qu'on doit l'être.
17:41Autant pour nous-mêmes que pour nos camarades.
17:44Donc, on en discute deux secondes.
17:47Et voilà, on dit, bon, on pleurera nos morts plus tard.
17:49Pour l'instant, on fait le boulot.
17:51Et le boulot, c'est de les retrouver nos gars.
17:54On a eu quand même un petit moment de répit.
17:56Et là, c'était le silence total.
17:57On se regardait tous les uns les autres, sans se dire un mot.
18:02Parce qu'en fait, dans les regards, on se comprenait tous.
18:06Et là, il y a eu beaucoup de...
18:08Moi, je sais que je suis parti pleurer.
18:10Mes officiers aussi, plein de copains,
18:13avaient la tête dans leur famasse entre deux rochers.
18:15Dans leur famasse, c'est une larme qu'on avait.
18:17Ils étaient dans leur rocher en train de pleurer.
18:20Donc, ils avaient des larmes aux yeux.
18:21D'autres étaient de se retenir.
18:22Là, on sentait que là, tout le monde était en train de relâcher.
18:25Tout le monde était en train de craquer.
18:26De prendre le col avant la levée du soleil.
18:29Pour sécuriser la zone.
18:31Et éviter que, justement, ce qui s'est passé aujourd'hui,
18:33ne se reproduise le lendemain.
18:35Et on a bien fait.
18:37Parce que, au fur et à mesure qu'on est monté le col,
18:40on a découvert nos morts.
18:43On nous rendait compte à Kaboul.
18:44Kaboul rendait compte à Paris, évidemment.
18:47C'était un moment très dur.
18:49On s'est ravitaillés.
18:52En plus, la plupart étaient dépouillés.
18:53Ils n'avaient plus de vêtements.
18:55Plus de casques, plus de gilets, plus d'armes, plus de chaussures.
18:59J'en retrouverai un.
19:00Mais j'y reviendrai.
19:00J'en retrouverai un demain, même en slip.
19:03Entre deux rochers.
19:04Il avait juste son slip.
19:07Donc là, on a un sentiment de haine, de vengeance.
19:12Mais bon, on essaie de rester concentré sur le travail.
19:15Et on prend le col au petit matin.
19:17Et au petit matin, il y a une équipe de force spéciale norvégienne qui vient nous appuyer, nous renforcer.
19:24Avec une section aussi de chez nous, dans ma compagnie.
19:27Qui était restée à la FOB pour sécuriser la FOB.
19:30Et donc le commandant, notre commandant décide d'envoyer certains d'entre nous pour ramasser les cordes de mes camarades.
19:40Et donc j'ai été désigné dans les 5-6 qui sont partis, qui sont allés chercher les cordes de mes frères dames.
19:47Et il y en avait un, dont le premier, dont j'étais très proche.
19:51Parce qu'on s'entendait extrêmement bien.
19:53J'avais assisté, j'avais passé toute la soirée avec lui, la veille, dans l'embuscade.
19:58On avait assisté à une messe ensemble.
19:59Parce qu'il y avait un évêque, l'évêque aux armées, qui était venu rendre visite à tous les soldats français.
20:04Et du coup, on avait assisté à la messe avec lui.
20:06On avait dîné avec lui.
20:07Et nous, on avait passé le reste de la soirée ensemble.
20:09Donc en fait, quand je suis allé me coucher, je suis le dernier qui l'a vu.
20:13Et vice versa.
20:14Et puis le lendemain, je lui ai juste dit de faire attention à lui.
20:19Et puis après, je l'ai revu mort.
20:23Il avait été plusieurs fois impacté.
20:25Il avait une balle dans la tête et une balle dans la jambe.
20:28Donc lui, je tenais vraiment à aller le récupérer.
20:33Et c'était un moment hyper violent.
20:34Parce que quand je l'ai porté sur mes épaules,
20:40il y a une partie de sa cervelle qui s'est vidée sur mon bras.
20:43Donc j'ai dû le jeter par terre.
20:45J'avais des nausées terribles.
20:47Mais voilà, par souci de dignité, de respect pour lui, je ne pouvais pas le traîner.
20:52Donc j'étais avec un autre camarade.
20:53On a réussi finalement à se débrouiller, à le porter.
20:55Parce qu'il y avait aussi la rigidité cadabrique qui faisait que le bas.
20:57Il faisait deux fois son poids.
20:59On l'a monté sur le col.
21:01Et je suis redescendu en cherchant un autre.
21:04Je l'ai remonté sur le col et ainsi de suite.
21:05Une fois qu'on avait aligné les corps de nos camarades,
21:09il manquait deux soldats de chez nous.
21:13Et dans le même moment, de manière assez concomitante d'ailleurs,
21:17on a vu un convoi de talibans partir,
21:21donc ne pas venir en une direction, mais partir dans l'autre direction,
21:24mais qui était assez proche du col.
21:25Ça a été vu par un drone américain.
21:29Donc on les a très vite renvoyés pour re-ratisser le col.
21:33Donc on est redescendu encore.
21:35Et donc moi, avec certains de mes camarades,
21:37et effectivement, on a réussi à trouver, par chance,
21:42par chance, oui, nos deux soldats, nos deux frères d'âme qui nous manquaient.
21:47Effectivement, c'était un moment encore terrible,
21:50puisque l'un avait été attrapé vivant et il avait été tué.
21:53de ce qu'on a déduit à coups de pierre,
21:57et un autre de mes frères d'âme, ami, qui avait été gorgé.
22:02Donc lui, on n'a jamais pu le porter,
22:05puisque quand on a essayé de le soulever,
22:08il y a une partie de son cou qui s'est déchiré.
22:10Donc on a dû faire appel à des camarades qui étaient en bas,
22:13restés dans le village, pour faire monter des brancards durs,
22:16pour pouvoir le porter,
22:17parce que c'était impossible de le porter à deux d'hommes.
22:20Et puis clairement, physiquement, on ne pouvait plus.
22:25Donc à ce moment-là, du coup, on a rendu très vite compte à notre hiérarchie.
22:29Et du coup, c'est un avion de chasse américain
22:32qui, du coup, a éliminé le convoi taliban très vite.
22:37Donc voilà, la guerre continue encore.
22:40Et quelques temps après,
22:42quand on a commencé à descendre les deux corps de mes frères d'âme,
22:47avec les cinq, six copains,
22:51on a essuyé un appui à un tiers mortier taliban,
22:54donc le lendemain matin.
22:55Donc en fait, les talibans ont relancé une offensive.
22:58Donc on a dû lâcher les corps de nos camarades dans des trous,
23:01aller se mettre à couvert,
23:01parce qu'on essuyait un tiers nourri de mortier.
23:04Donc vivre un bombardement,
23:06on ne l'avait pas vécu la veille.
23:07Et ça fait extrêmement peur,
23:11parce qu'en fait, là, c'est juste de la chance.
23:14Il ne faut juste pas être là.
23:16Si on n'est pas là au bon endroit,
23:17si on est 30 centimètres à droite ou 136 mètres à gauche,
23:20c'est terminé pour nous.
23:22Donc là, nos snipers ont réussi à déceler les tireurs mortiers.
23:27Donc ils ont pu les éliminer.
23:29Les tiers mortiers sont assez vite calmés.
23:32Mais dans le même temps,
23:32il y a un groupe taliban
23:34qui a réinvesti la ligne de crête un peu plus loin.
23:38Donc il y a eu un échange de tiers avec une autre section.
23:40Et là, ces deux mortiers
23:41qu'ont neutralisait le groupe taliban assez vite,
23:46puisque le tiers avait été,
23:47le tiers ami avait été hyper précis.
23:50Donc on a pu descendre les corps de mes frères d'armes.
23:54Et c'était une fin de bataille,
23:58parce que c'était une bataille,
24:01après quasiment 48 heures de combat et de souffrance.
24:06Et puis voilà.
24:07Moi, on est rentré dans notre phobe.
24:10On a croisé l'armée afghane qui était reposée et qui allait très bien.
24:14Donc ça a été très dur aussi de voir ça.
24:16Parce qu'ils nous avaient abandonnés la veille.
24:19Il n'y a pas eu d'échange avec eux.
24:21Où ça s'est passé simplement entre chefs.
24:25Et ensuite, on s'est remis en condition.
24:29On est en condition dans l'armée, c'est laver nos armes,
24:33nous changer, souffler un peu, prêt à repartir.
24:38Les combats, aussi curieux soient-ils,
24:47je ne les ai pas vraiment mal vécus.
24:48En fait, j'étais tellement concentré sur mon boulot.
24:50J'étais quand même très concentré sur ce que je faisais.
24:52Donc je n'ai jamais vraiment pris le temps de réfléchir.
24:55Par contre, effectivement, pendant la nuit,
24:58au fur et à mesure qu'on évoluait dans la nuit
25:00et qu'on trouvait nos blessés,
25:02dont un qui avait aussi...
25:03C'était criblé de balle quand même.
25:04Il était dans une mare de sang, mais on a réussi à le sauver.
25:09J'ai commencé à réfléchir.
25:11Mais comment je vais vivre ça ?
25:14J'étais tiraillé entre...
25:18Bon, allez, ça y est, j'en peux plus.
25:20Je lâche, j'abandonne, il faut que ça s'arrête,
25:22il faut que je rentre chez moi.
25:23Et il faut que ça continue.
25:26On est pris dans un sentiment de vengeance,
25:28de haine terrible.
25:31C'était très paradoxal, très curieux,
25:33comme mon ressenti.
25:36Mais j'étais très vite rattrapé par le boulot.
25:39Donc finalement, je m'apportais des questions,
25:43mais je n'apportais pas vraiment de réponse à ce moment-là.
25:45Par contre, quand je suis allé,
25:47quand on est arrivé dans le col,
25:49on a eu pour le coup, avant d'aller descendre,
25:51avant de descendre, chercher les corps de nos frères dames.
25:54Et c'est qu'après, c'est qu'en rentrant à la FOB,
25:55quand j'ai pris ma douche,
25:59qui était la meilleure douche de ma vie,
26:02j'en parle dans mon livre, justement,
26:04où j'avais le sentiment,
26:08et pareil, une douche, ça prend cinq minutes,
26:10mais pendant cinq minutes,
26:12j'ai eu un énorme soulagement,
26:15parce que je me lavais,
26:16j'ai enlevé le sang sur mes bras,
26:18que j'avais, mes mains,
26:19le sable, j'avais de la poudre partout,
26:23j'avais le visage noir.
26:26Et en fait, en se lavant,
26:28ces cinq, dix minutes de douche,
26:29j'avais le sentiment de retrouver un petit peu de dignité.
26:32Psychiatre, ce jour-là,
26:34enfin, dès le lendemain, donc le 19 août,
26:36quand il a pris l'embuscade,
26:37il a pris le premier avion à Paris pour Kaboul,
26:39et il nous a suivis dès le lendemain de l'embuscade.
26:42Et c'est ce psychiatre-là,
26:43donc de l'hôpital militaire de Persy, à Clamart,
26:46qui me suivra pendant les deux années suivantes.
26:50Alors j'ai compris que cette mission
26:52avait marqué un tournant dans ma vie.
26:57Je pense le moment, c'était quand j'étais sur le col,
27:01où on a aligné tous les corps de nos camarades,
27:05et on les a mis dans les housses,
27:08et c'est le geste dans des housses mortuaires
27:12qui nous avaient été déposées en hélicoptère.
27:14L'hélicoptère a été mis en survol,
27:15et on les a mis dans les housses,
27:20et quand on a fermé la housse,
27:22on part du pied,
27:23on remonte, comme on ferme un duvet,
27:25jusqu'à la tête.
27:28Et là, on voit en fait en dernier le visage
27:30du monde, je voyais en dernier le visage
27:33de mon frère d'âme,
27:34et là on se dit, ok,
27:36on ne le reverra plus.
27:37Je me suis battu,
27:38je ne sais pas si j'ai tout fait
27:40ou si j'ai bien fait
27:43pour pouvoir que tu restes en vie.
27:45Et là, je me suis dit, ok,
27:47quand la housse est fermée,
27:49qu'on les charge dans l'hélico,
27:50et qu'on voit l'hélico partir,
27:53je me suis dit, ok, là, en fait,
27:54ma vie a radicalement changé,
27:58et je crois très fermement
28:01qu'aujourd'hui,
28:03d'autant plus avec plus de recul,
28:05que j'ai...
28:07C'est à ce moment-là
28:07où j'ai laissé une part intérieure de moi
28:10en Afghanistan.
28:17J'ai été une semaine à Kaboul,
28:20ensuite, j'ai posé à Paris,
28:23et j'ai été, on a été dispatchés,
28:25certains sont partis à l'hôpital militaire
28:26de Bégin à Vincennes,
28:27et d'autres à Persy,
28:29donc à Clamart.
28:31Là, j'ai été immédiatement pris en charge
28:33dans un service psy,
28:35puisque j'étais, donc là,
28:37clairement diagnostiqué
28:38un syndrome de stress post-traumatique,
28:40donc évidemment,
28:41en psy,
28:42que ça se soigne.
28:44Mais c'était plutôt du...
28:48Entre guillemets...
28:49Alors moi, je ne suis pas très calé
28:50en psychiatrie,
28:51mais c'était du milieu ouvert,
28:53c'est-à-dire qu'en fait,
28:54moi, j'avais mes...
28:55Donc je suis resté deux semaines
28:56dans ce service,
28:58mais je pouvais sortir,
29:02aller à la cafétéria,
29:03me balader dans les couloirs.
29:04Je n'étais pas enfermé,
29:06j'étais pour prendre mes repas,
29:08dormir,
29:09et voir le psy dans son bureau.
29:11Le reste du temps,
29:12j'étais quand même assez libre.
29:13Et j'avais un copain
29:14qui était dans une autre compagnie,
29:15mais du même régiment,
29:15qui avait été blessé la veille,
29:16qui avait pris une balle dans la jambe,
29:18qui a été extrêmement blessé,
29:21enfin, très grivement blessé,
29:22je crois que c'est...
29:23Ils me sont l'un des blessés
29:24les plus graves du régiment,
29:25parce que la balle avait sectionné
29:27l'artère fémorale en deux,
29:29et explosé le fémur en mi-morceaux,
29:31avec des résidus de balle
29:32qui étaient encore coincés dans la cuisse.
29:35Et quand je l'ai croisé
29:38sur cette terrasse,
29:39en fait, on était...
29:41on était tous les deux dans les mêmes souffrances,
29:43sauf que lui,
29:43c'était une blessure physique apparente,
29:47et moi, elle était invisible.
29:50Mais la souffrance,
29:51le lien reste le même, en fait.
29:53On avait vécu le feu,
29:54même si c'est deux histoires
29:55complètement différentes.
29:56Lui, il a pris une balle
29:57pour aller sauver
29:58deux de ses camarades,
30:00qui étaient à découvert.
30:01Moi, c'était pour aller
30:04essayer d'aller sauver,
30:05d'aller sauver,
30:06de renforcer mes frères d'armes
30:07qui étaient déjà sous le feu.
30:09Il y avait quand même
30:10des histoires similaires.
30:11Et puis, quand on a vécu ça,
30:12évidemment, de toute façon,
30:13forcément, ça rapproche.
30:16Je crois que moi,
30:17je n'ai pas vécu dans ma vie
30:18aujourd'hui
30:18de lien plus fort que cela.
30:21Et quelque part,
30:22en s'aidant,
30:23en se soutenant l'un et l'autre,
30:25on s'est fait du bien
30:26à nous-mêmes.
30:27Et donc,
30:29j'ai passé deux semaines
30:30à l'hôpital.
30:32J'ai été donc suivi,
30:34je crois que c'était
30:35une à deux fois par jour
30:35par le psychiatre.
30:37Il y a eu beaucoup,
30:37beaucoup de traumatismes
30:41pendant cette nuit-là.
30:44J'en ai un, d'ailleurs,
30:45qui me vient en tête.
30:46C'est un de mes frères d'armes
30:48qui avait été attrapé vivant
30:50et tué.
30:51Et quand on l'a mis dans la housse,
30:54on ne pouvait pas fermer la housse
30:55parce qu'il avait les bras
30:55qui étaient titanisés.
30:57Et on a dû lui casser le bras
30:58pour pouvoir fermer la housse.
31:00Aller faire ça à un ami
31:01qui est décédé,
31:03il faut vivre avec ça.
31:09Les symptômes
31:10que j'avais à ce moment-là,
31:13les cauchemars,
31:14c'était toutes les nuits.
31:17Donc déjà, du coup,
31:18ce qui implique énormément
31:19de problèmes de sommeil.
31:21Mais si on manque de sommeil,
31:23ça rend la journée
31:24très compliquée le lendemain.
31:25Il était impossible pour moi
31:27de dormir dans le noir.
31:29J'étais obligé d'allumer la...
31:30J'avais une petite salle de bain
31:32dans ma chambre,
31:33à l'hôpital.
31:34Je laissais la salle de bain allumée
31:36ou même parfois carrément la chambre.
31:38Après,
31:39quand j'essayais de faire des tentatives
31:41de retrouver une vie normale
31:43et donc de dormir,
31:44la lumière éteint,
31:45comme tout le monde,
31:45une heure après,
31:48je me réveillais en sursaut
31:49pour chercher l'interrupteur.
31:51L'hypervigilance, terrible.
31:54Là, moi, le report qui est claqué,
31:55j'allais me cacher sous un lit.
31:59L'irritabilité,
32:00je devenais agressif,
32:03je devenais violent.
32:04Mais petit à petit,
32:04tout ça s'est monté au crescendo.
32:06Tout n'est pas arrivé d'un coup.
32:09Je n'arrêtais pas de trembler.
32:11J'avais des phases
32:12où je tremblais.
32:13C'est quand j'ai commencé
32:14à sortir de l'hôpital.
32:15Je suis resté deux semaines.
32:17Je suis sorti.
32:17Le médecin a jugé apte
32:20que je sorte,
32:21mais par contre,
32:23pas seul.
32:23J'avais vraiment besoin
32:24d'être entouré de ma famille
32:25parce que ma famille,
32:26j'étais vraiment extrêmement proche d'elle.
32:27On est très soudé.
32:29J'ai eu la chance
32:29d'avoir des parents
32:30qui nous aiment beaucoup
32:32et qui sont une famille extraordinaire.
32:35Donc, je savais
32:35qu'en fait,
32:37avec eux,
32:37je pouvais m'abandonner.
32:38Je pouvais devenir n'importe qui.
32:40Je savais qu'ils ne m'abandonneraient jamais.
32:42C'est à partir de ce moment-là
32:43où le SPT a continué d'évoluer.
32:46J'ai commencé à creuser le fond,
32:49c'est-à-dire
32:50j'ai commencé à m'enfermer,
32:53à plus rien faire de mes journées,
32:55à part
32:55boire des cafés,
32:57fumer des clopes,
32:58appeler les copains
32:59qui étaient rentrés,
33:01manger, dormir.
33:02L'hygiène,
33:03c'était presque même plus ça.
33:05Puis après,
33:05j'ai commencé à plus vraiment me nourrir,
33:07d'ailleurs.
33:07je voulais de plus sortir en ville.
33:11Mes parents habitaient toujours à Orléans.
33:14Mes parents me proposaient de faire des visites,
33:16des sorties,
33:16ils avaient juste se balader dans la rue.
33:18Mais je commençais à avoir peur du monde civil,
33:20peur du regard des autres.
33:23Et puis,
33:23je commençais à avoir aussi peur de moi-même.
33:26Et je ne voulais pas faire du mal
33:27à quelqu'un de méchant,
33:29donc je ne voulais pas faire du mal à qui que ce soit.
33:31Donc,
33:32j'ai très vite commencé à me renfermer sur moi-même
33:35en me disant,
33:35au moins,
33:37oui,
33:37je me fais probablement du mal,
33:39mais au moins,
33:41en me coupant du monde,
33:42je n'en ferai pas aux autres.
33:47Je n'ai pas,
33:49au début,
33:50pendant quand même un certain temps,
33:51eu l'impression d'être compris
33:52ni par l'armée,
33:54ni par ma famille,
33:56mais c'est sans jugement.
33:57En fait,
33:59quelqu'un qui est en face de vous,
34:00qui a des comportements
34:02de plus en plus,
34:03enfin,
34:03qui est complètement irrationnel,
34:05vous n'avez pas vécu ce qu'il a vécu,
34:09vous l'avez juste vu dans des films,
34:12vous pouvez imaginer,
34:13mais tant qu'on n'y est pas,
34:15on ne pourra jamais se mettre à la place
34:17de quelqu'un qui a vécu ça.
34:21Et eux étaient,
34:23en tout cas ma famille,
34:25l'armée un peu moins,
34:26et encore,
34:27étaient complètement démunis face à moi.
34:30et donc forcément,
34:33ça a créé un fossé entre nous.
34:35J'ai été suivi pendant à peu près deux années
34:37par le psychiatre de Persil,
34:40j'ai voulu absolument garder le même.
34:42Il m'avait proposé d'être suivi à Bordeaux,
34:45qui est quand même plus proche de Castres,
34:46que de monter à Paris tous les 15 jours.
34:48Je préférais monter à Paris tous les 15 jours.
34:50Ensuite, il y a mes amis, ma famille,
34:55avec laquelle je m'étais de plus en plus coupé
34:59et éloigné pendant quelques temps,
35:03où petit à petit,
35:05j'ai commencé à raccrocher un peu les morceaux.
35:07J'ai reconstruit en fait sur du long terme,
35:12mais en commençant par des petites choses,
35:14des trucs peut-être qui peuvent paraître anodines,
35:17peut-être même stupides,
35:18mais quand on n'a plus trop d'hygiène de vie,
35:20on ne prend plus trop soin de soi,
35:23dans l'appartement, c'est le bazar,
35:25parce qu'on n'a plus envie de ranger,
35:26on n'a plus envie de rien,
35:27ni de rien faire,
35:28ni de parler, ni d'écouter.
35:30On n'a plus d'envie, quoi.
35:31On est vraiment un zombie.
35:34Petit à petit, faire son lit le matin,
35:39aller se laver,
35:40aller commencer à refaire du sport,
35:43se donner des horaires de réveil,
35:45des horaires de coucher.
35:46En fait, c'est plein de petites choses
35:47qui paraissent anodines,
35:49qui permettent finalement
35:50de retrouver un peu de dignité
35:51et de dire,
35:53ok, en fait, je crois que je pense
35:57que je peux m'en sortir.
35:58En fait, c'est vraiment un facteur
35:59de plusieurs choses,
36:01de la thérapie,
36:03la foi,
36:04les amis,
36:05ma famille,
36:08et puis la résilience.
36:14La résilience, c'est pas...
36:17La résilience, c'est pas ne pas tomber.
36:20La résilience, c'est justement,
36:22c'est de tomber,
36:24parfois même très bas,
36:26et trouver les ressources
36:27nécessaires pour pouvoir remonter la pente.
36:29C'est ça, la vraie résilience.
36:32On rentre...
36:33Moi, je crois fermement
36:35que le syndrome de ce response traumatique,
36:39c'est pas une faiblesse,
36:39c'est une blessure.
36:41Donc une blessure,
36:41ça se soigne comme toute blessure,
36:43en fait.
36:43Et quand j'ai commencé à comprendre ça,
36:47avec du recul,
36:49avec l'altitude nécessaire,
36:51petit à petit,
36:54ça y est,
36:55j'ai compris qu'en fait,
36:55je pouvais avoir une deuxième vie,
36:58entre guillemets,
36:58parce qu'on laisse indéniablement
37:01une partie de soi là-bas.
37:03Mais l'important,
37:04c'est pas de...
37:06c'est d'apprendre à vivre avec.
37:08Et c'est ça,
37:08c'est ça le plus important.
37:10Et quand j'ai commencé
37:11à comprendre ça,
37:12petit à petit,
37:13j'ai mis plein de petites choses
37:14en place.
37:16Et c'est comme ça
37:17que j'ai réussi à m'en sortir.
37:23Après, je me suis reconverti.
37:27Après un long chemin
37:28de reconstruction,
37:30je me suis reconverti
37:31dans la sécurité privée.
37:34Donc je suis parti
37:35pendant plusieurs années
37:38en formation
37:40pour être formé
37:41dans ce domaine-là
37:42et pour travailler
37:44dans des pays
37:44dans lesquels
37:46travaillent des sociétés françaises.
37:48Donc je fais
37:49la protection rapprochée.
37:51Donc j'ai travaillé
37:53sur l'océan Indien
37:53dans le domaine
37:55de l'antipiraterie
37:56pour protéger
37:57les bateaux d'attaque
37:57de pirates,
37:59notamment sur le large
38:01de la Somalie
38:02et plus globalement
38:04sur la partie est de l'Afrique.
38:06En fait,
38:06ces missions-là,
38:07beaucoup de gens,
38:08au début,
38:08n'ont pas compris
38:08pourquoi j'allais retourner
38:10là-dedans
38:10après tout ce que j'avais vécu.
38:12Ce n'est pas péjoratif
38:15contre les fleuristes,
38:15mais pourquoi je ne fais pas fleuriste ?
38:18Au moins, c'est calme.
38:18Il n'y a pas de risque.
38:21Mais j'avais fait
38:23un travail tellement énorme
38:24de reconstruction
38:25que ce n'est pas
38:27parce que j'avais vécu ça
38:28qu'en fait,
38:29il y a des choses
38:30dans ce que j'avais vécu.
38:31Alors, je ne parle pas
38:32du combat en lui-même,
38:33mais la vie que j'avais,
38:35la vie d'aventurier
38:35que j'avais,
38:36qu'on doit forcément
38:37l'arrêter.
38:38et en fait,
38:41l'important,
38:41c'est de se connaître
38:42et de connaître ses limites.
38:45Si tout ce qu'on fait
38:46est fait de manière mesurée,
38:49donc,
38:49je n'ai pas vécu
38:50de choses aussi violentes.
38:51J'ai vécu des choses
38:52qui n'étaient pas simples.
38:53où j'ai rencontré
38:55des situations
38:56qui étaient dans certaines missions
38:57très dégradées.
38:59Étant donné que j'étais
39:00ressorti plus fort
39:01de l'expérience
39:02que j'avais vécue
39:02en Afghanistan,
39:04j'avais plus conscience
39:05du moi,
39:06plus conscience
39:07des autres.
39:10En fait,
39:10je n'abordais plus
39:11la vie de la même manière
39:12dans mes choix de vie,
39:14dans ma relation
39:15avec les autres.
39:17Et donc,
39:18du coup,
39:20je ne prenais pas
39:20les mêmes décisions.
39:22je me mettais quand même
39:23moins en danger.
39:24Alors, attention,
39:24ça reste des métiers
39:25quand même à risque.
39:26Mais de manière mesurée.
39:29Et à partir du moment
39:29où je sentais
39:30que ça allait de bordeur,
39:35ou pour les collègues
39:36avec qui je travaillais
39:37ou pour moi-même,
39:38que ça soit bordeur physiquement
39:40ou intérieurement,
39:42je stoppais.
39:43Je pense que,
39:44comme nous tous,
39:45la vie n'est jamais facile
39:46pour tout le monde.
39:48Il y en a qui ont plus
39:48de chance que d'autres.
39:49mais ce n'est plus
39:52les gros traumatismes
39:56que j'ai vécu
39:57ne me parasitent plus
39:58dans ma vie de tous les jours.
40:01Je n'ai plus de cauchemars.
40:02J'ai plein d'amis.
40:06J'ai une vie de couple épanouie.
40:08J'ai une famille
40:09avec qui on s'entend
40:11extrêmement bien.
40:13La vie qui j'ai énormément
40:13ressoudée.
40:14de vrais amis.
40:17J'ai un boulot
40:17qui me plaît.
40:19J'ai des projets de vie.
40:21Tout ça m'en décliffe plus.
40:22Donc oui,
40:22j'ai vraiment retrouvé
40:23une paix intérieure
40:24dans ma vie aujourd'hui.
40:28Et j'en suis encore
40:29en sans prétention,
40:30mais très fier.
40:30Le regard que j'avais
40:37quand j'étais
40:38quand j'avais
40:3919 ans
40:40en engagement
40:41ou 22 ans
40:42en Afghanistan,
40:44oui,
40:45j'étais un jeune
40:45un peu immature,
40:47fougueux,
40:48pas toujours réfléchi.
40:53Aujourd'hui,
40:53oui,
40:54aujourd'hui,
40:54j'ai énormément évolué.
40:56Je ne vois pas la vie
40:58de la même manière.
40:58Je ne l'apprends pas
40:59de la même manière.
41:01Ma vie sociale
41:01a énormément changé.
41:04Je me connais bien plus
41:05que je me connaissais avant.
41:06En fait,
41:07j'ai eu l'impression
41:07après tout ça,
41:09après ma reconstruction,
41:10d'avoir pris
41:1120 ans de maturité.
41:15Donc,
41:15c'est plutôt agréable.
41:17C'est une fierté
41:17de pouvoir en être
41:19là où j'en suis aujourd'hui
41:20après tout ça.
41:24Au milieu de 22 ans,
41:25je ne lui dirais pas
41:26de faire demi-tour.
41:28Je lui dirais
41:28de lever la tête,
41:33de lui dire,
41:33je lui dirais que,
41:34voilà,
41:35si tu vis quelque chose
41:37d'extrêmement puissant,
41:40d'extrêmement dur,
41:41il y a des solutions,
41:43que la souffrance
41:44n'est pas une fatalité.
41:47Et que,
41:48quelles que soient
41:48les choses difficiles
41:50que tu rencontreras
41:51dans ta vie,
41:52que tu sois militaire
41:52ou pas d'ailleurs,
41:53ou dans tes deux vies,
41:56ta vie civile,
41:57parce qu'on a aussi
41:58quand même une vie civile,
41:58accessoirement,
41:59une vie privée,
42:00et ta vie de militaire
42:01relève la tête,
42:03soit loyal,
42:04soit courageux
42:05et soit fidèle
42:06à toi-même.
42:07Sous-titrage Société Radio-Canada
42:12Sous-titrage Société Radio-Canada
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