Violette Spillebout, députée Renaissance du Nord, et Paul Vannier, député LFI du Val-d'Oise, étaient les invités de France Inter ce mercredi. Les deux co-rapporteurs de la commission d’enquête sur les violences en milieu scolaire présentent ce mercredi leurs recommandations. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien-du-mercredi-02-juillet-2025-9162729
00:00France Inter, Léa Salamé, Nicolas Demorand, le 7-10.
00:07Grand entretien sur le rapport publié aujourd'hui par la commission d'enquête sur les violences dans les établissements scolaires
00:14consacrée notamment à l'affaire Bétara. Nous recevons Léa, les deux co-rapporteurs de cette commission.
00:21Violette Spilbout, bonjour, vous êtes députée du Nord, partient ensemble pour la République
00:27et Paul Vannier, vous êtes député La France Insoumise du Val d'Oise.
00:30Vous avez donc travaillé ensemble pour cette commission d'enquête.
00:33Soyez les bienvenus sur Inter. Vous nous dévoilez donc en exclusivité le contenu de ce rapport.
00:39Un rapport dense, 330 pages, 50 recommandations pour prévenir et lutter contre les violences dans les écoles, collèges et lycées.
00:49Vous avez entendu plus de 130 personnes pendant près de 60 heures.
00:54L'audition la plus médiatique fut celle du Premier ministre François Bayrou.
00:59On va y venir.
01:00Avant d'entrer dans le détail de votre rapport, de votre travail, diriez-vous que les violences que vous avez rencontrées
01:08sont des violences systémiques ou des violences circonscrites à quelques établissements problématiques ?
01:16Violette Spilbout.
01:17Bonjour. Ce qu'on a constaté avec les nombreux témoignages, plus de 200 témoignages qui nous sont arrivés depuis plusieurs mois pendant cette commission d'enquête,
01:28c'est que ces violences à l'école ont eu lieu dans toute la France, dans des centaines d'établissements, avec des milliers de victimes pendant des années.
01:38Donc oui, on peut dire que c'était systémique.
01:42Qu'elles sont encore présentes aujourd'hui dans des établissements privés, publics ?
01:46On a de nombreux cas qui nous sont soulevés avec des victimes qui ne se sentent pas entendues.
01:51Et donc je crois que d'une affaire Betaram, qui a été le point de départ de cette commission d'enquête sur l'initiative de mon collègue co-rapporteur Paul Vannier,
02:00on a aujourd'hui un phénomène qui est non seulement dénoncé dans ce rapport de la commission d'enquête,
02:08mais auquel on essaye de trouver des protections pour l'avenir.
02:11Et c'est vraiment ça l'objet des travaux que nous avons menés.
02:14On va venir aux recommandations, vous en avez 5 ans.
02:16Donc, Paul Vannier, la présidente de la commission, écrit dans l'avant-propos du rapport, je cite,
02:20que cette commission d'enquête fut un travail de fond sur l'impensable.
02:24Des enfants, partout en France, livrés à des monstruosités, des violences sexuelles, des violences physiques aussi,
02:29parfois d'une violence inouïe, d'un sadisme absolu, il est difficile de se préparer à entendre l'inentendable.
02:37C'est ça que vous avez ressenti pendant toutes ces semaines de travail et d'audition,
02:42c'est que vous étiez en train d'entendre l'inentendable ?
02:45Oui, moi, beaucoup des témoignages que nous avons reçus, je ne pouvais pas les imaginer.
02:50Je pouvais imaginer la violence verbale, psychologique, la violence physique, la violence sexuelle, le viol,
02:56mais je ne pouvais pas imaginer des actes de torture, des enfants à qui on injecte des piqûres d'eau,
03:02des enfants qu'on prive de sommeil, des enfants qu'on prive de nourriture,
03:05pour les punir dans des jeux sadiques infinis durant des années et des années et ravageant des vies tout entières.
03:11Évidemment, moi, je sors humainement et comme député profondément marqué, bouleversé, changé par cette commission d'enquête.
03:20Quatre mois de rencontres, quatre mois d'audition, de contact avec l'horreur, m'a percuté.
03:26Et m'a percuté aussi du point de vue de mes positions, des solutions, des recommandations.
03:32Et je crois que notre rapport appelle à des ruptures, à une révolution dans le contrôle, dans la prévention.
03:38Et c'est le fruit de cet échange avec les victimes qui, je veux insister là-dessus,
03:42elles nous ont accompagnés du début à la fin, hier soir encore.
03:46Nous avons eu un échange avec elles pour leur dire vers quoi nous allions ce matin.
03:51Et nous avons été en contact quasiment permanent avec ces victimes de toute la France.
03:55Y a-t-il une audition, un témoignage qui vous est particulièrement marqué ou éprouvé, Violette Spilbout ?
04:03Je crois que beaucoup nous ont éprouvé parce qu'on a commencé, la première audition était à l'Assemblée nationale,
04:09celle des premiers collectifs de victimes.
04:11Les huit premiers, il y en a 80 aujourd'hui.
04:13Donc on voit combien cette commission d'enquête a aussi permis que la parole se libère et que les actions s'organisent.
04:20Je crois que celle qui m'a le plus profondément choquée et émue, c'est le déjeuner,
04:26le moment de partage que nous avons eu avec les victimes du village d'enfants de Riaumont, à Liévin.
04:33J'avais déjà rencontré quelques victimes de Riaumont, entendu des témoignages.
04:37Mais au moment de ce déjeuner, juste avant que nous allions entrer dans le village de Riaumont
04:43pour saisir des documents sur place, l'échange a été bouleversant parce que nous étions en proximité.
04:52C'était quatre hommes.
04:54L'un était venu avec sa fille, ce monsieur Bruno avait 60 ans, avec sa fille d'une vingtaine d'années.
05:00Et j'ai pu, je crois, mesurer à ce moment-là avec beaucoup de force
05:07comment une souffrance d'enfant, qui parfois était enfouie pendant des années
05:12et qui est révélée à 60-65 ans, est encore une souffrance extrêmement violente et actuelle
05:19chez la victime, mais aussi chez les enfants, les petits-enfants parfois.
05:24Combien une violence sur un enfant marque toute une génération.
05:28Et c'est le cas de beaucoup de victimes qu'on a rencontrées.
05:31Et combien ces violences sur les enfants, et vous l'écrivez au début du rapport,
05:35combien ces violences sur les enfants ont été largement occultées pendant des années
05:38et comment on ne voulait pas voir.
05:40La violence sur les enfants était restée taboue pendant des années.
05:44C'est un sujet où on détourne les yeux parce que, bon, voilà, c'est comme ça,
05:47il faut les éduquer, il faut les éduquer à la dure.
05:50Et c'était ça, en fait, qui nous faisait détourner les yeux.
05:53Le témoignage ou le moment qui vous a, vous, marqué, Paul Vannier ?
05:57Moi, je dirais, j'ai participé à une réunion publique il y a quelques semaines
06:00dans un petit village d'Île-et-Vilaine, à Brue,
06:02et il y avait une centaine de personnes devant moi sur des gradins.
06:04Et pendant mon intervention, je vois une femme qui se met à pleurer.
06:07Et je suis marqué par ça.
06:09Et tout d'un coup, son mari, qui est à côté d'elle,
06:12lève la main pour prendre la parole.
06:14Et c'est un ancien élève de Bétarame.
06:16Et il prend la parole et, peut-être pour la première fois,
06:19il exprime les violences dont il a été l'objet.
06:22Et je vois dans ce moment, d'abord, la persistance des conséquences des violences.
06:26Cet homme a presque 50 ans et il porte aujourd'hui encore cette souffrance.
06:29Je vois comment ces violences ravagent la vie des victimes,
06:33la vie de leurs entourages, avec sa femme bouleversée,
06:36absolument transie par les sanglots.
06:38Et puis, je vois ce moment auquel nous contribuons tous ensemble
06:42et qui est un moment salvateur, celui de la libération de la parole,
06:44parce que, pour la première fois, il dit devant d'autres
06:47ce dont il a été la victime.
06:50Et je crois que c'est ça aussi la force de cette commission d'enquête.
06:53C'est qu'à mesure que nous avons travaillé,
06:55nous avons déjà commencé à faire changer des choses.
06:57Nous avons tout de suite été utiles.
07:00Et cette vague de libération de la parole,
07:02il faut continuer à l'encourager, à appeler les victimes,
07:05à parler, à aller en justice, à porter plainte,
07:07y compris s'il est fait, son prescrit.
07:09Car y compris s'il est fait, son prescrit,
07:10nous avons l'engagement du garde des Sceaux sur ce point.
07:12Des enquêtes sont ouvertes
07:14et elles peuvent permettre d'identifier des agresseurs
07:16qui seraient toujours aujourd'hui en contact d'enfants.
07:19Oui, parce que ça, c'est une de vos recommandations.
07:20C'est, pour certains faits très graves,
07:23de lever la prescription, d'annuler la prescription.
07:25C'est non seulement une de nos recommandations,
07:26mais c'est un vœu extrêmement fort
07:29chez l'ensemble des victimes.
07:31Et c'est une revendication des associations de victimes.
07:33Ils nous l'ont encore dit hier soir.
07:35C'est un sujet extrêmement complexe
07:37parce qu'aujourd'hui, les faits qui sont imprescriptibles
07:41dans la loi française, c'est les crimes contre l'humanité.
07:44Et puis ensuite, il y a des délais de prescription
07:45selon les délits commis sur mineurs.
07:48Mais c'est un sujet sur lequel nous avons travaillé ensemble
07:51avec Paul Vannier.
07:52C'est un sujet aussi qui a déjà mobilisé
07:55des députés à l'Assemblée nationale et des sénateurs.
07:58Et donc, nous recommandons dans notre rapport
08:00de revoir ces délais de prescription
08:04et de saisir l'Assemblée nationale
08:06pour y travailler en format transpartisan
08:08parce qu'il n'y a que dans ce format transpartisan
08:10où nous pourrons vraiment changer la loi.
08:12Alors, entrons dans le cœur de l'affaire Bétharam,
08:15cet établissement catholique des Pyrénées-Atlantiques
08:18que les victimes appellent le goulag des Pyrénées.
08:23Expression sinistre.
08:25À ce jour, environ 250 plaintes ont été déposées
08:29impliquant des prêtres, des surveillants,
08:31parfois des élèves, dont 90 pour des violences
08:34à caractère sexuel.
08:36Des plaintes portent sur des faits
08:39commis entre les années 50 et 2010.
08:43Question simple, comment Bétharam a-t-il été possible ?
08:48Qu'est-ce qui, à vos yeux, après ces mois d'enquête,
08:52explique ce demi-siècle de violences continues
08:54systématiques de violences physiques,
08:57verbales, sexuelles, inouïes sur les élèves
09:00au sein de cet établissement ?
09:02D'abord, des défaillances majeures
09:05et des défaillances de l'État.
09:06Des défaillances de gendarmes
09:08qui, pendant des années, ont vu des élèves fugués
09:09et qui, pendant des années, les ont ramenés
09:11à la porte de l'école sans jamais s'interroger
09:13sur la raison de ces fugues.
09:14Des défaillances majeures de la justice
09:16qui n'a pas fait le lien entre une série de plaintes
09:19déposées sur plusieurs décennies
09:21et qui pointaient à un établissement
09:24qui dysfonctionnait gravement.
09:26Défaillance de l'Éducation nationale.
09:27Avec un rapport dont on a beaucoup parlé,
09:29d'inspection en 1996,
09:31bâclé, ni fait, ni à faire,
09:33commandé en urgence.
09:35Un inspecteur qui se rend quelques heures sur place,
09:37qui écrit son rapport le week-end,
09:38qui est transmis le lundi matin au recteur
09:39et à François Bayrou,
09:40qui dit tout et son contraire.
09:42Avec une conclusion qui blanchit l'établissement,
09:45mais un rapport qui décrit aussi
09:47des faits de châtiments corporels,
09:49le supplice du Perron notamment.
09:51Et donc, c'est toute une chaîne de responsabilités,
09:54une responsabilité locale.
09:55C'est quoi le supplice du Perron ?
09:55Le supplice du Perron, c'est mettre un enfant
09:57en petite tenue, la nuit, dehors,
10:01dans le froid, l'hiver, pour le punir.
10:03Jusqu'à ce que cet enfant,
10:04c'est Marc Lacoste-Séris,
10:06souffrant d'une hypothermie telle,
10:08soit envoyé à l'hôpital.
10:10Et dans le livre d'Alain Esquerre,
10:10on décrit qu'il a frôlé l'amputation.
10:12C'est dire la gravité des actes
10:14qui ont été imposés à ces enfants.
10:16Ces défaillances, je veux dire,
10:17ce sont celles de l'État.
10:18Et puis, il y a une omerta.
10:20Il y a une culture du silence
10:21qui tient à beaucoup de choses,
10:23qui est particulière aux établissements privés
10:25sous contrat, en particulier aux établissements catholiques,
10:28qui tient à des enjeux de réputation
10:29de ces établissements,
10:30qui tient au fait que les fédérations
10:32de parents d'élèves...
10:33Il y a une seule fédération de parents d'élèves
10:34dans l'enseignement privé.
10:35Donc, il y a un pluralisme qui n'existe pas.
10:38Et donc, il y a des phénomènes de huis clos.
10:39Et vous pointez, je cite,
10:40le rôle central est plus qu'ambigu
10:42de l'association des parents d'élèves.
10:43Exactement, parce qu'à la fois,
10:45elle constate des violences.
10:46Parfois, elle passe des signaux d'alerte.
10:47Et nous avons saisi à Bétharam
10:49des comptes rendus de conseils d'administration
10:51qui en témoignent.
10:52Mais toujours, elle agit,
10:53du point de vue de l'extérieur,
10:55comme un organe qui va couvrir l'établissement,