Nomination du Pape Léon XIV : «On a été très surpris de ce choix et de la rapidité de ce choix», confie Bernard Lecomte

Europe 1

09/05/2025

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00:00Pris Pavlenko, ce matin vous recevez le journaliste, éditeur et écrivain Bernard Lecomte.

00:04Bonjour Bernard Lecomte.

00:06Bonjour.

00:06Bienvenue sur Europe 1, vous êtes un spécialiste de l'histoire de l'église et du Vatican.

00:11Votre dernier livre paru l'an dernier, France-Vatican, deux siècles de guerre secrète, c'est paru chez Perrin.

00:17Alors j'avais prévu Bernard Lecomte d'avoir cette conversation avec vous en attendant l'élection du futur pape

00:22autour des relations entre la France et le Saint-Siège.

00:25Mais voyez-vous, vous l'avez vu comme nous hier, à Bémousse Papam, nous avons un nouveau pape.

00:30Il a été élu finalement très rapidement en seulement quatre tours, Francis Robert Prévost

00:35qui s'est donc choisi comme nom de pape Léon XIV Bernard Lecomte.

00:40Alors on va commenter ce choix, mais d'ailleurs peut-être commençons par dire que ce Francis Robert Prévost

00:46faisait partie de la liste des papas Billy, ce qui était potentiellement papable comme on dit,

00:51mais plutôt dans la catégorie des outsiders, on va dire les choses.

00:55Oui, incontestablement, il était souvent d'ailleurs en queue de liste.

00:59Mais enfin il était là, les bons observateurs n'avaient pas oublié cet homme-là

01:03qui reste quand même pour nous, soyons clairs, une surprise.

01:08La plupart d'entre nous ne le connaissaient pas et on a été très surpris à la fois de ce choix,

01:15de la rapidité de ce choix.

01:16C'est plutôt bon signe pour l'Église, ça veut dire que les cardinaux, au lieu d'attendre un peu,

01:23ils savent ce qu'ils font, ils ont voté et visiblement bien voté pour ce Léon XIV.

01:31Oui, on voit que tout le travail finalement avait dû être fait dans ce qu'on appelle les congrégations générales,

01:36c'est-à-dire ces dix réunions lors desquelles les cardinaux discutent pendant dix jours,

01:41à peu près dix jours avant l'élection du pape, ils s'étaient quelque part organisés, mis d'accord.

01:46C'est ça aussi la démocratie au Vatican d'une certaine manière, Bernard Lecomte ?

01:50Oui, tout à fait. D'ailleurs, ce que nous n'avons pas vu, nous, c'est évidemment que Prévost était bien connu des cardinaux

02:00parce qu'il est à la tête de la congrégation des évêques.

02:04Il faut bien avoir en tête que les évêques, c'est toute la terre, il y a 5400 évêques sur terre

02:10qui connaissaient très bien cet homme-là et donc, au fond, il était beaucoup mieux connu à l'intérieur qu'à l'extérieur.

02:16C'est un peu le DRH du Vatican, c'est peut-être abusif de le dire comme cela,

02:19mais enfin, au moins, on voit un petit peu, il dirigeait ce qu'on appelait le dicaster pour les évêques.

02:24C'est ça, oui. Oh, le DRH, c'est bien trouvé, c'est exactement ça.

02:28Ça veut dire aussi qu'il connaît bien la curie, ce qui n'est pas négligeable à un moment où on sait bien

02:35que le pape François et la curie, ça ne marchait pas bien, c'était vraiment une tension assez forte.

02:40Et lui, au moins, saura apaiser les tensions avec la curie, c'est déjà ça de pris.

02:45Alors justement, vous parlez d'apaisement, il est présenté comme tel beaucoup dans les médias ce matin,

02:49on parle de lui comme d'un pape d'apaisement, d'un pape d'équilibre.

02:53Justement, quelle était la situation à l'intérieur de l'Église au moment de son élection, Bernard Lecomte ?

02:59Vous avez parlé des tensions que François avait mis dans la curie romaine, c'est-à-dire la haute administration du Vatican.

03:06Oui, François avait d'ailleurs pour mission, lorsqu'il avait été élu, de réformer la curie.

03:14Et s'il y a quelque chose au monde difficile à réformer, c'est bien la curie romaine,

03:18qui a quand même à peu près 2000 ans de, comment dirais-je n'ose pas dire, de bureaucratie, mais pas loin.

03:25La curie romaine, c'est vraiment un pouvoir à l'ancienne.

03:28Et le pape François s'était un peu cassé la tête à changer les noms, changer les clivages, etc.

03:35Ça ne s'était pas bien passé.

03:37Avec Prévost, avec Léon XIV, on a l'impression qu'on est déjà en terre connue.

03:44Lui connaît la curie, alors que le pape François ne connaissait pas la curie au départ.

03:48Donc c'est un plus, on peut espérer au moins qu'à Rome, en effet, on soit dans une phase d'apaisement.

03:54Alors c'est un Américain, et cela aussi est une surprise Bernard Lecomte.

03:58En quoi c'est surprenant ce choix d'un pape nord-américain après un premier pape sud-américain, son prédécesseur François ?

04:06Parce qu'en fait, on s'attendait soit au retour à l'Europe, l'Église a été très très souvent, très longtemps, européo-centrée.

04:16200 papes sur 267 ont été des Italiens quand même dans l'histoire.

04:19Voilà, et puis nous, notre histoire, nous c'est des papes italiens, un pape polonais, un pape allemand,

04:25et un pape allemand qui en plus était très très très européen, et ensuite enfin un pape du sud.

04:31Là, on a un pape qui n'est ni européen, ni vraiment complètement du sud, c'est-à-dire qu'il est américain, né à Chicago,

04:39donc il connaît bien l'Occident.

04:41Là aussi, c'est un avantage parce qu'il va pouvoir parler à l'Église américaine,

04:47il n'aura pas que des amis dans l'Église américaine, mais au moins il saura leur parler.

04:51Et puis, sa culture, son histoire, le porte à être plus péruvien, plus sud-américain qu'américain du Nord,

04:59et ça aussi c'est important parce qu'il va marquer une continuité avec le pape François,

05:04il va poursuivre le grand basculement vers le sud de cette Église,

05:09dont on sait aujourd'hui que 80% de ses fidèles habitent dans l'hémisphère sud.

05:14Mais Bernard Lecomte, est-ce que vous voyez aussi dans le choix d'un pape nord-américain,

05:18quelque part, une réponse, la volonté de l'Église de présenter un contrepoids à Donald Trump ?

05:24Est-ce que Donald Trump a quelque chose à voir avec le choix de Francis Robert Prévost, selon vous ?

05:30C'est peut-être un peu trop tôt pour le dire.

05:32Le pape François était en désaccord complet avec Trump,

05:37et on avait bien vu cette photo, la dernière photo du pape François, c'est avec le vice-président Vance.

05:43Ces deux hommes représentaient quasiment deux Églises différentes.

05:47Là, avec Prévost, on a là aussi une chance d'apaiser un peu cette tension,

05:53parce que Prévost est à la fois Américain du Nord, Sud-Américain,

05:58et qui va continuer la mondialisation de l'Église.

06:01On ne peut pas considérer l'Église autrement aujourd'hui que, d'abord, mondialiser ce que le pape François appelait les périphéries.

06:09Donc, on peut avoir, en fait, une chance d'apaisement, mais il ne faut pas rêver.

06:14Prévost et Trump, ce n'est pas la même planète.

06:16Oui, ça c'est certainement.

06:17J.D. Vance, son vice-président, qui est catholique, je le précise,

06:20parce que c'était l'une des raisons qui expliquaient que J.D. Vance ait absolument voulu voir le Saint-Père.

06:25Catholique, traditionnaliste, catholique très réactionnaire,

06:29ce qui, évidemment, pose un gros problème à l'Église d'aujourd'hui.

06:31Bon.

06:32Léon XIV.

06:33Alors, on lit partout que ce nouveau pape a choisi délibérément ce nom

06:38pour la filiation que cela crée avec son prédécesseur Léon XIII.

06:43Léon XIII, dernier pape du XIXe siècle,

06:46et pape, dit-on, de celui qui introduit la doctrine sociale de l'Église.

06:50Vous y voyez cela ?

06:51Qu'est-ce que ça veut dire, exactement, selon vous ?

06:53Qu'est-ce qu'il recherche ?

06:55Alors, moi, je crois, en effet, que ce n'est pas du tout un hasard.

06:57Quand on s'appelle Léon XIV, c'est qu'on est dans la filiation de Léon XIII,

07:02qui a été le pape le plus progressiste et le plus novateur,

07:07le plus réformateur de tout le XIXe siècle.

07:09Ce n'est pas rien.

07:10C'est le pape, vous l'avez dit,

07:12qui a inventé la doctrine sociale de l'Église.

07:14C'est une encyclique très connue encore aujourd'hui

07:17qui s'appelle Rerum Nova Rom,

07:19et c'est un signe très, très fort.

07:22Et puis, nous, les Français, on se souvient que c'est le pape

07:24qui avait invité fortement les catholiques françaises à accepter la République.

07:29Ce n'est pas rien dans le contexte de l'époque,

07:32le contexte de la séparation,

07:34des bagarres entre l'Église et l'État.

07:36D'une troisième république qui rompt les relations diplomatiques

07:39avec le Saint-Siège à ce moment-là.

07:40C'est ça, donc ce n'est pas rien, ce souvenir,

07:42quand même, c'est un pape très moderniste.

07:44Il n'avait pas été écouté par les catholiques français, d'ailleurs.

07:47Mais son geste avait été très fort.

07:48Juste pour être précis, Bernard Lecomte,

07:50vous dites pape très progressiste, Léon XIII.

07:53Ce n'était pas non plus un pape que l'on pourrait dire de gauche,

07:55parce que, disons que plutôt,

07:57la doctrine sociale de l'Église, c'est se frayer un chemin

08:00entre le socialisme et le capitalisme, quand même.

08:03C'est un petit peu ça.

08:04On défend le travail, mais on défend la famille,

08:06on défend la personne aussi.

08:08Voilà, c'est très particulier.

08:11Tout à fait.

08:11Mais vous savez, moi, je ne crois pas qu'il y ait des papes de gauche.

08:14Ce n'est pas une expression adaptée.

08:17Il y a des papes qui sont plus ou moins

08:19centrés sur la transmission du dogme,

08:22qui sont conservateurs.

08:24Et puis, des papes qui sont très préoccupés

08:26d'adapter l'Église au monde.

08:29Et c'était le cas de Léon XIII.

08:30Il était très inquiet de voir

08:33que son prédécesseur, le pape Pineuf,

08:35avait fait le syllabus.

08:36Alors, on ne sait plus ce que c'est aujourd'hui le syllabus.

08:39C'était un truc très, très, très réactionnaire.

08:41On interdisait à l'Église

08:42toute la modernité du monde.

08:44Donc, la référence à Léon XIII

08:46est une référence, quand même,

08:48qui plaide pour l'adaptation de l'Église au monde,

08:50mais d'une façon, en effet, extrêmement équilibrée.

08:53Merci à vous, Bernard Lecomte,

08:55d'être venu ce matin sur l'antenne d'Europe 1.

08:58Je rappelle votre dernier ouvrage absolument passionnant.

09:00On n'a pas eu le temps d'en parler,

09:00mais ça vaut le coup pour prolonger l'actualité.

09:03France-Vatican, deux siècles de guerre secrète,

09:05s'est paru chez Perrin l'an dernier.

09:07Merci à vous, Bernard Lecomte.

09:09Bonne journée.

09:09Merci à vous.

09:10Sous-titrage Société Radio-Canada

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