00:04Merci d'être avec nous en ce samedi soir Europe 1, 19h47, avec moi dans ce studio, Sarah Salman, avocate, Jules Torres, journaliste politique au JDD.
00:14J'aimerais parler avec vous de cette annonce d'Emmanuel Macron, une journée de commémoration en l'honneur d'Alfred Dreyfus.
00:20Ce sera chaque 12 juillet, une journée contre la haine et l'antisémitisme, écrit le chef de l'État dans une déclaration publiée par l'Élysée.
00:27Petite contextualisation, l'officier juif qui a été accusé de trahison à la fin du 19e siècle à cause d'une lettre manuscrite retrouvée dans une poubelle de l'ambassade d'Allemagne à Paris à l'époque.
00:35Finalement les preuves étaient très minces, il y avait les pour, les contre Dreyfus, le fameux j'accuse aussi de là, qui s'oppose pendant plus de 10 ans et en 1906, Alfred Dreyfus est réhabilité.
00:44Jules Torres, alors que l'antisémitisme est en plus haut en France, est-ce que c'est une bonne idée cette journée de commémoration ?
00:52Malheureusement je ne pense pas. Je pense justement que c'est une mauvaise idée pour une juste cause.
00:58Emmanuel Macron a beaucoup, ces dernières semaines et ces derniers mois, été accusé d'avoir une ambivalence sur la question de l'antisémitisme.
01:07Souvenez-vous, il ne s'est pas rendu à la marche le 12 novembre 2023, une marche consensuelle qui devait réunir tous les partis politiques.
01:14Ça devait même être complètement apolitique. Il y avait tous les partis, excepté Emmanuel Macron et la France Insoumise, qui avaient refusé de s'y rendre.
01:21Et c'est vrai qu'il avait manqué le coche. Et je crois, et c'est ce que j'entends en tout cas dans la communauté juive, c'est qu'on en veut encore beaucoup à Emmanuel Macron.
01:30On a le sentiment d'avoir été délaissé, qu'Emmanuel Macron ait des critiques sur le gouvernement israélien, contre la politique menée par Benjamin Netanyahou.
01:38Ça c'est un sujet, mais le problème c'est qu'il n'a pas réussi à gérer cela avec la communauté juive en France.
01:43Et donc j'ai un petit peu l'impression, et c'est la même chose, souvenez-vous, qu'avec Gabriel Attal qui avait déposé une proposition de loi pour élever le colonel Dreyfus au rang général de brigade,
01:53c'était il y a un mois, un mois et demi, que cette proposition d'Emmanuel Macron arrive au mauvais moment, si je puis dire.
02:01C'est qu'on a un petit peu l'impression qu'il veut se rattraper, qu'il veut envoyer des signaux et des gages à la communauté juive, aux juifs de France.
02:07Malheureusement, je crois que ce n'est pas le bon moment, on est 120 ans après cette affaire Dreyfus.
02:14Le général Dreyfus a été réhabilité par la cour de cassation, il a terminé sa vie avec la Légion d'honneur.
02:21Est-ce qu'aujourd'hui il y avait une urgence particulière à créer ce genre d'événement ?
02:28Moi je ne suis pas sûr, c'est le problème d'Emmanuel Macron, c'est qu'on a un petit peu le sentiment, à mesure que son impuissance est de plus en plus forte et que son impopularité est de plus en plus forte,
02:36qu'il va chercher dans le passé pour gagner des points dans le présent, mais je ne suis pas sûr que ce soit la bonne manière.
02:41Sarah Salman, est-ce que vous pensez que c'est une fausse bonne idée, comme l'explique Jules Torres ?
02:45Non, moi je trouve que c'est une bonne idée, je veux dire, je trouve que c'est une initiative qui est louable, mais pour autant, et c'est là où je rejoins Jules Torres, il faut quand même penser aux juifs d'aujourd'hui.
02:51C'est très bien de penser au capitaine Dreyfus, je trouve que, encore une fois, l'idée est louable. En revanche, il y a une réelle cassure, je crois, pour la communauté juive, parce qu'il n'est pas venu à la marche.
03:01Ne pas venir à la marche, que Jean-Luc Mélenchon ne vienne pas, je veux dire, moi je ne m'attendais pas à ce qu'il vienne.
03:06Qu'Emmanuel Macron ne vienne pas, le signal envoyé est extrêmement clair. En tout cas, pour moi, il y a eu une cassure entre avant cette marche et après cette marche.
03:14Donc après qu'il essaie d'envoyer des gages de temps en temps, j'ai envie de dire, le mal est fait, et le mal il l'a poursuivi, on peut dire, puisque, souvenez-vous,
03:21une jeune fille a été violée à Courbevoie parce qu'elle était juive, Emmanuel Macron nous avait dit, là je vous promets vraiment un grand sursaut,
03:27il nous avait dit, il y aura deux jours dédiés au racisme, à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme, en plein mois de juin, dans les écoles.
03:34Ce n'est pas ça, lutter contre l'antisémitisme. Donc, de temps en temps, il donne des gages, mais je crois que, en tout cas, la communauté juive,
03:40ou une partie de la communauté juive, n'est pas du pain. Je pense qu'il brille plutôt par son absence, et dire que, de temps en temps, on va lutter contre l'antisémitisme,
03:48ce n'est pas assez. L'antisémitisme n'a jamais été une hausse. Vous pensez à quoi comme piste ? Comment ?
03:52Vous pensez à quoi comme piste concrète ? Dans les pistes qu'il pourrait faire ? Il pourrait déjà envoyer des signaux beaucoup plus clairs,
03:58parce que là, c'est un coup oui, un coup non. Moi, j'aimerais qu'il y ait une ligne directrice claire.
04:03C'est ce que disait Jules Torres. Parfois, on peut être très critique envers Benjamin Netanyahou, j'ai aucun problème là-dessus,
04:09mais lui, il va être très critique, après, il va l'être un peu moins. Eh bien, pour la lutte contre l'antisémitisme, il faut que ce soit pareil.
04:15Pour vous, ce n'est pas assez clarifié ? Sa position n'est pas claire du tout.
04:19Vous voyez, récemment, il y a eu le dîner annuel du CRIF, alors qu'on peut aimer, on peut ne pas aimer, y aller, ne pas y aller.
04:25François Hollande venait, Nicolas Sarkozy venait, et Emmanuel Macron venait lors de son premier quinquennat.
04:31Là, il ne vient plus. Alors, au début, il nous disait, c'est parce qu'il y a la guerre en Ukraine, puis c'est parce que l'année suivante, il disait, il y a ça.
04:36Maintenant, il ne vient plus du tout. Alors, on a le droit, encore une fois, de ne pas venir, mais c'est un signal, encore une fois, qui n'est pas clair.
04:42Sur la position, justement, claire d'Emmanuel Macron, vous n'êtes pas trop d'accord ?
04:45Non, non, moi, je pense qu'il n'y a aucune ambiguïté sur le fait qu'Emmanuel Macron soit absolument opposé à l'antisémitisme.
04:54Je pense qu'il n'y a rien, aujourd'hui, qui pourrait accréditer cette thèse.
04:57En revanche, qu'il ait perdu le soutien de la communauté juive, ça, c'est une réalité, et qu'on sent de plus en plus.
05:03Et c'est aussi la raison pour laquelle je trouve que c'est une fausse bonne idée, c'est qu'elle masque quand même une impuissance.
05:10Si on veut essayer de faire en sorte que les juifs soient moins agressés dans la rue, qu'ils subissent moins de discrimination qu'actuellement,
05:17puisque depuis le 7 octobre 2023, les actes antisémites ont considérablement augmenté.
05:22Je ne suis pas sûr que ce soit avec ce type de mesures qu'on protège la communauté juive.
05:26Donc, normalement, ça devrait passer par un durcissement de la réponse pénale quand il y a des actes antisémites.
05:31Il y a eu des changements assez sévères.
05:32Oui, enfin bon, de fait, il y en a encore.
05:35Les actes antisémites sont les plus grandes.
05:36C'est la seule communauté où les actes contre les personnes sont au-delà de 50% dans les actes.
05:42C'est-à-dire que les juifs, on ne s'en prend pas seulement aux biens, on ne s'en prend pas seulement à la Mezouza, on ne s'en prend pas seulement à la synagogue,
05:47on s'en prend aux juifs en eux-mêmes.
05:49Et en effet, Sarah a rappelé Courbevoie, mais on pourrait citer tout un tas d'exemples dans l'actualité récente qui nous ont montré que les juifs, aujourd'hui, étaient ciblés.
05:57Et ça, Emmanuel Macron, depuis deux ans, on a le sentiment qu'il en a conscience, mais qu'il ne fait rien pour endiguer ce fléau-là.
06:05Et donc, ce n'est pas avec des mesures qui pourraient s'apparenter à des mesures cosmétiques qu'on va régler ce problème-là.
06:10Le problème, c'est que les Français et la communauté juive en particulier sont en faveur, sont favorables à un durcissement de la réponse pénale,
06:16à en finir avec cette insécurité rampante qui court depuis des années, et particulièrement depuis le début du mandat et du décénat d'Emmanuel Macron.
06:24Donc voilà, c'est tout ça qu'il faudrait régler avant de refaire de l'histoire, de refaire de la mémoire sur la question de Dreyfus,
06:32qui, je crois, par ailleurs, est en plus assez bien enseigné aujourd'hui, je trouve, dans les cours d'histoire.
06:37J'allais vous poser la question, est-ce que vous pensez justement que la jeune génération, quand on leur parle de Dreyfus, est-ce que ça fait écocher de...
06:43Je ne sais pas si la jeune génération, malheureusement, je crois que les chiffres du bac nous l'ont montré,
06:47enfin en tout cas, comment dire, l'indulgence dont ont pu faire preuve les professeurs sur la question du bac,
06:53et les classements sur le niveau des élèves, malheureusement, je pense que si vous allez dans la rue,
06:57que vous demandez à un élève de 15 ans qui est Dreyfus, je ne suis pas sûr qu'ils le savent.
07:02En revanche, moi, j'étais à l'école il n'y a pas si longtemps que ça,
07:06et l'affaire Dreyfus, bon, oui, elle a occupé une part importante,
07:11juste du programme scolaire et notamment du programme d'histoire.
07:15Moi, je pense à l'inverse qu'il y a une méconnaissance manifeste de Dreyfus,
07:19et je regardais les chiffres, commémoration d'Auschwitz, 46% des Français âgés de 18 à 29 ans,
07:24alors ils ne sont plus à l'école, c'est vrai, n'ont pas entendu parler de la Shoah.
07:28Donc je pense qu'au contraire, mettre une journée comme celle-ci,
07:30vu l'inculture généralisée qu'il y a pour une partie des lycéens et parfois des jeunes adultes,
07:36je pense que c'est plutôt positif.
07:38Il faudrait peut-être faire de multiples journées de commémorations ?
07:40Oui, mais vous savez, il y a aussi certains professeurs qui s'auto-censurent pour parler de la Shoah
07:46parce que c'est un sujet qui peut parfois être difficile à enseigner.
07:49Donc il y a aussi, je crois, des choses à faire de ce côté-là au niveau du corps enseignant.
07:54C'est un combat permanent, la lutte contre la haine des Juifs ?
07:57Oui, mais je pense qu'il ne faut pas...
07:59Les Juifs, en tout cas, c'est mon avis, sont trop souvent soutenus que par les Juifs
08:04quand il y a quelque chose comme ça.
08:05Vous allez dans les marches, et j'enlève la marche lutte contre l'antisémitisme de novembre 2023,
08:10il y avait beaucoup de monde.
08:11Quand vous avez des marches, Sarah Halimi, d'autres marches,
08:14malheureusement, il n'y a trop souvent que des gens de confession juive.
08:18Et je crois, au contraire, que l'antisémitisme est l'affaire de tout le monde.
08:21Donc déjà, il faudrait que ce soit la France entière qui soulève quand il y a un drame de ce niveau-là,
08:27et pas seulement la communauté juive qui ne doit pas céder à la peur, j'ajoute.
08:31Europe 1 sur le week-end, 19h55, avec Jules Torres et Sarah Salman.
08:35Alors, sur les cinq premiers mois de l'année en France,
08:37504 actes antisémites recensés dans notre pays, selon le ministère de l'Intérieur.
08:41Même plus de 1500 l'an passé, d'après les chiffres du Conseil représentatif des institutions juives de France,
08:47Sarah Salman.
08:48Contrairement à la fin du 19e siècle, où il y avait un antisémitisme d'extrême droite,
08:53maintenant, nous avons surtout affaire à un antisémitisme d'extrême gauche.
08:56Oui, on le voit surtout avec la France insoumise,
08:59enfin, une partie de la France insoumise,
09:01certains députés, je pense aussi à des députés européens,
09:04notamment à Rima Hassan,
09:05qui multiplient les outrances et qui ne se cachent même plus.
09:08Quand j'entends que le Hamas est un mouvement de résistance,
09:12bon, je pense qu'on a tous compris le sous-texte,
09:15et pour certains, ils veulent la destruction de l'État d'Israël,
09:18et ils sont assez clairs là-dessus.
09:20Donc oui, il y a un antisémitisme aujourd'hui qui est majoritairement marqué
09:24à l'extrême gauche de l'échiquier politique.
09:26Tous ne le sont pas, mais il y en a quand même beaucoup.
09:29Et ce qui est particulièrement choquant, c'est que c'est devenu un argument électoral.
09:33Par exemple, Jean-Luc Mélenchon,
09:34je ne suis pas certaine que lui-même soit antisémite,
09:37mais en tous les cas, il utilise cela pour faire monter,
09:40il parle à une frange de l'électorat,
09:42et ça fonctionne.
09:43On l'a vu avec les élections européennes.
09:46D'ailleurs, Rima Hassan n'était même pas tête de liste,
09:48mais c'est elle qui avait...
09:49Ils ont fait 9% !
09:50Comment ?
09:51Ils ont fait 9% !
09:52Et c'est énorme 9% en tenant un discours comme ça !
09:54Jean-Luc Mélenchon a fait 22%,
09:55donc bon, il y a quand même...
09:56Moi, je trouve que c'est quand même beaucoup,
09:57parce qu'ils ont monté dans les sondages.
10:00Plus ils étaient dans l'outrance, plus ils montaient dans les sondages.
10:02Non, mais ce qui est intéressant, c'est qu'en effet,
10:04la France Insoumise a fait ligne politique,
10:07non pas l'antisémitisme,
10:10mais l'ambiguïté sur l'antisémitisme et l'antisionisme.
10:13Quand Rima Hassan nous dit que son rêve à elle,
10:16c'est From the River to the Sea,
10:19bon, elle nie complètement l'existence d'Israël.
10:21On peut considérer que c'est l'antisionisme.
10:23Et l'antisionisme, on l'a vu depuis de nombreuses années,
10:26a muté dans un antisémitisme.
10:28Quand, en effet, vous avez des députés
10:30qui minimisent les attentats du 7 octobre,
10:33le pogrom du 7 octobre,
10:34quand vous avez des députés qui minimisent le pogrom
10:38après un match de foot à Amsterdam
10:40où des Juifs se sont fait attaquer dans la rue,
10:43bon, ben oui, ça contribue à un climat d'antisémitisme
10:46qui, malheureusement, est aujourd'hui à l'extrême gauche.
10:49Jules Thorez, Sarah Salman,
10:50merci à tous les deux d'avoir co-présenté
10:53cette première heure d'Europe un soir week-end.