L'acteur et sociétaire de la Comédie-Française, Benjamin Lavernhe était l'invité de Sonia Devillers ce mardi. Il sera à l'affiche du nouveau long-métrage de Michel Leclerc “Le mélange des genres”, en salles le 16 avril prochain. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-7h50/l-invite-de-7h50-du-mardi-08-avril-2025-8177599
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00:00Sonia De Villers, votre invité sociétaire de la comédie française, il est à l'affiche
00:05du « Mélange des genres » de Michel Leclerc en salle le 16 avril.
00:09Bonjour Benjamin Lavergne, une comédie policière bien gonflée sur les féministes, les masculinistes
00:15et tous ceux qui cherchent leur chemin entre les deux.
00:18Mais d'abord, je voudrais qu'on dise un mot sur le succès et tournissant de votre
00:21précédent film « Enfanfare ». Cette histoire de chef d'orchestre, né chez les bourgeois
00:26qui, pour les besoins d'une grève, retrouve son frère biologique, qui lui a été adopté
00:31chez les prolos et qui dirige une fanfare.
00:332.600.000 entrées, 2.600.000 entrées, comment vous l'expliquez ce chiffre ?
00:39Je ne l'explique pas vraiment, on est toujours surpris par un succès populaire comme ça.
00:43J'ai senti frémir quand les gens m'ont dit qu'ils revoyaient le film.
00:46Je me suis dit « Ah, ça c'est rare ». Une deuxième fois ?
00:49Oui, et puis au bout d'une semaine en plus.
00:50Je me suis dit « Il se passe quelque chose ». Il y a quelque chose de lumineux dans
00:55ce film, de l'espoir aussi de deux Frances, de deux frères, la grande musique classique
01:01a priori élitiste, et puis la musique populaire amateur.
01:04Le charme de plein de choses, de l'écriture certainement aussi.
01:09Donc un film de réconciliation en fait, si je vous écoute ?
01:11Oui, je crois.
01:12Entre deux Frances et deux cultures qui, chacune, vont faire un pas l'une vers l'autre ?
01:15Oui, avec aussi, ça j'en suis certain, avec beaucoup de pudeur, pas de pathos, beaucoup
01:22de choses qui se passent dans les silences aussi, et les gens étaient très, très touchés.
01:25Et puis c'est quelque chose qui résonne beaucoup dans l'intime, des témoignages
01:29sur la maladie, sur la fraternité, sur un frère retrouvé, sur tout ça.
01:34Tout ça a touché beaucoup les gens, ça nous a dépassés, réjouis, mais on est aussi
01:39spectateurs de ce succès, on hallucine.
01:40Alors, changement de registre avec le mélange des genres de Michel Leclerc.
01:44Benjamin Lavergne, vous y interprétez le rôle d'un homme.
01:48Trois réponses au choix, démoli, déconstruit ou déconfi ?
01:52Déconsli, déconstruit !
01:57Voilà, voilà ! Il écorche le mot à toutes les étapes, à peu près, du film.
02:03Votre personnage dit « mais au fond, j'ai jamais été un homme construit ». Qu'est-ce
02:08que c'est qu'un homme construit, Benjamin Lavergne ?
02:11Un homme construit, c'est peut-être un héritier des générations précédentes
02:15avec des réflexes, conscients ou inconscients, de l'héritage du patriarcat, de domination,
02:23de ce que devrait être un homme, pour qui, pourquoi, je ne sais pas.
02:30Alors, votre personnage-là, il épouse toutes les causes féministes avec un mélange…
02:35Oui, il a de l'avance.
02:36Il a lu Simone de Beauvoir, il préfère la compagnie des femmes.
02:38Oui, mais il y a un mélange quand même, à la fois de sincérité, évidemment, de
02:42vraie gentillesse, et puis de naïveté, au premier degré, parce qu'il finit par
02:48en souffrir, aussi, cet homme déconstruit, démoli, déconfi.
02:52C'est un homme qui, en tout cas, qui se dit assez immunisé de toute cette révolution
02:57Me Too, qui est très en avance sur les questions de parité, d'égalité, qui va très bien,
03:03qui travaille beaucoup moins que sa femme, mais ça lui va très bien, qui préfère
03:06la compagnie des femmes, qui est un « Souchonien », comme il se définit.
03:09Son modèle, c'est plus Michel Berger, Alain Souchon, que Stallone ou Alain Delon,
03:14et pour qui, voilà, tout va très bien.
03:17Et puis, ce qui m'amuse, et ce qui est drôle, c'est qu'il réalise, petit à petit,
03:21qu'il est homme au foyer, et il dit « Femme au foyer, pour un homme aussi, c'est chiant ! »
03:25Ça, ça me fait beaucoup rire, et que ce n'est pas si simple pour lui qu'entre
03:29son idéal de société et son petit intérêt individuel, parfois, ça frotte.
03:33Parce qu'évidemment, il y a un moment où arrive une accusation de viol totalement tirée
03:38par les cheveux, et lui, il en fait, avec un grand sourire et en même temps, beaucoup
03:42de douleur, un vrai examen de conscience.
03:44Et en fait, je me suis posé la question, quand on est prêt à en faire une comédie,
03:49de tout ça, quand on est prêt à la tourner, à la jouer, puis à la recevoir comme public,
03:54c'est le signe qu'une société est en train d'évoluer sur ces sujets-là ? C'est
03:59plutôt bon signe ? C'est le signe qu'on a franchi une étape ?
04:01La comédie, ce n'est pas une mise à distance, ce n'est pas de la légèreté, c'est
04:06une autre manière de prendre conscience des choses.
04:09Parce que le rire, ça soigne, ça guérit, ça peut libérer, et ça fait beaucoup de
04:14bien au public qui nous en témoigne, qu'est-ce que ça fait du bien de parler de ce sujet
04:17autrement.
04:18Et le fait que ça soit avec Michel Leclerc, qui a toujours fait des films avec une dimension
04:23politique mais qui ne peut pas s'exprimer autrement que par la comédie, moi, ça m'intéressait,
04:27ça m'intéressait, c'était vertigineux, je me suis dit, mais il va falloir rire
04:31avec intelligence, il va falloir faire ça bien.
04:34Et puis c'est pile les questions que se pose le cinéma français en ce moment, parce
04:38que vous jouez un acteur, marié à une actrice, beaucoup plus célèbre que lui, et quand
04:43c'est pile les questions que le cinéma français se pose aujourd'hui, c'est les
04:46questions que le cinéma français se pose en matière de modèles masculins que le cinéma
04:51propose, et puis aussi en matière de la façon dont ce milieu est organisé, dont les tournages
04:56sont organisés, dont malheureusement certaines violences se perpétuent, certains prédateurs
05:02sont restés protégés, enfin je veux dire, en ce moment, il y a un scandale tous les
05:05quinze jours, quoi.
05:06Ben oui, et ça, ça nous glace le sang, on est plein d'effroi, et là, Michel, il
05:11décide de s'emparer de ce sujet et de faire une espèce de cartographie d'état des
05:15lieux, il y a les masculinistes, les féministes, la police moderne, l'ancienne police, et
05:19cet homme qui se dit, moi ce que j'aime, c'est qu'il se dit déconstruit, il pense
05:22que lui, ça ne le concerne pas, et il y a peut-être beaucoup d'hommes qui disent,
05:25mais qui regardent ça de loin, toutes ces révélations, qui disent « oh là là,
05:28moi je ne suis pas comme ça du tout ». Et lui, en fait, cette accusation qui lui tombe
05:31dessus, c'est une aventure.
05:33Alors ça, c'est un scénario, c'est-à-dire que c'est un argument scénaristique qui
05:37permet de faire son bilan, de faire dire « mais moi qui ne suis pas concerné, qui suis un
05:43homme très doux, très doux, ça va très bien avec ma femme », et bien en fait, finalement,
05:47il a quand même un petit examen de conscience, une introspection à faire, et un bilan à
05:51faire sur sa masculinité, qui se dit douce, très déconstruite.
05:55Comment joue un homme doux ? Je vous pose la question parce que le corps, c'est quelque
06:00chose de très important dans la comédie, et la comédie, elle est souvent associée
06:04au burlesque, à la gesticulation, à la rapidité, aux mouvements saccadés, aux chutes, enfin
06:09on sait ce qui fait rire chez Bergson, tomber par exemple à la mécanique, et là, il n'y
06:13a pas de mécanique, il y a un homme, comment dire, assez lent, assez doux, avec les bras
06:19ballants, comment on le trouve physiquement ce personnage-là ?
06:22Ce qui fait rire aussi, c'est la vérité, c'est le premier degré, donc c'est d'être
06:25très très très sincère dans toutes les situations qui arrivent à ce pauvre type,
06:31dont on va rire, mais qui va nous émouvoir aussi, oui, on travaille une silhouette, alors
06:36ce n'est pas obligatoire dans toutes les comédies, mais là, il me donnait comme référence,
06:40des petites références.
06:41Pour ceux qui ne vous connaissent pas, vous êtes grand, et très mince.
06:44Alors je suis grand, j'ai le cul un peu en arrière, un coup de poulet, et les pieds
06:48en canard, mais je suis très sympa et irrésistible.
06:51Vous aviez des références, justement, comment on peut être à la fois mélancolique et
06:57drôle, puisque c'est ça, votre personnage ?
06:58Non mais il est quand même très très bien écrit, ce personnage, il me faisait rire
07:02sur le papier, après il faut transformer les scènes, il faut réussir les scènes,
07:05mais c'est la naïveté, sa candeur, oui, il y a du Pierre Richard, du Chaplin, du Jacques
07:11Tati, ce manteau qui me dessine, les cheveux hirsutes, un Golden Retriever qui me tire
07:16en avant, qui me déséquilibre, tout ça participe à de la drôlerie et de sa naïveté,
07:21mais oui, il y a du Jean-Pierre Bacry, du Jim Carrey, je suis nourri aussi inconsciemment
07:26par tous ces modèles.
07:27Est-ce que je repensais à ce premier film qui vous avait fait connaître le sens de
07:30la fête, où il y avait Bacry, qui était génial, où vous jouiez à l'époque un
07:34grand bourge, un type odieux, mégalo, narcissique, mais si, je me disais, peut-être que c'est
07:40plus facile quand il y a plus d'aspérité ?
07:43En fait, c'est la complexité des personnages, c'est-à-dire qu'ils ne sont pas tout
07:46d'un bloc, ce n'est pas Manichéen, ce n'est pas le salaud ou ce marié du sens
07:49de la fête.
07:50Ce que j'adore, c'est qu'il se donne énormément de mal avec son numéro de ballon
07:54à la fin et qu'il y ait de la poésie, que ça soit quand même beau et qu'on se
07:57dise « ah oui, mais il s'est donné du mal ». Et là, c'est pareil, ce type
08:01qui se dit complètement déconstruit, on pense qu'il va très bien, il y a des choses
08:04qui se fissurent et il dit de manière assez naïve « quand serais-je récompensé de
08:08ma conduite exemplaire ? ». Et on lui dit « arrête de faire ton moins-moins, la révolution
08:13elle est plus grande que tous tes petits états d'âme ». Et c'est ça qui me plaît,
08:16c'est que c'est complexe et que ça nous fait sourire et on se dit « oui, c'est
08:19vrai ».
08:20Je voudrais vous poser une petite question sur ce rôle de l'abbé Pierre que vous
08:25avez incarné.
08:26C'est quand même une drôle d'histoire dans la vie d'un acteur et c'est aussi
08:32une histoire de libération de la parole et de femmes qui ont enfin osé parler.
08:36Donc, vous tournez l'abbé Pierre, quelques mois avant les premières révélations d'agressions
08:41sexuelles et aujourd'hui de viols, sans rien savoir.
08:44Vous vous documentez sur ce personnage, vous épousez sa cause, le film sort, une vie de
08:49combat, c'est vraiment un beau succès en salle et puis boum, le succès tombe.
08:54Et là, vous dites, on est resté totalement sidéré ?
08:56Oui, le ciel vous tombe sur la tête, je pense aussi très fort au réalisateur qui a bossé
09:00pendant cinq ans.
09:01Personne ne lui a mis la main sur l'épaule en lui disant « c'est peut-être pas le
09:05bon sujet, il y a des gens qui savent des choses que… ». Et donc ça, en fait, on
09:08s'embête, on a l'impression qu'on est passé totalement à côté d'une part
09:12de ce personnage, de sa part d'ombre, quoique le film n'était pas une agiographie.
09:16Il montrait aussi les défauts, l'autorité, l'égoïsme de ce personnage, son rapport
09:24au désir aussi.
09:25Mais quelqu'un qui est travaillé par son désir et qui est aussi un séducteur ou qui
09:30fait part, par exemple, de la souffrance au quotidien, du manque de temps de reste d'une
09:33femme, ça ne fait pas forcément de lui un prédateur sur des décennies.
09:38Donc en fait, on est tombé de notre chaise et on était dégoûté, trahi.
09:42Qu'est-ce qu'il va devenir ce film ? Le témoignage d'une époque, d'un point
09:47de vue qu'on a eu sur cet homme, d'une facette de lui, qui est vraie, de tout le
09:54bien qu'il a fait aussi, mais il paraît bien naïf et ça, je trouve ça forcément
10:00violent.
10:01Et surtout, il y a toute une génération qui ne va pas vouloir le voir.
10:04Et ça, c'est triste de montrer que l'exemple qu'il était n'est plus.
10:08Et en même temps, l'idée, c'est vraiment d'écouter la parole de toutes ces femmes
10:13qui témoignent.
10:14Et c'est ce moment-là pour l'instant.
10:16Alors, le 16 avril, sort en salle « Le mélange des genres » de Michel Leclerc avec Léa
10:21Drucker qui est à hurler de rire, Judith Chemlin et Béla Bébia.
10:24Je ne suis pas tout seul, c'est un vrai film de troupe.
10:25C'est un vrai film de troupe.
10:26Julia Piaton, Vincent Elbaz.
10:27Vous êtes entouré de beaucoup de femmes.
10:29De beaucoup de femmes.
10:30Formidable.
10:31« Mélange des genres ». Merci Benjamin Lavergne.