Les délégations ukrainiennes et russes sont attendues en Turquie ce jeudi 15 mai pour tenter, de nouveau, de négocier un accord de paix. Un choix qui interroge. Seul membre de l'Otan à avoir maintenu ses relations avec les deux pays après le début de la guerre, la Turquie profite d'un contexte international qui lui est favorable pour accueillir les négociations et tenter de s'imposer comme un acteur diplomatique incontournable du Moyen-Orient.
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00:00La Russie et l'Ukraine vont négocier la paix à Istanbul, même si Vladimir Poutine ne sera finalement pas présent.
00:06Mais en fait, pourquoi Istanbul ? Pourquoi choisir de négocier la paix à plus de 1000 km de l'Ukraine ?
00:12Déjà, c'est Poutine qui a proposé cette destination pour la tenue de pourparler.
00:15Pour faire face au dernier ultimatum lancé par les Occidentaux, il fait cette contre-offre.
00:20C'est une manière de garder la face et d'afficher, du moins en façade, une volonté de négocier.
00:25D'ailleurs, le choix de la Turquie, c'est aussi une manière de garder la main, en évitant de négocier dans un pays de l'Union européenne, soutien de l'Ukraine.
00:32Il n'a jamais été question pour Poutine d'aller négocier la paix en Ukraine dans une capitale européenne.
00:37Il n'était pas question pour lui non plus d'aller négocier quoi que ce soit aux Etats-Unis.
00:41Dans ce contexte, la Turquie apparaît comme un interlocuteur de choix.
00:44La Turquie a, au cours des années, au début des années 2000, sur un certain nombre de conflits, développé ses capacités de médiation, souvent couronnées de succès.
00:54En effet, au fil des années, la Turquie a participé à des négociations sur l'Afghanistan, les relations Syrie-Israël, la Somalie, le conflit israélo-palestinien, la Libye, le Haut-Karabakh et même l'Ukraine au début de la guerre.
01:06Donc ils peuvent jouer un rôle et je crois qu'ils joueront un rôle.
01:09Déjà, il faut savoir que la Turquie, elle est dans une position avantageuse.
01:14C'est tout simplement le seul pays de l'OTAN qui avait des relations avec la Russie et l'Ukraine qu'elle a maintenu après le début de la guerre.
01:21La Turquie, à mon avis, ce sera un des acteurs pour une raison simple.
01:27C'est qu'à la fois, la Turquie a des relations très fluides avec l'Ukraine et avec la Russie pour des raisons évidemment bien différentes.
01:35Alors je pense que c'est un phénomène conjoncturel.
01:37Et nous comprenons que tous ces conflits sont infiniment compliqués à résoudre, que ça prend énormément de temps.
01:43Et qu'il faut trouver des interlocuteurs, des médiateurs susceptibles de parler aux protagonistes.
01:49Et c'est pas si fréquent en réalité.
01:51Il y a d'un côté des relations stratégiques avec la Russie.
01:55Alors certes, les deux puissances entretiennent des liens historiquement tendus.
01:59Des tensions qui ont d'ailleurs été ravivées en 2015, lorsque l'aviation turque a abattu un appareil russe entré dans son espace aérien.
02:06Et le dossier syrien, où les deux pays avaient des intérêts divergents, a encore compliqué les choses.
02:11Malgré cela, Poutine et Erdogan ont travaillé à un rapprochement.
02:15Le but ? Renforcer leur position face à l'influence occidentale.
02:19C'est avant tout un choix pragmatique.
02:22Par exemple, après la tentative de Putsch en Turquie, c'est Poutine qui est le premier dirigeant à appeler Erdogan.
02:28Et lorsque Poutine est réélu, c'est en Turquie qui fait son premier déplacement.
02:32En bref, leurs échanges se sont multipliés et ils cherchent à améliorer leur coopération dans de nombreux domaines.
02:37Istanbul a d'ailleurs refusé d'appliquer les sanctions occidentales à la Russie après le début de la guerre.
02:43De l'autre côté, la Turquie exprime un solide soutien envers l'Ukraine.
02:46Istanbul a même condamné l'annexion de la Crimée et vendu des drones à Kiev.
02:50Drones qui ont été utilisés dans le conflit.
02:53La position de la Turquie sur la guerre en Ukraine, elle peut donc sembler ambivalente.
02:58Mais c'est justement ça qui en fait un interlocuteur de choix.
03:00Enfin bref, entretenir ces liens, ça permet à Istanbul de conserver deux partenaires commerciaux essentiels dans un contexte économique difficile.
03:08Mais pas seulement, c'est aussi l'occasion de s'affirmer comme une puissance régionale et un acteur diplomatique incontournable.
03:14Parce qu'elle le pouvait, en 2022, la Turquie avait donc accueilli une première salve de négociations,
03:40aboutissant, entre autres, sur un accord russo-ukrainien sur les céréales, dont la Russie a fini par se retirer par la suite.
03:47Et aujourd'hui, le président turc, Recep Erdogan, se dit
03:50Heureux d'entendre Poutine soutenir la reprise des négociations entre la Russie et l'Ukraine, là où elle s'était arrêtée à Istanbul en 2022.
03:57Sauf que là, quelque chose coince.
03:59Depuis 2022, des négociations entre les deux belligérants ont bien continué d'avoir lieu.
04:04Mais pas en Turquie, en Arabie Saoudite.
04:07Entre la Turquie et l'Arabie Saoudite, oui, il y a un jeu de concurrence.
04:10Chacun voudrait apparaître comme le leader régional.
04:14Aujourd'hui, c'est une lutte feutrée.
04:18Ils s'entendent plutôt bien.
04:19Il y a un moment où ils ont été très fâchés.
04:22Il y a eu un rétablissement des relations entre la Turquie et l'Arabie Saoudite, mais nul n'est dupe.
04:26Ils sont dans un jeu de concurrence sur la région Moyen-Orient.
04:30En fait, dans un monde où la puissance diplomatique des pays occidentaux s'affaiblit
04:34et où les nouveaux acteurs se multiplient, il y a une place à prendre.
04:38On a tout de même une remise en question des influences classiques, je dirais historiques.