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Transcription
00:00Allez, la dernière séquence de ce Paris Direct, on passe tout de suite à derrière l'image, notre rendez-vous pour prendre le temps de décrypter l'info à partir de photos qui font sens, avec nous aujourd'hui James Henry.
00:09Bonjour James, grand reporteur ici à France 24, d'ailleurs l'un de vos grands reportages vient d'être sélectionné pour le prix FIGRA, félicitations à vous.
00:17Survivre à Barthemout, c'est son nom, vous l'aviez tourné en décembre 2022, pendant cette longue bataille dont nous avons largement parlé ici à France 24.
00:25Et l'image, puisque c'est la tradition, l'image que vous avez sélectionnée aujourd'hui, c'est celle d'une jeune Ukrainienne que vous aviez suivie au moment de cette lourde décision qu'elle vient de prendre,
00:34celle de tout quitter, y compris sa famille, pour fuir cette bataille très difficile qui est en cours.
00:40Oui absolument, cette jeune fille qu'on voit sur cette photo qui est Angelina, qui a ce bonnet bleu, et qui est donc une jeune Ukrainienne, c'est une tatoueuse,
00:48qui a vingt et quelques années, et que nous allons croiser en fait avec Maïssa Awad durant ce reportage dans ce qu'on appelait les points de résilience à Barthemout,
00:57c'est-à-dire ces endroits où en fait les autorités et surtout des volontaires ont mis en place des infrastructures pour que les gens puissent se réchauffer, avoir un peu d'électricité,
01:05il y a des générateurs, servir de l'eau, des médicaments, de la nourriture, et donc ces endroits qui sont réellement des points de vie.
01:12Et en fait, elle nous a amené, Angelina, sur cette image, on la voit, elle nous montre son immeuble dans lequel elle habitait avec ses parents,
01:19et on voit en fait ce qui reste de l'appartement familial, c'est-à-dire rien du tout, en réalité ce bloc d'immeuble a été frappé par un missile russe,
01:28un gros missile russe en l'occurrence, c'est-à-dire qu'il ne s'agissait pas simplement d'une frappe d'artillerie, mais bien d'un missile qui a fait s'effondrer toute une partie du bâtiment,
01:38et sous les décombres duquel sont restées une trentaine de personnes.
01:42Heureusement pour Angelina et sa famille, ils étaient justement au point de résilience que vous allez voir dans un instant, et c'est ça qui les a sauvés,
01:49ils n'étaient pas chez eux, mais évidemment il a fallu se reloger.
01:52Avant d'aller plus loin, on va justement regarder tout de suite un extrait de votre grand reportage,
01:56extrait de cette séquence que vous venez à l'instant d'évoquer, regardons.
02:01La vie est dure pour ceux qui restent, et certains finissent par craquer, comme Angelina.
02:08C'est horrible, horrible.
02:10Ils nous tirent dessus, on se promène en se demandant quand ça va tomber.
02:14On vit chaque jour comme si c'était le dernier, c'est effrayant.
02:17L'atmosphère est oppressante psychologiquement.
02:20Je veux partir parce que je ne peux plus rien faire ici.
02:23Partir pour me laver tout simplement ? Désolée de dire ça.
02:28L'appartement dans lequel Angelina vivait a été frappé par un obus, il y a trois jours.
02:34Ce sont les fenêtres de notre appartement.
02:37Celle-ci, c'est la cuisine. Là, c'est la chambre où nous dormions.
02:40Il y avait un grand lit.
02:42Maintenant, il y a des éclats de verre partout et les cloisons se sont complètement effondrées.
02:53Je n'entendais plus rien. L'onde de choc m'a frappée sur le côté droit.
02:58Je boitais.
03:01Un tir qui a décidé Angelina et Maxime, son compagnon, à évacuer Barmouth.
03:07La jeune femme avait déjà dû quitter l'appartement de sa famille six semaines plus tôt.
03:13Là, c'est chez moi.
03:15Le bâtiment s'est effondré après une frappe.
03:18Une partie des habitants s'est retrouvée coincée dans le sous-sol et sont morts.
03:22Par chance, la famille d'Angelina était absente ce jour-là.
03:26Des gens sont morts ici, coincés sous les décombres.
03:29On a sorti des corps et il y a même un pompier qui est mort.
03:33Excusez-moi, c'est dur. J'ai envie de pleurer.
03:38Presque toute ma famille est partie et moi aussi, je veux être évacuée.
03:41Mais mon père veut rester.
03:43S'il part, ce sera pour la Russie.
03:46On n'est pas d'accord. Moi, je suis une patriote. Dans ma famille, on évite ce sujet.
03:50On n'est pas d'accord. Moi, je suis une patriote. Dans ma famille, on évite ce sujet.
03:56Qu'est-ce qu'il faut comprendre de tout ça, James ?
03:58Que son père, à elle, est un pro-russe ?
04:00Absolument. C'est une famille qui a vraiment été complètement déchirée par la guerre.
04:04C'est pour ça qu'on a choisi de faire son portrait dans ce reportage,
04:07puisqu'on est tombés dessus par hasard.
04:09C'est-à-dire qu'on a rencontré Angelina.
04:11À partir de là, Angelina nous a proposé de l'accompagner pour voir ses appartements.
04:15C'est ce qu'on a vu là.
04:18C'est le premier qui a été complètement détruit par ce missile.
04:20Puis le deuxième.
04:21Elle nous explique que son père est pro-russe.
04:23Pour retrouver son père, car elle n'est plus en contact avec son père,
04:25ils sont fâchés, extrêmement fâchés,
04:27parce qu'elle et l'un de ses frères sont pro-ukrainiens.
04:30Son père est pro-russe.
04:32Sa mère est partie avec son fils, le fils d'Angelina,
04:35se mettre à l'abri en Russie pour fuir la guerre.
04:38Son père a décidé de rester en ville
04:41pour pouvoir attendre l'arrivée des Russes
04:44et que la ville passe sous contrôle russe.
04:46Je vais vous proposer de voir quelques images qu'on avait tournées.
04:48Pour retrouver le père, évidemment, ce n'était pas très simple.
04:51Mais en parlant à Angelina, elle nous a expliqué que son père était très pieux.
04:54Le dimanche suivant, ce que nous avons fait avec l'équipe,
04:56c'est que nous sommes rendus à l'église orthodoxe russe.
05:00Ce sont des prêtres orthodoxes russes, en l'occurrence,
05:03pour voir si, par hasard, on aurait la chance de le croiser à la messe.
05:07Et c'est ce qui s'est passé.
05:08On l'a retrouvé, lui et deux de ses fils.
05:10Après avoir discuté avec lui, il a accepté de nous emmener chez lui.
05:14C'est une petite maison en plein milieu du champ de bataille
05:17où il nous reçoit.
05:18Il y a des obus qui tombent tout autour.
05:20Et il va nous dire ce qui suit.
05:22Je vous propose de regarder ce petit morceau de séquence.
05:28Alexander et ses fils se sont organisés pour survivre sous les obus.
05:33Maintenant, on est plus ou moins habitués.
05:35Mais au début, on ne pouvait pas dormir.
05:37C'était effrayant.
05:39La maison tremblait.
05:40Tout le sol bougeait comme de la gelée.
05:42Vraiment, de la gelée.
05:45La guerre a éclaté la famille en trois.
05:47La femme d'Alexander est partie avec leur petit-fils se mettre à l'abri en Russie.
05:52Angelina veut rejoindre son autre frère pro-ukrainien vers l'ouest.
05:56Alexander, lui, reste ici avec ses deux autres fils.
06:01Pour moi, l'Ukraine, enfin, si vous voulez l'appeler Ukraine,
06:04est un seul et même pays avec la Russie et la Biélorussie.
06:07C'est un même peuple.
06:09C'est un arbre avec différentes branches.
06:11Mais avec les mêmes racines.
06:15Ça me fait mal. Angelina est mon point faible.
06:19Je pense qu'elle ne veut plus nous voir.
06:21Personne ne la forçait à partir.
06:23C'était sa décision.
06:25Personne ne la jetait dehors.
06:27Elle n'aime pas notre mode de vie.
06:29Elle veut la liberté.
06:31La liberté dans le mauvais sens du terme.
06:34Voilà. Pour se témoigner dans l'autre côté, celui de ce père.
06:38Un mot de Barhmout qui est tombé, finalement, on le sait maintenant,
06:41aux mains des Russes après d'âpres combats.
06:43Vous étiez sur place. Vous vous êtes rendu une seconde fois là-bas.
06:47Vous avez vu l'ampleur des dégâts, immatériels et humains, bien sûr.
06:51Oui, c'est-à-dire que, si vous voulez, on s'est rendu compte déjà sur place.
06:54Moi, j'ai couvert pas mal de conflits pour France 24.
06:56C'est de loin celui où j'ai entendu le plus d'artillerie tomber autour de moi.
06:59La bataille de Barhmout était réellement extrêmement violente.
07:02Et, durant ce tournage, on a pu voir évidemment les dégâts sur les bâtiments du centre-ville.
07:07On a pu se rendre compte qu'au moment où Barhmout tombe,
07:11il n'y a pratiquement plus aucun bâtiment qui ne soit pas abîmé.
07:14Déjà, à l'époque, on avait beaucoup de vitres cassées, beaucoup de bâtiments abîmés.
07:19Des gens qui continuaient, malgré tout, pour certains, à rester.
07:22Mais 90% de la population avait fui au moment où on a tourné ces images.
07:26Et puis, on a pu se rendre compte des dégâts au sein des rangs de l'armée ukrainienne.
07:31Il faut voir que, déjà, à l'époque, l'armée russe envoyait plus d'obus que l'armée ukrainienne
07:36lors de cette bataille de Barhmout.
07:38Depuis, la situation s'est dégradée.
07:39Mais nous, on a pu voir les dégâts que ça faisait.
07:41C'est-à-dire qu'on a pu voir, avec Maïssa, on a pu rentrer dans un hôpital militaire
07:45et on a tourné une séquence avec les soldats qui arrivaient blessés du front.
07:49Ce qui, normalement, ne peut pas se faire.
07:50L'armée ukrainienne ne souhaite pas montrer, généralement, ces images.
07:53Mais là, il y avait un médecin et le médecin était exalté.
07:56Il a tout simplement dit au responsable militaire qui est arrivé pour nous dire d'arrêter de filmer.
07:59Il a dit, écoutez, soit il filme, soit moi je démissionne et je m'en vais.
08:03Et donc, a été décidé de nous laisser filmer la séquence que vous allez voir dans un instant.
08:08Et là, on se rend compte de ce que c'est, en réalité, que d'être en première ligne
08:11sous les obus russes et face aux combattants russes.
08:13Je vous propose de regarder.
08:29Tourniquets, c'est ça ?
08:30Tourniquets, oui.
08:38Cinq ambulances, en l'espace d'une heure à peine.
08:46Ici, on nous dit recevoir une centaine de soldats blessés par jour.
08:59C'est un obus de mortier, ça a arraché ma jambe.
09:13Voilà, qu'est-ce que je peux dire ?
09:15Je vais bien.
09:18Ma jambe me fait mal, mais à part ça, ça va bien.
09:21Tout allait bien, puis les tirs ont commencé.
09:29Quand c'est devenu très intense, tout le monde s'est planqué dans les tranchées.
09:35J'ai senti une vive douleur.
09:37J'ai compris que je m'étais pris un éclat.
09:41J'ai bougé mes doigts, ils bougeaient, mais j'ai compris que mes os étaient cassés.
09:48Ça faisait un bruit de craquement.
09:52Les combats les plus durs sont à Bakhmout.
09:54C'est l'enfer, l'enfer.
10:00On a un témoignage évidemment précieux de ces soldats ukrainiens,
10:03toujours mobilisés au moment où on se parle sur le front.
10:05On les entend régulièrement dire qu'on est fatigués, qu'on a besoin d'aide,
10:08qu'on a besoin de munitions, qu'on a besoin d'armes.
10:10Il se trouve que ces dernières heures, une nouvelle enveloppe colossale
10:14a été débloquée au Congrès américain, 61 milliards de dollars.
10:17Est-ce que ça peut changer la donne ?
10:19Ça va sans doute changer la donne, bien sûr, un peu.
10:23C'est-à-dire qu'au stade où on en est, il y a des manques de munitions,
10:26il y a des vraies difficultés sur le front.
10:28Là, d'abord, très rapidement, il est question que les Américains
10:31envoient un package qui est déjà préparé par le Pentagone,
10:34qui représente un milliard de dollars d'aide,
10:37qui va arriver de manière assez immédiate, parce qu'ils s'étaient préparés,
10:40en espérant évidemment que le Congrès allait prendre cette décision.
10:43Dès cette semaine, des armes vont être envoyées ?
10:45Dès cette semaine, ce qu'ils vont recevoir, d'après ce qu'on a entendu,
10:48ce seront des véhicules, des munitions pour les systèmes de lance-missiles E-Mars,
10:53ces fameux missiles qui tirent environ 80 kilomètres,
10:57ainsi que des missiles anti-chars, des Stingers, des missiles TOW,
11:00et des munitions pour les systèmes anti-aériens,
11:03qui sont évidemment extrêmement précieux en ce moment.
11:05On le voit, c'est ça qui permet de sauver des vies civiles dans les villes.
11:09Donc, c'est ce dont l'Ukraine a besoin immédiatement.
11:13Pas sans doute de quoi retourner la tendance, bien sûr,
11:16mais certainement de quoi, en tout cas, aider, soulager dans un premier temps.
11:20Parce qu'aujourd'hui, on ne se bat pas très loin, finalement, de Bakhmout.
11:23On en a beaucoup parlé. Chassiviar, c'est un village que j'ai traversé
11:26avec Maïssa et Dimitri Kovachuk, qui est notre fixeur,
11:30sur place lors de cette mission, et on l'a traversé tous les jours.
11:33Donc, c'est une bourgade qui se trouve peut-être à 5-6 kilomètres de Bakhmout.
11:37Mais le fait est qu'aujourd'hui, même s'ils avancent doucement,
11:39c'était il y a presque un an, ils en sont à Chassiviar, mais ils avancent.
11:43C'est-à-dire qu'effectivement, on va dire le momentum, comme disent les Américains,
11:46c'est-à-dire l'élan est plutôt du côté russe.
11:49Et c'est ça qu'il va falloir arriver à casser.
11:51Et c'est une nécessité, évidemment.
11:53Et ce qui est important aussi, c'est de voir que...
11:55Alors, sur ces 61 milliards, il y en a 48 qui vont être envoyés
11:59aussi dans le complexe militaro-industriel pour produire du matériel,
12:02et qui va arriver ensuite, évidemment, là-bas.
12:05Merci beaucoup, James André, pour être venu témoigner de ce grand format
12:09« Survivre à Bakhmout » que vous aviez réalisé avec Maïssa Awad,
12:13sélectionné pour le prix FIGRA, aux côtés de 5 autres grands formats
12:17réalisés par les grands reporters de France 24.

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