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Il y'a plusieurs jours, Mathieu Burgalassi réagissait à la vidéo autour du survivalisme de Squeezie, McFly et Carlito, leur déconseillant fortement de participer à l'un de ces stages.

Entre combats violents, traque en pleine nature, asphyxie… Mathieu Burgalassi nous racontait il y'a plusieurs années sur Konbini les pratiques parfois extrêmes dont il a été témoin lors de son immersion au sein d’un groupe survivaliste.

Catégorie

📚
Éducation
Transcription
00:00Nous, on regardait en tant qu'élèves, on était tous paralysés.
00:02On est à côté d'un salon de coiffure et d'un magasin de sushis,
00:05et là, il y a le type, il est en train d'étrangler, à mort quelqu'un.
00:09C'était hyper violent, et c'était mon premier stage de survie.
00:14Les survivalistes, c'est des gens qui se préparent à une crise.
00:17Ça peut être une crise économique, ça peut être une crise écologique.
00:20Pour eux, ce qui compte, c'est que ce sera une crise tellement grosse
00:23qu'elle va mettre l'État au pied du mur.
00:24Du jour au lendemain, il n'y aura plus de police, plus de pompiers, plus d'armée.
00:28Les gens seront complètement livrés à eux-mêmes.
00:30Il y aura des pénuries alimentaires, des pénuries de médicaments.
00:33Et en fait, l'homme va devenir en quelque sorte un loup pour l'homme.
00:36Le gentil voisin qui nous aidait à monter les courses,
00:38peut-être qu'il viendra défoncer notre porte à la hache pour prendre ce qu'on a chez nous.
00:41Et c'est ça qu'il prépare.
00:43Il prépare à la fois des pénuries, donc des pénuries alimentaires ou médicales
00:47en stockant des ressources, mais il prépare surtout principalement
00:50une situation de violence, qui est une situation de guerre civile presque.
00:53Et donc ça les incite à apprendre à tirer, à aller s'inscrire à des stages
00:58de Krav Maga, de Sistema, de Penchak Silat, à faire des stages de survie paramilitaire.
01:04Donc ils vont aller dans la violence, non pas parce qu'ils aiment la violence,
01:07mais parce qu'ils veulent pouvoir se défendre d'une catastrophe
01:10qui leur semble inéluctable.
01:12Moi, il y a une dizaine d'années, un jour, je rentrais chez moi à Lyon.
01:15J'ai croisé le chemin de Diga et ils m'ont tabassé et laissé pour mort
01:18sur un coin de trottoir.
01:20Après ça, moi, j'ai vécu avec une peur très forte, très violente.
01:23J'ai commencé à avoir des idées très noires, je ne sortais plus de chez moi.
01:27Je portais une espèce d'humiliation, une peur qui était en continu en moi.
01:31Petit à petit, ça m'a poussé dans une dépression de plus en plus violente.
01:34Et en fait, je ne savais plus comment m'en sortir.
01:36Et à ce moment-là, j'ai croisé un gars que je connaissais
01:38et qui m'a parlé d'un truc, c'était une espèce de pratique
01:41d'autodéfense israélienne, un truc nouveau.
01:44Et ça s'appelait le Krav Maga.
01:45Et il se trouve que, par hasard, le club de Krav Maga
01:47dans lequel je suis allé, c'était un club qui était géré
01:49par un instructeur qui était survivaliste
01:52et qui était fréquenté par des survivalistes.
01:54Moi, ça me parlait beaucoup parce que j'étais étudiant en ce moment-là
01:56et j'étais dans une situation très précaire.
01:58Et moi, j'avais vraiment cette idée que de la précarité à la misère,
02:01il n'y a pas grand-chose.
02:02Et que parfois, il suffit de presque rien pour basculer
02:04quand on est au bord du trou.
02:06Et quand j'ai entendu parler du survivalisme, ça me semblait logique.
02:08Je me disais, mais en fait, se préparer un petit peu,
02:11mettre quelque chose entre soi et le trou, c'est peut-être pas si mal.
02:13Le problème, c'est que plus je me suis engagé dans le survivalisme,
02:17plus j'ai commencé à m'engager dans la violence.
02:20Je suis allé à un petit stage qui était organisé,
02:21un stage de survie organisé par mon instructeur.
02:24Je suis rentré, j'étais un mec normal, je suis ressorti trois heures plus tard.
02:27J'avais appris à égorger des gens, j'avais appris à étrangler des gens,
02:29j'avais appris à fracturer la trachée de quelqu'un avec un bâton ou à coups de poing.
02:34J'avais simplement appris des techniques d'assassinat, des techniques de meurtre.
02:37Et moi là, je me suis dit, ok, mais qu'est-ce que ça veut dire ?
02:39Que moi, un civil, aujourd'hui en France, je puisse aller dans une espèce de petite salle de sport
02:44et m'entraîner pendant trois, quatre heures à tuer des gens.
02:48Et pourquoi moi et tous les autres qui sommes là, est-ce qu'on pense que c'est important ?
02:51Alors qu'on vit en France, un État qui n'a pas connu de guerre sur son sol depuis des décennies.
02:56Les stages de survie, c'est un vrai problème.
02:58Il n'y a absolument aucune certification.
03:00Si je veux embarquer dix personnes au milieu de la montagne,
03:03les faire dormir dehors et se nourrir avec des plantes sauvages,
03:05je peux le faire comme ça, en m'auto-proclamant spécialiste de la survie.
03:08Mais dans la réalité, ces gens, il n'y a aucun moyen de vérifier leur expertise.
03:11Et ça conduit à des drames.
03:13On l'a vu il y a quelques années, il y a un jeune homme qui s'appelait Ulysse,
03:17qui est mort pendant un stage de survie.
03:18Il s'est empoisonné.
03:19Son instructeur n'a pas su faire la différence entre une plante mortelle et une plante comestible.
03:25Et ça, je pense que c'est un drame qu'on ne doit pas laisser se reproduire
03:27et qu'il faut absolument qu'il y ait une législation ou quelque chose qui soit mis en place
03:31pour contrôler les stages de survie en France qui, aujourd'hui, sont totalement en roue libre.
03:36Un des pires moments de ma recherche, ça a été un stage de tir.
03:38C'est un truc qui s'appelle du tir tactique.
03:40En gros, de la self-défense, mais avec une arme.
03:42Moi, quand je suis arrivé, je me suis présenté.
03:44C'est ce que je fais toujours.
03:45J'explique, je suis anthropologue, je donne les raisons de ma présence.
03:47Le type, il a écouté d'une oreille, il a dit oui, oui.
03:50Puis quand j'ai commencé concrètement à poser des questions, ça ne lui a pas trop plu.
03:54Et en fin de journée, en fait, cet instructeur, il m'a demandé de venir présenter une technique avec lui.
03:58Là, il m'a demandé de l'attaquer avec un couteau en plastique.
04:01Il devait défendre, me mettre au sol, sortir une arme, faire semblant de me frapper au visage,
04:06puis ensuite viser une cible et faire semblant de tirer.
04:08Je me suis tourné pour parler à quelqu'un.
04:10Et du coin de l'œil, j'ai vu l'instructeur prendre son arme et tirer la culasse vers l'arrière.
04:15J'ai commencé à essayer de rationaliser la situation.
04:17Et donc, j'ai fait la technique quand même.
04:19Donc, je l'ai attaqué avec mon couteau en plastique.
04:21Donc, moi, je mime le geste vraiment en exagérant.
04:23Et là, le type, il m'attrape le bras et direct, il m'envoie au sol hyper fort.
04:26Je m'éclate le dos par terre.
04:28Il me tire en arrière, il cale sa rangers contre mon épaule.
04:31Il me tord le bras, c'est hyper violent.
04:33Et là, il me met un coup, quoi.
04:35Pas très fort, mais un coup quand même, en appuyant très fort le canon sur la tête.
04:38Et puis, d'un coup, il me lâche, il braque la cible et il vide son chargeur.
04:43Bam, bam, bam, bam, bam, sans tirer la culasse, ce qui veut dire que l'arme était chargée.
04:47Il avait engagé une balle en chambre.
04:49Et voilà, j'ai cru que j'allais prendre une balle dans la tête, quoi.
04:52Donc, pour finir mon enquête, j'ai décidé d'aller travailler aux États-Unis
04:56et de faire une comparaison entre le survivalisme américain et le survivalisme français.
05:00J'ai pris des précautions, j'ai choisi une école de survie qui était bien réputée.
05:05J'ai choisi un stage qui, sur le papier, devait être plutôt théorique.
05:08Le problème, c'est que c'est parti complètement en couille.
05:11Le deuxième jour du stage, il devait y avoir un module kidnapping.
05:15Ça devait être un espèce de jeu.
05:16On a vu débarquer une dizaine de mecs cagoulés avec des machettes, des haches,
05:21hyper violents, hyper agressifs, qui hurlaient « on va vous égorger, on va vous égorger ».
05:25Ils nous ont kidnappés, donc on s'est retrouvés avec des sacs sur la tête, menottés.
05:30Foutus par terre, on nous a amenés dans une cabane dans les bois.
05:33On était en t-shirt et pantalon, ils faisaient à peu près zéro degré.
05:36Donc on est venus me chercher, on m'a trimballé dans la forêt
05:39et on m'a amené dans une espèce de petite douche au milieu des bois.
05:42Et direct, ils m'ont foutu un saut d'eau froide sur la gueule.
05:45Donc là, c'est choc thermique direct, je me suis mis à trembler,
05:48je me suis mis à claquer des dents.
05:49Ils m'ont mis des coups de taser, ils m'ont tordu les bras dans tous les sens,
05:53ils m'hurlaient des questions.
05:55À un moment donné, il y a un des instructeurs, donc j'avais mon sac sur la tête,
05:57qui était mouillé, qui a pris le sac et qui l'a tiré en arrière.
06:00Quand j'essayais de respirer, j'aspirais de l'eau.
06:03Ça a duré je ne sais pas combien de temps, jusqu'à un moment où je pense que j'ai perdu connaissance.
06:07Et d'un coup, je me suis retrouvé, ils étaient en train de me relever,
06:09d'essayer de me traîner dehors.
06:11Et on m'a ramené à la cabane avec tous les autres.
06:14Puis on nous a dit, en gros, évadez-vous.
06:17Donc on était menottés, nos sacs sur la tête, et en fait, on a dû crocheter nos menottes.
06:21Et donc on a cavalé comme ça, toute la nuit, avec les types derrière nous,
06:24qui essaient de nous attraper.
06:25Et en gros, s'ils nous attrapaient, on repartait sous la douche,
06:27et c'était rebelote à l'interrogatoire.
06:29Donc autant dire qu'il n'y avait plus personne qui jouait,
06:31on avait tous oublié que c'était un jeu.
06:32On a mis des heures à retrouver le camp, on n'était au milieu de rien.
06:35Le matin, on est retourné au camp.
06:37Dès qu'on appuyait, on s'est barré.
06:39Et là, pour moi, ça a été la fin de mon enquête.
06:40J'ai compris que j'avais trop tiré sur la corde,
06:42et j'étais arrivé au bout de ce que je pouvais faire.
06:44Ça a mis un peu fin, naturellement, à ma recherche.
06:46Le problème, c'est que quand on subit en permanence de la violence,
06:49quand on s'immerge dans la violence,
06:51on crée une image de l'autre qui est un monstre,
06:54qui est toujours plus dangereux, toujours plus violent.
06:56Et en fait, ça légitime une espèce d'escalade permanente de la brutalité,
07:01et on est devenu le monstre qu'on imagine combattre.

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