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Julien Marcilly, chef économiste de Global Sovereign Advisory, était l'invité d'Erwan Morice, dans Good Morning Business, ce mardi 29 juillet. Ils ont abordé la répercussion des droits de douane de 15% sur le consommateur américain, qui serait le premier perdant, sur BFM Business. Retrouvez l'émission du lundi au vendredi et réécoutez la en podcast.

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Transcription
00:00Et on revient bien sûr sur l'accord commercial sur les droits de douane trouvé il y a un peu plus de 24 heures maintenant entre Bruxelles et Washington, copieusement critiqué depuis hier.
00:09Bonjour Julien Marcy. Bonjour. Merci d'être avec nous ce matin, chef économiste de Global Sovereign Advisory.
00:14Question simple pour commencer, on s'est fait avoir ou pas ? C'est la question que tout le monde se pose.
00:19C'est vrai qu'à première vue, si on se rappelle l'état de la situation à la fin de l'année 2024, ça semble lointain mais ça ne l'est pas tant que ça.
00:26Côté américain comme côté européen, pour faire court, on avait des droits de douane très faibles en moyenne, autour de 3% de chaque côté.
00:35Ce qui masquait quand même des différences fortes sur certains secteurs, il faut quand même le dire.
00:39Nous, Européens, on est historiquement plus protectionnistes vis-à-vis des Américains sur certaines filières agricoles, le lait par exemple.
00:47Eux l'étaient sur d'autres, le textile habillement, etc. Mais au global, c'était à peu près équilibré.
00:52Donc là, à première vue, 15% d'un côté et 0% de l'autre, on ne peut pas vraiment dire que ce soit équilibré.
00:59Après, quand même, il faut remettre les choses en perspective parce qu'on a tendance à se focaliser sur notre relation États-Unis-Europe.
01:06Mais il y a une différence marquée par rapport à ce qui a pu être décidé dans le passé.
01:11C'est quand même que cette fois-ci, l'Europe ne fait pas exception.
01:14C'est-à-dire que ce sont aussi des droits de douane qui sont imposés un peu partout dans le monde.
01:19Ce qui veut dire que ce n'est pas un choc de compétitivité négatif uniquement pour l'Europe.
01:24Dit autrement, les pertes potentielles pour nos exportateurs ne vont pas se faire vis-à-vis de concurrents étrangers
01:32qui, eux aussi, voient leurs droits de douane augmenter.
01:36Mais plutôt, la question, c'est de savoir est-ce que les Américains ont davantage de capacité pour produire sur place ?
01:42On va y venir.
01:43Mais ce n'est pas faux de dire que Trump, en réalité, a taxé la planète entière.
01:47On ne parle pas que de l'Union européenne, quasiment.
01:49Non, mais ça va être difficile pour le consommateur américain qui aurait pu se dire
01:54que ça va être trop cher d'acheter français, d'acheter allemand.
01:56Donc, je vais acheter, je ne sais pas quoi, sud-américain.
01:59Mais en fait, ça va être quasiment les mêmes prix, non ?
02:02Complètement.
02:03Donc, c'est ça la grande question.
02:04C'est où est-ce que va se faire la perte de valeur ?
02:07C'est-à-dire que sur ces droits de douane qui sont annoncés un peu partout,
02:10finalement, est-ce que les entreprises exportatrices,
02:14qui sont souvent aussi des grands groupes multinationaux qui peuvent être américains,
02:17vont rogner sur leur marge ?
02:19Ou alors, vont plutôt répercuter ces hausses de coûts sur les prix de vente ?
02:24Et c'est vraiment le point le plus important.
02:26Il y a plusieurs études, notamment, qui ont été publiées récemment
02:28par des réserves fédérales américaines, régionales.
02:32Et donc, elles aboutissent à des résultats qui sont un peu différents les uns des autres.
02:35Mais en moyenne, ce qu'elles nous disent quand même,
02:37c'est que 50 à 70 % de l'effet total serait répercuté sur le prix de vente.
02:43Donc, dit autrement, la majeure partie de cet effet sera supportée par le consommateur américain.
02:48Ce qui voudrait dire que c'est d'abord un transfert de richesse du consommateur américain
02:53vers l'État américain.
02:55Et donc, ce sont eux les premiers perdants, à priori, même s'ils ne le savent pas encore.
02:59Est-ce qu'Ursula von der Leyen aurait pu faire mieux ?
03:01Parce que quand on négocie pour 27, c'est quand même plus difficile
03:04que quand on négocie uniquement pour l'État qu'on représente.
03:08Complètement.
03:09C'est quand même la différence entre l'Union européenne
03:11ou un pays avec une économie beaucoup plus petite,
03:14comme le Vietnam, par exemple.
03:15Nous, il y a quelques mois, en février, on s'était essayé à l'exercice
03:20de regarder de part et d'autre de l'Atlantique, filière par filière,
03:24qu'est-ce qui se passerait s'il y avait des droits de douane symétriques,
03:28c'est-à-dire 15 % d'un côté, 15 % de l'autre, ou 30, 30, etc.
03:31Et la conclusion à laquelle on aboutissait,
03:33elle était en ligne avec ce que vous venez de dire,
03:35et donc pas très surprenante.
03:36C'était que si on faisait jouer les bienfaits du marché unique en Europe,
03:39finalement, on avait beaucoup plus de chances, nous,
03:43de trouver des alternatives parmi d'autres pays européens.
03:46Et donc, on était paradoxalement beaucoup moins vulnérables
03:49que les Américains face à un tel choc symétrique.
03:52Ce qui voudrait dire qu'effectivement,
03:54on aurait peut-être pu montrer davantage de muscles
03:56pour éviter ce 15 %.
04:00Vous le disiez, Julien Marcy, c'est vrai qu'on l'a peu entendu,
04:03donc j'aimerais que vous développiez là-dessus,
04:05mais le consommateur américain, c'est in fine quand même celui qui va trinquer,
04:10parce qu'il va de toute façon ne pas pouvoir se passer
04:13de certains produits essentiels.
04:16Il doit racheter une voiture, peu importe,
04:19ou acheter des produits pharmaceutiques.
04:21Il va devoir sortir la carte bleue, sortir le carnet de tchèque,
04:25et donc ça va lui coûter plus cher.
04:26C'est lui qui va être pénalisé par cette politique de Donald Trump.
04:29Complètement, mais encore une fois, ça n'a rien de surprenant.
04:32C'est-à-dire qu'on est peu ou prou dans le scénario de risque
04:34qui était mentionné pendant la campagne présidentielle.
04:38C'est-à-dire que déjà à l'époque,
04:40Donald Trump annonçait des droits de douane de 10 % à 20 % pour tout le monde
04:44et 60 % pour la Chine.
04:47Pour la Chine, on ne sait pas encore exactement où est-ce que ça va atterrir,
04:50mais pour le reste du monde, on est à peu près dans cet ordre de grandeur-là.
04:53Et donc à l'époque, c'était vu comme un scénario de risque
04:56très pessimiste pour les marchés financiers, pour l'économie américaine.
05:00Mais en fait, aujourd'hui, on y est.
05:02Donc concrètement, ce qui va se passer, c'est ça,
05:03c'est que petit à petit, une fois que les commerçants,
05:08les supermarchés aux États-Unis ajustent leur prix,
05:10ce qu'ils ne font pas non plus tous les jours en moyenne dans un supermarché,
05:14je ne sais pas, on doit actualiser nos prix trois, quatre fois par an.
05:16Donc petit à petit, le consommateur américain va ressentir cet effet.
05:20Il ne faut aussi pas oublier la nouvelle loi budgétaire
05:22qui a été votée en début de mois
05:24et qui fait qu'à partir du début de l'année 2026,
05:27le citoyen consommateur américain, notamment ceux à bas revenus,
05:31vont aussi voir certaines aides sociales être rabotées.
05:35Et donc tout ça fait que c'est un contexte sociopolitique
05:38qui pourrait être un peu plus difficile aux États-Unis en début d'année prochaine.
05:43Et donc on peut aussi imaginer le fait que, pourquoi pas,
05:46Donald Trump revienne aussi sur une partie de ses accords
05:49et relance d'autres tensions commerciales à ce moment-là.
05:51D'autant plus qu'on a des élections de mi-mandat en 2026,
05:54politiques donc nationales et internationales
05:57qui pourraient, in fine, se retourner contre le président américain ?
06:00C'est difficile à savoir.
06:02À ce stade, les sondages sont plutôt bons.
06:04Mais encore une fois, cette loi budgétaire,
06:07plus les effets un peu retardés dans le temps de ces hausses de prix,
06:11en tout cas, devraient peser sur le pouvoir d'achat.
06:14Et surtout le pouvoir d'achat, évidemment,
06:15des consommateurs aux revenus les plus modestes
06:18parce que ce sont eux qui consomment le plus
06:21de biens manufacturés importés
06:23en proportion de leur budget total.
06:25On le disait un petit peu plus tôt dans cette émission,
06:28mais on n'a pas entendu parler des services.
06:30Même, il est stipulé qu'il n'y aura pas de négociation sur les services.
06:36C'était quand même un levier important pour Bruxelles.
06:39C'était vraiment là-dessus, peut-être, que les Européens pouvaient agir.
06:42Alors en fait, c'est un point important
06:43parce qu'il y a les services
06:45et puis il y a beaucoup d'autres zones d'ombre.
06:47C'est-à-dire que quand vous regardez
06:48les communications de la Commission européenne à ce stade
06:52plus le communiqué de la Maison-Blanche paru hier soir,
06:57ce qu'il faut dire, c'est que chacun des deux a ses zones d'ombre
06:59et en plus, les deux ne se regroupent pas totalement.
07:01Il y a des interprétations.
07:03Exactement.
07:03Donc, par exemple, vous avez l'acier
07:06sur lequel, évidemment, les Européens disent à ce stade
07:10que les négociations vont continuer, etc.
07:12Alors que côté américain, on cite quand même le chiffre de 50%
07:16qui va s'appliquer.
07:18Il y a évidemment les services que vous mentionniez
07:21où côté américain, dans le communiqué de la Maison-Blanche,
07:26il est dit que les Européens ne taxeront pas ces services
07:31quand il n'en est pas fait mention côté européen.
07:34Et puis, au-delà de tout ça, il y a toute la question aussi
07:40de ces engagements supposés en matière d'investissement,
07:45en matière d'approvisionnement énergétique,
07:48en matière d'armement,
07:49où là aussi, les différences sont très nombreuses.
07:53Notamment sur l'armement, l'Europe n'en fait pas mention à ce stade
07:57quand le président américain a beaucoup insisté là-dessus.
07:59Sur les investissements, ça engage d'abord, évidemment, le secteur privé.
08:05Pareil pour les énergies.
08:07On parlait avec Mathieu Pechberti, qui suit ça pour BFM Business,
08:10notamment sur les énergies et sur le GNL,
08:12les achats de GNL.
08:13Donald Trump qui demande à ce que les Européens
08:16importent pour 210 milliards d'euros de gaz naturel liquéfié,
08:20en sachant que ça voudrait dire qu'il faudrait arrêter d'importer
08:22de partout ailleurs dans le monde,
08:24et en sachant que les Européens consomment aussi moins de gaz aujourd'hui.
08:28Donc, tout ça paraît quand même très compliqué.
08:30Et en sachant aussi que ce sont les entreprises, en fait,
08:32in fine, qui décident si elles les achètent et où elles achètent,
08:34et non pas les États.
08:35Tout à fait.
08:36Alors, sur ce chiffre de, effectivement, 750 milliards d'achats d'énergie
08:40sur trois ans,
08:41ce qui voudrait dire, effectivement, 250 milliards par an.
08:46Alors, pour avoir un peu de certains ordres de grandeur en tête,
08:49250 milliards d'achats d'énergie en provenant des États-Unis
08:52pour l'Union Européenne par an, au total,
08:54l'Union Européenne importe à peu près 350 milliards par an.
08:58D'accord ?
08:58Donc, ce qui voudrait dire que du jour au lendemain,
09:01on se mette à acheter à peu près 70%
09:04de l'ensemble de nos approvisionnements énergétiques,
09:07pétrole, gaz, etc., aux États-Unis,
09:11quand aujourd'hui, on est à 60-70 milliards.
09:13Donc, c'est à la fois ni souhaitable,
09:15parce qu'on dépendrait trop d'un fournisseur,
09:18et puis ni faisable, il faut le dire,
09:19puisque ça engage surtout le secteur privé.
09:21Bien sûr.
09:22Pour conclure, qu'est-ce qui reste aux Européens ?
09:24Espérer pouvoir peut-être renégocier dans six mois,
09:27développer des partenariats avec d'autres régions du monde ?
09:29Ça peut être des pistes, en fait,
09:31pour se sortir un petit peu de cette passe qui va être difficile ?
09:35C'est ça, parce que paradoxalement, en fait,
09:37le mot « clarté » a souvent été mentionné,
09:39notamment côté européen,
09:40mais le fait est que cet accord ou ce début d'accord
09:44n'en apporte pas beaucoup.
09:47C'est vrai qu'on a un chiffre,
09:50on a ce 15% qui rassure notamment l'industrie automobile.
09:53Oui, mais c'est pareil.
09:55Il y a censément certains secteurs qui sont exclus,
09:58mais les mentions sont assez vagues,
10:01les périmètres sont assez vagues côté européen,
10:03ils ne sont pas du tout mentionnés côté américain.
10:05Donc, rien ne dit qu'en fait, dans six à douze mois,
10:08si les Américains envoient la nécessité,
10:14quelle qu'en soit la raison,
10:15ils reviennent dessus.
10:16Et puis, évidemment, autre point,
10:17ce qui veut dire qu'il faut accélérer
10:19les négociations qu'on peut avoir
10:21avec d'autres partenaires.
10:23L'Inde, en 2050, aura une économie
10:26à la taille plus grande que celle des États-Unis.
10:28Donc, ça devient urgent d'accélérer
10:30avec ce type de partenaires.
10:31Revenir sur ces accords dans six mois,
10:33ce ne serait pas une première,
10:34ce ne serait pas une surprise non plus.
10:35Avec Donald Trump,
10:36on pensait qu'on est habitués aux allers-retours avec lui.
10:38Merci beaucoup pour votre analyse avec nous ce matin.
10:41Julien Marcy, chef économiste de Global Sovereign Advisory.

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