Marie Drucker : "Je suis terrifiée à l’idée que la Shoah sombre dans l’oubli " - Vidéo Dailymotion

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10/03/2025

L’ancienne journaliste reconvertie dans le documentaire publie « Nos cœurs déracinés » aux éditions Grasset, un récit sur l’histoire de sa famille dans lequel elle questionne son identité juive.

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00:00Et votre invitée média, Céline Baye d'Harcourt, est une ancienne journaliste aujourd'hui,

00:03productrice et réalisatrice de documentaires, scénariste aussi, elle publie son premier

00:09récit, « Nos cœurs déracinés aux éditions grassées ».

00:12Bonjour Marie Drucker.

00:13Bonjour.

00:14Vous voilà maintenant auteur, c'est l'histoire de votre famille que vous racontez, vous remontez

00:17jusqu'à vos arrières-grands-parents, dont les vies ont été marquées par l'exil,

00:21la déportation, la clandestinité, parce qu'ils étaient juifs.

00:24Et à travers eux, c'est de votre judéité dont vous parlez, votre identité juive, vous

00:29qui êtes si discrète et pudique, pourquoi avez-vous voulu évoquer une question si personnelle ?

00:35Oui, je ne sais pas ce qui s'est passé.

00:38Je crois très sincèrement, parce que je n'ai pas vraiment la réponse à cette question,

00:43qu'à un moment ça s'est imposé à moi, vous avez raison, enfin, moi j'ai une identité

00:46à la fois, j'imagine, comme ce que je dis dans le livre, comme pour beaucoup, quels

00:52qu'ils soient d'ailleurs, pas que les juifs, mais une identité questionnée, tourmentante

00:57aussi, parfois, sans que ce soit vraiment conscient, et là, tout à coup, il y a quelque

01:02chose qui m'a frontalement approchée, et donc je me suis dit, il faut la prendre à

01:13bras le corps, j'ai eu envie de remuer la terre avec mes mains, mais ça s'est imposé

01:17à moi très très rapidement, en très peu de temps.

01:19C'est le 7 octobre ?

01:20Alors, je pense que le premier niveau de lecture, oui, c'est le 7 octobre, puisque j'ai commencé

01:25à écrire les trois pages, qui sont les trois premières pages du livre, quelques

01:30semaines après, mais je n'en ai rien fait, je n'avais pas l'intention d'en faire

01:33quoi que ce soit, donc j'ai refermé mon ordinateur, et puis terminé.

01:38Et puis quelques mois plus tard, je me suis dit, tiens, comme j'ai une vie très différente

01:42de celle que j'avais quand j'étais journaliste, avec notamment plus de temps, plus le temps

01:47de la réflexion, d'aller creuser certains sujets, de me demander, soit en tant que productrice,

01:54qu'auteur, ce que j'ai envie de raconter, j'ai repris ces trois pages, et je me suis

02:00dit, je ne me suis pas dit, tiens, c'est pas mal, je me suis dit, tiens, il y a peut-être

02:04quelque chose à creuser, et finalement, ce quelque chose s'est imposé à moi en quelques

02:09semaines, et le texte est sorti quasiment tel qu'il a été publié.

02:15Vous dites n'avoir jamais été victime d'antisémitisme, vous ne craignez pas de l'être avec ce livre,

02:20et peut-être est-ce déjà le cas, parce qu'il est sorti la semaine dernière ?

02:22Alors, je ne crains rien, voilà, et c'est pas parce que moi-même je n'en ai jamais

02:29été la victime que je vis sur une autre planète et que je n'ai pas conscience du

02:34quotidien d'autres juifs en France, d'autres juifs de France, donc c'était important

02:41pour moi, c'est ce que j'explique dans le livre, à un moment, quand le texte était

02:46en route, je l'écris d'ailleurs, je me dis, est-ce qu'il va être compris comme

02:51je veux qu'il soit compris, toujours est-il que je me suis dit, puisque j'ai cet immense

02:56privilège d'avoir la possibilité d'être publié, d'être entendu, d'être écouté,

03:02je dois absolument, pour les miens, pour d'autres, pour d'autres Français qui ne sont à l'origine

03:08pas d'ici, qu'ils soient juifs ou non-juifs d'ailleurs, mais qui ont eu des parcours

03:13chaotiques dont l'intégration a été difficile, et bien je me dois de prendre cette place

03:18pour mes grands-parents, mais aussi peut-être pour les grands-parents d'autres gens de

03:21ma génération.

03:22Mais vous étiez donc inquiète sur la réception de ce livre, vous dites, je ne sais pas comment

03:25ça va être pris, surtout dans ce contexte particulier.

03:27Oui, que je qualifie de hautement inflammable, oui, parce que je trouve que c'est très

03:34difficile, je trouve, en ce moment, quand je vous le dis comme ça, je ne le dis pas

03:38avec candeur et naïveté, je vous le dis comme quelqu'un qui maintenant est simplement

03:42une citoyenne qui a pris beaucoup de recul, je ne suis plus, vous savez comment on est

03:46branché sur le monde quand on est journaliste, ce n'est pas à vous deux que je vais dire

03:50ça, mon rapport au monde, à la société est très différent aujourd'hui, et je me

03:56disais, est-ce qu'on va bien comprendre que je m'intéresse aussi, en fait, à travers

04:01ce texte, je parle de mon identité parce que c'est la mienne et je ne la connais pas

04:06à la perfection justement, mais je m'intéresse à toutes les identités, j'ai envie que ce

04:11livre soit un objet de transmission pour toutes les identités finalement.

04:18Vous êtes issue, Marie Drucker, d'une famille ashkénaze, d'Europe de l'Est, je me demande

04:22ce que ça fait d'être français depuis toujours, je connais par cœur cette sensation diffuse

04:26de ne pas l'être.

04:27En quoi est-ce important, finalement ? Qu'est-ce que cela induit chez vous ?

04:30Alors oui, ashkénaze, un peu aussi séfarade, puisque la mère de ma mère était à moitié

04:36algérienne, d'Alger, je ne sais pas, j'ai une amie il n'y a pas longtemps qui a lu mon

04:42livre et qui m'a dit, oh là là, elle me dit, c'est vrai, je n'avais jamais pensé

04:45à ça, elle me dit, moi, en trois clics, je suis remontée jusqu'à Louis VI le Gros,

04:50donc c'est XIe siècle, vous voyez, moi, quand j'ai un petit peu fait des recherches,

04:56à l'étage de mes arrières-grands-parents, il n'y a plus rien quoi, et déjà, ce n'est

05:00pas… finalement, je ne voulais pas faire beaucoup de recherches, j'en ai fait un tout

05:06petit peu et ça s'est vite arrêté parce que beaucoup d'organismes à l'étranger m'ont dit,

05:11on n'a rien, d'ailleurs, c'est assez vertigineux d'entendre dire, on n'a rien,

05:14donc finalement, tout ce que je sais, plus ou moins, est dans ce livre.

05:19Ce livre, est-ce qu'il est aussi une manière de témoigner sur la Shoah,

05:23d'apporter votre pierre au devoir de mémoire ?

05:25Alors, dans la ligne de ce que je vous disais à l'instant, puisque j'ai la possibilité de le

05:28faire, oui, oui, oui, parce qu'on voit bien qu'avec les commémorations des 80 ans de la

05:35libération de Schwyz récemment, bon, là, il ne suffit pas d'être un génie pour voir que

05:40l'histoire s'éloigne, que les survivants sont de moins en moins nombreux, bientôt,

05:47il n'y en aura plus du tout, et donc, je suis terrifiée à l'idée que cette période de

05:54l'histoire sombre dans l'oubli, et je pense que c'est une menace réelle.

05:57Vous pensez, Marie Drucker, que la France n'est pas antisémite, et pourtant,

06:00vous racontez dans le livre une anecdote qui tend à prouver le contraire.

06:03Quand vous dites que vous êtes juive, racontez-nous ce que vous demandent les gens.

06:07Ah oui, souvent, les gens réagissent en me disant... Je vois bien qu'il y a un temps d'arrêt,

06:11et je me dis, où veulent-ils en venir ? Ils me disent, mais donc, alors Michel Drucker,

06:15il est juif ? Comme si c'était...

06:17C'est Salomon, vous êtes juif dans Rami Jacob, c'est vraiment ça, pas toute votre famille.

06:21Mais ce que je dis aussi à Michel Drucker, on le garde quand même, enfin, c'est la même réponse

06:25que Salomon, je vous garde quand même. Oui, oui, il y a une forme d'incrédulité,

06:32d'étonnement, de déception. Alors ça, je ne sais pas, j'espère que non, justement,

06:39parce que je ne suis pas dans l'esprit des gens, mais c'est toujours assez...

06:41Et j'ai raconté cette anecdote parce que je trouve qu'elle est assez signifiante, oui.

06:46Alors, comme j'ai appris que la première chose que vous regardez quand vous arrivez chez quelqu'un,

06:49c'est sa bibliothèque, sachez que votre livre, Nos cœurs déracinés, est dans la mienne.

06:53Ça va, c'est un bon point ?

06:54C'est formidable. Il y a d'autres gens qui, un jour, viendront chez vous et qui trouveront

06:57que vous avez une bibliothèque formidable, parce que ce livre, c'est très chouette.

07:00C'est ce que je vous souhaite, en tout cas. Merci d'être venue, Marie Drucker.

07:03Merci beaucoup, merci.

07:04Nos cœurs déracinés, c'est le nouveau livre de Marie Drucker aux éditions, grâcée.

07:08Merci beaucoup.

07:09Merci.

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