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  • il y a 3 jours

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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:11Elle s'appelait Yvette, il s'appelait Bernard.
00:15On pourrait chanter sur un air de valse tranquille les amours des deux personnages dont il va être question aujourd'hui.
00:22Il s'appelait Bernard, elle s'appelait Yvette.
00:24Et cela n'aurait pu être qu'une liaison, un adultère de plus, aux firmaments abondamment étoilés, des amours extra-conjugaux.
00:34Bernard était marié à Ginette et Yvette avait épousé René.
00:39Si l'on avait interverti les partenaires, si Bernard et Yvette avaient été unis, René aurait peut-être rencontré Ginette.
00:48Cela aurait fait aussi deux ménages, mais il y aurait peut-être aujourd'hui deux cadavres de moins sur la terre et deux prisonniers de moins derrière les barreaux.
01:02Cela aurait fait un sujet de conversation de moins également à Bourganoff, dans la Creuse.
01:07Car la liaison tumultueuse de Bernard et d'Yvette se termina par deux cadavres et un retentissant procès devant les assises de Limoges.
01:17Un procès dont vous vous souvenez peut-être, puisqu'il se déroula en juin 1972.
01:24Cela ne vous dit rien ?
01:26Alors peut-être avez-vous vu un film intitulé « Les noces rouges » avec Michel Piccoli et Stéphane Audran ?
01:32Eh bien, chers amis, Michel Piccoli était Bernard et Stéphane Audran, Yvette.
01:38Car ces noces rouges, c'est l'histoire, embellie par le talent de Claude Chabrol, des amants de Bourganoff.
01:46Aujourd'hui, Grégory Franck nous en propose le récit véritable.
01:51Voici donc, sans les feux de la rampe, une passion de Bourganoff.
01:57Un nouveau dossier extraordinaire.
02:02La voiture, une Ford Tonus, avait basculé par l'avant dans le fossé.
02:25Elle était tournée vers le ruisseau.
02:28Elle avait tous ses feux allumés.
02:29M. Grandot, chauffeur routier, arrêta brutalement son véhicule et se précipita.
02:37C'est alors qu'il aperçut une femme gisant à dix mètres de là.
02:41M. Grandot courut vers la femme.
02:44Dès qu'il fut près d'elle, il put voir qu'elle avait du sang sur le front.
02:49Il se pencha et la femme s'accrocha à lui en hurlant « J'ai peur, ne me laissez pas ! »
02:55Jugeant instantanément que l'état de la femme n'était pas désespéré,
03:00le sauveteur se dégage, bien qu'elle essaie de le retenir farouchement
03:03et retourne vers la voiture accidentée.
03:08Par la vitre, il aperçoit la silhouette d'un homme affaissé sur le siège avant,
03:13mais son attention est tout de suite attirée par de la fumée qui sort de sous la voiture.
03:18M. Grandot éteint donc ce commencement d'incendie, ou du moins le croit-il,
03:25car au moment où il essaie vainement d'ouvrir la portière pour dégager l'homme à l'intérieur,
03:29une gerbe de flammes jaillit et la voiture tout entière s'embrase.
03:34C'est alors qu'arrive sur les lieux un second témoin, M. Rivière.
03:38Il s'approche lui aussi prudemment et voit le pare-brise éclater.
03:42Au milieu de la fumée plus épaisse et des flammes,
03:45les deux hommes constatent avec horreur qu'un bras humain est passé dans le pare-brise
03:49et repose sur le capot.
03:52Courageusement, M. Rivière tente de tirer ce bras à lui,
03:55mais il doit se reculer précipitamment car la chaleur est devenue soudain intenable.
04:01C'est trop tard.
04:03Pendant que la voiture se consume, on alerte la gendarmerie.
04:08Dès qu'elle est sur place, elle commence les constatations d'usage
04:11et cherche sur la chaussée des traces de dérapage.
04:14Rien de ce genre ne peut être relevé.
04:17Cependant, les gendarmes ne s'en étonnent pas trop puisqu'il a plu à torrent
04:20et que la voiture a pu faire une glissade vers le fossé
04:23sans laisser apparemment de gomme sur la chaussée.
04:27On a emporté vers l'hôpital la malheureuse femme
04:29qui vient de perdre son mari dans cet accident
04:31et qui, par miracle, a été éjectée,
04:35échappant ainsi d'abord à un choc fatal,
04:37ensuite au terrible incendie
04:39qu'il ne lui aurait aissé aucune chance.
04:42Quand ils furent certains
04:43qu'elle était à peu près remise du choc,
04:46les gendarmes se rendirent au chevet de la rescapée
04:48et parvinrent à recueillir sa déposition entre deux sanglots.
04:52On lui présenta des condoléances
04:53et l'on classa l'affaire.
04:59Mais l'opinion publique, elle,
05:03ne classe à rien du tout.
05:05C'est que les bourgagnois avaient leur opinion efflairée là-dessous
05:09quelque chose de pas très catholique.
05:12Ils voyaient même,
05:13dans la disparition de cet homme dans un accident de la route,
05:16un de ceux que l'on appelle accident stupide,
05:19ils voyaient, les habitants de Bourganeuf,
05:22une coïncidence un peu curieuse.
05:25Mais, pour comprendre,
05:27il faut que vous connaissiez l'affaire depuis le début,
05:29c'est-à-dire non pas,
05:31en la prenant ponctuellement,
05:32au moment de cet accident,
05:33comme les gendarmes,
05:34lors de leur rapide enquête.
05:36Non, chers amis,
05:37pour savoir
05:38ce que pouvait penser l'opinion publique de Bourganeuf,
05:41il vous faut prendre l'affaire
05:42quelques années auparavant,
05:44ainsi qu'ont pu la connaître
05:45et la commenter,
05:47ceux qui l'ont vu se dérouler.
05:49Et ils sont nombreux, ceux-là.
05:51Et ils en ont à dire,
05:53car il n'est pas grand-chose de la vie privée
05:55des gens qui ne transparaissent un jour ou l'autre
05:58dans une ville comme Bourganeuf.
06:01Il existe, semble-t-il,
06:03issu de je ne sais quelle tradition,
06:06de je ne sais quel savoir-vivre,
06:08une norme pour toutes les choses de la vie.
06:11Il y a une manière de se tenir quand on sort,
06:13une manière de s'habiller,
06:14une manière de parler ou de ne pas parler
06:16à telle ou telle occasion.
06:17Et dans nombre de villes repliées sur elles-mêmes,
06:20où l'on passe son temps à s'observer,
06:22le moindre manquement à cette norme,
06:24la moindre variation entre l'attitude que vous avez
06:27et celle que vous devriez avoir,
06:30tout cela donne instantanément lieu
06:31à une interprétation.
06:34Et le plus fort,
06:35c'est qu'avec un peu d'habitude,
06:37les observateurs finissent par se tromper
06:39assez rarement.
06:40À Bourganeuf, on connaissait Yvette,
06:44fille de cultivateur,
06:45quatrième d'une famille de cinq enfants.
06:47Yvette avait aidé ses parents
06:49à exploiter leur petite ferme
06:51et elle était restée au milieu des champs
06:53jusqu'au-delà de ses vingt ans.
06:55Mais une petite exploitation
06:57avec très peu de terre,
06:58cela ne rend pas,
06:59c'est trop dur à tenir
07:00pour vous permettre de vivre,
07:02à peine.
07:03La famille d'Yvette vient en ville
07:05et la ville,
07:07c'est Bourganeuf.
07:08Là,
07:09les emplois ne sont pas abondants
07:10pour une fille qui n'a pas de diplôme,
07:12pas de spécialité,
07:12aucune formation,
07:13que le travail des champs.
07:15Yvette trouve une place
07:17au collège d'enseignement technique,
07:19elle devient aide-cuisinière.
07:21Mais au milieu des gros fêtous
07:22et de la vaisselle épaisse de la cantine,
07:25Yvette rêvait.
07:28Elle avait ce qu'il est convenu d'appeler
07:30« une nature ardente ».
07:33Elle n'était pas particulièrement jolie.
07:35Un journaliste la décrivit plus tard
07:37comme ressemblant au portrait
07:39que l'on a de François Ier
07:40par le peintre Clouet.
07:41C'est le même nez long et fort,
07:43descendant sur la lèvre supérieure,
07:45il lui manque cette pointe de malice
07:47dans l'œil
07:47et la sensualité de la bouche.
07:50Cependant,
07:50si cette sensualité ne transparaît pas,
07:52elle est bien présente
07:54et vécue ardemment par Yvette
07:56qui a de nombreuses liaisons,
07:58dont une, dit-on,
07:59avec un haut fonctionnaire.
08:01De l'une de ses aventures
08:02naquit un fils
08:03qui va être commençant à élever seul.
08:06Et je vous prie de croire
08:07que ce n'est pas toujours facile
08:08d'être fille mère
08:09dans une ville de province.
08:11René, lui,
08:13s'était marié une première fois,
08:14il s'était sorti tant bien que mal
08:16de ce divorce
08:16et depuis,
08:17comme le disait l'un de ses proches,
08:19il refaisait le garçon.
08:20René était connu partout
08:22comme un excellent garçon,
08:23le meilleur garçon du monde même.
08:25Il est rare de recueillir sur un homme
08:27autant de témoignages de bonté
08:29que sur celui-là.
08:30Fils de plombier,
08:32René avait choisi de lui-même
08:33le travail de la mine
08:34pour ne pas être à la charge
08:35de ses parents
08:36et être un peu indépendant.
08:39Il aurait bien pu prendre à son tour
08:40une boutique,
08:41ouvrir un commerce
08:41et vivre plutôt bien,
08:43mais une boutique sans une femme
08:45pour l'aider,
08:46lui tenir compagnie
08:47après les longues journées,
08:48à quoi cela servirait-il ?
08:50Et puis,
08:51disons le tout net,
08:52René était peut-être un homme bon,
08:54mais il était un peu mou
08:55et manquait considérablement
08:56d'esprit d'entreprise.
08:58Alors,
08:58il travaillait
08:59et puis il sortait,
09:00il faisait le garçon.
09:02Et c'est au bal,
09:02un soir,
09:04qu'il rencontra Yvette.
09:06Elle était,
09:06comme je vous l'ai dit,
09:07fille mère
09:08et pas particulièrement jolie.
09:10Mais René voulait une épouse
09:12et Yvette possédait,
09:14à ce que l'on dit,
09:15de ses qualités cachées
09:17qui font qu'un homme
09:18puisse désirer
09:19l'avoir pour lui tout seul.
09:20C'est ce qui arriva
09:21et il épousa Yvette
09:23en 1956.
09:25Il était bien loin
09:26de se douter, René,
09:28qu'il finirait
09:29une nuit de pluie torrentielle
09:31dans une voiture en flamme
09:33au fond d'un fossé.
09:36Qu'il finirait ainsi
09:37parce qu'il était trop gentil,
09:38trop bon,
09:40qu'il aimait trop cette femme
09:41qu'il venait de faire sienne.
09:49Les récits extraordinaires
09:51de Pierre Belmar,
09:52un podcast européen.
09:54René avait donc épousé Yvette
09:55en 1956
09:56et il trouvait sa femme
09:58tout simplement merveilleuse.
09:59Il rayonnait de bonheur
10:00et partout
10:01faisait l'éloge
10:02de son épouse.
10:03Mais Yvette,
10:04très vite,
10:05ne partagea pas ce bonheur.
10:07Elle rêvait toujours,
10:08toujours,
10:09elle voulait mieux
10:10et ne se faisait décidément
10:11pas d'amis autour d'elle.
10:12Et pourtant,
10:13vous savez peut-être,
10:14chers amis,
10:14comme il est important
10:15d'entretenir de bonnes relations
10:16avec tout l'entourage,
10:17dans les villes petites
10:18ou moyennes
10:19où tout se fait
10:20et s'accomplit
10:20entre gens qui se connaissent.
10:23Elle avait en revanche
10:24de l'énergie,
10:25de l'ambition
10:26et un grand sens
10:27de l'organisation.
10:28On peut donc dire
10:29que René,
10:30avec sa gentillesse,
10:31toujours prêt
10:32à rendre un service
10:33ici ou là
10:33et Yvette,
10:34ah,
10:35progain,
10:36eh bien tous deux
10:36se complétèrent fort bien.
10:37La preuve,
10:39c'est que la boutique
10:39de quincaillerie
10:40et d'électroménager
10:41une fois prise,
10:42elle prospéra très vite.
10:43L'argent afflua
10:44dans la caisse
10:45et le ménage
10:45eut bientôt
10:46une vie aisée
10:47avec une bonne,
10:48une télé,
10:49trois voitures.
10:51Mais René,
10:52s'il était au petit soin
10:53pour sa femme,
10:54ne sortait jamais,
10:55il ne chassait pas,
10:56il n'aimait pas la pêche,
10:57il ne pratiquait
10:58aucun sport.
10:59Ah si,
10:59il n'avait qu'une seule passion.
11:01Il allait
11:02aux champignons,
11:03aux champignons
11:04et aux pissenlits
11:05et il était tout content
11:07d'y emmener sa femme.
11:09Mais ces saines distractions
11:10n'étaient pas tout à fait
11:12du goût de l'épouse
11:13qui rêvaient aux lumières
11:14d'Aubusson,
11:15de Guéret,
11:16de Limoges
11:17et un rêve n'a pas de limite,
11:19pourquoi pas,
11:19aux lumières des grands magasins
11:20de Paris.
11:22Cet univers brillant et doré
11:23surgit un jour,
11:25oui,
11:25il surgit un jour dans sa vie
11:27avec le visage
11:29de Bernard.
11:30Bernard,
11:30agent commercial de l'EDF
11:31à Montluçon,
11:33Bernard ne venait pas
11:34voir Yvette,
11:35mais René,
11:36avec qui il était
11:36en relation d'affaires.
11:38Bernard était bien habillé,
11:39Bernard mettait
11:40de l'eau de toilette,
11:41portait des lunettes
11:42légèrement teintées,
11:43avec ses costumes
11:44genre cardin,
11:45sa sacoche noire
11:47simili-cuir,
11:48Bernard était un monsieur.
11:50La province,
11:51il y était par hasard
11:52et il le faisait bien sentir.
11:54Bernard avait des succès,
11:55mal apprécié
11:56des maris de la région,
11:57il aimait l'argent aussi,
11:59quelques-uns
11:59osaient rappeler
12:00une histoire
12:00plus ou moins bien connue
12:01de camions brûlés
12:02et d'assurances touchées
12:03un peu hâtivement,
12:04mais rien de certain
12:05dans tout cela.
12:07Bernard avait épousé Ginette
12:09en 1953
12:10et Ginette lui avait donné
12:12un enfant.
12:14Bernard connaît
12:15ce nom René
12:15et il connut sa femme,
12:18Yvette,
12:19et un jour,
12:20elle se donna à lui
12:21lors d'un voyage
12:22à Limarche.
12:25Bernard et Yvette
12:26se rencontrèrent
12:26de plus en plus souvent.
12:28D'abord,
12:29il venait tous les quinze jours,
12:30nous dit un employé
12:30de la boutique.
12:31Puis on l'a vu au magasin
12:32une fois par semaine,
12:33puis deux fois,
12:35et après,
12:35eh bien,
12:36cela n'avait plus de cesse.
12:37Il était là
12:38tous les soirs.
12:40Et c'est là,
12:41c'est là que René,
12:42le mari trompé,
12:43fit une faute,
12:43une très grande faute,
12:45une de celles
12:46qui devait
12:47lui coûter la vie.
12:49Il savait.
12:51Il ne pouvait pas
12:52ne pas savoir.
12:54Mais il était trop bon,
12:55il était trop mou.
12:56Peut-être
12:58aimait-il trop sa femme.
13:01Peut-être,
13:01se disait-il,
13:03si je lui en fais le reproche,
13:06si je lui demande
13:06d'arrêter,
13:08je vais me quitter.
13:10Elle voudra divorcer.
13:11Alors René ne dit rien.
13:16Il continua
13:17à recevoir Bernard
13:18comme un ami.
13:19Il accepta
13:20que son couvert
13:20fût mis à la table
13:21tous les jours.
13:23Et une sorte
13:24de ménage à trois
13:24s'institua
13:25chez le tranquille boutiquier
13:26du tranquille
13:28chef-lieu
13:29de Bourganoff.
13:31Les gens du bourg
13:31commençaient à rire,
13:32mais René
13:32était trop apprécié
13:34pour sa gentillesse.
13:36Et la ville
13:36commença à grogner
13:37sourdemment,
13:38à reprocher plus ou moins
13:39ouvertement à Yvette
13:40cet état de choses scandaleux.
13:42Quant à Bernard,
13:42l'autre,
13:43comme on disait,
13:44il n'avait jamais eu
13:45d'amis dans les environs.
13:46Et ce n'est pas cela,
13:47bien sûr,
13:48qui lui en procura.
13:50L'aveuglement volontaire
13:51de René,
13:52ce poids
13:52qu'il acceptait
13:53de porter dans la vie
13:54en attendant que peut-être
13:55un jour,
13:56Yvette se lasse
13:57de son amant,
13:59tout cela ne servit
14:00à pas grand-chose.
14:01René continuait
14:02à promener sa gentillesse
14:03en bleu de travail,
14:04un mégot
14:05au coin des lèvres,
14:06pas souvent rasé.
14:07Et quand on travaille,
14:08on sent un peu
14:09la sueur.
14:10Bernard portait toujours
14:11ses costumes de parisiens,
14:12ses lunettes fumées,
14:14il avait les joues lisses
14:15qui sentaient l'aftershave.
14:17René,
14:18une fois revenu
14:18de ses longues journées
14:19laborieuses,
14:20dînait en silence,
14:21se couchait
14:22et s'endormait
14:23en respirant fort.
14:25Bernard pouvait
14:26se libérer
14:26l'après-midi
14:27et emmener Yvette
14:27en voiture
14:28dans les bois environnants.
14:29Et lui,
14:30lui n'avait aucun goût
14:32pour la recherche
14:33des champignons
14:34et des pissenlits.
14:35Bernard
14:35était un amant
14:36passionné.
14:37Yvette,
14:38une femme insatiable,
14:40Bernard connaissait
14:41un médecin
14:41qui lui avait fait
14:42une ordonnance
14:43pour des produits
14:43à base d'hormones
14:44dont il abusait
14:45peut-être un peu.
14:46Et entre Bernard
14:47et Yvette,
14:48c'était une sorte
14:49de délire physique.
14:51Alors,
14:52Yvette continuait
14:52à faire des comparaisons
14:53entre les deux hommes
14:54de sa vie
14:54et dans sa tête
14:56tournait sans arrêt
14:57un mot.
15:00Divorce.
15:02Divorcer,
15:03c'était partir,
15:04quitter Bourgueneuf
15:05en même temps que René,
15:06aller vers les Lumières,
15:07la grande ville.
15:09Bernard,
15:09lui,
15:10pensait à autre chose,
15:12à ce que l'on murmurait
15:12en ville.
15:14Sa maîtresse
15:15était mariée
15:15en communauté de biens
15:16et toucherait
15:17la moitié du fonds
15:17de commerce
15:18en cas de séparation.
15:20Ils prirent conseil
15:21et l'avocat
15:22ne leur cacha pas
15:23que leurs deux divorces
15:24entraîneraient
15:24une procédure longue,
15:25pénible,
15:26coûteuse,
15:27car apparemment,
15:28le mari de l'une
15:29et la femme de l'autre
15:30n'avaient pas grand-chose
15:31à se reprocher.
15:33C'est probablement
15:34à cette époque
15:35que Bernard
15:36commença
15:37à songer
15:38à une autre solution.
15:42D'autant plus
15:42que sa maîtresse
15:43lui avait révélé
15:43que René avait souscrit
15:44une assurance
15:45sur la vie
15:45assez importante.
15:47Une assurance
15:48qui triplait
15:48si la mort
15:49survenait par accident.
15:51Et dans ce cas,
15:52ce serait aussi
15:53la totalité
15:54du commerce
15:55qui reviendrait
15:55à la jeune femme.
15:59Alors vint
16:00le 24 décembre
16:021969.
16:06Ce soir-là,
16:06les deux familles
16:07s'étaient pour une fois
16:08reconstituées.
16:08D'un côté,
16:09il y avait René
16:09avec Yvette
16:10et de l'autre,
16:12Bernard
16:12avec Ginette.
16:15Ginette avait
16:16l'humeur maussade
16:17car elle avait été
16:19la dernière à apprendre
16:20et très récemment
16:21la liaison
16:22de son mari.
16:23Une humeur rendue
16:24encore plus chagrine
16:25par une forte grippe
16:26qui lui faisait
16:27les jambes un peu molles
16:28et la tête lourde.
16:30Elle commença
16:30à préparer
16:31le sapin de Noël
16:32pour la petite
16:33et puis l'on se disputa.
16:36Bernard tremblait
16:37de rage
16:37mais il prépara
16:39quand même
16:39l'un des nombreux
16:40médicaments
16:40que prenait sa femme
16:41qui souffrait toujours
16:42d'un peu partout,
16:43de petits malaises
16:44sans importance
16:44mais qui rendent
16:46la vie impossible.
16:48Ce médicament-là,
16:49c'était pour la vésicule
16:50mais Bernard y ajouta
16:52un puissant somnifère
16:54et Ginette
16:56ne tarda pas
16:56à vaciller
16:57et à tituber
16:58vers son lit
16:58où elle s'endormit
17:00profondément.
17:02Alors là,
17:03imaginez,
17:04chers amis,
17:04cette chambre,
17:05cette chambre à coucher,
17:07les meubles
17:08en bois de rose,
17:10une chambre
17:11bien provinciale,
17:12bien bourgeoise.
17:13Ginette s'est endormie
17:14bien avant l'heure
17:15du réveillon de Noël
17:16et de ce sommeil,
17:19elle ne se réveillera
17:20jamais.
17:22Car voici que Bernard,
17:23ayant couché
17:23leur petite fille,
17:25entre dans la chambre
17:26et contemple
17:27sa femme endormie.
17:29Il tient à la main
17:30un flacon
17:31et du coton.
17:33Dans le flacon,
17:34il y a
17:34de l'éther.
17:36Bernard verse
17:37l'éther sur le coton,
17:39il en confectionne
17:40deux tampons
17:41qu'il glisse
17:42dans les narines
17:44de son épouse.
17:46C'est du moins
17:46ce qu'en ont conclu
17:48bien plus tard
17:49les enquêteurs
17:49quand Bernard a prétendu
17:51à l'instruction
17:51que c'était sur l'oreiller
17:52qu'il avait versé le liquide.
17:54Il a dit aussi
17:55que ce n'était pas
17:55dans l'intention
17:56de tuer son épouse
17:57mais de prolonger
17:58son sommeil.
18:00Toujours est-il
18:00que la malheureuse
18:01glissa
18:02sans reprendre conscience
18:03du sommeil
18:05à la mort.
18:08La grippe,
18:10les barbituriques
18:10et les terres
18:11avaient fait
18:13leur œuvre.
18:15Bernard appela
18:15un médecin
18:16qu'il ne connaissait pas.
18:18Après une rapide enquête
18:20que le médecin
18:20demanda discrètement,
18:22on en conclut,
18:23chose incroyable,
18:25que rien ne s'opposait
18:27à la délivrance
18:27du permis d'inhumer.
18:29Les obsécures lieux
18:31et le surlendemain,
18:34on voyait de nouveau
18:35Bernard
18:35avec Yvette.
18:39Pour le réveillon
18:40du 31 décembre,
18:41René Lévy arrivait
18:41main dans la main
18:42et pour la première fois,
18:44la colère éclata.
18:45Il s'arma
18:46d'une barre de fer.
18:47Mais
18:47c'est sur la voiture
18:50de Bernard
18:50qu'il frappa,
18:51la colère
18:52d'un homme faible
18:53qui se venge
18:54sur un objet.
18:56Les deux amants
18:57le calmèrent,
18:58on passa quand même
18:59le réveillon ensemble
19:00et la vie
19:01continua
19:02tant bien
19:02que mal.
19:05Triste début
19:06pour l'année 1970.
19:07Mais dans la tête
19:09de Bernard
19:10tournait toujours
19:11les 27 millions
19:11d'assurances
19:12sur la vie
19:12et le prix
19:14que l'on peut tirer
19:14d'un commerce florissant
19:16en plein centre
19:16de Bourganeuf.
19:20Yvette et son mari
19:21passent la journée
19:22du 23 février
19:23à Brive
19:24et reviennent
19:26à la nuit.
19:27C'est Yvette
19:28qui conduit la tonus
19:29comme à son habitude
19:30et par hasard,
19:31enfin,
19:32quand je dis par hasard,
19:33je me comprends,
19:34un seul
19:35des deux phares
19:35éclaire la route.
19:37Il pleut.
19:40Près d'un pont,
19:41une silhouette
19:42fait un signe.
19:44Yvette interroge
19:45René
19:45d'un mouvement
19:46de la tête.
19:47Yvette sait
19:48que René
19:48s'arrête toujours
19:49pour prendre
19:50les autostoppers
19:51et les aider
19:51à faire un bout
19:52de chemin.
19:53René est un homme bon.
19:55Il dit à sa femme
19:55de s'arrêter.
19:57Elle freine,
19:58dépassant
19:59de quelques mètres
20:00l'homme
20:00au bord de la route.
20:02La silhouette
20:03est engoncée
20:04dans un imperméable
20:05la face
20:06mangée
20:06par une grosse barbe.
20:08Que fait ce barbu
20:10sous la pluie
20:11près d'un pont
20:11la nuit
20:12sur la route
20:13de Brive ?
20:15L'homme s'approche
20:16à grand pas
20:16de la voiture
20:17et René,
20:17qui occupe
20:18la place du passager,
20:19la place du mort,
20:21René ouvre
20:21la portière
20:22et sort
20:22car la voiture
20:23n'a que deux portes
20:24et il faut basculer
20:25le siège
20:25pour donner accès
20:26aux places arrières.
20:29Et alors,
20:30il réalise
20:30cet homme,
20:32ce barbu,
20:35mais c'est trop tard.
20:39Bernard lève
20:40une énorme clé
20:41à tube
20:41en métal
20:41et frappe.
20:43Il frappe à la tête
20:44et frappe encore.
20:48René s'écroule
20:48dans l'herbe mouillée.
20:51Bernard sort
20:52un revolver
20:53et décharge
20:55son arme
20:55sur le corps
20:57de sa victime.
20:58Que fait Yvette
21:02pendant ce temps ?
21:04Personne ne le sait
21:05exactement,
21:05mais je l'imagine
21:07assistant à la scène
21:08avec quand même
21:09le cœur au bord
21:09des lèvres,
21:11poussant peut-être
21:11un cri
21:12ou essayant
21:15de retenir
21:15le bras de son amant
21:16au dernier moment.
21:18Mais quand René,
21:19le crâne fracassé,
21:20le corps transpercé
21:21de balles
21:22est immobile
21:22dans l'herbe,
21:24peut-être,
21:25oui, peut-être
21:26aide-t-elle
21:27à le transporter
21:27sur le siège avant
21:28et à pousser
21:30la voiture
21:30dans le fossé.
21:33Bernard s'empare
21:34alors d'un bidon
21:34d'essence
21:35qui, coïncidence,
21:36traînait sous la banquette
21:38et il arrose
21:39la voiture
21:39et aussi l'herbe
21:40et la terre
21:40tout autour.
21:43Soudain,
21:43un bruit,
21:44deux phares puissants,
21:46un camion.
21:47« Vite,
21:47allonge-toi ! »
21:48crie Bernard.
21:50Yvette,
21:50qui a du sang
21:50sur le front,
21:51celui de son mari
21:52ou le sien
21:53à la suite d'un coup
21:53pris dans la lutte,
21:55Yvette se laisse tomber
21:56à dix mètres
21:56de la voiture
21:56au bord du fossé
21:57et elle dira
21:58qu'elle a été éjectée.
22:00Alors arrive le camionneur
22:01qui remarque la fumée
22:02sous la voiture,
22:03peut-être les herbes
22:04au contact
22:04du pot d'échappement.
22:06Le sauveteur
22:06manie l'extincteur
22:07puis retourne
22:08vers Yvette.
22:09Alors Bernard,
22:09caché derrière un buisson,
22:11jette son briquet
22:12sur l'essence répandue
22:12et se sauve
22:13vers sa propre voiture
22:15cachée dans un chemin.
22:18Voilà.
22:20Voilà l'affaire,
22:21chers amis.
22:21Comment la connu-t-on
22:25en détail,
22:25me direz-vous,
22:26puisque les gendarmes
22:27classèrent ce banal
22:27accident de la route
22:28après une rapide
22:29déposition d'Yvette ?
22:31Eh bien,
22:32c'est que,
22:32quelques jours plus tard,
22:34le procureur de Limoges
22:35reçut une lettre
22:36commençant ainsi.
22:37« Monsieur,
22:39je suis le fils
22:41de M. René B
22:42qui a péri carbonisé
22:44dans un accident
22:44de voiture
22:45lundi 23 février
22:47à 21h30
22:48au lieu dit
22:48Saint-Bonnet-Briance.
22:50Les causes
22:51de cet accident
22:52et surtout
22:53de l'incendie
22:54me paraissant
22:55inexplicables,
22:56pourriez-vous,
22:57M. le procureur,
22:58faire procéder
22:59à une enquête,
22:59etc., etc. »
23:02La lettre
23:02était signée
23:03de Gérald,
23:05le propre fils
23:06de René
23:07et d'Yvette.
23:11On autopsie René,
23:13on relève
23:14les fractures du crâne,
23:16les coups de revolver,
23:18on détermine aussi
23:19par sa gorge
23:19et ses poumons noircis
23:20qu'il respirait encore
23:22pendant l'incendie.
23:25De fil en aiguille,
23:26on exhuma Ginette,
23:28la femme de Bernard,
23:29curieusement morte
23:30d'une mauvaise grippe.
23:31Elle avait été ensevelie
23:32dans la belle robe
23:33de chambre neuve
23:34offerte par son époux
23:35le soir de Noël.
23:35Le soir de sa mort
23:37et aussi dans un suer
23:38de matière plastique
23:39à fermeture éclair.
23:40Il paraît que ça se fait.
23:42À l'ouverture
23:43de ce sac mortuaire,
23:45une telle odeur
23:46d'éther se dégagea
23:47qu'il fut difficile
23:47de continuer à douter.
23:50La cour d'assises
23:51de Limoges
23:52condamna Yvette
23:52à dix ans
23:53de réclusion criminelle.
23:54Bernard fut condamné
23:55à mort.
23:56Mais à la dernière minute,
23:57un juré se leva
23:58en déclamant
23:59intempestivement
24:00qu'il n'était pas d'accord
24:01avec la thèse
24:02du pot d'échappement
24:02mettant le feu
24:03aux herbes mouillées.
24:04ont dû remplacer
24:05le juré,
24:07vice de forme
24:07dans le procès.
24:09Bernard se pourvut
24:10en cassation.
24:11Et les assises
24:12de Bordeaux
24:12lui reconnurent
24:14cette fois
24:14les circonstances
24:16atténuantes.
24:17réclusion criminelle
24:19à perpétuité.

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