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00:00Journée Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin l'historien Denis Péchanski.
00:04Bonjour Denis Péchanski.
00:06Bonjour.
00:06Bienvenue sur Europe 1, vous êtes directeur de recherche et mérite au CNRS, spécialiste de la mémoire des attentats terroristes.
00:13On commémore cette semaine les 10 ans des attentats de Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher.
00:17Ces événements particuliers, Denis Péchanski, qu'est-ce qu'ils représentent aujourd'hui dans la mémoire nationale contemporaine ?
00:25Il est clair, puisque dans le programme que je copilote avec mon collègue, un nouveau psychologue, Francis Ostache,
00:33on essaye de suivre l'opinion face aux attentats, il est clair que ça reste structurant,
00:42et en même temps, il y a la concurrence, à un moment donné, puisqu'on mène ça depuis 2016,
00:49on a la concurrence des gilets jaunes, des retraites, il y a une actualité qui vient contrer cette inscription dans la mémoire collective, mais qui reste très forte.
01:01Vous les catégorisez, gilets jaunes, etc., comme des événements traumatiques, de la dimension des attentats terroristes de 2015, Denis Péchanski ?
01:09Pas du tout, mais en revanche c'est...
01:10On est sur des événements hors catégorie, là, quand même.
01:13Et puis sur de l'actualité qui vient simplement contrer un élément, mais qui reste un élément structurant de la mémoire collective, très clairement.
01:21Alors j'ai une question un peu intello, un peu théorique, mais qui est intéressante quand même.
01:23Est-ce que ces événements qui restent jeunes, 10 ans seulement, ça peut être des objets d'études historiques, Denis Péchanski ?
01:30À condition qu'on se donne les moyens de cette étude, qu'on respecte les règles de l'approche scientifique,
01:37que ce soit moi comme historien, des sociologues, des neuroscientifiques, on a des outils.
01:42Et puis avec le Crédoc, donc l'équivalent d'un institut de sondage, on suit cette évolution de la mémoire collective.
01:50C'est quand même intéressant, par exemple, puisqu'on est sur janvier, de remarquer que dans la mémoire,
01:56quand on demande, parmi nos questions, quels sont les attentats qui vous ont le plus marqué,
02:01les actes terroristes qui ont le plus marqué depuis l'an 2000, en France et à l'étranger,
02:05on a le 13 novembre, très clairement au-dessus à chaque fois.
02:09C'est l'événement qui surnage.
02:10Ah oui, on a le 11 septembre qui reste la matrice du 21e siècle, mais plus bas.
02:15Et puis vous avez janvier, mais c'est là où on voit l'importance de la médiatisation et de la commémoration.
02:22Quand on fait ce sondage en janvier, on a une montée en puissance, ça reste très haut, mais après ça s'écroule dans l'année.
02:32Vous pouvez dire que la mémoire remonte à la surface à l'occasion des commémorations.
02:35Oui, on se dit, ah au fait, il y a ça.
02:38D'où l'importance des commémorations.
02:39C'est fondamental.
02:40Et vous notez d'ailleurs que dans la mémoire des attentats terroristes, il y a un peu des oubliés.
02:45Par exemple, Nice, été 2016, malheureusement passe un peu à la trappe derrière les autres.
02:51C'est comme s'il y avait une concurrence des mémoires.
02:53Pour vous donner des chiffres qui parleront tout de suite, six mois après l'événement,
02:57comme on a droit à trois réponses, 45% des français citaient Nice parmi les trois attentats les plus marqués depuis l'an 2000.
03:06Un an plus tard, même pas deux ans plus tard, c'était 19%.
03:11Et ça, c'est fondamental parce que c'est la double peine.
03:15Mais pourquoi vous dire, parce que moi je me suis fait la même remarque concernant 2012,
03:18les attentats de Mohamed Mehra à Toulouse, qui passe un peu à la trappe.
03:22Les gens disent, le grand attentat de cette décennie, c'est 2015, comme s'il n'y avait rien eu avant.
03:26C'est quoi, c'est des attentats de province ? C'est ça, Denis Pichanski, ça passe pour telle ?
03:30Il y a la symbolique de Paris, il y a le fait que c'est à Paris qu'il y a eu au total le plus de morts
03:35à part attentats terroristes et terroristes islamistes depuis dix ans.
03:41Mais bien au-delà, le pays est attaqué à travers sa capitale, ça s'ajoute évidemment.
03:49Et puis il y a cet attentat quand même très singulier, multisite, téléprojeté.
03:55On a depuis le Proche Moyen-Orient, donc il y a une singularité bien sûr.
04:02Oui, il y a l'envergure du 13 novembre qui le fait ressortir plus que les autres.
04:06Et en même temps, qu'est-ce qu'on fait le 14 juillet ?
04:09On fête la mémoire nationale.
04:11Et voilà, qu'est-ce qu'on fait à Nice ?
04:14Est-ce qu'on essaye de se reconstruire autour de cet élément structurant de la mémoire nationale,
04:20autour de ces valeurs partagées héritées de la Révolution Française ?
04:23Et où pense-t-on aux morts dans l'horreur de l'attentat de Nice ?
04:30Mais le problème, c'est qu'à l'arrivée, c'est la double peine.
04:32Parce que pour eux, non seulement ils ont souffert, mais en plus ils savent que globalement, entre guillemets, on les oublie.
04:41On a la même chose par exemple sur Paris en janvier.
04:45Alors heureusement, là vous avez parlé effectivement de l'hypercacher,
04:49mais globalement, depuis des années, janvier, c'est Charlie.
04:55L'hypercacher, c'est l'attentat des juifs.
04:57Il y a ça, mais il y a aussi les policiers, qu'on oublie.
05:00La policière Clarissa Jean-Philippe.
05:02Le 13 novembre, Bataclan.
05:06Et on le voit très bien dans nos sondages, qu'on pose une autre question,
05:09quels sont les lieux du 13 novembre ?
05:11Nouvelle condensation mémorielle.
05:13On oublie le stade de France, et on oublie les terrasses.
05:19Et là aussi, c'est la double peine pour les survivants et pour les endeuillés.
05:23Alors venons-en justement à vos travaux, parce que c'est très intéressant.
05:26Après les attentats du 13 novembre, vous mettez sur pied, Denis Péchanski,
05:30avec le neuropsychologue Francis Eustache, un programme historico-médical,
05:34on va l'appeler comme ça, d'étude de la mémoire des attentats.
05:37Celle de ceux qui l'ont vécu en prise directe, c'est-à-dire vraiment les survivants,
05:41sur lesquels on a une cohorte beaucoup plus large,
05:43et c'est clair que pour Charlie ou pour Lipert-Cacher.
05:45Vous vous dites, ces gens, il faut les faire parler tout de suite,
05:48à trois reprises, en espaçant la prise de parole,
05:50pour voir comment la mémoire évolue.
05:52Qu'est-ce qui ressort de tout ce travail ?
05:54C'est plus de 1000 personnes que vous avez interviewées,
05:57comme ça depuis 10 ans, Denis Péchanski. Qu'est-ce qui ressort ?
05:59Alors 1000 personnes, parce que l'idée était un peu sur le modèle américain,
06:04mais ils ne faisaient pas des interviews audiovisuelles.
06:06C'était mon collègue Bill Hurst.
06:08Oui, c'est avec l'INA, avec le CPAD, qui sont nos partenaires.
06:11Là, on a un vaste programme d'investissement d'avenir,
06:15qui s'appelle France 20-30 aujourd'hui,
06:18qui est piloté scientifiquement par le CNRS Inserm.
06:22Mais là, l'idée, l'une des idées, l'une des branches de ce programme,
06:28c'était d'interviewer au maximum les mêmes personnes.
06:322016, 2018, 2021, c'est fait.
06:36Et on attend la quatrième phase en 2026.
06:39Et là, on voit effectivement comment va évoluer cette mémoire.
06:43Est-ce qu'ils guérissent ?
06:45Est-ce qu'ils guérissent ?
06:46Est-ce qu'ils guérissent ?
06:47Là, c'est tout l'autre aspect qui est la branche médicale,
06:49même si dans les fêtes, on le voit dans les entretiens,
06:53on a des indicateurs.
06:54Et d'ailleurs, ce qui est intéressant,
06:56c'est qu'on trouve des marqueurs de pathologie médicale
07:00à travers le vocabulaire qui est utilisé par les personnes qui viennent témoigner.
07:05C'est-à-dire ?
07:06Eh bien, c'est qu'on trouve des singularités,
07:08des suremplois de telle ou telle catégorie de mots, etc.
07:13Et puis, à côté, vous avez cette étude Remember biomédicale
07:17pilotée par Pierre Gagnepin
07:19et qui travaille sur le trouble de stress post-traumatique
07:23et en particulier sur l'inégalité devant ce trouble de stress post-traumatique.
07:28La métaphore du disque rayé, explique Pierre Gagnepin,
07:31il dit qu'en gros, la mémoire c'est le disque,
07:33la rayure c'est le traumatisme, le flashback qui revient.
07:37Et le problème étant qu'on n'arrive plus dans ces cas-là
07:40quand on est en syndrome de stress post-traumatique
07:43à activer la fonction d'inhibition
07:45qui permet d'éviter l'éruption des souvenirs intempestifs.
07:47Quand la mémoire fonctionne bien, ça marche comme ça.
07:49Quand on est traumatisé, malheureusement, le souvenir revient, revient inlassablement.
07:52Et c'est l'image intrusive, ça c'est la clé,
07:54c'est la définition même du trouble de stress post-traumatique.
07:59On parle de trouble de stress post-traumatique
08:02quand le choc dure plus d'un mois.
08:04Ça s'incruste en quelque sorte.
08:06Et la définition, la caractéristique, c'est l'image intrusive qui vous revient
08:11et qui est complètement décontextualisée.
08:13C'est une tâche de sang, c'est un corps,
08:16on se souvient du canon de la Kalash.
08:20Et puis ça vous revient sans que vous puissiez le contrôler.
08:24Et le corollaire c'est l'évitement.
08:26C'est-à-dire qu'on va trouver tous les mécanismes
08:31pour éviter que ces images reviennent.
08:33Donc on ne va plus au restaurant, on ne va plus au spectacle.
08:36Pendant très longtemps, ils ne prenaient plus les transports en commun.
08:39Et ça c'est évidemment un facteur de déséquilibre terrible pour ces personnes.
08:44Merci beaucoup Denis Péchanski, historien,
08:46d'être venu ce matin nous parler de cette mémoire des attentats terroristes,
08:50l'hyper-cacher Charlie Hebdo,
08:51et évidemment le 13 novembre qui surnage dans la mémoire collective.
08:54Bonne journée à vous.