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  • 22/05/2025
Antonin Bergeaud, 36 ans, enseigne au sein de l'école de commerce parisienne à HEC et vient de remporter le Prix du Jeune Economiste, remis par le Cercle des économistes et le journal Le Monde.

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Transcription
00:00L'invité éco, Isabelle Raymond.
00:04Bonsoir à toutes et à tous, l'invité éco de France Info a 36 ans.
00:08Il enseigne au sein de la prestigieuse école de commerce parisienne HEC
00:11et vient de remporter le prix du jeune économiste,
00:15repris remis par le cercle des économistes et le journal Le Monde.
00:19Antonin Bergeau, bonsoir.
00:20Bonsoir.
00:21On n'a presque jamais autant parlé d'économie que ces derniers mois, ces dernières semaines.
00:26Avec ces questions autour de Donald Trump,
00:30a-t-il raison de vouloir mettre fin au libre-échange et d'imposer des droits de douane ?
00:34Est-ce que la période actuelle vous a déstabilisé comme économiste ?
00:38Est-ce qu'elle vous a fait douter de la pertinence, de la solidité des théories
00:43sur lesquelles sont bâties nos politiques monétaires et budgétaires ?
00:47Ou au contraire, la période qu'on traverse vous a conforté dans vos convictions ?
00:53Je pense que la période actuelle montre deux choses.
00:56La première qu'on voit avec Donald Trump, c'est que même si l'économie,
01:00ça reste une science récente, on ne sait pas tout.
01:04Il y a des choses qu'on sait et quand on fait n'importe quoi, ça ne marche pas très bien.
01:08Donc on voit que les tarifs douaniers qui ont été mis en place par Donald Trump
01:12de manière assez difficilement compréhensible ont conduit les marchés à réagir très négativement.
01:17Et petit à petit, il est en train de revenir un peu en arrière.
01:20L'autre chose, c'est qu'en Europe, de l'autre côté,
01:22on s'en rend compte bien de la situation, c'est-à-dire que finalement,
01:25on avait une économie qui dépendait beaucoup de ce qui se passait aux États-Unis.
01:29Aujourd'hui, on est un peu devant nos responsabilités et donc il faut un peu qu'on trouve notre modèle.
01:33Et forcément, notre modèle, il passe beaucoup par des questions économiques
01:36et de la politique monétaire notamment.
01:38Il faut un peu redéfinir la manière dont on fonctionne ensemble.
01:41Et donc c'est sans doute pour ça qu'on parle beaucoup d'économie.
01:43Je ne pense pas que ça remette en cause vraiment les théories économiques.
01:46Par contre, ça incite à réfléchir vraiment à ce qu'on doit faire.
01:49Et c'est pour ça qu'on est content aussi d'avoir des économistes qui nous éclairent sur la période actuelle.
01:55Vous êtes un spécialiste de la productivité et de l'innovation.
01:59La productivité, elle baisse sans discontinuer.
02:02En fait, en Europe, depuis des décennies, en gros,
02:04on produit toujours moins de richesses par heure de travail.
02:07C'est bien ça.
02:08Comment est-ce qu'on l'explique ?
02:10Alors, la productivité, elle ralentit, voire elle stagne.
02:13On ne produit pas moins que précédemment.
02:16On produit à peu près avec la même efficacité.
02:19C'est un problème.
02:20C'est un problème parce que, grosso modo, c'est ce qui explique le ralentissement de la croissance,
02:23qui pose tout un tas de questions économiques,
02:25notamment sur le budget, sur le chômage,
02:28et sur notre capacité à investir pour l'environnement,
02:32pour la baisse de la démographie, etc.
02:36Maintenant, pourquoi ?
02:37C'est une question qui n'est pas complètement tranchée,
02:40mais une des raisons qui est évidente,
02:41c'est qu'en Europe, notamment, on n'investit pas assez dans l'innovation.
02:45Ça paraît peut-être un peu paradoxal,
02:47parce qu'on a l'impression qu'il y a de la technologie partout,
02:50qu'on n'a jamais autant parlé d'innovation et de technologie.
02:52Exactement.
02:5326 milliards d'euros annoncés pas plus tard que la semaine dernière,
02:56lors du sommet de l'Ousse France, dans les nouvelles technos.
02:59Voilà.
02:59Mais ça reste des sommes qui sont, en fait, assez faibles.
03:02Si on regarde collectivement en France,
03:04on dépense 2,3% du PIB en recherche et développement.
03:08Alors, ça ne va peut-être pas dire grand-chose,
03:09mais pour donner une comparaison, aux États-Unis, c'est 3,5%.
03:12La différence entre les deux, c'est colossal.
03:15C'est vraiment des dizaines de milliards
03:17et même des centaines de milliards d'euros ou de dollars
03:19qui sont dépensés par les entreprises, essentiellement, aux États-Unis,
03:22pour développer des nouveaux produits.
03:24Alors, nous, après, en Europe, on finit par les acheter, ces produits.
03:28Mais déjà, évidemment, on les achète beaucoup à des entreprises américaines,
03:31maintenant même chinoises.
03:32Mais surtout, ça prend du temps.
03:34On ne les adopte pas aussi vite,
03:35on ne les adopte pas aussi profondément
03:36et aussi efficacement que les entreprises américaines.
03:39Et donc, on a raison, aujourd'hui, Antonin Bergeau,
03:42d'investir dans l'innovation, dans les nouvelles technos
03:46et d'avoir un discours politique autour de ces investissements
03:49et de cette volonté ?
03:52Je pense qu'on a raison, effectivement, de mettre l'accent là-dessus.
03:55Et c'est finalement assez récent
03:56qu'il y ait une espèce de prise de conscience collective
03:58qu'on a un retard à combler sur ces questions.
04:00Donc ça, c'est positif.
04:01C'est positif, mais ça ne résolvera pas tout.
04:05On a d'autres problèmes structurels.
04:06En France, notamment, on a un vrai problème d'éducation,
04:09de capital humain.
04:10On voit les différents classements chaque année
04:13qui sont de plus en plus négatifs et pessimistes
04:15pour le niveau d'éducation.
04:16Et donc, vous pouvez investir autant que vous voulez
04:17dans l'innovation.
04:19Si les entreprises, d'ailleurs, ne peuvent pas recruter les talents
04:21et ne peuvent pas recruter les techniciens,
04:22des ingénieurs ou même des employés, des ouvriers qualifiés
04:25pour utiliser ces technologies,
04:27de toute façon, il n'y aura pas d'effet sur l'efficacité de la production.
04:29Et donc, ce que vous préconisez, Antoine Inbergeau,
04:31c'est d'investir dans les nouvelles technos,
04:34dans l'innovation, mais également dans les compétences.
04:37En gros, on ne dépense pas suffisamment
04:38et on ne dépense pas toujours là où il faut
04:41parce qu'il y a quand même des investissements,
04:43et notamment publics.
04:45Je pense au crédit d'impôt recherche, évidemment.
04:487 milliards d'euros par an de mémoire.
04:51Cet argent, il ne va pas où il faut ?
04:53C'est difficile de savoir s'il ne va pas où il faut.
04:56C'est un débat qui est compliqué
04:59et qui, effectivement, revient régulièrement.
05:00Ce qui est sûr, c'est que l'État, le public,
05:02en Europe, d'ailleurs, ce n'est pas spécifique à la France,
05:04dépense beaucoup.
05:05En fait, dépense autant que les États-Unis.
05:07Si on veut faire une comparaison,
05:07la différence, c'est les entreprises.
05:09Et donc, en fait, la question qui se pose,
05:11c'est pourquoi les entreprises n'investissent pas autant
05:13qu'aux États-Unis alors qu'on les aide autant.
05:14Alors qu'elles sont incitées à le faire.
05:16Elles sont incitées, mais visiblement pas correctement.
05:18Alors, qu'est-ce que vous préconisez sur ce point ?
05:20Moi, ce que je préconise, c'est plutôt que de passer
05:22par des outils de type crédit d'impôt.
05:24C'est-à-dire qu'en gros, on va baisser le coût
05:26de la recherche et développement,
05:29et donc le coût d'un ingénieur, en fait,
05:31ou d'un chercheur pour les entreprises,
05:33ce qui est une bonne chose.
05:33Je ne pense pas qu'il faut le supprimer complètement.
05:35Mais je pense qu'on peut le faire
05:36de manière un peu plus ciblée.
05:38On peut le faire autour, notamment, d'achats publics.
05:40C'est-à-dire que l'État doit aussi reprendre
05:42un peu en main la direction de l'innovation
05:43et se dire, effectivement, on veut flécher.
05:46Que ces crédits soient fléchés.
05:48Par exemple, l'environnement, c'est une question importante.
05:51L'environnement peut être un peu plus précis.
05:53Il y a tel type de technologie dont on aurait besoin
05:55parce qu'on veut réussir à atteindre nos objectifs.
05:57L'État doit mettre les entreprises,
06:00les universités, tous les acteurs ensemble
06:02pour leur dire, écoutez, on va mettre
06:05des milliards d'euros vers cet objectif.
06:07On va s'engager à acheter.
06:10Si vous arrivez à développer la technologie qu'il nous faut,
06:12on s'engage à l'acheter.
06:13Et ça, ça poussera les entreprises à investir davantage.
06:15C'est ce qui est fait beaucoup aux États-Unis.
06:16On le fait assez peu en Europe.
06:17Alors, dernière question.
06:19On a compris où est-ce qu'il fallait investir, notamment,
06:22et puis ce qu'il fallait coordonner pour que ce soit efficace.
06:26Tout ça, ça peut nous faire gagner en productivité.
06:28Mais est-ce que derrière, on ne va pas perdre en emploi
06:31si on a de l'intelligence artificielle un petit peu partout ?
06:36Est-ce que ce ne sera pas au détriment des emplois ?
06:38Ce sera ma dernière question.
06:39Ce ne sera pas au détriment des emplois
06:41si on en croit les technologies,
06:43les vagues technologiques passées, notamment la robotique.
06:45En fait, quand ces vagues technologiques,
06:48donc la diffusion de ces technologies a augmenté la productivité des entreprises,
06:50ce qui s'est passé en définitive, c'est que ces entreprises ont grossi davantage.
06:54Et finalement, elles ont fini par employer plus de monde
06:56qu'avant l'arrivée de ces robots.
06:58Ça paraît un peu paradoxal,
06:59mais en fait, les métiers au sein de l'entreprise ont changé.
07:02Les gens ont travaillé différemment,
07:03ont fait un peu d'autres tâches dans l'entreprise.
07:05Mais en définitive, l'emploi de chaque entreprise a continué à augmenter
07:10si elles adoptaient correctement ces technologies
07:12et donc si elles avaient des gains de productivité.
07:14Et donc, ce n'est pas la technologie contre l'emploi ?
07:17Et donc, ce n'est pas la technologie selon quoi ?
07:19Il faut bien le faire.
07:20Il ne faut pas avoir peur de la technologie.
07:22Et il ne faut pas surtout avoir une lutte entre les employés et la technologie.
07:26Au contraire, dans l'histoire, on voit que ça a toujours marché ensemble.
07:29Il y a des difficultés.
07:30Il y a des choses à améliorer.
07:31Il faut rester vigilant.
07:34Mais en général, il n'y a pas d'inquiétude particulière à avoir.
07:36Merci beaucoup, Antonin Bergeau,
07:38lauréat du Prix du Jeune Économiste 2025.
07:42Vous étiez l'invité éco de France Info ce soir.
07:44Merci.

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