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  • 17/06/2025
Dans son édito du 17/06/2025, Paul Sugy revient sur les épreuves de philosophie du baccalauréat.

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Transcription
00:00Exceptionnellement, ce matin, vous voulez nous proposer un corrigé du bac de philo.
00:04L'épreuve avait lieu hier et la philosophie, c'est parfois très politique, Paul.
00:08Oui, c'est même souvent le cas. Romain, il est quoi de plus naturel ?
00:10D'ailleurs, qu'en philosophie, on puisse discuter de grandes questions
00:12telles que l'État, le devoir, la justice, bref, la politique.
00:16Et cette année n'a pas fait exception.
00:18Les candidats pouvaient commenter un texte du philosophe américain John Rawls,
00:22que l'on connaît pour sa théorie de la justice parue en 1971,
00:25et dont le texte était extrait.
00:27Rawls veut réconcilier, c'est un grand projet,
00:29l'égalité et la liberté, grâce à l'État, qui régule la quantité de richesse de chacun.
00:34Et pour être libre, nous dit le texte,
00:35il faut que nous ayons un accès notamment équitable aux débats politiques, donc aux médias.
00:40On frôle jusqu'ici la lapalissade, mais le meilleur arrive.
00:42Une société où de riches propriétaires posséderaient des médias serait une société injuste,
00:46et il faudrait, pour l'éviter, selon Rawls,
00:48que l'État subventionne abondamment des médias concurrents pour rétablir l'équilibre.
00:52C'est peu ou prou un résumé du texte.
00:54Mon corrigé de ce bac de philo sera donc assez rapide.
00:57Un bon élève qui aurait lu correctement le texte,
01:00avec lequel on l'a bassiné pendant toute la matinée d'hier,
01:02conclura en s'écriant que la propriété privée des médias est un risque,
01:06que Vincent Bolloré serait un salaud,
01:08et que l'audiovisuel public serait une bénédiction pour ce pays.
01:11C'est quasiment la conclusion du texte.
01:13Vous pensez donc que ce texte a été choisi à des fins politiques ?
01:16En tout cas, difficile de ne pas avoir un clin d'œil peu subtil au débat qu'on a actuellement
01:20sur la place, le rôle des médias,
01:22alors que des chaînes privées comme cette antenne viennent perturber l'entre-soi médiatique,
01:25et que, dans l'opinion, l'audiovisuel public est parfois tant sursis.
01:29Mais c'est vrai que choisir de faire commenter un texte de John Rawls
01:32n'est de toute façon pas neutre en soi.
01:34Rawls, c'était un peu la figure tutélaire du consensus mou libéral,
01:38l'idole un peu has-been des centristes anglo-saxons d'il y a 30 ans.
01:40Au fond, le livre de chevet des étudiants de Sciences Po
01:43qui sont en même temps sociodémocrates et libéraux à la fois.
01:46Et d'ailleurs, c'est quand même pas un hasard.
01:48Emmanuel Macron le citait longuement dans son grand débat face aux intellectuels en 2019.
01:52Et d'ailleurs, dans un exercice de prémonition,
01:54hier, le Gorafi publiait une fausse déclaration parodique d'Elisabeth Borne
01:57qui promettrait la moyenne à tous les élèves qui citeraient le philosophe Emmanuel Macron
02:01dans leur copie, comme quoi la réalité n'était pas loin de la fiction.
02:04Qu'est-ce que vous lui reprochez à John Rawls ?
02:06Rawls a voulu penser la justice sociale à partir d'une sorte d'expérience de pensée
02:10dans laquelle on ferait abstraction de notre position sociale,
02:14de nos propres mérites, même de notre identité la plus profonde.
02:17C'est une idée qui est vaguement universaliste.
02:19Alors on comprend l'intérêt, ça évite parfois de se fourvoyer aussi
02:21dans un déterminisme woke où chacun doit recevoir en fonction de son sexe,
02:25de sa race, de son appartenance à telle ou telle minorité opprimée.
02:28Très bien.
02:28Mais le contrat social pensé par Rawls, c'est une théorie abstraite
02:32où le talent individuel est presque accessoire
02:35et dans laquelle la nation n'est qu'un ensemble de transactions mutuellement consenties
02:38par le plus grand nombre, débarrassées de tout sentiment d'appartenance collective,
02:42nourries par une certaine idée du destin national ou même du bien commun.
02:46Alors cette vision de la société qui est fondée sur l'individu,
02:48sans identité, sans attache, au fond est sans doute à la racine
02:52de la crise individualiste qu'on vit aujourd'hui.
02:53On ne voit pas comment est-ce qu'une telle société
02:55pourrait surmonter la crise d'autorité, l'effondrement du savoir-vivre
02:58et même l'affaissement culturel que l'on connaît aujourd'hui.
03:01C'est un autre philosophe écossais, celui-là, Alasder McIntyre,
03:04qui est disparu il y a quelques semaines et qui l'a le mieux résumé.
03:06Dans une société où le gouvernement n'exprime ni ne représente
03:09la communauté morale des citoyens, dit-il,
03:11il ne reste qu'une série d'arrangements institutionnels
03:14pour imposer une vérité bureaucratique
03:16et la nature de l'obligation politique devient confuse.
03:19Moi je rêve pour ma part d'un jour où les élèves de Terminal
03:22plancheront sur un sujet de bac de philo
03:24qui propose de sortir de la crise politique que nous vivons
03:26et qui est essentiellement une crise du désengagement de la vie commune.
03:29John Rawls, c'est là, ça ne le permet pas.
03:36Merci.
03:37Merci.
03:38Merci.

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