«Quelle que soit sa composition, le gouvernement Bayrou sera dans la même impasse que celui de Michel Barnier», assure Benjamin Morel

Europe 1

23/12/2024

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00:006h-9h, Europe 1 Matin, 7h11 sur Europe 1, Thomas Chenel, vous recevez ce matin Benjamin Morel,

00:06professeur de droit public et maître de conférences à l'université Panthéon-Assas.

00:09Bonjour Benjamin Morel, et bienvenue sur Europe 1, la France n'a donc toujours pas de gouvernement.

00:16Alors, nous pouvions benoîtement penser que François Bayrou avait fait des pieds et des

00:20mains pour devenir Premier ministre, parce qu'il avait la solution pour sortir de l'ornière

00:24visiblement. Ce n'est pas le cas. Quelle est la formule magique Benjamin Morel ?

00:28Il n'y en a pas vraiment, en tout cas pas comme ça, c'est-à-dire que là on a un problème qui

00:34est un problème je dirais toujours d'élargissement de cette majorité, c'est-à-dire que quel que soit

00:39le gouvernement qui sortira du chapeau aujourd'hui ou peut-être demain, c'est un gouvernement qui est

00:45à peu près dans le même impasse stratégique que celui de Michel Barnier. On a toujours un

00:48socle commun limité visiblement, alors on verra ce que diront ce matin les LR, mais a priori ils

00:53devraient rentrer au gouvernement sans trop trop de surprises. On est là dans une forme de faux

00:58suspense et donc on devrait avoir un socle commun composé des macronistes et des LR qui

01:03chercheront à ne pas être censurés, qui par le RN, qui par le Parti Socialiste. Benjamin Morel, on nous

01:08fait défiler des noms depuis plusieurs jours, des connus depuis toujours, Xavier Bertrand, des

01:14ministres François Hollande, on fait même revenir l'ancienne Première Ministre Elisabeth Borne,

01:18on nous promet donc cette fois-ci, contrairement à Michel Barnier, des poids lourds, mais

01:22fondamentalement ça ne changera rien à l'Assemblée Nationale. Vous qui connaissez le Parlement, il

01:26nous faut surtout trouver un équilibre, un programme. Exactement, ça ne change absolument rien à

01:31l'équilibre au sein de l'Assemblée Nationale. Ça peut éventuellement donner quelques gages à

01:37l'opinion, quoique je ne suis pas certain que le nom d'Elisabeth Borne, le nom de Gérald Darmanin,

01:40le nom de Xavier Bertrand bougent des masses électorales conséquentes. Mais au-delà de ce

01:47sujet-là, c'est-à-dire que le gouvernement n'est pas responsable devant l'opinion, il est d'abord

01:51responsable devant le Parlement. Et donc ce faisant, celui qui peut voter une motion de censure, si je

01:55suis très pragmatique, celui qui peut voter un budget, c'est le Parlement, c'est l'Assemblée

01:59Nationale. Donc ce pari-là, c'est un pari d'autant plus risqué qu'en fait, sur quoi tient ce

02:04gouvernement réellement ? Il tient sur des groupes politiques. Et ces groupes politiques, ils sont

02:09dirigés par des présidentiables potentiels. Un Laurent Wauquiez, un Gabriel Attal. Est-ce que

02:14vous pensez vraiment que Gabriel Attal va trouver extrêmement intéressant de voir ses rivaux au sein

02:19de Renaissance nommés, je pense, Elisabeth Borne, un Gérald Darmanin, que Laurent Wauquiez va

02:24trouver extrêmement à son goût, la nomination d'un rival qu'est Xavier Bertrand ? Ce n'est pas tout à

02:29fait évident. Donc ce grand gouvernement de personnalité, au fond, apporte un peu d'incarnation

02:34mais n'apporte pas grand-chose. En revanche, il n'est pas forcément un gage de plus de stabilité,

02:39il est peut-être même un gage de moins de stabilité. Mais vous nous le dites, Benjamin Morel,

02:43François Bayrou veut des personnalités connues, mais celles-ci ne veulent pas venir à n'importe

02:47quel prix. Est-ce que cela signifie qu'en fait, tous regardent au-delà de ce gouvernement et

02:51regardent déjà vers la présidentielle 2027 ? Beaucoup regardent en effet vers 2027 et ceux

02:58qui veulent rentrer ont parfois justement un intérêt en vue de cette présidentielle. Mais

03:04le problème fondamental de ce gouvernement, il est double. Le premier problème, vous l'avez un

03:10petit peu évoqué, c'est pourquoi on a un François Bayrou qui demeure dans l'ambiguïté sur ce qu'il

03:15veut faire. Ce n'est pas comme ça que ça se passe à l'étranger. A l'étranger, vous commencez d'abord

03:20et avant tout par un programme de gouvernement. Et une fois que vous avez ce programme de

03:24gouvernement, ensuite vous vous concentrez potentiellement sur des personnalités que

03:30vous pourriez y faire rentrer. Là, au contraire, on reste ambigu et en restant ambigu, on espère

03:35que ça puisse se brasser plus large. Ce qui n'est pas une bonne idée. L'autre élément, c'est que

03:40vous avez un gouvernement dont la durée de vie est potentiellement très limitée. Pour l'instant,

03:48on l'évoquait, les socialistes et le RN n'ont peut-être pas intérêt à censurer à court terme.

03:54Mais au mois de février, quand il y aura un budget, quand il y aura une pression de l'opinion,

03:58est-ce que ces partis politiques pourront renoncer à la censure ? C'est tout sauf

04:02évident. Mais le gouvernement reste-t-il sous la surveillance du RN ? Oui, d'une certaine façon,

04:09il y a deux voies encore une fois. Une voie qui passerait par une abstention du parti socialiste.

04:15Le problème, c'est que le PS a dit très bien, peut-être pour un pacte de non-censure,

04:19mais je veux des gages conséquents qui n'ont pas été donnés et je ne veux pas d'usage du 49 à

04:23une A3. Or, aujourd'hui, on voit vraiment mal comment est-ce qu'on pourrait se passer d'un

04:2749 à une A3 sur le budget. Donc, même si le PS pourrait in fine s'abstenir, ça reste quand même

04:33bien loin de ses conditions. Et donc, ce faisant, c'est faire un pari qui est un pari très compliqué.

04:39De l'autre côté, il restera le RN qui pourrait avoir intérêt, lui, également à ne pas censurer

04:44parce que Marine Le Pen a montré qu'elle pouvait faire tomber le gouvernement la dernière fois. Elle

04:48peut avoir intérêt à présent à montrer qu'elle se normalise, elle se respectabilise et elle tend

04:54la main à l'électorat centriste. Le fait est toutefois que si le budget est un vrai budget

04:59d'austérité, si jamais dans les permanences RN, on a des électeurs qui disent « vous ne nous

05:03protégez pas, vous nous soumettez à un budget d'austérité », les mêmes causes peuvent produire

05:08les mêmes conséquences, même conséquence dont on a vu les effets au mois de décembre. C'est-à-dire

05:13que le RN, pour des raisons stratégiques, est plus ou moins contrainte de faire tomber le gouvernement.

05:18Est-ce qu'avec cette équation impossible de composer un gouvernement,

05:21Benjamin Morel, on assiste à un pas de plus qui nous rapproche de la crise de régime ?

05:25Alors le problème, il est encore une fois pas vraiment dans le texte de la Constitution,

05:30qu'on peut critiquer. La Ve République est loin d'être parfaite. Néanmoins, il est vrai que la

05:37crise politique s'ancre. Cette tripolarisation de la vie politique, cette incapacité à la

05:42dépasser, aujourd'hui devient un élément qui est un élément réellement bloquant. Si on n'a pas

05:47de budget au 31 décembre, ce n'est pas l'idéal, mais c'est quand même surmontable via les lois

05:52spéciales, etc. Bref, le soleil se lèvera en 2025 avec un État à peu près fonctionnel. Si on n'a

05:59toujours pas de budget au mois de mars, au mois d'avril, au mois de mai, ça devient vraiment

06:05compliqué de faire fonctionner normalement l'État. On va avoir des problèmes également concernant le

06:10barème des impôts sur le revenu, etc. Donc, pour cette raison-là, ça devient beaucoup plus

06:14problématique. Et donc, à ce moment-là, on se pose la question de comment est-ce qu'on surmonte ça.

06:19On se posera la question, pour Jean-Luc Mélenchon et pour une partie de la classe politique, de la

06:25démission du chef de l'État. Est-ce que ça changera fondamentalement la donne ? Peut-être pas. Et pour

06:30une vision plus radicale, on se posera la question des institutions de la Constitution. Vous savez,

06:35en 1956, on a une assemblée qui est bloquée. En soi, le problème, là, c'est pas vraiment la

06:40conscience de la 4e République, c'est vraiment une situation parlementaire de blocage. Finalement,

06:45on va jeter la 4e République avec l'eau du bain. Il est possible, évidemment, que si jamais le

06:50blocage perdure, certains veuillent jeter la 5e, là aussi avec l'eau du bain. Donc, vous nous dites

06:55que le chemin de croix de François Bayrou est loin d'être terminé, même s'il trouve son

07:00gouvernement aujourd'hui ? Oui, les soucis ne font que commencer. Il aura son équipe pour escalader

07:08l'Himalaya, mais je ne suis pas sûr que l'équipe l'ait déjà escaladée, ni sache réellement ce que

07:12ça implique. Donc, il est évident qu'ensuite, c'est l'aventure qui commence. Merci beaucoup,

07:18Benjamin Morel, d'être venu sur Europe 1, professeur en droit public, maître de conférences

07:24à l'Université Panthéon-Assas, je précise, votre livre, Le Parlement, Temple de la République de

07:301789, à nos jours, parus, chez Passé Composé. Merci beaucoup.

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