La motion de censure déposée par le Parti socialiste est examinée mardi 1er juillet à l'Assemblée nationale. Éclairage avec le constitutionnaliste Benjamin Morel, invité de France Inter.
00:00Il est 6h21, 6 mois à Matignon et déjà une huitième motion de censure pour François Bayrou.
00:05Motion portée par le Parti Socialiste et soutenue par l'ensemble de la gauche.
00:08Elle va être soumise au vote cet après-midi.
00:10Bonjour Benjamin Morel.
00:11Bonjour.
00:11Vous êtes constitutionnaliste, maître de conférences à l'université Paris-Panthéon-Assas.
00:16C'est presque devenu une routine finalement.
00:18Est-ce qu'on doit s'habituer au fait que la vie politique sera désormais rythmée par des motions de censure ?
00:22Alors, il y a toujours eu beaucoup de motions de censure.
00:25Mais les motions de censure, on n'en parlait pas parce qu'en règle générale,
00:28elles n'avaient aucune chance d'être adoptées.
00:29Souvenez-vous, on n'en avait pas une adoptée depuis 1962.
00:33Et maintenant que Michel Barnier est tombé, on en compte deux adoptées sous la Vème République.
00:37Là, évidemment, les motions de censure deviennent un peu plus intéressantes parce qu'elles peuvent passer.
00:42Et là, en l'occurrence, même si les chances sont très limitées,
00:45on voit malgré tout des mouvements stratégiques.
00:48Ce n'est pas la première fois que le PS dépose une motion de censure depuis le mois de janvier.
00:51Mais ça marque évidemment une motion de rupture.
00:53Donc ce n'est pas un changement de notre vie politique
00:56et le fait que nos institutions seraient dépassées.
00:59Non, en règle générale, on dépose des motions de censure.
01:02Ce qui est normal dans un régime parlementaire, c'est le fondement d'un régime parlementaire,
01:05que le gouvernement puisse tomber quand le Parlement n'en veut plus.
01:07Eh bien, on en dépose quand vous avez une crise politique,
01:11quand vous avez une période de particulière tension,
01:13quand l'opposition veut montrer qu'elle existe et qu'elle est en désaccord.
01:16Ce n'est pas encore une fois la première fois que le PS le fait depuis ces derniers mois.
01:20Souvenez-vous quand François Bayrou parle de submersion migratoire chez vos confrères.
01:25Le PS dépose à ce moment-là une motion de censure.
01:27On est après le vote du budget.
01:29Cette motion de censure n'a aucune chance d'être adoptée.
01:31C'est une façon de marquer que le PS est dans l'opposition.
01:34On est dans le symbole, on est dans le positionnement.
01:36Et quel est l'intérêt pour le RN de ne pas voter la censure, ce qu'ils ont annoncé ?
01:40On verra bien ce qui se passe cet après-midi.
01:42Mais pour le moment, normalement, ils ne devraient pas la voter.
01:44La question est plutôt inverse.
01:46C'est-à-dire, quel intérêt aurait le RN à voter une censure ?
01:49En pleine crise internationale, même si elle s'est un peu calmée,
01:52voter la censure, c'est déstabiliser le gouvernement dans une période de tension.
01:57Le RN n'y a pas forcément intérêt.
01:58Il est en phase de normalisation, de notabilisation.
02:01Deuxième élément surtout, souvenez-vous la censure qui est passée sur Michel Barnier.
02:05Qu'a fait le RN ? Il a fait monter les enchères.
02:07Il a dit, écoutez, moi je ne voterai pas la censure.
02:09Si, si, si, je pose mes conditions.
02:11Et in fine, quand ces conditions ont été jugées non satisfaites, le RN a fait tomber.
02:15Qu'est-ce qu'on a retenu ?
02:16Le RN est le parti qui fait tomber le gouvernement et pose ses conditions.
02:21Là, cette motion de censure, elle vient du PS, sur un sujet qui a été porté par la gauche, les retraites.
02:27Et donc, dans ce cadre-là, si le RN devait s'y rallier, ça apparaîtrait comme une victoire de la gauche.
02:31Comme hier, eh bien, la motion de rejet préalable sur l'audiovisuel public votée par le RN apparaît comme étant une victoire de l'opposition de gauche.
02:38Donc, c'est faire le cadeau à votre adversaire.
02:40Le principal adversaire politique aujourd'hui du RN, ce n'est pas tant la majorité, c'est surtout la gauche.
02:45Parce qu'il s'agit d'incarner, pour les prochaines échéances, l'opposition, la vraie et donc l'alternance.
02:50Donc, on ne fait pas de cadeau à la gauche au Rassemblement National.
02:52On préfère monter sa propre histoire, monter son propre narratif, par exemple sur le budget.
02:58C'est ce que j'allais dire, attendre l'automne et le vote du budget.
03:00C'est ça, l'idée, c'est de rééditer ce qui s'est passé au mois de décembre dernier.
03:03C'est-à-dire de poser des conditions, ces conditions à terme, de faire qu'elles soient inacceptables pour François Bayrou,
03:09de le faire tomber en expliquant qu'on est le vrai censeur du gouvernement, l'arbitre des élégances
03:13et que le pouvoir d'achat des Français, c'est le RN qui l'a protégé, qui l'a défendu
03:17et qui a même été jusqu'à faire tomber le gouvernement dessus.
03:20Cette histoire-là, le Rassemblement National tentera de la raconter, mais il a prévu de la raconter dans quelques mois.
03:26Et est-ce que la promesse d'un projet de loi instaurant la proportionnelle pèse aussi dans la balance ?
03:30Est-ce que c'est une carotte de François Bayrou au RN ?
03:33Alors, c'est une carotte de François Bayrou au Rassemblement National.
03:35C'est quelque chose qui était dans les exigences du Rassemblement National depuis le début du mandat de François Bayrou
03:42et même de Michel Barnier.
03:43Toutefois, il faut quelque peu nuancer.
03:45Le fait de renvoyer ce projet après le projet loi budgétaire donne quand même le sentiment d'un peu l'enterrer.
03:52Pourquoi ?
03:52Ce n'est pas plutôt du chantage ? Ce n'est pas François Bayrou qui dit au Rassemblement National
03:56« Si vous votez mon budget, vous aurez la proportionnelle. Si vous ne le votez pas, vous n'aurez pas la proportionnelle. »
04:01En le mettant derrière, en le mettant après.
04:03Il y a un peu de ça, mais le RN n'est peut-être pas aujourd'hui le parti politique qui a le plus intérêt à la proportionnelle.
04:09Aujourd'hui, avec le mode de scrutin majoritaire à deux tours, il n'y a qu'une seule formation qui peut, à sociologie électorale constante,
04:15espérer obtenir une majorité absolue, c'est le RN.
04:18La géographie électorale du RN est idéale pour espérer demain avoir une majorité absolue.
04:23Et donc dans ce cadre-là, est-ce que le RN aurait intérêt à la proportionnelle ?
04:26Pas à toutes les formes de proportionnelle.
04:28Donc c'était avant que le Rassemblement National soit si puissant qu'il réclamait qu'il avait besoin de la proportionnelle.
04:33Il avait besoin de la proportionnelle. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins évident pour lui.
04:37Alors par cohérence, c'est parce que c'est sa position historique qu'il demeure favorable à la proportionnelle,
04:42mais à des modalités de proportionnelle très particulières qui lui permettraient de maintenir une majorité absolue.
04:47Aujourd'hui, le statu quo n'est peut-être pas ce qui lui nuit le plus.
04:50Parce qu'il y a plusieurs formes de proportionnelle aussi ?
04:52Alors selon la définition qu'on retient de la proportionnelle, on en a entre 50 et 80 formes.
04:56Donc vous voyez qu'on peut faire beaucoup de choses avec la proportionnelle
05:00et que si on rentre dans le débat sur la proportionnelle lors de l'hiver,
05:06l'une des questions qui va se poser, c'est quelle forme de proportionnelle ?
05:09Celle qu'on a connue au législatif de 1986, c'était quoi par exemple ?
05:11Alors c'est une proportionnelle par département. Ça ne marche pas.
05:14C'est-à-dire que cette forme de proportionnelle, elle est critiquée depuis Léon Blum.
05:18Ça ne marche pas pour plusieurs raisons.
05:20Aujourd'hui, quel est le problème majeur de notre vie politique ?
05:22Le problème majeur de notre vie politique, c'est qu'on a une tripolarisation.
05:25Et cette tripolarisation induit une impossibilité de disposer de majorité.
05:30Pourquoi ? Parce que quand vous avez été député, quand vous êtes député socialiste par exemple,
05:33vous avez été élu sur une configuration d'alliance de premier tour, union de la gauche.
05:39Si vous quittez cette union de la gauche, la prochaine fois, vous avez face à vous par exemple,
05:43un candidat insoumis.
05:44Pour les deux tiers du groupe socialiste, ça signifie la mort.
05:47Et donc dans ce cadre-là, rentrer dans une alliance post-électorale,
05:51une alliance qui n'est pas celle qui vous a fait élire, est létale pour vous.
05:54Ça vous fait disparaître et donc vous ne le faites pas.
05:57La proportionnelle par département produit exactement la même chose.
06:00Dans un département où vous élisez un, deux, trois députés,
06:03si la gauche part des unis, elle est morte.
06:05Et de même pour le socle commun.
06:07Et donc dans ce cadre-là, le fait de faire passer une proportionnelle par département,
06:12ou que c'est la proportionnelle la plus favorable également au Rassemblement National,
06:15on y revient,
06:16c'est une proportionnelle qui ne fluidifie pas la vie politique,
06:20qui ne permet pas de mieux faire des majorités.
06:22Or aujourd'hui, c'est ce dont on a besoin,
06:24parce que le mode de scrutin majoritaire à deux tours
06:25ne produit pas nécessairement des majorités.
06:27C'est le mode de scrutin de la France,
06:29sous toute la Troisième République quasiment,
06:31et il n'en produit pas avant 1962.
06:33Il ne produit des majorités que quand vous avez une bipolarisation de la vie politique,
06:36une bipolarisation qui, ça ne nous a pas échappé,
06:39à aujourd'hui un peu vécu.
06:41Voilà, merci beaucoup Benjamin Morel,
06:43maître de conférence à l'Université Paris-Panthéon-Assas.