Bernard Mounier

  • il y a 8 mois

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00:00 (Générique)
00:05 - Et c'est sur 46 minutes, bonne journée, bonne route, c'est donc ce matin que le procès de la tuerie des plantiers va s'ouvrir devant les assises du Gard.
00:11 Pour en parler, Quentin Péresse de Tudela, notre grand invité ce matin, c'est l'ancien maire de la commune.
00:16 - Oui, bonjour Bernard Mounier. - Bonjour.
00:18 - Et merci d'être avec nous dans ce studio pour évoquer ce drame de mort des victimes froidement abattues il y a plus de deux ans.
00:25 On va y revenir bien sûr, mais d'abord comment vous allez-vous aujourd'hui Bernard Mounier ?
00:29 - Je me soigne.
00:32 J'ai eu un mandat assez difficile, trois périodes de confinement, deux catastrophes naturelles, un double assassinat.
00:41 C'est compliqué, mais bon, je fais des efforts pour retrouver, reprendre goût à la vie.
00:50 J'ai été très touché par ce drame-là.
00:54 Quand on est élu, quand on est maire d'un village, on se sent souvent un peu responsable.
01:00 Non pas responsable de ce qui est arrivé, mais responsable de ce qui va arriver ensuite en sortie de crise.
01:06 - Quand vous dites que vous vous soignez, c'est-à-dire que vous suivez un traitement, vous essayez de vous isoler peut-être pour vous préserver ?
01:12 - Oui, un peu, voilà. Je suis un peu isolé pour me préserver.
01:17 - Mais vous continuez à vivre au plantier, un village que...
01:20 - C'est notre village d'attache, c'est celui de mon épouse, elle y est née.
01:25 Nous sommes particulièrement attachés à ce village.
01:28 J'ai travaillé à l'international toute ma carrière, et puis à la retraite, nous avons décidé de revenir nous installer ici, dans ce village.
01:35 Et donc nous y resterons pour le moment.
01:37 - Un village dont vous n'êtes plus le maire.
01:39 Aujourd'hui un village de moins de 250 habitants, un tout petit, qui va vivre le cauchemar pendant plus de trois jours en 2021.
01:47 Vous vous souvenez de ce que vous étiez en train de faire quand tout a commencé, quand vous avez appris ce qu'il s'était passé à la Syrie ?
01:54 - Oui, je me souviens parfaitement. Je suis arrivé à la mairie vers 8h15, et Valentin Marcon passait à côté avec sa voiture.
02:03 On s'est salué d'un geste de la main, je ne le connaissais pas particulièrement.
02:07 On s'est salué, je suis rentré à la mairie, je suis installé à mon bureau,
02:11 et j'ai reçu un appel téléphonique me disant "Valentin vient de tuer Luc et Martial".
02:17 Alors tout s'est enchaîné rapidement. La secrétaire de mairie tout d'abord, qui est partie en crise,
02:22 parce que c'est une ancienne collaboratrice de Valentin Marcon,
02:25 elle a eu très peur aussi parce que le bus qui amenait les enfants à l'école allait passer devant la Syrie,
02:30 donc elle était dans un état, elle a fermé tous les volets.
02:33 - Ancienne collaboratrice parce que Valentin Marcon a travaillé un an, je crois, à la mairie.
02:37 - À la mairie.
02:38 - En 2017, si je ne dis pas de bêtises.
02:40 - J'ai appelé une adjointe qui est venue s'occuper de la jeune Pauline, la secrétaire,
02:44 et moi je suis parti à l'EPAP pour enfermer les personnes âgées qui venaient de petit déjeuner,
02:48 qui commençaient à déambuler, les infirmières et le personnel.
02:51 Ensuite je suis descendu voir l'institutrice, il y avait déjà 4 ou 5 élèves qui étaient sur place,
02:56 et j'ai demandé qu'elle s'enferme dans la classe, qu'elle ferme les volets, et qu'elle attende,
03:01 parce qu'on ne savait rien.
03:02 - Valentin Marcon qui a abattu, vous l'avez dit, Luc Tessonnières et Martial Guérin.
03:07 Donc Luc qui était son patron, Martial l'un de ses collègues de travail.
03:11 Et c'est vous en plus, je crois, qui êtes allé faire le sale boulot,
03:15 qui êtes allé annoncer la disparition de Luc et Martial à leurs proches.
03:20 - En rentrant de l'école, j'ai croisé sur la place la maman de Martial et sa sœur.
03:25 Et sa sœur m'a dit "Bernard vous vous savez, dites nous ce qui se passe".
03:30 On m'a dit que Martial est en vie, et donc j'ai dû annoncer en leur disant "non, c'est fini".
03:35 Et le soir, le général du GIGN m'a demandé aussi d'aller exfiltrer Fiona Tessonnières,
03:43 qui était restée chez elle toute la journée,
03:45 qui avait appris le décès de son mari, je pense, par les réseaux sociaux.
03:49 Donc je suis parti avec cinq militaires, en protégé évidemment,
03:53 pour aller chercher Fiona chez elle, et la grand-mère de Martial aussi, Mme Guérin.
03:58 Et puis après j'ai enchaîné avec, aller exfiltrer le frère du maire, de l'ancienne mère,
04:05 et puis son adjoint, voilà.
04:08 - Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là dans votre tête,
04:10 quand vous comprenez que tout est en train de basculer dans ce petit village de 250 habitants, même pas ?
04:15 - Alors étonnamment, j'ai eu...
04:17 - Dont on pourrait penser qu'il est très préservé.
04:20 - Oui.
04:21 - Surtout où il se trouve, dans les Cévennes.
04:23 - Quand vous allez interviewer, vous faites des micro-trottoirs un peu partout,
04:25 tout le monde vous dit "on n'aurait jamais pensé que cela puisse arriver dans un tel petit village,
04:30 qui est serein, qui est accueillant".
04:33 Ben ça arrive là aussi.
04:35 Ce qui se passe dans ma tête, je ne sais pas, parce que miraculeusement,
04:38 presque je me suis fixé, comme une obsession,
04:41 dire "l'important c'est le jour d'après".
04:43 On ne va pas refaire l'histoire, c'est arrivé, c'est arrivé.
04:46 Il y a des experts, il y a le procureur de la République, Mme la préfète était là,
04:50 la sous-préfète, il y avait l'EGIGENE, des militaires, etc.
04:54 Je leur ai dit "eux ce sont les professionnels, ils vont gérer,
04:56 moi je devrais gérer une communauté quand tous ces gens-là seront partis".
05:00 Et ça a été pour moi l'obsession.
05:03 - Il est 7h51 avec France Bleu, Garlozer, on évoque ce matin le procès de la tuerie des plantiers
05:07 qui ouvre aujourd'hui devant les assises du Gard, l'ancien maire de la commune, notre invité.
05:11 - Présence du GIGENE, parce qu'il y a eu ensuite la cavale de Valentin Marcon,
05:16 qui s'est terrée dans les bois avant de se rendre au bout de trois jours.
05:20 Comment vous l'avez vécu ? Comment vous les avez vécu ces trois jours de cavale ?
05:25 Est-ce que vous avez eu peur pour vous, peur pour la vie des habitants aussi,
05:29 puisque Valentin Marcon était très armé ?
05:32 - Le mot peur n'est peut-être pas le bon mot, mais j'étais un souci.
05:36 Donc j'ai fait attention, on était protégés, en tout cas moi ma maison a été surveillée,
05:41 protégée par des militaires.
05:43 J'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, j'ai découvert aussi ce monde,
05:47 le monde du GIGENE et des gendarmes et leur professionnalisme.
05:50 On a vécu quatre jours, en tout cas quatre jours et quatre nuits,
05:54 où moi je n'ai pas dormi, je suis resté debout.
05:57 J'ai été associé à tous les brifs et les débrifs de cette traque-là,
06:01 et j'étais assez proche des familles, puisqu'elles étaient hébergées à proximité de la mairie.
06:07 La nuit à 3h, 3h du matin, ils étaient dehors, ils fumaient leurs cigarettes,
06:11 dans une détresse indéfinissable, et je passais beaucoup de temps à les parler avec eux.
06:16 - Quand je vous écoute, je me dis qu'il y a une troisième victime dans tout ça,
06:19 c'est le village des plantiers ?
06:21 - Oui, voilà. Aujourd'hui on a en face de nous des femmes et des hommes courageux,
06:26 ils s'appellent Fiona, ils s'appellent Camille, ils s'appellent Vincent,
06:30 il y a Céline, il y a Janine, il y a Lucien, il y a Régis, je pourrais tous les citer leurs noms,
06:36 mais la communauté elle-même est une victime.
06:39 Et ça a été très compliqué pour moi d'essayer d'avoir des éléments de langage,
06:43 je vais dire entre guillemets une sémantique suffisamment forte
06:46 pour mettre des mots sur leurs mots MAUX,
06:49 dans le sens où il fallait à tout prix leur dire, éviter les amalgames déjà,
06:55 et penser que demain on sera réappelés à vivre ensemble.
06:59 Aujourd'hui, deux personnes ont été définitivement détruites, Luc et Martial,
07:04 les autres, celles que je viens de citer, ont été démolies.
07:07 En Cévennes, vous savez, on accueille beaucoup de monde qui vient en vacances
07:10 pour rejoindre leur maison familiale, ils passent beaucoup de temps à restaurer ces maisons.
07:14 Je pense aujourd'hui que ces personnes, dont je viens de citer les noms,
07:18 n'ont pas été détruites, mais ont été démolies.
07:20 Un pan de mur est tombé, un bout de toiture s'est arraché,
07:23 une fenêtre a explosé, une porte aussi,
07:25 et ces personnes-là ont besoin d'être restaurées.
07:28 C'est pour cela qu'aujourd'hui, avec le procès, j'attends bien évidemment une décision pénale,
07:33 mais j'espère que cette justice-là aura la dynamique et la sémantique suffisamment fortes
07:38 pour entamer un début de restauration, ce qu'on appelle la justice restauratrice.
07:43 - Valentin Marcon va donc être jugé, peut-être sans doute jusqu'à lundi,
07:48 en tout cas c'est la durée de son procès pour l'instant.
07:52 Vous aimeriez lui poser quoi comme question, aujourd'hui ?
07:57 - Je n'ai pas de question précise à lui poser.
08:00 J'aimerais qu'il ait un regard, je dirais,
08:05 empathique, compatissant aux yeux de ces personnes dont la vie a été, je dirais, détruite.
08:13 J'aimerais qu'il ait ce regard-là.
08:15 S'il a un propos, s'il a quelques éléments de langage à fournir,
08:20 bien sûr, je pense que ce serait important.
08:22 Pour le moment, nous, en tout cas moi, je suis une tierce personne
08:26 qui essaie d'accompagner ces personnes-là, et c'est très compliqué.
08:30 Mais je dois dire que ce sont des personnes éminemment courageuses,
08:35 quelles qu'elles soient, les épouses, les mamans, les frères et les sœurs,
08:39 ce sont des personnes courageuses.
08:41 - Comme vous, Bernard Mounier ?
08:43 - Je ne sais pas, je ne sais pas.
08:46 On me dit toujours que j'ai plus ou moins bien géré la crise.
08:49 Ce que j'ai essayé de faire, c'est surtout d'être digne,
08:52 d'être digne de l'enjeu, avoir de la hauteur de vue,
08:56 et ne pas me laisser entraîner dans des jugements qui n'apporteraient rien,
09:01 en tout cas une vision manichéenne des choses,
09:03 c'est-à-dire le noir, le blanc, le propre, le sale, le sauvé, le perdu.
09:07 Je n'ai pas du tout cette vision-là.
09:09 Dans ma vie, ça n'a jamais été ça.
09:11 C'est un code d'éthique que je me suis appliqué depuis très jeune,
09:14 et je le maintiendrai, je pense, jusqu'au bout.
09:17 - Vous avez un discours très fort, Bernard Mounier.
09:19 Ce qui est étonnant, c'est que vous ne serez pas appelé à la barre pour témoigner,
09:23 je le précise.
09:24 En tout cas, bon jour, merci beaucoup d'avoir été avec nous
09:26 sur France Bleu Garloser ce matin, Bernard Mounier,
09:28 donc je le rappelle, ancien maire des Plantiers.
09:30 Merci à vous, Bernard Mounier.
09:31 - Merci. - Merci, bon courage, Monsieur Mounier.
09:33 - Merci.
09:34 Sous-titrage Société Radio-Canada
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