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00:00Dans la condition de l'homme moderne, Anna Arendt soulignait avec une lucidité implacable
00:05les dérives d'un monde livré aux automatismes technologiques.
00:10Ce que nous faisons aujourd'hui avec l'aide des machines,
00:13c'est remplacer l'œuvre durable par la consommation instantanée.
00:17Cette mise en garde éclaire les dérives de notre modèle textile contemporain
00:21où la vitesse a remplacé le sens et l'abondance la valeur.
00:26Le sujet dont nous débattons aujourd'hui, la mode express, n'est pas seulement une question de vêtements ou de tendance passagère.
00:33Il interroge notre modèle de consommation, notre rapport au temps, à la matière, au travail et bien sûr à la nature.
00:41La présente proposition de loi vise à retrouver un équilibre.
00:45Elle oppose à la logique du jetable une éthique de la durabilité, à l'accumulation frénétique, un principe de responsabilité.
00:54Dans le secteur du textile, l'ambivalence de l'innovation technologique prend ainsi une forme aiguë.
01:01Le numérique peut servir la transition écologique, rapprocher le consommateur de l'artisan, prolonger la vie des objets.
01:10Il peut aussi devenir l'instrument d'une logique industrielle déshumanisante
01:15qui transforme le vêtement en produit jetable et l'individu en simple clic d'achat.
01:21C'est cette tension dont nous devons désormais affronter lucidement à travers cette proposition de loi.
01:28Le secteur textile est à un moment charnière de son histoire.
01:32Il est traversé par deux dynamiques contraires.
01:35La première est celle de la transition vers un modèle circulaire, celle des acteurs, parfois de taille modeste,
01:42souvent discrets, qui repensent la manière de produire, de vendre, de réparer, de transmettre.
01:47J'ai d'ailleurs visité, dans le cadre de mes travaux préparatoires, une entreprise exemplaire
01:52qui met en relation, via une application, les consommateurs à des cordonniers, des couturiers.
01:59Le numérique y devient un vecteur de circularité et de lien social.
02:04La seconde est celle d'une industrialisation massive et dérégulée.
02:09La mode express, plus connue sous le nom anglais fast fashion, a poussé à son paroxysme la logique de surproduction et de consommation compulsive.
02:21Des plateformes diffusent chaque jour des milliers de références à bas prix dans une spirale de production aux coûts sociaux et environnementaux colossaux.
02:31Entre ces deux modèles, notre responsabilité politique est de choisir.
02:36Et le choix est clair.
02:37Nous devons encourager la mode durable et enrayer les mécanismes délétères de la mode express.
02:44Les dégâts de la mode express sont désormais bien documentés.
02:48D'un point de vue haut environnemental, le constat est accablant.
02:51Chaque année, 3,3 milliards de vêtements sont mis sur le marché en France.
02:55Soit en moyenne, 48 vêtements sont mis par habitant.
03:01Un chiffre qui, à lui seul, révèle l'ampleur de la dérive.
03:04Derrière ces volumes, ce sont des milliers de litres d'eau consommés par vêtements.
03:09Des tonnes de CO2 émises, des ressources fossiles mobilisées et des terres polluées par les teintures et les produits chimiques.
03:17Mais les dommages ne s'arrêtent pas à la production.
03:20L'éphémère est devenue la norme.
03:22Chaque seconde, ce sont 35 vêtements qui sont jetés en France pour un total de 600 000 tonnes de textiles par an.
03:29Ces déchets finissent le plus souvent incinérés ou envoyés à l'autre bout du monde
03:34où ils saturent des décharges à ciel ouvert, polluent les sols, les nappes phréatiques et dégradent la qualité de l'air.
03:41Et ces effets écologiques s'accompagnent de graves distorsions économiques.
03:45Les plateformes de la mode express bénéficient d'un modèle reposant sur une externalisation systématique des coûts.
03:52Elles contournent les obligations environnementales, échappent aux règles sociales les plus élémentaires
03:57et pratiquent des prix qui rendent la concurrence impossible pour nos entreprises locales.
04:04A l'inverse, les enseignes européennes, sans être parfaites, s'efforcent de s'adapter.
04:10J'ai pu le constater au cours de mes travaux préparatoires.
04:13Elles créent des emplois non délocalisables, assurent un maillage territorial, soutiennent des filières d'insertion.
04:21Le tissu économique qu'elles contribuent à préserver est un bien commun.
04:26La mode circulaire, elle aussi, est menacée.
04:29Le développement de la réparation, du réemploi, de la vente en seconde main,
04:33autant de pratiques vertueuses pour l'environnement et pour l'emploi est compromis par l'invasion de vêtements à bas coût et de qualité médiocre.
04:42Les textiles bon marché, conçus pour être jetés, sont par définition difficilement réparables ou recyclables.
04:49Et quand un vêtement neuf coûte moins cher qu'un vêtement de seconde main,
04:54le signal envoyé aux consommateurs est destructeur.
04:57Cette filière circulaire, je tiens à le souligner, n'a pas seulement des effets vertueux sur le plan environnemental.
05:05Elle est aussi économiquement vertueuse et joue un rôle de levier d'insertion pour des publics éloignés de l'emploi.
05:13Elle remplit une fonction sociale et territoriale que nous devons absolument impérativement préserver.
05:20Au-delà de ces enjeux économiques et environnementaux, l'impact culturel de la mode express est déplorable.
05:28Elle promeut un rapport à l'objet marqué par l'instantanéité, l'accumulation et l'oubli,
05:34en nous habituant à consommer sans désir, à jeter sans remords, à remplacer sans fin.
05:41Cette logique délétère s'insinue dans les imaginaires, notamment des plus jeunes,
05:45à travers des campagnes publicitaires agressives et le recours massif aux influenceurs.
05:49C'est pourquoi il nous faut à présent encadrer cette dérive avec lucidité mais sans démagogie.
05:56La proposition de loi que nous examinons propose des outils ciblés, proportionnés et juridiquement robustes.
06:03Certains ont tenté de discréditer ce texte en le présentant comme une mesure qui va à l'encontre des plus défavorisés.
06:10Il n'en est rien.
06:11Défendre la mode express au nom du pouvoir d'achat revient à défendre la malbouffe au nom de l'alimentation.
06:18Ce n'est pas servir les plus modestes que de leur proposer des produits dangereux pour la santé,
06:23inutilisables après trois lavages et fabriqués dans des conditions indignes.
06:29C'est au contraire faire preuve de mépris.
06:31Le vrai progrès, c'est de permettre à chacun d'acheter mieux, pas plus.
06:36D'autres ont voulu faire croire que le Sénat aurait affaibli le texte en commission.
06:40Je le dis avec force, il n'y a eu aucune compromission, aucune pression.
06:47J'ai conduit mes travaux avec rigueur et méthode en entendant comme c'est l'usage au Parlement
06:52tous les acteurs concernés, des associations aux grandes enseignes en passant par les plateformes elles-mêmes.
06:59Les amendements adoptés en commission poursuivent un double objectif.
07:02Sécuriser le texte et surtout éviter que des entreprises françaises ou européennes soient incluses dans ce dispositif.
07:11L'article premier introduit une définition claire de la mode express,
07:15fondée sur un seuil annuel de nouvelles références
07:18qui permettra d'identifier les entreprises dont le modèle repose structurellement sur la surproduction.
07:24Il impose à ces entreprises l'affichage d'un message de sensibilisation environnementale
07:29sur leur plateforme de vente et prend en compte la spécificité des places de marché.
07:35En prévoyant une comptabilisation des références adaptées
07:38qui différencie les réelles plateformes multimarques
07:41qui ne jouent qu'un rôle d'intermédiaire des producteurs
07:44adoptant le statut de place de marché par opportunisme juridique.
07:48L'article 2 prévoit une modulation de l'éco-contribution
07:51versée dans le cadre de la responsabilité élargie des producteurs.
07:56Celle-ci vise à financer la gestion des déchets.
07:59Le texte initial proposait de la moduler en fonction de l'affichage environnemental.
08:04Or, les auditions que j'ai menées ont révélé que cet indicateur nouveau et facultatif
08:10est loin de faire consensus dans la filière textile.
08:13La Commission a donc préféré une autre approche,
08:16moduler la contribution selon des critères de durabilité extrinsèques,
08:21c'est-à-dire fondée sur les pratiques commerciales,
08:24fréquence de renouvellement, incitation à l'achat massif,
08:27plutôt que sur la qualité intrinsèque du produit.
08:29Nous avons également introduit un article 3 bis qui encadre la publicité.
08:34Le texte de l'Assemblée nationale prévoyait une interdiction totale
08:37qui présentait un risque constitutionnel sérieux.
08:41Nous proposons une solution plus robuste juridiquement.
08:46D'une part, interdire la promotion des marques de mode express par les influenceurs,
08:51aujourd'hui relais majeurs de ces pratiques,
08:53et d'autre part, imposer une information environnementale synthétique
08:58dans toute publicité relative à ces produits.
09:01Le texte ne résoudra pas tout.
09:03Il devra s'inscrire dans un mouvement plus large,
09:06notamment au niveau européen,
09:07et je salue à cet égard la proposition du gouvernement
09:10d'imposer dès 2026 des frais de gestion sur les petits colus expédiés vers l'Europe.
09:16Et j'ai conscience que les plateformes visées chercheront à contourner les règles,
09:21à modifier les moyens et à mobiliser des moyens juridiques importants
09:25pour en retarder l'application.
09:27Ce texte a une vertu essentielle.
09:29Il pose un cadre.
09:30Il envoie un signal clair.
09:31Il trace une ligne entre ce que nous voulons encourager,
09:34la durabilité, la sobriété, l'emploi local,
09:38et ce que nous devons freiner, la frénésie, l'opacité, le jetable.
09:42Il appartient à chacun d'entre nous, en tant que législateur,
09:46de dire quelle société nous voulons bâtir.
09:49La mode express, c'est l'archétype d'un modèle que nous devons dépasser.
09:52Parce que ce que nous portons sur notre dos
09:55ne doit pas peser sur les générations futures.
